lundi 31 janvier 2022

On s'y perd

Ne pas faire le jeu de l'extrême droite. Voilà qui semble être l'un des soucis majeurs d'une partie importante de la gauche et de l'extrême gauche. Pour ce faire, on les voit minimiser, voire nier l'impact de l'islamisme sur certains quartiers et surtout sur celles et ceux qui y habitent, qu'ils et elles soient musulmans ou non. Ces braves âmes n'ont rien à reprocher aux dérives autoritaires d'hommes tout puissants qui veulent imposer à tous et surtout à toutes les règles réelles ou inventées de leur religion. En refusant d'entendre ce que vivent douloureusement certains habitants et en mettant la poussière sous le tapis, cette gauche fait le jeu de l'extrême droite.

Récemment, la chaîne de télévision M6 diffusait, dans le cadre de son émission Zone interdite, un reportage dénonçant l'emprise islamiste sur des quartiers de certaines villes françaises. "Le reportage, explique l'hebdomadaire Marianne (1), documente l'installation d'un islam fondamentaliste à Marseille, Roubaix, Lyon. Sont exposés : écoles illégales dissimulées, fillettes de 7 ans voilées, mosquées radicales à l'enseignement salafiste… Des pratiques qui n'ont rien à voir avec l'islam pratiqué par l'immense majorité des citoyens français musulmans, mais qui relèvent d'une dérive bien connue : le fréro-salafisme." Mais cette réalité, insupportable à vivre dans un pays laïc et démocratique, doit être cachée. Avant même la diffusion de l'émission, des militants de la France insoumise appelait à son boycott pour cause d'islamophobie.

Certains arguments sont proprement ahurissants : David Guiraud, porte-parole jeunesse de la France insoumise, a écrit le message suivant : "Je ne vois pas pourquoi les musulmans n’auraient pas le droit de faire comme les écoles Saint Pie X et séparer les garçons et filles". En arrière toute et vive les traditionalistes ! On a connu partis plus progressistes et plus soucieux de l'égalité des sexes et de la liberté de pensée. Marianne rappelle que la Fraternité Saint-Pie X est sous haute surveillance des services de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) en raison de son caractère sectaire.
Autre argument confondant d'un militant de LFI : voiler une fillette de 7 ans n'a rien de bien différent que de l'inscrire à des cours d'équitation, il s'agit simplement de "la préparer à l'avenir". Quel est donc cet avenir ? Celui de femme soumise, ce qu'indique le voile ? Et se soumettre à la religion et cacher du regard concupiscent des hommes son corps honteux s'apparenterait donc à la pratique de l'équitation ? Ne serait-ce pas du racisme de trouver normal de voiler des petites filles ? Il faut donc, selon ce militant, préparer une enfant de 7 ans à son destin inéluctable : celui de femme soumise. La France insoumise a une très curieuse conception de l'insoumission. LFI pourrait se rebaptiser LFISI (La France Insoumise Sauf à l'Islamisme).
Pour ne pas faire le jeu de l'extrême droite, certains en arrivent à prendre des positions qui ressemblent fort à celle de la pire extrême droite qui entend formater les enfants. 

La journaliste de M6 qui présente l'émission est aujourd'hui menacée de mort et placée sous protection policière. Mais, constate Sophia Aram, "il n’y a plus personne pour dire que ces menaces font sans doute un peu le jeu de l’extrême droite (2). 
"Devant la complaisance du principal parti de gauche à la présidentielle, écrit Marianne, l'extrême droite a tout un boulevard devant elle pour occuper le terrain. Et tant pis pour les personnalités engagées dans ce combat qui n'appellent ni à la haine, ni à l'anathème, comme Amine Elbahi (un militant politique roubaisien engagé dans la lutte contre l'islamisme après la radicalisation de sa grande sœur, qui s'est rendue en Syrie). Ou comme l'imam franco-tunisien Hassen Chalgoumi, interrogé dans le reportage de Zone Interdite. « L'islamisme est la maladie de l'islam », a répété celui qui est encore imam à Drancy. Le prédicateur, qui s'est toujours exprimé contre les tueries djihadistes et l'enracinement de l'islam fréro-salafiste, vit aujourd'hui sous protection policière quotidienne. Sa femme et ses cinq enfants ont été contraints de quitter le pays. À vouloir défendre ces courants islamistes coûte que coûte, les militants bien intentionnés comme David Guiraud semblent oublier que les victimes de ces fondamentalismes sont aussi musulmans."

Post-scriptum: l'éditorial du Monde ce 1er février:

(1) https://www.marianne.net/societe/laicite-et-religions/zone-interdite-montre-lislamisme-des-militants-de-la-france-insoumise-denoncent-lislamophobie?utm_source=nl_quotidienne&utm_medium=email&utm_campaign=20220124&xtor=EPR-1&_ope=eyJndWlkIjoiMWRhMjc0MDM2MDEzNTMyNzJkNjYxMmIyOWM2M2NiMDAifQ%3D%3D
(2) https://www.franceinter.fr/emissions/le-billet-de-sophia-aram/le-billet-de-sophia-aram-du-lundi-31-janvier-2022

samedi 29 janvier 2022

Récents délires

Le récentisme, on pourrait, on devrait en rire, tant cette théorie atteint les sommets du ridicule. Mais le rire reste jaune quand on voit le succès qu'elle rencontre.
Anatoli Fomenko en est l'auteur. Selon ce mathématicien russe de 76 ans, membre de l’Académie des Sciences de Russie, tout ce qu’on sait de l’histoire de l’antiquité est un vaste mensonge créé de toute pièce par des Jésuites au XVIIe siècle. Tristan Mendès France, qui consacre chaque semaine sur France Inter une chronique au complotisme (1) expliquait hier que "Fomenko est convaincu que toute l’histoire antique de la Grèce, de Rome, de l’Égypte ou de la Chine est en fait des réécritures d’évènements qui se seraient déroulés beaucoup plus tardivement. L’Histoire avec un grand H ne commencerait selon lui qu’autour de l’an 1000 et tout ce qui précède ne serait qu’une fiction."
Dans sept ouvrages et près de 5000 pages, Fomenko, à partir d'une approche supposément mathématique de l’histoire, explique que l’Empire romain, la Grèce antique et l’Égypte ancienne ont eu lieu durant le moyen âge. Eh oui, le temps est plus court qu'on ne le pensait. Mais l'espace aussi: selon lui, toutes les anciennes civilisations ont en fait une seule et même origine :  l’empire de la Horde russe, un empire eurasien qui aurait colonisé la planète et dont la capitale serait Moscou. "Et tout découlerait de là. Il affirme par exemple que les pyramides ont été construites il y a six cents ans par des colons russes, ou encore que Jésus serait né en 1152 en Crimée et s’appellerait en fait Andrey Bogoliubsky."

On croit à un immense gag, mais il n'en est rien. Cette théorie caresse dans le sens du poil le nationalisme russe : son peuple est au centre du monde, au cœur de toute la civilisation humaine. Et voilà comment les livres de Fomenko se sont vendus à plus d’un million d’exemplaires en Russie. "Et ça dit quelque chose de cette nostalgie russe pour sa gloire passée. C’est un symptôme d’un pays qui cherche à retrouver sa place sur la scène internationale, quitte à instrumentaliser l’Histoire telle qu’on la connait, et que Poutine incarne plutôt bien à sa manière, on le voit notamment avec la crise ukrainienne actuelle." Tristan Mendès France constate que le récentisme est relayé à l'étranger, par des individus qui gravitent essentiellement autour des milieux complotistes d’extrême droite pro-Poutine, notamment en France des proches d’Alain Soral. 

On voit par là que le nationalisme n'a aucune crainte de la stupidité. Au contraire, il s'en nourrit.
Pendant ce temps-là, le pouvoir russe veut gommer les traces du passé qui lui font honte. Fin décembre, la Cour suprême de Russie a prononcé la dissolution de Memorial International, présentée par Le Monde comme "l’ONG russe la plus ancienne et la plus connue pour ses travaux de recherche sur les répressions de l’époque soviétique". (2)
Peut-on conseiller à Anatoli Fomenko de visiter la Galerie du temps au Louvre Lens (3) ? Elle devrait l'amener à revisiter sa théorie inepte. 

(1) https://www.franceinter.fr/emissions/antidote/antidote-du-vendredi-28-janvier-2022
(2) (Re)lire sur ce blog "Que se taisent les morts" 29.12.2021.
(3) https://www.louvrelens.fr/la-galerie-du-temps/

lundi 24 janvier 2022

Sacré Djoko

Charlie Hebdo a à nouveau blasphémé. Un dessin récent de Félix (1) montre Novak Djokovic avec une raquette dans une narine. Commentaire du dessin : êtes-vous aussi con qu'un tennisman antivax ? Apparemment, oui. On n'insulte pas impunément un dieu. Ses affidés menacent. "Lorsque l'attaque contre Charlie Hebdo s'est produite, le 7 janvier 2015, toute la Serbie était Je suis Charlie Hebdo. Maintenant, vous nous le "rendez" bien avec la caricature de Novak Djokovic. Honte sur vous !", écrit Jelena K. (2) "J''étais très triste de ce qui s'est passé en 2015, écrit en écho, Abdula M., mais après avoir vu "Novak Djokovic mérite le meilleur" (3), j'espère que ça se reproduira mais plus efficacement."
Il est vrai qu'il n'y a pas de quoi se moquer d'un homme aux analyses aussi remarquables: "J'ai vu des gens qui, grâce à une transformation énergétique, au pouvoir de la prière, ou de la gratitude, parviennent à transformer la nourriture la plus toxique, l'eau la plus polluée, en la plus curative, a déclaré Djoko (4). Parce que l'eau réagit, des scientifiques l'ont prouvé. Les molécules d'eau réagissent à nos émotions, à ce qui se dit". On voit par là que le numéro un mondial des antivax (comme l'appelle Charlie) est aussi numéro un des sorciers, que les dieux se sont multipliés, que les critiquer c'est critiquer leurs compatriotes (oui, les dieux ont des compatriotes) et que Charlie devrait cesser des publier des dessins caricaturaux. Ils heurtent les croyants. 

"L'humour est une démarche de raison qui réclame de l'intelligence et un peu de culture pour être compris", écrit (5) le dessinateur Xavier Gorce, viré du Monde pour un dessin qui a choqué quelques personnes. "L'ironie peut heurter ou choquer les sensibilités et les croyances. Et c'est normal: c'est sa fonction. Chacun peut être choqué par un dessin, c'est légitime. Mais apprendre à accepter d'être choqué, c'est apprendre à accepter la critique de ses idées. C'est le fondement de toute société de liberté d'expression et de débats. Or, c'est précisément cela qui est reproché par certains au dessin d'humour. L'humour est systématiquement combattu, souvent violemment, par les idéologues, les fondamentalistes et les activistes militants car il anéantit complètement le sens du sacré - par définition indiscutable et arbitrairement proclamé pour empêcher toute pensée divergente."

La comédie musicale de Mel Brooks Les Producteurs est présentée en ce moment à Paris. Sa version film, qui date de 1968 et dont le scénario fut récompensé par un Oscar, faillit ne jamais être produit: on y riait d'Hitler et rire de l'inacceptable - ce qui était l'intention de Mel Brooks - n'était pas acceptable !
"Je pense que la comédie est toujours de bon goût, surtout quand elle est de mauvais goût !", déclare aujourd'hui ce fringant réalisateur de nonante-cinq ans.
"Si je suis heureux que Les Producteurs arrive à Paris, c'est aussi parce qu'il s'agit de faire vivre la liberté de rire. Depuis des années, on étrangle la comédie, on veut qu'elle soit politiquement correcte, or elle ne peut pas l'être ! La vérité n'est pas belle à voir, elle peut être affreuse, mais nous, les amuseurs, nous devons regarder cette vérité de notre monde, qui n'est jamais politiquement correcte. On nous dit qu'il ne faut pas offenser les gens. Moi, je réponds: Offensez ! Offensez tout le monde ! C'est ma devise !" 

(1) Charlie Hebdo, 12.1.2022.
(2) "On a reçu ça", Charlie Hebdo, 19.1.2022.
(3) un dessin qui m'a échappé...
(4) dans Paris Match, 13.1.2022, cité dans Charlie Hebdo, 19.1.2022.
(5) Xavier Gorce, "Raison et dérision", Tracts Gallimard, n°28, 2021.
(6) "Offensez ! C'est ma devise !", Télérama, 22.12.2021

vendredi 14 janvier 2022

Toi même !

L'insulte se porte bien. La menace et la haine aussi. Voici le temps où il est normal de haïr les élus, surtout ceux de la majorité. Ils sont responsables de l'état de la société, du passe sanitaire, du vaccin, du virus sans doute. Il n'est donc que normal de les insulter, de les menacer - même de mort, même de les découper en morceaux -, normal de les bousculer, d'assiéger leur domicile, de les agresser, de leur jeter des algues et des pierres, de leur arracher leur masque. Il est devenu normal aussi de s'en prendre aux soignants qui travaillent dans des centres de vaccination. Ceux qui essaient de sauver des vies sont menacés de mort. Voici le temps des hyènes vociférantes, celui des ensauvagés si sûrs d'eux-mêmes, qui entendent non seulement faire ce qu'il leur plaît, mais surtout empêcher une politique de santé publique cohérente. 
L'Assemblée nationale a décidé de déposer plainte systématiquement pour toute menace contre les élus de la nation.
Comme beaucoup d'autres, Jean-Luc Mélenchon en a été victime et à raison s'en est plaint. Sauf que le MélenChe avait lui-même traité, en 2018, des journalistes de France Info de menteurs, de tricheurs et d’abrutis. "Pourrissez-les partout où vous pouvez”, s'était-il écrié. Il vient d'être condamné pour injure publique et diffamation envers Radio France (1). Le leader maximo a une conception de la presse très particulière et des indignations à géométrie variable. Les menaces qu'il a lancées hier lui reviennent aujourd'hui en boomerang. Il s'en offusque.

Zemmour, lui, a bâti sa réputation sur l'agression. Journaliste chroniqueur, il s'est fait connaître en conspuant un système qui l'a fabriqué, en crachant sur les migrants, sur les femmes, sur les journalistes, sur tous ceux qui ne sont pas et ne pensent pas comme lui. "J’étais l’un d’entre vous, dit-il en s'adressant aux journalistes (2), mais j’étais différent aussi. Pour trois raisons : j’étais de droite ; ensuite, je parlais, j’écrivais le français, alors que votre langue maternelle est le politiquement correct ; enfin, j’étais populaire », alors que les journalistes, poursuit-il, seraient les hommes et les femmes « les plus détestés de France ». Si on arrive à le suivre, on doit donc comprendre qu'il est  en France le seul journaliste populaire et de droite, au contraire de tous les autres. Il n'imagine pas une seconde que s'il est effectivement populaire auprès de certains, il a surtout réussi à se faire haïr de beaucoup d'autres. Il est sûr que demain, quand il trônera à l'Elysée, les journalistes s’adresseront à lui "avec respect, admiration, sollicitude et même un brin d’hypocrisie ". Visiblement, cet homme exceptionnel qui incarne à la fois la prétention et l'abjection a un modèle: l'ex-président américain Trump. On l'appellera dès lors Suffisant II.

L'animateur Laurent Ruquier, lui, s'en est pris samedi dernier dans son émission "On est en direct" (France 2) aux médecins. " C'est pas en attirant l'attention sur les non-vaccinés qu’on va me faire oublier ceux que moi j'ai vraiment envie d'emmerder: c'est tous les médecins qui au lieu d'être dans les hôpitaux sont sur les plateaux depuis deux ans à nous raconter connerie sur connerie." (3) C'est un spécialiste qui nous le dit: la connerie est affaire de professionnels. Ruquier n'aime pas qu'on marche sur ses platebandes. La connerie est réservée à ces chroniqueurs qui sur les plateaux télé parlent de tout pour dire n'importe quoi, ont un avis tranché sur tous les sujets et sont à mille lieues d'imaginer qu'un expert, qu'il soit médecin ou autre, puisse informer sur un sujet complexe ou faire de la pédagogie.  

Résumons-nous: la nuance et la complexité ne sont pas à la mode.

Post-scriptum : les meutes de chiens se multiplient : https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/01/15/c-est-l-afp-niquez-les-ces-fils-de-pute-une-equipe-de-l-agence-france-presse-agressee-a-paris-lors-de-la-manifestation-anti-passe_6109655_3224.html

(1) https://www.huffingtonpost.fr/entry/melenchon-condamne-pour-injure-publique-et-diffamation-envers-radio-france_fr_61dd89d7e4b0bcd219649fb2 
(2) https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/01/10/presidentielle-2022-eric-zemmour-critique-les-journalistes-professionnels-les-plus-detestes-de-france_6108932_823448.html 
(3) https://www.franceinter.fr/emissions/le-billet-de-sophia-aram/le-billet-de-sophia-aram-du-lundi-10-janvier-2022


vendredi 7 janvier 2022

Le soft power de l'islamisme

Charb, Cabu, Bernard Maris, Wolinski, Tignous, Honoré, Elsa Cayat, Michel Renaud, Frédéric Boisseau,  Ahmed Merabet, Franck Brinsolaro, Moustapha Ourrad. Voilà sept ans aujourd'hui qu'ils ont été massacrés dans les locaux de Charlie Hebdo par deux sombres salauds dont on préfère oublier le nom. En tuant des dessinateurs, ils affirmaient avoir vengé leur prophète. 
Charlie Hebdo commémore les siens en publiant cette semaine un numéro spécial consacré aux "nouveaux clusters de l'islamisme": école, mode, travaux, sport, politique...


En introduction de ce numéro, une interview d'Omar Youssef Souleiman, écrivain et poète d'origine syrienne qui s'est réfugié en France en 2012. Athée "grâce au Coran", il dénonce la stratégie des islamistes pour mener à bien leur projet politique et sociétal. 

Il s'est étonné dans les années '80 de découvrir, via des photos de famille, que sa grand-mère n'était pas voilée dans les années '60-'70. Ce sont les Frères musulmans qui insidieusement ont imposé aux femmes le port du voile. "Je me souviens d'une phrase qui disait: la femme voilée est beaucoup plus libre, elle est indépendante, car elle garde son corps pour elle. C'est exactement ce qu'on entend actuellement en Europe. Alors, petit à petit, les jeunes Syriennes se sont mises à se voiler, même si beaucoup d'entre elles ne le souhaitaient pas, car les non-voilées, désormais, on les regardait bizarrement, comme des femmes impudiques. Je constate qu'il se passe la même chose aujourd'hui en France, dans certaines cités de banlieue où je suis allé."
Omar Youssef Souleiman dit ne pas comprendre cette gauche française qu'il qualifie d'hallal, celle qui affiche sa sympathie, sa complicité avec les islamistes. Celle qui en 1978 soutenait Khomeyni parce qu'il s'opposait à l'impérialisme américain. "Je trouve qu'ils ont un côté masochiste, parce qu'en Iran, une fois Khomeyni au pouvoir, les premiers à avoir été massacrés ont été les militants de gauche et les communistes. Pour moi qui viens du Moyen-Orient, c'est toujours un grand étonnement de voir tout ça, parce que chez nous, la gauche et les islamistes sont des ennemis jurés. Je trouve tellement bizarre ce mariage entre les deux en France..." Il en appelle à une vrai gauche laïque.
"Quand j'entends le mot islamophobie, je suis effondré. Ça n'existe pas ! Le seul ennemi de l'islam, c'est l'islam lui-même. Il suffit de lire le Coran pour comprendre qu'une bonne partie de cette religion, malheureusement, invite à la haine. Ce n'est pas une simple religion, c'est aussi un système politique, et depuis le début." Il pense qu'Eric Zemmour ferait "un super musulman fanatique : il est misogyne, polygame, il défend la société du patriarcat, il a la nostalgie du passé." 
Omar Youssef Souleiman voit cependant les jeunes évoluer dans les pays musulmans : "il y a une vague d'athéisme impressionnante dans les pays arabes, des centaines de milliers de jeunes qui détestent les islamistes. Bien sûr, ils sont menacés, alors ils se cachent, s'activent sur Internet, sous pseudonyme, mais ils sont là. Et ils cherchent autre chose. Et cette autre chose, c'est la démocratie."

Pendant ce temps, les islamistes avancent leurs pions dans les sociétés européennes. Avec le soutien complaisant de cette gauche hallal. "Il y a (...) une impérieuse urgence à combattre l'idéologie islamiste, écrit Riss dans son édito, pas uniquement sur le plan sécuritaire, mais aussi culturel, politique, sociétal. Car on sait que les idéologues de cette pensée intolérante n'ont pas baissé les bras après avoir compris que la violence n'a fait que braquer l'opinion publique contre eux. Ils ont donc changé de tactique et adopté ce qu'on pourrait appeler un soft power au service de leur cause. Mettant en œuvre une stratégie d'entrisme lente et silencieuse dans de nombreux secteurs de la société pour leur donner les impulsions qui serviront leur combat. Dans le monde du travail, de la mode, de l'université, du sport, de l'éducation pour ne citer que ceux-là, l'islamisme cherche à investir des champs nouveaux  d'où il sera ensuite presque impossible de l'en déloger."

Dans un article intitulé "L'islamisme à bas bruit", Laure Daussy explique la stratégie aujourd'hui moins violente mais plus cachée des djihadistes. Sans renoncer à leur projet de califat dont Daech fut le fer de lance, ils visent aujourd'hui d'abord les esprits en cherchant à islamiser nos sociétés dans toutes ses composantes. De nombreux djihadistes emprisonnés en France en ont témoigné clairement dans "Le Jihadisme français. Quartiers, Syrie, prisons" d'Hugo Micheron (Gallimard, 2020). 
Lorraine Redaud  a eu le courage de se balader sur les réseaux sociaux où pullulent les vidéos de propagande islamiste. Natacha Devanda, de son côté, constate qu'alors que la religion chrétienne a été depuis longtemps sortie des murs des ateliers et des bureaux, c'est à présent l'islam qui parvient de plus en plus à y imposer ses règles. Inna Shevchenko se désole de voir des mouvements qui se veulent féministes  défendre le port du hijab. "Leur promotion du code vestimentaire religieux pour les femmes musulmanes n'est peut-être qu'une autre manifestation vulgaire du complexe du sauveur occidental."
Philippe Lançon dénonce l'expression "les musulmans" utilisée par ceux qui comprennent l'islamisme: "Passer de l'humanisme anti-raciste à la défense d'une religion aussi conservatrice, c'est une petite révolution politique et mentale. Pour la mener, les petits messagers du soft power  ont sociologisé l'islam en imposant cette expression: les musulmans. L'expression a été efficace, mais elle est risquée: si, pour les uns, elle signifie victimes, pour les autres, elle signifie menace. C'était prévisible: les deux camps, se surveillant et se lustrant dans le miroir, se nourrissent l'un de l'autre."

Ce numéro spécial de Charlie Hebdo se termine par deux pages optimistes, relatant les cours qu'une prof de français et d'histoire-géo consacre, auprès de CAP et de bacs pro, à la laïcité et à la liberté d'expression. Son pari sur le respect et l'intelligence des élèves est gagnant. 

Charlie Hebdo n° 1537, 5.1.2022.

mardi 4 janvier 2022

Non, merci !

Continuer à développer le réseau nucléaire ne leur suffit pas. Leur arrogance les pousse à présent à revendiquer un label vert pour l'énergie nucléaire. Tout en continuant à polluer la planète. Le lobby nucléaire, qui depuis cinquante ans a son rond de serviette à l'Elysée, représente aujourd'hui le summum de la prétention et du mépris. L'avenir de la Terre n'est pas son souci. Celui de ses actionnaires l'est. Les problèmes n'existent pas, il est la solution universelle. Voilà que, sous son influence, la Commission européenne envisage de classer verte l'énergie nucléaire.
Il est vrai qu'avec le nucléaire, on est dans le développement durable. Celui de déchets à la longévité infinie. On est à une échelle humaine qui donne le vertige. On en a pour 100.000 ans. Au bas mot. On enterre le problème à Bure dans la Meuse, comme on met la poussière sous le tapis. Sauf que cette poussière restera longtemps extrêmement toxique. Après nous, les mouches.

Bernard Laponche, ancien ingénieur qui a participé à l'élaboration des premières centrales nucléaires françaises dans les années '60-'70 et a dirigé l'Agence française de la maîtrise de l'énergie de 1984 à 1987, parle à Etienne Davodeau (1) des déchets radioactifs produits par l'industrie électronucléaire: "on continue à en produire et on ne sait pas quoi en faire. On a déjà pollué de mille façons les mers, l'air, les sols, mais pas encore les sous-sols. Cigéo, c'est ça: on va finir le travail". Certains des déchets issus de la filière nucléaire "sont très dangereux pendant des centaines de milliers d'années, explique Bernard Laponche, parce que leur radioactivité décroît très lentement". Longtemps, la France les a balancés tranquillement en mer. Aujourd'hui, Cigéo, le Centre industriel de stockage géologique de l'Andra (l'Agence nationale pour la gestion des déchets nucléaires), a pour mission d'enterrer, à Bure, à cinq cents mètres sous terre 85.000 m3 de déchets radioactifs dont elle ne sait que faire, "pour une sorte d'éternité empoisonnée". 

Les débats sont vifs, souvent enflammés, autour des projets éoliens et chacun d'eux est l'objet d'une longue enquête publique. En revanche, il n'y a jamais eu de véritable débat sur la politique nucléaire de la France. Lancée par le président de Gaulle, elle a été poursuivie par tous ses successeurs, de gauche comme de droite, comme si elle allait de soi. Sur les éoliennes, les débats se résument souvent à de faibles arguments portant sur leur esthétique ou sur leur impact supposé sur le marché immobilier. Sur leur coût aussi. Comme si le nucléaire était bon marché. La construction des centrales est coûteuse, mais leur démantèlement aussi. "Le démantèlement, comme la gestion des déchets, pose de gros problèmes techniques mais aussi financiers, constate Bernard Laponche. On sait déjà que les provisions mises de côté par EDF pour cet énorme travail ne seront pas suffisantes. Pourtant, il faudra bien que quelqu'un paye, non? On le voit, cette production miraculeuse d'électricité issue de grandes découvertes scientifiques s'avère... pas miraculeuse du tout !"

La politique nucléaire, c'est aussi celle du secret et de la répression. Les opposants de Bure sont criminalisés, comme l'ont été hier ceux de Creys-Malville ou de Plogoff. Toute la région est sous contrôle policier et nombreux sont les militants anti-déchets à avoir été condamnés pour leur opposition pacifiste. Le nucléaire s'accommode mal de la démocratie. 

La France est la grande championne du nucléaire: avec 71% de son électricité provenant de l'atome, elle est le pays le plus nucléarisé du monde. La Belgique en est à 39%, l'Espagne à 22, le Royaume-Uni à 15%, l'Allemagne à 11 et les Pays-Bas à 3% (2). Mais ce n'est pas encore assez pour la France. Aujourd'hui, le président Macron veut lancer la construction de nouvelles centrales nucléaires, des mini-centrales. C'est que les défenseurs du nucléaire restent dans la logique productiviste et consumériste qui nous a menés là où nous sommes aujourd'hui: dans le mur. Il faut toujours plus d'électricité pour répondre à la demande qui est exponentielle. L'idée même d'économie d'énergie leur est étrangère. Un des directeurs de RTE (Réseau de transport d'électricité, filiale d'EDF en charge de l'électricité haute tension) a récemment déclaré qu'il faudra "pour d'éventuels nouveaux réacteurs, privilégier le bord de mer ou certains fleuves à fort débit comme par exemple le Rhône, ce qui réduirait l'incidence du risque canicule ou sécheresse". C'est que ces centrales, qui nous sont aujourd'hui présentées comme le meilleur moyen de produire de l'électricité en luttant contre le réchauffement climatique, sont elles-mêmes victimes de celui-ci. "La liste des réacteurs arrêtés pour cause de sécheresse est déjà sans fin", constate Fabrice Nicolino (3) qui rappelle que le Rhône n'offre aucune garantie: les centrales de Saint-Alban (Isère) et de Bugey (Ain) ont été mises à l'arrêt à l'été 2018 à cause du manque d'eau dans le fleuve. Cette technologie apparaît dépassée par le contexte actuel qui ne va faire que s'aggraver.
Plus de réacteurs, c'est aussi, évidemment, plus de déchets dangereux dont on ne sait toujours que faire. "Tant pis pour nos descendants. Ça, c'est criminel", affirme amer Bernard Laponche. 

(1) Etienne Davodeau, "Le droit du sol - Journal d'un vertige", éd. Futuropolis, 2021. Remarquable récit graphique qui a mené le dessinateur à pied de la grotte de Pech Merle (Lot) jusqu'à Bure (Meuse) où l'Andra veut enfouir des déchets nucléaires.
(2) "Du nucléaire sur tous les continents", Le Courrier international, 2.12.2021.
(3) Fabrice Nicolino, "L'insondable arrogance des nucléocrates", Charle Hebdo, 22.12.2021.
(Re)lire sur ce blog: 
"Tout va très bien, Madame la Marquise", 22.9.2015;
"Tout va bien", 11.12.2013;
"Le nucléaire patine", 25.12.2012;
"Atomiser le gaspillage", 30.3.2012;
"Propos de comptoir", 27.11.2011