jeudi 30 mai 2013

Us et abus

Jusqu'où peut-on user de la liberté? A partir de quand commence-t-on à en abuser? Le blogueur vietnamien Truong Duy Nhat pensait pouvoir offrir "une perspective alternative" aux informations  de la presse officielle. Il a été arrêté et risque sept de prison. On lui reproche "d'avoir abusé des libertés démocratiques pour porter atteinte aux intérêts de l'Etat". (1)
Je me souviens de cette conversation avec un parlementaire vietnamien, c'était il y a tout juste dix ans. Il trouvait normal que le journaliste belge Thierry Falise ait été arrêté alors qu'il tournait un reportage sur les Hmong, ce peuple sans droit. Il avait abusé de la liberté de se déplacer, m'avait expliqué le député, il aurait dû demander à l'armée de l'accompagner et c'est pour sa sécurité qu'il avait été arrêté.
A Kunming, dans le sud-ouest de la Chine, les habitants doivent désormais s'identifier s'ils veulent acheter un t-shirt blanc ou faire une photocopie. Les autorités redoutent les manifestations contre un projet d'usine chimique (2) et les opposants pourraient s'exprimer via leur t-shirt. Sans doute les ventes d'ordinateurs, de téléphones, de stylos et de feuilles de papier sont-elles aussi sous contrôle. Conseillons aux autorités locales de surveiller de près ceux qui achètent des baskets ou des chaussures de randonnée: elles pourraient servir à marcher lors de manifestations. On ne se méfiera jamais assez des manches de brosse, ils pourraient servir de hampes à des panneaux revendicatifs. Et que dire des draps?
"La liberté ne s'use que si l'on ne s'en sert pas", dit-on. La dictature abuse toujours dès que l'on s'en sert.

(1) LLB, 28 mai 2013.
(2) LLB, 29 mais 2013.

mercredi 29 mai 2013

Plans sur la comète

Prophète est un métier difficile. Classant des documents, je retrouve une interview donnée à la Libre Belgique par Eric Domb, directeur du centre qui s'appelait alors Paradisio et à l'époque président de l'Union wallonne des Entreprises. "La crise ne va pas durer", affirmait-il. On se réjouissait de l'apprendre. C'était en 2009 (1). Lucide, il estimait cependant que "on est pas près de gagner cette bataille du plein emploi".
La crise s'est installée (in)confortablement et durablement. Et plus personne n'ose aujourd'hui affirmer qu'il aperçoit la sortie du tunnel. Mais comment l'apercevoir si l'immense majorité des responsables politiques ne changent rien à un système capitaliste en échec? Qui, au contraire, l'entretiennent.
Les politiques d'austérité aujourd'hui imposées par l'Europe entendent lutter contre le déficit des Etats qui a une origine claire: le sauvetage du secteur bancaire. Un exemple, cité par Gaël Giraud, économiste et chercheur au CNRS (2): la quasi-totalité du secteur bancaire irlandais fait faillite en 2010. Le Gouvernement décide de prendre à sa charge l'essentiel des dettes bancaires. Résultat: une dette publique qui passe de 25 à 100% du PIB en un an.
"Dexia, ajoute-il, a déjà coûté 12 milliards d'euros aux contribuables franco-belges, et l'Etat français a mis 85 milliards d'euros en garantie pour cette banque. Le sauvetage d'AIG par les contribuables américains en 2008 a permis à la Société générale de récupérer 11,9 milliards de dollars, à BNP-Paribas 4,9 milliards et au Crédit agricole, 2,3 milliards."
Nous sommes donc dans un système qui s'endette pour enrichir les banques et fait payer cette endettement par la population. La crise, nous ne sommes donc pas près d'en sortir si on reste dans cette logique bénéfique pour un système devenu fou et suicidaire pour ceux qui le subissent.
Les solutions selon Gaël Giraud:
- obliger les banques à  séparer - réellement - leurs activités de marché de leurs activités de crédit et de dépôt.
- investir dans la transition écologique. 
Les perturbations climatiques indéniables que nous vivons ces dernières années n'ont visiblement pas encore suffi pour pousser radicalement dans cette voie les gouvernants.
Le printemps automnal que nous vivons pousse de nombreux Européens à prendre l'avion pour aller passer le week-end dans des régions chaudes et ensoleillées. La compagnie Ryanair vient d'augmenter ses bénéfices et s'attend à les améliorer encore. "Le témoignage de la force du modèle ultra-low cost de Ryanair", se réjouit son patron Michael O'Leary (3). Un modèle de l'ultra libéralisme, qui exploite son personnel et participe joyeusement au dérèglement de la planète avec la bénédiction des pouvoirs publics, et notamment de la Région wallonne.
"Poursuivre notre modèle de croissance carbonée est le plus sûr moyen de provoquer un désastre humanitaire dès la fin de ce siècle", estime Gaël Giraud. Il y a des prophètes qu'on n'a pas envie d'écouter.

(1) LLB du 13.02.2009.
(2) "Les banques en accusation", Télérama, 3 avril 2013. Gaël Giraud: "Illusion financière", éd. de l'Atelier.
(3) "Ryanair toujours plus haut", 21 mai 2013.

samedi 25 mai 2013

Beaucoup de bruit pour rien


Tout fait farine au moulin des anti-éoliens et un récent rapport est pour eux pain béni. Il émane (céleste) du Conseil Supérieur de la Santé qui estime que pour les riverains qui ne voyaient pas d'un bon œil l'installation d'éoliennes dans leur environnement celles-ci peuvent être sources de nuisances acoustiques à long terme et provoquer des troubles du sommeil (1). La précision est importante: notre rapport premier changerait notre perception.
Daniel Foucart, journaliste à Nord Eclair, a mené l'enquête auprès des riverains d'éoliennes à Leuze-en-Hainaut et à Saint-Maur près de Tournai. Son dossier s'intitule "les riverains ont (presque) tout faux" (2). Les arguments des anti-éoliens tombent les uns après les autres: pas de problème pour la santé, ni pour les animaux, pas de baisse de valeur de l'immobilier, pas de chute de pales, pas d'impact important sur l'environnement. L'argument de l'impact sur le paysage est très partagé: les uns les trouvent laides, les autres très design. Les mêmes arguments que l'on peut entendre par rapport à tel bâtiment ancien ou telle construction contemporaine. Une question, très subjective, de goût esthétique.
Reste l'argument du bruit: Daniel Foucart donne raison aux riverains. Ou plutôt à certains. Un riverain leuzois n'entend que les éoliennes de l'extérieur et par grand vent quand son voisin a l'impression "d'avoir un hélicoptère qui tourne au ralenti en permanence au-dessus de la tête". Dans un même couple, près de Saint-Maur, Monsieur n'entend rien quand Madame est très énervée. Le bruit serait donc aussi subjectif.
Les éoliennes sont "un viol de notre environnement", estime un opposant (1). Diable! Quand on voit les panneaux publicitaires, les zones commerciales aux entrées de villes, les maisons quatre façades et deux garages, les 4x4, les quads et les camions, on se dit qu'on est, hélas, violé dans son environnement, quotidiennement.
Quand on habite le long d'une chaussée à fort trafic, où la circulation est limitée à 50 km/h et qu'on y voit et surtout entend des fous furieux y passer en trombe à toute heure du jour et surtout de la nuit, quand on voit ce qu'ils génèrent comme CO2 et comme stress, on se dit qu'il faudrait d'abord interdire les voitures plutôt que les éoliennes. Mais on n'est pas sûr que les anti-éoliens soient d'accord de laisser leur voiture au garage. Alors, on regarde les éoliennes, dans le prolongement de la chaussée. Et on s'apaise.

(1) JT de la RTBF, 24 mai, 19h30.
(2) Nord Eclair, 25 avril 2013.

jeudi 23 mai 2013

Clichés

On connaît mal les gens. On s'en fait souvent une fausse idée. Certains peuvent avoir l'air très sérieux, voire austère, alors qu'ils sont de véritable boute-en-train.
Un exemple: le ministre-président de la Région wallonne. Il monte à la tribune comme en chaire de vérité. Il dit plein de choses intéressantes qui font rapidement bailler son auditoire.
Mais quand il se laisse aller à la plaisanterie, il conquiert son public.  
Il était invité à présenter Charles Michel, le président du MR, devant un parterre d'hommes d'affaires. Il lui glisse un mot à l'oreille, puis il le répète à voix plus intelligible: "il me demande, dit-il, si je suis venu avec les TEC. C'est faux, si j'étais venu en bus, je serais en retard" (1). 
Les chauffeurs de bus apprécieront l'humour du Premier wallon. Rudy Demotte s'habille en sweat-shirt rouge quand il se rend à la Maison du Peuple. Il pense en café du commerce quand il parle aux libéraux. Connaît-on plus joyeux drille?

(1) JT de la RTBF, 23 mai, 19h30.

mardi 21 mai 2013

Maires de

La France est un pays de tradition. Sa définition veut qu'elle soit assez peu muable. Des maires s'y accrochent, refusant d'être de leur temps.
Le président français a promulgué la loi sur le mariage pour tous, elle pourra être appliquée en juin. Mais des maires l'annoncent: jamais, au grand jamais, ils ne célèbreront un mariage homosexuel. Leur conscience s'y oppose. Ils se présentent en objecteurs, même si la liberté de conscience ne peut exister chez les maires qui n'ont d'autre choix que d'appliquer la loi. "Ca fait trente-six ans que je célèbre des mariages, dit l'un d'eux (1), et que j'ai en face de moi un homme et une femme, et parfois des enfants"." Qu'apprend-on? Il accepte donc de marier des couples qui ont eu des enfants sans être mariés? Ce maire n'a donc aucune morale. 
Ce maire de Cro-Magnon reste-t-il fidèle aux règles respectées par ses prédécesseurs d'avant 1944? Ne réserve-t-il le droit de vote qu'aux seuls hommes?  On voit par là que des lois aujourd'hui rétrogrades ont bien convenu à certains maires qu'on peut qualifier pareillement et que des lois progressistes les amènent à utiliser des arguments stupides. On voit aussi qu'il n'est pas si simple de justifier, sans se rendre ridicule, une conscience homophobe. Et que rester maire trente-six ans vous ancre dans de mauvaises habitudes. Il faut savoir céder sa place.

(1) JT de France 2, 20 mai 2013, 20h.

samedi 18 mai 2013

En avant, la légion

On décore vraiment n'importe qui de la légion d'honneur, s'offusque Marine Le Pen. N'importe qui, insiste-t-elle. C'est vrai, on en a la preuve: ni elle ni son père ne l'ont reçue. C'est dire si on la donne au premier venu. Et voilà que la Ministre de la Culture entend l'attribuer à Bob Dylan. Ce n'est pas n'importe qui, d'ailleurs elle l'aime bien, dit Le Pen fille, mais quand même. 
Le grand chancelier de l'ordre de la légion d'honneur, le général Jean-Louis Georgelin, lui aussi proteste. Il pourrait le faire en chantant, mais le protest-song ne semble pas être son style. Bob Dylan a été pacifiste pendant la guerre du Vietnam et a fumé de la marijuana. Vous rendez-vous compte? Un pacifiste ne mérite pas la légion d'honneur. Marcel Bigeard, lui, l'a reçue. Qui d'autre que lui la méritait mieux? On se le demande.

vendredi 17 mai 2013

La vie est nulle sans bulle

Mieux vaut être muet que parler français. C'est ce que pense le président du Vlaamse Raad.
Au Parlement flamand, c'est le grand retour du carré blanc, non pas en bas d'écran, mais en milieu de phylactères. L'exposition de planches originales de bandes dessinées qui y est présentée n'y accepte les langues d'origine que si elles sont néerlandophones. Les propos qui sortent de la bouche d'un personnage de François Schuiten s'expriment en français. Ils ont donc été gommés.
Kamagurka, dessinateur flamand qui est notamment publié dans Charlie Hebdo et donc s'exprime aussi en français, répond à Jan Peumans à sa façon, dans les deux langues: "Ben het un peu beu mans". Il a décidé de retirer son dessin de l'exposition.
On voit par là que les nationalistes maîtrisent aussi bien la censure que les régimes fascistes ou soviétiques. Va-t-on bientôt voir disparaître de la langue néerlandaise des mots tels que "douche", "marionet" ou "pantomime"? Ou "tirannie"? Ce  serait une bonne idée dans ce dernier cas.
A toutes fins utiles, rappelons que censure se dit "censuur". N'est-ce pas un mot trop francophone que pour l'utiliser?

mardi 7 mai 2013

Rétrovisions

Le Siècle des Lumières est loin. La France serait-elle entrée dans celui de l'obscurité?
Les opposants au mariage pour tous affichent des positions totalement stupides et rétrogrades, quand elles ne sont pas aussi haineuses.
Voilà qu'un sondage nous indique que s'ils devaient voter aujourd'hui les Français devraient, au second tour, choisir entre Sarkozy et Le Pen. Les Français ne sont pas très progressistes. Ils adorent avancer en regardant dans un rétroviseur embué. La Marine fait fureur. Elle court les plateaux de télé, se pavane aux côtés de Nicolas Bedos, se glisse partout où on la réclame. C'est une bonne cliente pour les chaînes de télé qui n'ont pour conscience que leur taux d'audience.
Un sondage indique que 65 % des Français la trouvent courageuse (1). En trois ans, elle a été présente 122 jours au Parlement européen dont elle est membre (2). Les Français trouvent qu'on est bien courageux quand on travaille 40 jours par an, soit 3 jours par mois, pour un salaire mensuel de 10.500 euros nets (3).
Les Français ne font pas confiance à leur président. Il manque de prestance, de charisme, il n'a pas concrétisé en un an toutes ses promesses. Les Français aiment les chefs qui ont l'air de chefs et qui agissent vite et de manière carrée. Ils ne voulaient plus du trivial rouleur de mécaniques, ils l'ont remplacé par un président normal. Mais il l'est trop. Il ne se montre pas assez à la télé, disent-ils (3), il ne les fait pas rêver. Marine Le Pen les fait rêver. Et tant pis si ce sont des cauchemars. Au moins, ils ont des frissons. 
Les Français aiment les gagnants, même s'ils trichent. Le cycliste Richard Virenque en fut un bel exemple. Aujourd'hui, à 81 ans, Gaston Flosse, poly-condamné, redevient président de la Polynésie. Tout est possible.
Les Français sont le peuple le plus pessimiste d'Europe (4). Tellement pessimiste qu'il est capable de se jeter dans la gueule de la louve.
Où sont les intellectuels français, où sont les artistes français?

Donnez-nous la lumière
Donnez-nous la beauté.
                            Dominique A


(1) Sondage Harris Interactive/LCP, cité dans le Vif, 26 avril 2013.
(2) www.boursorama.com/actualites/marine-le-pen-je-suis-une-sous-deputee-au-parlement-europeen-29-03-f33273f991a71dee0c9524eccfa83a88
(3) http://www.journaldunet.com/economie/magazine/le-salaire-des-politiques-et-des-elus/depute-europeen.shtm
(4) JT de la RTBF, 6 mai 2013.