lundi 27 août 2012

Les braves gens

Les braves gens ne sont pas contents. Michelle Martin, épouse de Marc Dutroux, devrait, selon toute vraisemblance, être libérée conditionnellement ce mardi, selon la décision du Tribunal d'Application des Peines de Mons, et accueillie par la communauté des Clarisses de Malonne. On entend et on voit la fureur des braves gens qui sont convaincus qu'elle doit payer jusqu'à la fin de ses jours, qu'il faut lui faire ce qu'elle a fait aux enfants, que de toute façon elle recommencera.
On peut comprendre la détresse des parents et des victimes de Dutroux, leur désarroi, leur colère. On peut se sentir en empathie avec eux, mais on a beaucoup de mal à accepter les éructations des braves gens qui manifestent sous les fenêtres des Clarisses et taguent leurs murs.
Que recommencerait Michelle Martin? Laisser mourir de faim des enfants parce qu'elle serait sous l'influence d'un mari autoritaire et violent? Elle agirait de la sorte en étant dans un couvent? L'argument n'a aucun sens. Les braves gens confondent justice et vengeance. Les braves gens sont pour la loi du talion. Refuser la libération conditionnelle (qui implique thérapie, respect  de règles, indemnisation des victimes), c'est désespérer de l'être humain, donc de soi-même.
On se souvient que peu après l'arrestation de Dutroux et de ses complices, un journal connu pour son populisme avait distribué un autocollant que ses lecteurs étaient invités à afficher sur leur voiture. Certaines personnes ont raconté avoir vu une de ces voitures passer en trombe sur un passage pour piétons que s'apprêtaient à traverser des enfants, affichant à l'arrière l'autocollant "protégez nos enfants". Contre nous-mêmes sans doute. Nous, les braves gens.

Sabine Dardenne, l'une des victimes, rappelle qu'elle savait, comme tout le monde, qu'arriverait un jour ce moment, même s'il était redouté. De nombreux observateurs ont souligné que nous le savions tous, depuis le prononcé du jugement.
L'écrivain Xavier Deutsch estime que  "la question n'est pas de savoir si Michelle Martin est un être digne de sympathie. Ni de savoir si sa libération est un fait agréable à connaître. La question, la  seule question, est de savoir si elle réunit les conditions pour prétendre à la libération conditionnelle". Xavier Deutsch entend "rendre un hommage à ces clarisses admirables qui disent: Dans un monde tremblant, secoué, n'ajoutons pas de la violence à la violence. Aux vociférations de certains, elles répondent par des gestes et des paroles de paix, d'amour et de justice. Je suis consterné, écrit-il, de voir à quel point leur attitude si courageuse, si rare, si précieuse pour les humains que nous sommes est vilipendée." (1)
Le philosophe et économiste Joël Van Cauter, dont la femme a été assassinée il y a vingt ans, a publié une Lettre aux Clarisses de Malonne (2). Tout agnostique qu'il soit, il leur fait part "d'affection, de compréhension et d'encouragement". Votre décision d'accueillir Michelle Martin, leur dit-il "est cohérente avec votre engagement spirituel et humain. Les réactions auxquelles vous devez faire face sont, je crois, aussi déraisonnables et myopes que l'était, en son temps, la vague blanche".
"Je crois que celui qui a fait mal, ajoute-t-il, doit pouvoir grandir, par la confrontation au négatif qu'il a incarné, engendré à un moment. Je crois que l'assassin est ainsi confronté au même mouvement que les proches de la victime enfermés dans un même passé."
"Refuser la libération conditionnelle, que la loi autorise à certaines conditions, écrit-il encore, c'est maintenir le coupable et la victime enfermés dans un même passé."

Ls braves gens entendront-ils ces appels au calme? Aujourd'hui, les braves gens ont leur quotidien d'informations. Le groupe Sudpresse se fait leur porte-voix (3): en une, publiant une photo des religieuses, il les présentait comme "les nouvelles amies de Michelle Martin". Sudpresse est sûrement dirigé par des braves gens.
Les braves gens, avec l'aide d'une presse indigne, pensent peu, ils réagissent avec leurs tripes.
"Qui pense peu se trompe beaucoup", disait Léonard De Vinci.

(1) LLB, 25 août 2012.
(2) LLB, 21 août 2012.
(3) La Meuse, 1er août 2012. voir
www.rue89.com/2012/08/19/des-nonnes-accueillent-lex-femme-de-dutroux-et-scandalisent-la-belgique-234716

dimanche 26 août 2012

Franco-phonies

Un responsable de la République Démocratique du Congo est interviewé dans un reportage diffusé par le JT de la RTBF (1). Il s'exprime en français, mais ses propos sont sous-titrés. Alors qu'on le comprend parfaitement, malgré un accent indéniable. Pourquoi la RTBF n'a-t-elle jamais sous-titré Michel Daerden ou José Happart ? Ou même François De Brigode, qui oublie régulièrement une syllabe sur quatre ? Ces sous-titres ramènent la RTBF à l'époque de l'INR.

(1) JT de 19h30, 25 août 2012.

vendredi 24 août 2012

L'animal qui sommeille en nous

Qui dit fauchage tardif dit aussi accumulation de déchets dans les herbes des bords de route. C'est le cas le long de cette voirie qui borde l'Escaut. Un récent fauchage a mis en lumière et en miettes quantité de papiers sur des centaines de mètres, des canettes broyées ou écrasées, des bouteilles en plastique. Un peu plus loin, sur une borne électrique, un graffiti affirme que "la politique ne sert à rien". On ne peut qu'approuver. Les politiques auront beau mener des campagnes de sensibilisation au respect de l'environnement et mettre en place des centres de tri des déchets, si l'homme a décidé de rester un animal sale et grossier, la politique ne pourra pas grand chose.

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Durant cet été, des scouts flamands ont hissé le drapeau flamand au-dessus de leur camp établi en Wallonie. Quel scandale, quelle provocation, dénoncent les braves gens du coin, relayés par la presse. On mesure l'évolution des esprits dans cette Belgique qui se déchire. On a toujours vu, aussi loin qu'on s'en souvienne, les scouts flamands arborer leur lion. C'était un repère qui permettait aux scouts wallons d'identifier le camp à "virer" la nuit prochaine. Entendez par là qu'on retirait, le plus discrètement possible, les piquets, pour que les tentes s'effondrent. Puis, on s'encourait en riant sous cape. Quelques nuits plus tard, les Flamands se vengeaient de la même manière. C'était un jeu. Aujourd'hui, on fait des gorges chaudes d'un drapeau.

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Les Diables Rouges ne connaissent pas les paroles de la Brabançonne, c'est un scandale, estiment certains supporteurs. Leur entraîneur rétorque que ce qu'on leur demande c'est de jouer au football, pas d'étudier l'hymne national. Mais combien de Belges connaissent l'hymne national? Et tant mieux sans doute. Les hymnes et les drapeaux, comme les religions trop souvent, sont des outils d'affirmation du bon droit et de la vérité. La Marseillaise est un chant de va-t-en-guerre: "formons nos bataillons, qu'un sang impur abreuve nos sillons". Laissons les Diables Rouges apprendre à jouer au foot.

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Un conseiller régional français était en vacances en Tunisie, à Bizerte, sa ville d'origine. Il s'est fait tabasser par des islamistes parce que sa femme et sa fille de douze ans portaient une tenue de vacancier.
Inacceptable pour quelque cinquante salafistes qui l'ont frappé à coups de poings, de pieds et de bâtons. Il faut reconnaître qu'ils avaient des raisons d'être énervés. Ils venaient de manifester à la clôture du Festival culturel de Bizerte. Organiser des activités culturelles face à des intégristes, c'est comme agiter une muleta face à un taureau. De la provocation. 

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C'est ainsi que les hommes vivent. Mais où sont donc leurs baisers qui sont censés me suivre?

mardi 21 août 2012

Cadre spécial

"Dieu est mort", nous annonce le JT de la RTBF qui consacre vingt-cinq minutes de son temps à sa disparition. On n'avait pas été préparé à une telle annonce. Elle est rude. Guy Spitaels n'a pas choisi son moment en cette fin de canicule, lui qui était reconnu pour ses capacités intellectuelles bien plus que pour sa chaleur humaine. "Quand il apparaît à la télévision, le Belge, machinalement, remonte son chauffage", écrivait l'un des auteurs de l'ouvrage collectif Les années 80, inventaire et mise en boîte (1). Qui ajoutait que "il lui arrive d'afficher un relèvement des commissures labiales qui est, à n'en pas douter, un sourire".
Moi qui, comme tant d'autres, fus, un moment (osons le dire : temporairement), Cadre Spécial Temporaire, je vois disparaître un père.
L'homme tout-puissant, qui avait amené le Ps à plus de 40%, mis définitivement de côté par l'affaire Agusta-Dassault, avait eu la délicatesse de se tenir, depuis lors, à l'écart de la vie politique belge, commentant la marche du monde. Les Athois pleurent cet homme d'Etat, ce stratège érudit. On les comprend. Guy Spitaels avait su agir en vrai potentat socialiste wallon, usant de son pouvoir à la Région wallonne pour faire tomber sur sa ville la manne céleste. C'est bien le moins quand on s'appelle Dieu.

(1) Casterman 1989

samedi 18 août 2012

Business as usual

On s'absente quelques semaines (ou même plusieurs, admettons-le) de Belgique. Au retour, que retrouvons-nous? Rien n'a changé ou si peu.
La télé programme et programmera toujours les mêmes séries.
Un coureur cycliste britannique a gagné le Tour de France, de nombreux athlètes ont gagné des médailles aux Jeux Olympiques. Les vainqueurs lèvent le poing ou un doigt en hurlant, ils ont la rage, dirait-on. Ils n'ont pas l'air très heureux de gagner. Combien seront dépossédés de leur titre dans les mois ou les années qui viennent pour cause de dopage?
Deux frères ont agressé très violemment deux homosexuels pour la seule raison qu'ils le sont. La bêtise et la haine seraient-elles génétiques?
Quantité de ministres seront candidats bourgmestres dans leur commune même s'ils n'exerceront pas la fonction. Mais quelle importance ont encore les électeurs dans nos démocraties modernes?
Le Sénat se transforme radicalement: il ne sera plus constitué que de représentants des entités fédérées. A l'exception de dix sénateurs cooptés, qui représenteront - faut-il croire - l'ancien régime. Les partis pourront continuer à distribuer des lots de consolation aux perdants.
Jean-Claude Marcourt, Ministre wallon de l'Economie et des Technologies nouvelles, compte bien offrir trois millions d'euros à la Ville de Mons pour qu'elle y installe largement le wi-fi. L'Inspection des Finances désapprouve une telle initiative qui doit venir du privé. Mais Marcourt n'en a cure. Mons 2015 et son sacro-saint maïeur empêché méritent tous les gaspillages.
Une association française paie les amendes des femmes verbalisées en Belgique pour port de la burqa. Le mépris pour les femmes a donc un prix que certains assument fièrement.
Le bouffon politique Michel Daerden est mort. Ses camarades, qui l'avaient mis de côté depuis un moment, versent des larmes de crocodile. On hésite: que s'indique-t-il de boire en sa mémoire? Un Bordeaux ou un Bourgogne?
Les Roms dérangent toujours autant. En France, ils ne se sont pas rendu compte que le gouvernement est à présent de gauche.
On voit par là qu'on a eu raison de partir en vacances. On n'a d'ailleurs qu'une envie: repartir.

(à suivre)