mercredi 21 mai 2003

Sombre 18 mai

Ce texte a été rédigé au lendemain de la lourde défaite électorale qu’ont connue les partis écologistes en Belgique le 18 mai 2003. Il a été diffusé auprès de membres du parti, de sympathisants et de proches.



Comment expliquer cette gifle inattendue, cette lourde défaite, tellement injuste, incompréhensible ? Nous nous attendions à un recul sensible, mais jamais à ce point.
Nous étions sans doute porteurs de trop d’attentes, sans avoir ni les épaules assez larges, ni un rapport de forces en notre faveur pour pouvoir les satisfaire. L’Arc-en-Ciel a connu de belles réussites et aussi des échecs. Pourquoi Ecolo est-il le seul à endosser la responsabilité de ces dernières sans avoir droit aux lauriers des premières ?
Les Ecologistes paient pour une image devenue ou rendue désastreuse.
Il doit y avoir non pas une mais des explications qui tiennent à Ecolo, aux autres partis, aux électeurs.
J’en vois quelques-unes, et il doit y en avoir quelques autres…

• DES VICTOIRES OCCULTEES PAR LES DEFAITES ?
La barre est placée haut chez les Ecolos, les exigences des militants et des électeurs sont donc fortes. La participation à une coalition a entraîné inévitablement la participation à des décisions qui ne correspondent pas aux programmes de chacun des partis. Les conséquences n’en sont pas les mêmes pour tous : si l’expulsion des Tziganes a coûté cher à Ecolo, la sortie du nucléaire (pourtant critiquée par les Libéraux) n’a rien coûté électoralement au MR
Parti atypique, Ecolo fonctionne sur le mode d’une démocratie interne forte, ce qui a amené régulièrement des militants et des parlementaires à exprimer ouvertement leur mécontentement vis-à-vis de décisions prises par les gouvernements.
Dans les autres partis, l’expression publique est quasi réservée aux ministres et au président.
Mais cette manière d’exprimer publiquement son désaccord a sans doute eu un effet d’occultation des gains Ecolo. Nous avons pu laisser croire à l’électeur que nous avions tout perdu. Et pourtant, comme le relevait un journaliste, aucun autre parti vert (au monde sans doute) n’a obtenu autant d’avancées concrètes : régularisation des sans-papiers ; refinancement de la Communauté française, de la SNCB, de la Coopération au Développement ; définition et mise en œuvre de politiques de mobilité, d’énergie ; sortie du nucléaire ; amélioration de la sécurité routière ; etc. Et tout cela en 4 ans seulement. Même si nous continuons à regretter une série de décisions (et de non-décisions !) prises par le gouvernement fédéral (expulsions des Tziganes, Snelrecht, maintien des centres fermés, absence d’avancées en matière de justice, blocage libéral du droit de vote des étrangers, etc.), nous n’avons pas à rougir de notre bilan dans les compétences qui étaient les nôtres.
Mais le message a sans doute été brouillé et Ecolo n’a pas su convaincre sur son bilan.

• UNE PERTE DE LA DIFFERENCE DANS UN RAPPORT DE FORCES DEFAVORABLE ?
Pendant 20 ans, Ecolo fut dans l’opposition, fit de l’opposition éclairée, construite, argumentée et apparut sans doute plus que jamais en 99, au terme d’une décennie d’affaires multiples et nauséabondes, comme le parti sauveur qui allait assainir la vie politique, redonner du sens au travail politique, apporter à une solution à des citoyens (riverains d’aéroports, parents d’enfants victimes, etc.).
Cette première participation au pouvoir nous a amené à constater l’extrême dureté des rapports de force au sein d’un gouvernement, la difficulté à retourner le rapport de forces en notre faveur, surtout dans cette étrange coalition formée avant que nous y soyons invités. PRL et PS n’attendaient, n’espéraient qu’une chose : que nous échouions. Quand ils ne nous glissaient pas de peaux de bananes sur les pieds, ils se croisaient tranquillement les bras. Un exemple : la SNCB. Le PS a assisté tranquillement au bras de fer qui opposait I. Durant à la direction de la SNCB, n’espérant qu’une chose : qu’il se termine en défaveur d’Ecolo.
Participer à une coalition, c’est forcément composer. Aucun parti ne s’y retrouve totalement, les textes sont toujours le fruit de compromis, surtout quand on travaille à trois ou à six. Nos électeurs, dont l’attente de changement était énorme, nous ont reproché une trop faible mise en œuvre du programme Ecolo et une trop forte réussite du programme libéral, comprenant souvent difficilement que ces coalitions ne peuvent que fonctionner sur le compromis.
Quoi qu’en disent les autres partis, nous avons joué le jeu correctement, trop sans doute. Au point, c’est vrai, de laisser passer des décisions inacceptables. Les autres n’ont pas toujours eu la même correction : libéraux flamands comme francophones n’ont, par exemple, pas respecté l’accord de majorité accordant le droit de vote aux étrangers.
Pour beaucoup d’électeurs, Ecolo a perdu son âme en se salissant les mains au gouvernement. L’opposition est évidemment plus confortable, mais ne peut être l’objectif d’un parti politique. A moins d’avoir peur de son ombre.

Cette première participation au pouvoir nous a aussi amenés à composer avec nos partenaires, adversaires d’hier. Notre discours critique s’est policé, notre fleuret s’est émoussé. Nos convergences avec le PS nous ont conduits à ménager plus celui-ci. Au point que lors de cette campagne 2003 nous n’avons guère été pugnaces dans les débats. Il aurait fallu être plus cinglant, plus agressif, plus impertinent. Ecolo ne fait plus la différence !

On a reproché aux Ecolos leur cacophonie. Il serait intéressant de compter le nombre de fois durant cette législature où le président du MR, gaffeur invétéré, s’est fait remonter les bretelles par Louis Michel. Chaque fois que le sénateur VLD Jean-Marie Dedecker prenait la parole, un membre de son groupe se devait de préciser que « Monsieur Dedecker n’exprime pas l’avis du VLD ». Idem au PS avec un Jean-Marie Happart, monument de « régional-populisme » et spécialiste de l’analyse « café du commerce » ou encore une Anne-Marie Lizin ou un Claude Erdekens peu soucieux de connaître la position de leur parti mais surtout avides de faire entendre leur point de vue personnel qui révolutionne la face du monde.

• UNE PERTE DE CONTACT AVEC LE TERRAIN ?
Les Etats Généraux de l’Ecologie Politique ont conduit vers Ecolo beaucoup de nouveaux militants venus d’horizons très divers et régénérant le parti. Aujourd’hui, on voit moins de monde dans nos commissions internes, et nous avons sans doute eu trop tendance à poursuivre la discussion dans des locaux Ecolo ou des lieux cosy, plutôt que chez « les gens » ou dans les arrière-salles de bistrot. Il faut être très militant quand on habite Mouscron, Arlon ou Verviers pour courir à Namur régulièrement. Ne serait-il pas temps d’imaginer d’autres formes de contacts, de réflexions pour nos groupes de travail et commissions ?

• AUCUN DROIT A L’ERREUR ?
Parti à l’éthique politique forte, Ecolo se retrouve attaqué de toutes parts, s’il n’est pas cohérent avec lui-même, mais aussi s’il l’est… On ne nous pardonne aucun faux pas : dès que nous nous éloignons d’un pas de notre ligne de conduite, la presse, les autres partis, la population nous montrent du doigt. Par exemple, si Ecolo est soupçonné d’avoir nommé quelqu’un en fonction de sa couleur politique. Mais si nous sommes cohérents avec nous-mêmes, notre programme ou même les lois votées par quasiment l’ensemble des partis, on nous le reproche également, nous sommes traités d’intégristes ou d’assassins de l’économie. Ainsi, l’épisode de la loi interdisant la pub pour le tabac.
Les autres partis, eux, peuvent prendre beaucoup de latitude avec la cohérence : on ne leur en veut pas, puisque « on sait bien comment ils fonctionnent »…

Nous sommes l’objet des caricatures les plus bêtes et méchantes, de raccourcis, de slogans grossiers et assassins. Nous voilà responsables non seulement du départ de Francorchamps du GP de F1, mais aussi du prix du tabac, de celui de l’essence, des sacs poubelles, de la faillite de la Sabena et de tous les maux que connaît la Belgique.
Les partis traditionnels ont réussi à nous diaboliser, usant de slogans simplistes qui ont fait mouche. Impossible d’y répondre par d’autres slogans, nous devons, à chaque fois, tenter d’entrer dans un débat argumenté, forcément plus long, beaucoup plus nuancé. Encore faut-il pouvoir débattre avec ces citoyens qui nous vomissent en refusant tout dialogue.

• LA DIFFICULTE D’EXPRIMER LE DEVELOPPEMENT DURABLE ?
C’est l’écologie politique qui a perdu ce 18 mai en Belgique. La défaite est la même en Flandre que côté francophone. Francorchamps ou les convergences à gauche n’expliquent donc pas tout. Et c’est bien là le plus inquiétant.
Le message du développement durable, avec ce qu’il a de visionnaire, est complexe à expliquer, il implique une démarche intellectuelle, une projection collective dans le temps et l’espace. Nous demandons aux citoyens de se situer dans un rapport double moi/nous, en Belgique/dans le monde, aujourd’hui/demain. Alors que nombre d’électeurs ne se soucient que du « moi, ici, maintenant » (parfois on peut le comprendre, mais pas toujours !, vu leur précarité).
Globalement, Ecolo a un bon programme, extrêmement dense, ni racoleur ni facile, il gagnerait à être « popularisé ». Les priorités programmatiques ne sont pas apparues clairement dans cette campagne, surtout celles qui touchent au souci premier du citoyen : l’économie et l’emploi.

• HORS JEU A LA STAR AC ?
Les partis traditionnels ont gagné :
- le MR grâce à la visibilité et au travail de L. Michel, mais aussi à son populisme : demain, une nouvelle diminution de la pression fiscale. Pour beaucoup de citoyens (dont des jeunes !), l’équation est simple : Ecolo = des taxes, toujours des taxes, MR = moins de taxes ;
- le PS grâce à la visibilité d’E. Di Rupo, mais aussi à son ravalement de façade très réussi, même si derrière la façade bien des vieilles pratiques se poursuivent. La force du PS aura été de se présenter comme le parti porteur de renouveau !
Ecolo a été éliminé de la Star Academy. Les campagnes sont fortement personnalisées, peut-être pas plus aujourd’hui qu’hier ( ?), mais le contexte – qu’on le veuille ou non – a changé. A l’époque de Loft Story et autre Nice People, il suffit d’apparaître à la télé pour exister. Le « Vu à la télé » est vendeur. Di Rupo, Michel et tous les barons locaux du PS et du MR ratissent un maximum de voix, même si certains d’entre eux savaient pertinemment qu’ils ne siégeront pas dans les assemblées pour lesquelles ils ont été élus.
La présence de Wilmots sur les listes du MR, et surtout ses déclarations indiquant qu’il ne connaît rien en politique et qu’il n’a pas véritablement l’intention de siéger montrent bien en quelle estime le MR tient ses électeurs. Mais ceux-ci adorent !
Ecolo a toujours refusé de personnaliser ses campagnes, mettant en avant ses idées et son programme. Il faut sans doute constater aujourd’hui un manque de visibilité de celles et ceux qui portent ces idées et ce programme.
Notre souci et notre respect de l’éthique en politique n’est pas payant : les parlementaires Ecolo assument leur fonction à temps plein (ou plus !), sans assumer d’autres fonctions politiques ou professionnelles. Ministres et parlementaires verts rétrocèdent à leur parti une part importante de leur indemnité parlementaire. Nous n’avons jamais placé sur nos listes de vedettes capteuses de voix qui ne siégeront jamais dans leurs assemblées. Aucun de nos candidats n’a occupé deux places sur les listes.
Tout cela n’empêche pas des citoyens de nous mettre dans le même sac que les autres, « ces pourris qui roulent en Mercedes et s’en mettent plein les poches ».
Il n’est évidemment pas question de modifier ces règles, mais il faut constater qu’elles ne sont pas perçues et/ou pas prises en compte par l’opinion publique.

• UN REFUS DU CHANGEMENT CHEZ L’ELECTEUR ?
L’électeur veut-il vraiment le changement ? On peut sans doute reprocher bien des choses aux cabinets Ecolo, notamment d’avoir parfois manqué de dialogue avec les syndicats, avec les associations de terrain. Mais il faut bien constater que les résistances au changement ont été terribles chez beaucoup d’acteurs : par exemple, à la SNCB, dans l’enseignement, chez les futurs riverains d’éoliennes. Le message adressé en 99 à Ecolo par l’électeur était une forte demande de changement. Quand il s’est agi de mettre en œuvre ce changement, les résistances se sont révélées terribles : « changez tout chez mon voisin, mais chez moi tout va bien, merci ».
Comme tout parlementaire, j’ai reçu des courriers de personnes (en général s’affirmant électrices Ecolo. Allez savoir…) demandant que je les soutienne, souvent auprès du cabinet Nollet, dans la recherche d’un emploi. Mes réponses expliquant que ce type de démarche n’entrait pas, bien au contraire, dans les pratiques écologistes m’ont parfois valu des retours de flamme courroucés, voire des injures.
Se rendant compte qu’ils devaient eux-mêmes prendre leur part dans le changement, certains électeurs nous ont quittés, souvent pour le PS dont on connaît les pratiques clientélistes et le double langage. Mais il ne m’étonnerait pas que ce soit parfois pour voter pour le FN. Aux présidentielles françaises de 2002, on a pu constater que le vote FN ne s’exprimait pas seulement dans les banlieues oubliées ou dans les régions sinistrées, mais aussi dans des quartiers cossus, un vote petit-bourgeois qui exprime un retrait de la vie en société, une élévation des murs (au propre comme au figuré) pour protéger sa petite personne. Nous vivons aujourd’hui dans une société très individualiste où chacun voudrait voir les règles appliquées à son avantage, tout en se retirant du jeu collectif.


Ecolo hors jeu, la vie politique va pouvoir se normaliser. Je ne crois pas aujourd’hui à une polarisation gauche-droite : en route pour un gouvernement centriste. A coucher ensemble, PS et MR vont faire des petits. L’aînée s’appellera Pensée Unique Socialibérale. Et les jumeaux Petits Arrangements entre Amis.
Il faut reprendre le début (ce n’est qu’un combat), continuer à lutter pour les électeurs qui nous font toujours confiance, qui croient comme nous que l’écologie politique est la seule voie.
Qui donc a dit : gardons le pessimisme pour les jours meilleurs ?



Michel Guilbert, le 21 mai 2003