mardi 31 mai 2022

Fuir et se trouver

C'est un film que devraient voir tous ceux qui s'opposent à l'accueil de réfugiés, qui pensent qu'ils veulent débarquer chez nous pour nous sucer le sang et profiter d'aides publiques. C'est un film qui devrait être diffusé sur toutes les chaînes de télé, notamment avant des élections, et dans tous les collèges ou lycées.
"Flee", film d'animation de Jonas Poher Rasmussen (2021) (1), conte l'histoire vraie d'un certain Amin, forcé, à la fin des années '80, de fuir (flee) l'Afghanistan des talibans.

Tombé de Charybde en Scylla, l'adolescent doit subir la brutalité et la corruption de la police moscovite, puis le cynisme, le mépris, la cupidité et l'inhumanité des passeurs. Il finira par débarquer seul au Danemark et non en Suède où vivait déjà une partie de sa famille. Le film relate son errance, sa peur, son déracinement et sa recherche d'identité. Forcé de faire croire qu'il est sans famille, il tait aussi son homosexualité. Pour survivre, le jeune homme s'est enfermé dans ses secrets.
Le réalisateur a multiplié les formes pour raconter l'histoire erratique de son ami de lycée devenu depuis un "brillant universitaire" : un dessin animé "classique", des formes sombres et tremblantes pour évoquer les moments de violence et de terreur et des images d'archives qui attestent la véracité des faits évoqués. 
"Flee, explique Jonas Poher Rasmussen, est une histoire universelle, qui parle de l'humanité de ceux qu'on regarde trop souvent comme une masse indistincte. Et qui rappelle la nécessité de trouver un endroit où l'on peut être soi-même."
Après avoir vu "Flee", on ne peut plus fuir la réalité des réfugiés. 

(1) Visible en replay sur Arte : https://www.arte.tv/fr/videos/075801-000-A/flee/
(2) "Au bout de l'exil, devenir un homme", Télérama, 25.5.2022.

dimanche 29 mai 2022

Les propriétaires de la nature

Les chasseurs français se sont choisi l'homme idéal pour les représenter. Willy Schraen, président de la Fédération nationale des chasseurs, est l'incarnation du mépris des autres (les non-chasseurs, quels qu'ils soient) et de la certitude d'avoir tous les droits qu'on attend de tout vrai chasseur. Comment faire en sorte que les promeneurs ne soient plus victimes d'accidents de chasse, lui demande-t-on ? C'est simple : ils n'ont qu'à se promener à domicile. "Ils n'ont qu'à le faire chez eux, ils n'auront aucun problème. (...) La nature n'est pas à tout le monde. Et les gens qui racontent ça, des mecs comme Jadot, (...) Mélenchon, Tout est open, allez-y, promenez-vous, la nature est à tout le monde, c'est pas vrai, c'est pas ça la vraie vie" (1). Traduction : la nature appartient aux chasseurs et si vous ne l'êtes pas, allez vous faire foutre. Et je tirerai sur le premier qui ose sortir de son 30 mètres carrés.
Ce qui amusant, c'est de lire ce que le même roi des flingueurs écrit dans une luxueuse brochure intitulée "La chasse cœur de biodiversité" et envoyée à tous les élus de France (2) : "nous serons à l'écoute des élus de la République que vous êtes, et votre vision devra nous permettre de faire évoluer notre passion de façon constructive, pour qu'elle reste en parfaite cohérence avec la modernité de notre temps". Visiblement, pour Schraen, la biodiversité ne concerne pas les humains. Les seuls humains autorisés à fréquenter la nature durant la saison de chasse doivent être munis d'un fusil. Et sa vision de la modernité doit remonter, au mieux, à Louis XIV.

(1) "Home, sweet home", Charlie Hebdo, 18.5.2022.
(2) (Re)lire sur ce blog "Lapin chasseur", 23.11.2021 et "L'élégance du sanglier", 12.11.2021.

mardi 24 mai 2022

Papicha et les bonnes âmes

C'est un film que devraient voir les bonnes âmes qui veulent (nous faire) croire que le port du voile, du hijab, du burkini, voire de la burqa n'est qu'un choix personnel des femmes qui le portent et qu'il est raciste d'y mettre des limites.
Papicha (1) suit un groupe de filles algéroises dans les années '90, quand l'intégrisme islamiste a commencé ses ravages violents. Largement autobiographique, le film de Mounia Meddour montre comment cette joyeuse bande de jeunes filles qui ont juste envie de vivre librement est peu à peu miné par les interdits et les injonctions de leurs frères et de leurs amoureux. Interdiction de fumer, d'écouter de la musique, de sortir, injonction à porter le voile, à s'habiller sobrement, à faire profil bas. 
Le défilé de mode, organisé par Nedjma, le personnage principal, a beau être confidentiel, il ne peut être toléré par les islamistes qui interviennent violemment. Parce que les femmes, pour eux, ne peuvent vivre librement, ne peuvent créer, ne peuvent rire. Parce que même entre elles elles doivent se faire discrètes et soumises.
Résumons-nous : les bonnes âmes paternalistes qui se veulent antiracistes sont très sexistes. 

(1) Papicha ("jolie fille" en algérois), film de Mounia Meddour (France / Algérie / Belgique), 2019 - diffusé hier soir sur France 4.

lundi 23 mai 2022

La guerre aux intellectuels

La guerre imbécile (mais une guerre est-elle jamais autre chose qu'imbécile, inutile, incompréhensible pour qui n'est pas dans la tête de l'agresseur ?) que mène Poutine en Ukraine fait de graves dégâts aussi dans son propre pays. 
Ceux qui sont critiques par rapport au régime et aux guerres successives qu'il mène sont vus comme des traitres, même par leur propre famille, dans un pays où le chef suprême fait toujours ce qui est bien pour le peuple et la grandeur de la nation.

Les intellectuels, les écrivains, les cinéastes russes sont nombreux à avoir été contraints de quitter un pays où s'exprimer librement est devenu impossible, voire dangereux et où ils sont sous surveillance permanente comme aux plus belles heures du KGB. Au lendemain de l'invasion de l'Ukraine, était publiée sur YouTube une vidéo dans laquelle plusieurs personnalités du cinéma d'auteur russe et ukrainien condamnaient l'agression. La vidéo est vite devenue virale et les accusation de traitrise ont jailli aussitôt, accompagnées de menaces. La plupart des intervenants n'ont pas eu d'autre choix que de se réfugier à l'étranger. L'un d'eux, Anton Dolin, le critique de cinéma le plus célèbre de Moscou, était à peine sorti de chez lui avec ses valises, qu'un Z était tracé sur sa porte. "Ils voulaient montrer qu'ils savaient où je vivais, qu'ils n'ignoraient rien de mes mouvements." (1) Le voilà, comme d'autres, classé parmi les "ennemis du peuple". Qui s'oppose à la guerre est un ennemi du peuple. Même si c'est le peuple qui souffre le plus des conséquences de cette agression barbare. 
La culture russe - "une poule qui court avec la tête coupée" - est mise au service du régime. Au cinéma, ces dernières années, ce sont les blockbusters patriotiques qui ont battu tous les records. "Sous le régime de Poutine, le cinéma est devenu une machine à remonter le temps, avec pour seul objet de glorifier le passé, et notamment le régime soviétique qui est vu avec un filtre romantique, même quand il s'agit de montrer les agents du KGB comme les méchants", constate Anton Dolin.
Le documentariste Vitali Manski organisait en Russie un des festivals les plus réputés en la matière. Depuis l'annexion de la Crimée et la guerre du Donbass, il s'est réfugié à Riga où il a relancé son festival. Mais les documentaires russes qu'il reçoit ont perdu de leur intérêt. "Jusque récemment, je recevais des œuvres sur Tchernobyl, sur la corruption, sur les opposants à Poutine, sur la censure. Aujourd'hui, plus rien. Cette année, pas un seul long métrage ne traitait de l'actualité." Il y a quelques années, il disait déjà que "le silence est la plus grande tragédie de la Russie moderne".
La réalisatrice Oxana Karas, elle, vit (encore aujourd'hui ?) à Saint-Pétersbourg. "Je ne sais pas si je dois rester ou partir. Et pour aller où ? On nous a volé notre présent et notre avenir. Cette guerre est une catastrophe absolue." (...) "Il faut parler, il faut que nous nous fassions entendre, il faut que nous parvenions à convaincre tous ceux qui restent silencieux et croient à ce que le pouvoir leur raconte".

Mais comment y arriver, quand on voit que même des prêtres sont chassés pour avoir simplement plaidé en faveur de la paix ?
Le père Ioann qui officiait à la paroisse de Karabanovo, à 400 km de Moscou, a dû quitter ses fonctions après s’être exprimé en faveur de la paix en Ukraine.  « Dieu voit tout, je ne veux pas lui mentir et pas vous mentir » , a dit, en début d'office à la dizaine de paroissiens présents, ce "religieux aux manières d’intellectuel que l’on sait capable de libertés vis-à-vis du très strict clergé de l’Eglise orthodoxe" (2). Il leur a expliqué que, à titre personnel, il prierait pour la paix en Ukraine. « Pour que Dieu protège les Ukrai­niens victimes de l’invasion et pour que la haine n’entre pas dans nos cœurs. » A peine son office terminé, des agents de police faisaient le tour des maisons pour recueillir les témoignages des fidèles. Même les prêtres sont surveillés par le régime. Le père Ioann a été condamné par la justice  pour « discréditation de l’action des forces armées russes », un article du code pénal adopté dans les premiers jours de l’« opération spéciale ». Il a dû payer une amende de 35.000 roubles (520 euros). Les juges lui ont aussi reproché un texte mis en ligne sur le site de la paroisse – et lu par « une cinquantaine de lecteurs » – appelant à la paix en Ukraine. Il l'avait cosigné avec le pope Gueorgui Edelstein, 89 ans, fondateur de la paroisse de Karaba­novo et père spirituel de Ioann. Ce dernier a été suspendu par sa hiérarchie qui, depuis le début du conflit, soutient le régime russe. Cette guerre, selon le patriarche de Moscou, place la Russie "du côté de la lumière, du côté de la vérité de Dieu, du côté des commandements divins" (3). Et les popes qui ne pensent pas comme lui sont réduits au silence.

Je repense à cette sénatrice cambodgienne, croisée il y a une vingtaine d'années, qui m'expliquait avec des larmes dans les yeux combien la disparition des intellectuels sous le régime des Khmers rouges avait pour longtemps appauvri son pays. De ce fait, disait-elle, nous nous retrouvons dans un pays sans mémoire, sans valeurs, sans sens moral. La seule valeur, c'est l'argent, voilà ce qu'ils ont réussi à faire.

(1) Laurent Rigoulet, "Une culture de résistance va se forger dans l'exil", Télérama, 18.5.2022.
(2)https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2022/05/22/en-russie-la-denonciation-mystere-du-pere-ioann_6127173_4500055.html
(3) (Re)lire sur ce blog "Dieu de sang", 21.3.2022.

jeudi 19 mai 2022

Chaud devant !

Quand va-t-on enfin mettre fin au capitalisme punitif ? Un peu partout sur la planète, il fait excessivement chaud. Il est des pays où on meurt de chaleur, d'autres d'incendies, la famine menace.
Les concentrations de gaz à effet de serre, l'élévation du niveau de la mer, la température et l'acidification des océans ont tous établi de nouveaux records l'année dernière, a déclaré l'Organisation météorologique mondiale (OMM) dans son "État du climat mondial en 2021" (1).
La quasi totalité du territoire français risque de connaître cet été une sécheresse sans précédent (2). Une sécheresse intimement liée au dérèglement climatique. On en connaît les causes, elles sont multiples, mais toutes liées à nos modes vie insouciants (mais plus inconscients), consommateurs d'énergies fossiles et producteurs de CO2 : industrie, chauffage, mobilité, agriculture, il y a une extrême urgence à changer radicalement nos pratiques dans tous ces secteurs.
Et on continue à entendre ce slogan stupide : non à l'écologie punitive (3). Alors que c'est le capitalisme qui punit la planète. L'écologie, elle, est punie. Et avec elle l'ensemble des êtres vivants de cette planète.

Comment changer radicalement et rapidement de cap ? La grande majorité des gouvernements dans le monde traîne des pieds. La plupart ne bouge même pas. 
"Il existe une incompatibilité radicale, organique, entre les impératifs écologiques et la manière dont est organisé notre système politique", affirme Léo Cohen qui fut conseiller de Barbara Pompili, secrétaire d'Etat chargée de la biodiversité, puis de François de Rugy, ministre de la Transition écologique (4). "Les politiques écologiques ont leurs caractéristiques propres : transversalité, temps long, difficulté à les mettre en œuvre socialement, parce qu'elles touchent à l'intime, à la manière dont il va falloir se loger, se nourrir, se divertir, voyager... Tous les mécanismes de notre système politique percutent ces spécificités."
Selon lui, "le credo de l'action publique, ce sont des finances saines, pas un environnement sain". L'enjeu climatique n'est pas un axe central de l'action publique. Léo Cohen estime qu'il manque une vision enfin réellement transversale de l'action des instances publiques. L'environnement ne peut plus être l'affaire d'un ministère isolé. Il propose de former les hauts fonctionnaires : qu'ils passent du temps avec des scientifiques qui leur feraient prendre conscience des impacts environnementaux de leur secteur. Il suggère également de "faire bouger les agents et les confronter soit à des problématiques climatiques, soit à des territoires soumis à de forts enjeux environnementaux". Il n'en manque, hélas, pas.
Pour plus transparence, il propose également qu'une loi oblige les lobbyistes à publier les amendements qu'ils remettent à des élus ou à des membres du gouvernement".

Emmanuel Macron vient de nommer une nouvelle première ministre : Elisabeth Borne sera aussi chargée de mettre en œuvre la planification écologique. "Emmanuel Macron a rendez-vous avec l'Histoire, estime Léo Cohen : s'il ne s'approprie pas le défi climatique, on le considèrera comme un président passé à côté d'un enjeu de civilisation." Macron a en outre une dette vis-à-vis des électeurs écologistes qui ont permis sa victoire. 
Reste à faire adhérer les citoyens à une vraie politique écologique. Le pouvoir d'achat apparaît aujourd'hui comme le sujet majeur pour nombre de citoyens, avant le climat. Mais les deux sont liés. Une politique énergétique nouvelle peut faire diminuer les factures des consommateurs. "Pour réussir une transition écologique, il y a trois composantes : l'incitation au début, la contrainte à la fin et, entre les deux, l'accompagnement". En accompagnant prioritairement celles et ceux pour qui la transition peut être difficile et en se concertant avec les associations et les syndicats.

Ajoutons que c'est au niveau international que doivent être prises en la matière des décisions et des contraintes fortes (les anti-UE ont adopté une position suicidaire). Le Parlement européen semble décidé à s'y atteler (5). Encore une fois, l'urgence est extrême. 

(2) https://www.lemonde.fr/planete/article/2022/05/18/la-majorite-du-territoire-francais-risque-la-secheresse-cet-ete_6126705_3244.html
(3) (Re)lire sur ce blog "Capitalisme punitif", 7.5.2019.
(4) "Un super héros vert ?", Télérama, 4.5.2022.
(5) https://www.lalibre.be/planete/environnement/2022/05/18/les-eurodeputes-musclent-le-paquet-climat-2030-WVUHDY7SLZBUHFLJZGJCVI47SM/ 

mardi 17 mai 2022

Manque d'eau

Les nappes phréatiques sont basses, très basses. Le déficit hydrique est important.
Il fait chaud. On arrose les cultures. Comme ici, en Vienne, avec cet arrosoir qui doit faire deux cents mètres de long et projette de l'eau sur la route autant que sur les champs. Nous sommes invités à économiser l'eau et l'agriculture à changer de pratiques.
Depuis le 12 mai 2022, la Vienne, comme quatorze autres départements, est en alerte sécheresse et concerné par un arrêté préfectoral limitant certains usages de l'eau.
Le message semble mal passé.


 Photo prise le 16 mai vers 19h30 à proximité de la route entre Le Dorat (87) et Le Blanc (36)

lundi 16 mai 2022

Universelle inertie

Dans ces campagnes du centre de la France, il semble parfois - trop souvent - qu'un des maîtres-mots soit : ne changeons rien. On a toujours fait comme ça, alors pourquoi faire autrement ? Les gens ont leurs habitudes, ne les bousculons pas.
Créer un groupe de réflexion sur l'énergie réunissant élus et citoyens ? Vous n'y pensez pas, ça ne s'est jamais fait et puis les élus ont été élus, contrairement aux citoyens. Chacun doit tenir son rang. Ouvrir un tiers lieu ? Mais pour quoi faire ? Qu'est-ce que ça changera ? Un collègue est végétarien ? Veut-il mettre au chômage tous nos éleveurs ? Moi, il me faut de la viande à tous les repas.

La lecture, ces derniers jours, de deux livres totalement différents m'amène à relever deux passages qui résonnent. Où l'on voit qu'ailleurs aussi l'inertie alourdit le quotidien et plombe les enthousiasmes.

En montagne tout d'abord, et plus précisément dans les Alpes italiennes, en Vallée d'Aoste, dans le roman "La félicité du loup" (1) :
"C'était toujours pâtes, viande, pommes de terre, fromage ; il suffisait de remplacer la viande par l'omelette pour que, des tables, s'élèvent des protestations. C'était ça, le genre de choses qui pesaient à Babette. Le fait que tout ce qu'on pouvait inventer pour apporter un changement là-haut se heurtait à de l'indifférence, quand ce n'était pas de l'hostilité, au point de décourager toute nouvelle tentative. Il en allait ainsi des pots de fleurs sur la terrasse comme des légumes au menu ouvrier, alors un atelier de théâtre..."

En Slovaquie ensuite. Dans un texte intitulé "Tournesols en sous-sol, Bratislava" (2), l'écrivain slovaque Michal Hvorecky parle du rabbin , écrivain et juge Hatam Sofer (1762-1839). "Son credo était : tout ce qui est nouveau est contraire à la Torah. Sofer refusait toute innovation, aussi minime fût-elle." Des milliers de juifs orthodoxes, de partout dans le monde, viennent chaque année se prosterner devant son tombeau en Slovaquie. "Dans son refus de toute nouveauté, je reconnais un précédent aux crises européennes actuelles, l'effort désespéré de sauver une communauté menacée, la peur de la modernité et l'aveu de sa propre faiblesse. Je trouve que l'expérience du rabbin est une métaphore de l'abîme spirituel de l'homme contemporain, de son égarement dans un monde connecté de plus en plus complexe."

La résistance au changement, aussi minime fût-il, pour se protéger d'un monde vu comme incompréhensible, voire inquiétant. L'usage excessif du frein pour se protéger d'un monde qui s'accélère trop. Et au bout du compte, la stagnation ou même le recul.

Bons plans pour ne pas se laisser plomber par les inertes :
- écouter "Carnets de campagne - Le journal des solutions", du lundi au vendredi de 12h30 à 12h45 sur France Inter ;
- lire le trimestriel Village - le plein d'énergie positive.

(1) Paolo Cognetti, "La félicité du loup", Stock, 2021.
(2) "Le Grand tour", ouvrage collectif sous la direction d'Olivier Guez, Grasset, 2022 - vingt-sept écrivains, un par Etat-membre de l'UE, a écrit un texte sur un lieu évocateur de la culture et de l'histoire du continent.

dimanche 15 mai 2022

Vieilles pratiques et faux espoirs

La France insoumise veut révolutionner la pratique de la politique. Très bien. Quand elle sera au pouvoir seulement ? Parce que, pour le moment, elle pratique plutôt la politique de papa avec des attitudes clientélistes et des  parachutages de candidats sans lien avec la circonscription dans laquelle ils se présentent. D'où la grogne compréhensible  (1) de certains candidats évincés dans le cadre de la répartition des candidatures (mal) négociée par EELV, le PS et le PCF avec LFI. *

Le gourou de LFI a abandonné au beau milieu de son mandat, en 2017, son siège de député européen. Il voulait alors devenir président de la République ou, à défaut, député. Il est vrai que l'Union européenne ne le passionnait guère. Lors de son mandat précédent, en 2013, Jean-Luc Mélenchon avait été classé (par le site VoteWatch.com) au 727e rang des parlementaires européens sur 751, derrière Jean-Marie Le Pen (716e) et juste devant Marine Le Pen (734e). Comme lors de son passage au Sénat, il n'y a rédigé aucun rapport. Pour les législatives de juin 2022, il vient de désigner son dauphin : Manuel Bompard, son bras droit, se présentera dans la circonscription du MélenChe à Marseille. Il est actuellement député européen depuis 2019. Son mandat court donc jusqu'en 2024. Mais il le laissera tomber puisqu'il a visiblement mieux à faire lui aussi. Ses électeurs apprécieront ce mépris pour la fonction pour laquelle ils l'ont élu pour cinq ans. 

Jean-Luc Mélenchon est une incarnation de ce qu'on appelle la classe politique, si souvent décriée par LFI. Il a exercé quasiment tous les mandats depuis 1985, d'adjoint au maire à ministre en passant par directeur de cabinet d'un maire, président de conseil général, député français, sénateur et député européen. Toute sa carrière, il aura vécu de la politique. Récemment, une candidate LFI expliquait (1) combien des candidatures insoumises pouvaient bousculer tous ces candidats de terrain qui sont là depuis trop longtemps, selon elle. "Les électeurs veulent un renouvellement des visages, ils en ont assez du paysage politique sclérosé, on n’a pas besoin d’avoir quelqu’un du sérail », affirme cette candidate du parti vertical créé pour servir un homme politique qui multiplie les mandats depuis trente-sept ans et se voit déjà premier ministre à défaut d'avoir pu être président de la République, deux fonctions qui manquent à son palmarès.

A celles et ceux qui s'étonnent de voir l'hebdomadaire qu'il dirige être aussi critique vis-à-vis de LFI,  Riss explique dans Charlie Hebdo (2) que l'équipe de Charlie ne peut oublier. "Lors de l'enterrement de Charb (directeur de Charlie, assassiné par des islamistes le 7 janvier 2015), le leader actuel de LFI avait prononcé un discours que les témoins présents jugèrent à la hauteur des évènements qui venaient de nous frapper. Avant d'être assassiné avec ses copains par des terroristes islamistes, Charb venait d'achever son opuscule Lettre aux escrocs de l'islamophobie qui font le jeu des racistes, qui dénonçait ceux qui jetaient de l'huile sur le feu, en excitant le ressentiment des musulmans après la publication des caricatures de Mahomet." Riss rappelle qu'il n'aura fallu que quatre ans pour que Mélenchon vire de bord et défile dans une manifestation contre l'islamophobie à deux pas de barbus qui criaient Allahou akbar. "Ce jour-là, Charb venait d'être enterré une seconde fois, enseveli par des considérations politiciennes et électoralistes contre lesquelles rien ne pouvait faire le poids. L'appât du gain électoraliste était visiblement trop grand. Aux naïfs que nous avions été, la réalité nous rappelait qu'en politique la mort d'un homme, ça ne vaut rien." Mélenchon a marché sur le cadavre de son camarade Charb. "Mais passons sur ce détail", dit Riss.

Des détails insignifiants, Riss en relève d'autres. Les injures de membres de LFI contre Charlie. Le rejet par LFI de la loi sur le séparatisme ("le communautarisme est plus rentable que la lutte pour la laïcité et contre le séparatisme", écrit Riss). L'absence du terme islamisme dans le programme de La France insoumise, alors que cette France a payé un tribut très cher à cette idéologie mortifère et totalitaire ("il faut dire que le totalitarisme ne semble pas être la préoccupation majeure de cette formation politique qui réclame une VIe République plus démocratique, mais qui n'a jamais rien dit de vraiment hostile à l'égard de la Chine ou de la Russie, pour ne citer que ces deux grandes démocraties participatives. Mais passons sur ces détails").  
"Durant les négociations entre les différentes formations de gauche, l'amnésie a été marchandée contre quelques sièges à l'Assemblée."
Allez savoir pourquoi, on n'a pas le sentiment que les pratiques seraient renouvelées avec l'arrivée au pouvoir de cette gauche-là. Au contraire.

(1) https://www.lemonde.fr/elections-legislatives-2022/article/2022/05/13/en-dordogne-la-dissidence-a-gauche-fleurit-sur-l-humiliation_6125903_6104324.html
(2) "En politique, que vaut la mort d'un homme ?", Charlie Hebdo, 11.5.2022.

samedi 14 mai 2022

Nullissime stratège

On ne l'imaginait pas, mais on le découvre : Sergueï Lavrov a le sens de l'humour. Un humour noir, il est vrai. Le sinistre (1) russe des Affaires étrangères accuse l'Union européenne de s'être transformée en acteur "agressif et belliqueux" (2), aligné sur l'OTAN. La preuve : elle entrouvre la porte à l'Ukraine, ce qui est évidemment incompréhensible pour Lavrov, ministre d'un pays qui n'a que de paisibles intentions vis-à-vis de cette même Ukraine qu'il envahit pour son bien. Où va-t-on si on ne peut plus agresser tranquillement ? Dans quel monde vit-on ?
La Russie est aujourd'hui l'arroseur arrosé, l'agresseur qui se sent agressé sans même être attaqué. Poutine affirmait mener cette opération spéciale parce que l'OTAN se serait montrée trop pressante aux frontières de la Russie. Et voilà que sa guerre qui ne veut pas dire son nom a pour résultat de pousser la Finlande et la Suède à envisager, pour assurer leur sécurité, de demander leur adhésion à l'OTAN vis-à-vis de laquelle elles étaient toujours resté distantes. Macron affirmait, il n'y a pas si longtemps, que l'OTAN était en état de mort cérébrale et voilà que Poutine la rebooste.
Le président russe obtient l'exact contraire de ce qu'il disait rechercher (3). C'est ce qu'on appelle un mauvais stratège. On en a vu plus d'un tomber après une aussi grossière erreur.

(1) pour reprendre l'expression du regretté Sol, humoriste québécois.
(2) https://www.lalibre.be/international/europe/2022/05/13/la-russie-accuse-lue-detre-devenue-agressive-et-belliqueuse-3UFYBRAA7FEZDI74MC53H6E6PM/
(3) https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/05/14/guerre-en-ukraine-vladimir-poutine-renforce-l-otan_6126101_3232.html

jeudi 12 mai 2022

Changer de cap

Hier encore, je me désolais. Aujourd'hui, je me réjouis. En écoutant ces récents diplômés d'AgroParisTech qui appellent à déserter le monde économique pour lequel ils ont été (dé)formés. Ils nous donnent de l'espoir.
« Nous sommes plusieurs à ne pas vouloir faire mine d’être fiers d’obtenir ce diplôme, à l’issue d’une formation qui nous pousse à participer aux ravages écologiques et sociaux en cours. Nous ne considérons pas ces ravages comme des ‘enjeux’ ou des ‘défis’ à relever », ont-ils déclaré au cours d'une cérémonie de remise des diplômes le 30 avril dernier.

Sur le site de Charlie Hebdo (1), Jacques Littauer rappelle que "AgroParisTech, fondée en 2007, est l’héritière de trois établissements prestigieux : l’institut national agronomique Paris-Grignon ; les « eaux et forêts » ; et l’École nationale supérieure des industries agricoles et alimentaires (ENSIA). Mais il fallait un nom anglais moche. Le vrai est « institut national des sciences et industries du vivant et de l’environnement ». Or, justement, le vivant est la préoccupation de ces jeunes diplômés, qui estiment que « l’agro-industrie mène une guerre au vivant et à la paysannerie ». Et, après 3 ou 4 ans d’études sur le sujet, ils savent de quoi ils parlent."
Le groupe d'anciens étudiants, écrit La Libre (2), a dénoncé les débouchés classiques de leur cursus, dans l'industrie alimentaire, les semences OGM et l'agriculture intensive. "À nos yeux, ces jobs sont destructeurs et les choisir, c'est nuire en servant les intérêts de quelques-uns", estiment-ils. "Si notre cursus à AgroParisTech nous a mis en avant ces débouchés, on ne nous a jamais parlé des diplômé.es qui considèrent que ces métiers font davantage partie des problèmes que des solutions et qui ont fait le choix de déserter".
"Ils estiment, écrit Jacques Littauer, que les start-up et l’innovation ne sauveront qu’une seule chose – le capitalisme – et pas eux, ni la Terre, ni les animaux, ni nous. Croissance verte ? Transition écologique ? Économie verte ? Développement durable ? Très peu pour eux, qui estiment que pour être durable, notre société devrait se débarrasser de « l’ordre social dominant ». Destinés à devenir les « cadres » de notre société, et des sociétés commerciales, ces jeunes gens refusent de faire semblant." (...) "Loin de prétendre avoir toutes les solutions, ils reconnaissent « douter ». Mais ils veulent tendre la main aux anciens diplômés, qui négocient avec leur conscience, ou détournent le regard sur ce que fait leur entreprise." (...)
"Si vous voulez faire briller vos yeux, vous pouvez regarder la vidéo (2) de ces jeunes gens honnêtes, courageux, et chaleureusement applaudis. Sept minutes d’espoir dans un monde de brutes."

(1) "AgroParisTech : l’agriculture « verte » se fera sans eux",  mis en ligne le 11.5.2022 sur le site de Charlie Hebdo.
(2) https://www.lalibre.be/planete/environnement/2022/05/11/des-jeunes-diplomes-lancent-un-appel-a-deserter-le-secteur-agro-industriel-vous-pouvez-bifurquer-maintenant-AJSBCP77QVB6LIVZW2LJARTUGQ/

mercredi 11 mai 2022

Lever le pied

Il fait chaud, trop chaud pour la saison. Et beaucoup trop sec. Les nappes phréatiques sont insuffisamment rechargées. A ce jour, quinze départements français ont déjà franchi le seuil de vigilance. Ici, nous sommes en phase de vigilance et tous invités à économiser l'eau. Les agriculteurs sont très inquiets. Les récoltes s'annoncent déjà faibles. Les chenilles n'ont jamais été aussi nombreuses et dévorent les feuilles des fruitiers.
Ailleurs dans le monde, dans de nombreux pays d'Afrique notamment, la situation est totalement catastrophique. On ne se souvient pas y avoir vu tomber la pluie. Les récoltes sont réduites à néant. En Asie, les canicules risquent de tuer des millions de personnes, le seuil maximal de chaleur humide que l'homme peut supporter y est largement dépassé. " “Mourir de chaud” n’est plus seulement une expression en Inde et au Pakistan., écrit le HuffPost. Les deux pays de l’Asie du Sud subissent des vagues de chaleur sans précédent depuis deux mois. Les températures y sont infernales et atteignent un pic ce mercredi 11 à plus de 50°C. La chaleur, combinée à des niveaux élevés d’humidité, dépasse déjà le seuil limite de survie des personnes se trouvant à l’extérieur pendant une période prolongée"
La Sibérie est en feu, mais le président russe préfère, pour des raisons que lui seul comprend, faire la guerre à l'Ukraine, participant plus encore au réchauffement climatique et augmentant les risques de pénurie alimentaire.

Des mesures drastiques doivent être prises d'urgence pour, si pas inverser la tendance, au moins ralentir nos consommations d'énergie fossiles et donc notre production de CO2. Mais qui le veut vraiment ? Ni les gouvernements, ni la majorité des citoyens. Et pourtant... Si nous suivions les recommandations du GIEC et de l’AIE (l’Agence Internationale de l’Energie), "nous pourrions, à l’échelle européenne, réduire notre consommation de pétrole de 2.7 millions de barils par jour, ce qui équivaut à notre importation russe". C'est Bernard Keppenne, Chief Economist CBC Banque (qu'on imagine pas, a priori comme un écolo intégriste) qui le dit (1).
Nous pourrions, par exemple, dès demain, abaisser les limites de vitesse d’au moins 10 km/h sur les autoroutes. "Pourquoi donc ne pas imposer sur les autoroutes dans toute l’Europe une vitesse limitée à 110 km/h pour les voitures et à 90 km/h pour les camions, sans exception ? Et mettre en place, un maillage de radars pour éviter le moindre écart. Un système d’amendes progressives pourrait être imposé et les montants ainsi récoltés pourraient approvisionner un fonds d’aide aux plus précarisés et les plus touchés par la hausse des prix de l’énergie." Le gouvernement français avait, il y a quelques années, imposé une vitesse maximale sur les routes de 80 km/h. Mais devant la levée de boucliers du lobby automobile ardemment soutenu par les Gilets jaunes il avait battu en retraite et laissé la main aux départements qui, nombreux, ont courageusement décidé de rétablir la limite à 90 km/h. Des automobiles vivant en milieu rural affirmaient qu'ils n'avaient "pas le temps de rouler moins vite". Demain, auront-ils le temps de lutter contre les incendies qui menaceront leurs maisons ? Faire passer la limitation de vitesse sur autoroute de 130 à 100 km/h revient à diminuer de 15% nos consommations de carburant et dès lors notre pollution (et nos dépenses). Les Américains et les Canadiens qui circulent dans des espaces autrement plus vastes que les nôtres n'ont pas l'air particulièrement malheureux d'être limités à 100 km/h.

Selon l’AIE, "l’instauration d’un jour de télétravail par semaine permettrait de réduire la consommation de pétrole d’environ 170.000 barils par jour. À court terme, l’instauration de trois jours de télétravail par semaine permettrait de la réduire d’environ 500.000 b/j".
Autre mesure proposée : sortir la voiture des centres urbains. Si les voitures ne circulaient pas dans les grandes villes européennes les dimanches, ce sont 380.000 b/j qui seraient économisés à court terme. Ce qui ferait le plus grand bien aux inertes que nous sommes devenus en nous poussant à marcher et à rouler à vélo. Et à prendre des transports en commun qui doivent être rendus plus abordables.

Autres mesures à encourager :  le covoiturage et le choix du train à grande vitesse ou des trains de nuit plutôt que de l’avion chaque fois que c'est possible. "Selon l’AIE, ces mesures appliquées dans l’ensemble des pays avancés permettraient en quatre mois de réduire la consommation de pétrole de 2.7 millions b/j, ce qui représente ce que l’Europe importe comme pétrole de Russie. Et si ces mesures ne sont pas justes limitées à quatre mois, mais définitivement imposées, tout en étant évidemment accompagnées des mesures que le GIEC demande de prendre urgemment dans tous les autres secteurs, elles permettront d’accompagner la transition énergétique. Il s’agit en plus de mesures facilement adaptables pour nos sociétés et que les consommateurs peuvent intégrer dans leur quotidien sans que cela soit perçu comme brutal et ingérable. Cela demande juste à nos gouvernements d’adopter ces nouvelles normes de façon concertée. L’Europe a montré avec la guerre en Ukraine qu’elle est capable d’adopter une position commune et le défi climatique ne pourra se résoudre que tous ensemble."

On le sait, les gouvernements sont très réticents à prendre des mesures qui pourraient fâcher leur électorat Sauf si les citoyens agissent en citoyens responsables plutôt qu'en enfants gâtés qui veulent que soient prises des mesures de lutte contre le réchauffement climatique qui ne modifient en rien leurs habitudes assassines pour la planète et ses habitants. 

(1) https://www.lalibre.be/debats/opinions/2022/05/10/il-netait-pas-utopique-de-reduire-facilement-notre-consommation-de-petrole-de-27-millions-barilsjour-DQ3QFE6GMFCLTI6AU22LGTOJ44/ 

mardi 10 mai 2022

Talibans et bonnes âmes

De bonnes âmes occidentales voulaient se (et nous) persuader qu'ils avaient changé. Que les talibans nouveaux étaient arrivés, que ceux de 2021 n'étaient pas ceux de 1996. Mais les talibans restent ancrés dans un passé qui n'a sans doute jamais existé, dans une époque où l'homme avait tellement peur de la femme qu'il l'obligeait à se cacher pour qu'elle disparaisse de sa vue, une époque où l'homme se voyait comme un animal soumis à ses pulsions sexuelles. En 2022, ils se voient toujours de même : de pauvres êtres qui ne peuvent se maîtriser. Aussi, les talibans, après avoir interdit aux Afghanes de prendre l’avion sans parent masculin et fermé les collèges et lycées aux filles, viennent-ils d'obliger ces mêmes femmes à porter un voile intégral dans l’espace public, de préférence la burqa. "Car c’est traditionnel et respectueux". Respectueux de qui ou de quoi ? Certainement pas des femmes réduites à l'état de fantômes.
« Les femmes qui ne sont ni trop jeunes ni trop vieilles devraient voiler leur visage, à l’exception de leurs yeux, selon les recommandations de la charia, afin d’éviter toute provocation quand elles rencontrent un homme » qui n’est pas un proche membre de leur famille, précise le décret qu'ils ont adopté. Et si elles n’ont pas d’importante tâche à effectuer à l’extérieur, il est « mieux pour elles de rester à la maison ». C'est la patriarcat le plus abject érigé en loi.
« L’islam n’a jamais recommandé le tchadri, a réagi une militante des droits des femmes restée en Afghanistan, sous le couvert de l’anonymat. Les talibans, au lieu d’être progressistes, retournent en arrière. Ils se comportent comme lors de leur premier régime, ce sont les mêmes qu’il y a vingt ans. » (1)

Pendant ce temps dans nos pays, les mêmes bonnes âmes occidentales défendent le port du voile et s'attaquent violemment à qui ose le critiquer et même à celles qui se plaignent  d'être injuriées.
Il y a quelques jours, lors d'une réunion organisée par le Café laïque à Bruxelles, une habitante de Molenbeek, Nathalie, a témoigné de son vécu : pour aller au marché, elle - qui n'est pas musulmane - se voilait. Elle profitait ainsi de meilleurs prix, mais surtout elle évitait de se faire insulter, voire de se faire cracher dessus. Elle a témoigné de cette expérience sur Internet. Mal lui en a pris, puisqu'elle a été licenciée par son employeur pour faute grave : propos racistes. Et son syndicat l'a radiée, refusant de défendre "une raciste". Il faut donc taire le sexisme et les insultes. Les subir en silence. Et laisser une religion imposer sa loi scandaleuse dans la rue.

Il en va de même ailleurs. A Grigny, en région parisienne, par exemple. "Nous ne sommes que du bétail, dénonce Naïma : on nous demande en mariage quand nous passons entre les étals des marchés – lorsque nous sommes célibataires sans enfants et considérées comme vierges bien sûr. Aujourd’hui, ils mettent le voile aux petites-filles même lorsqu’elles sont encore bébé, pour les « habituer », « leur apprendre la pudeur ». Leur vie est déjà tracée du berceau jusqu’au cercueil : elles devront se taire, être soumises, et toujours dépendre d’un homme comme au bled." (...)
"Quand vous n’êtes pas voilée et que vous marchez sans mahram (tuteur de la femme en islam) dans la rue, vous êtes « la reine des putes ». Les femmes voilées essayent d’ailleurs de ramener les autres dans le « droit chemin », un chemin de silence et de souffrance.
Ne pas porter le voile, c’est se faire injurier pour un oui ou pour un non. Que l’on travaille, que l’on fasse des études, peu importe : si vous n’êtes pas voilée, vous n’êtes pas une femme bien. De ce fait, les hommes s’autorisent à vous faire des propositions indécentes et vous agressent sexuellement. Si vous n’êtes pas voilée, vous méritez d’être violée et de recevoir des coups. C’est cela la charia.
À Grigny, c’est le KGB islamique qui fait la loi. Même lorsque je fais mes courses, ils surveillent ce que j’achète : si c’est du vin ou du porc. Et si je n’achète que de la viande halal, ils se permettent encore de me reprendre sur mon « absence de pudeur » : « Maintenant, habille-toi correctement ! » Ils vont même jusqu’à surveiller ce qu’il y a dans le fond de nos culottes, c’est-à-dire si nous avons des amants, si nous sommes mariées, avec qui et pourquoi."
Naïma dénonce la "police religieuse" qui surveille les achats des musulmanes, ce qu'elles mangent, ce qu'elles boivent. Et, bien pire encore, les viols, la prostitution, les mariages forcés. 
"Ma mère a quitté le bled pour que je puisse échapper à l’islamisme, en France. Mais c’est l’enfer pour une femme de vivre à Grigny. Impossible d’avoir des activités normales et des plaisirs simples comme s’installer à la terrasse d’un café, ou porter une robe, sans être considérée comme une traînée, avec toutes les conséquences que cela implique. Je ne cède pas, même si c’est très dur car je suis isolée. Mais je ne survivrai pas encore longtemps dans cette jungle islamiste et communiste."

Qu'est-ce qui justifie, chez les bonne âmes occidentales, ce mélange de racisme et de sexisme, qui les amène à se ranger du côté des mâles en rut, à participer à l'asservissement et au mépris des femmes ? Que diront-elles quand les talibans de chez nous iront plus loin encore et imposeront la burqa et l'excision ? Pourquoi, selon elles, les hommes sont-ils libres d'aller et venir comme ils l'entendent, de s'habiller comme ils veulent et même de se promener torse nu quand les femmes doivent se voiler la tête si pas l'entièreté du corps ?
"Au fond, dit Sophia Aram (3), il n’y a que deux hypothèses, soit ils sont totalement obsédés, soit comme tous les fondamentalistes, ils n’ont qu’une seule vraie passion, qu’un seul objectif dans la vie : pourrir la vie des femmes. A moins que ce soit les deux !!!
Rien que cette semaine si tu cherches le point commun entre les talibans, les évangélistes texans et les juges catholiques de la cour suprême - en dehors de leur goût immodéré pour les armes automatiques et la croyance en l'existence d'un ami imaginaire : c'est qu'ils ne perdront jamais une occasion de pourrir la vie des femmes.
Convaincus comme le disait Saint Paul que “Dieu est le chef de l'homme et que l'homme est le chef de la femme“, ils sauteront sur chaque occasion de rappeler que le corps des femmes leur appartient."

Les bonnes âmes occidentales ont beau se croire de gauche, elles ont choisi leur camp : celui des talibans, des évangélistes texans et des juges catholiques de la cour suprême. Et elles font le lit de l'extrême droite.

(1) https://www.lemonde.fr/international/article/2022/05/07/en-afghanistan-les-talibans-ordonnent-aux-femmes-de-porter-la-burqa-en-public_6125140_3210.html
(2) Publié dans la Tribune 28.1.2022.
(3) https://www.franceinter.fr/emissions/le-billet-de-sophia-aram/le-billet-de-sophia-aram-du-lundi-09-mai-2022

samedi 7 mai 2022

Une gauche suicidaire

On ne peut pas dire que la gauche française a perdu la tête. Au contraire. Elle l'a trouvée. C'est celle du Chon, version française du Che. Sur la page d'accueil du site de la France insoumise figure sept photos de Jean-Luc Mélenchon et aucune de qui que ce soit d'autre (1). Au championnat français de la prétention et de l'arrogance, on se bouscule sur la première marche du podium. Le MélenChe à lui seul incarne l'Union populaire. Il est le Peuple, le Sauveur, le Rédempteur. Ne serait-ce pas du populisme ? La France insoumise, parti créé à son service, fonctionne de manière verticale. Comment un parti comme EELV, parti établi sur une base horizontale, peut-il s'associer à LFI ? 

Je devrais me réjouir de l'union de la gauche - des gauches - pour les législatives françaises, mais je n'y arrive pas. Voir les Verts, le PS et le PCF se ranger aussi rapidement sous la bannière du Grand timonier Mélenchon ne laisse rien augurer de bon. Cette union ressemble plutôt à un contrat faustien, où les trois "petits" partis (le PS au niveau régional, départemental et municipal est pourtant nettement plus puissant que LFI qui ne représente rien) ont vendu leur âme au diable par intérêt électoral.
Les question internationales - sur lesquelles ces partis ont des positions parfois diamétralement opposées - ont été mises sous le tapis ou laissées dans le flou.

Mélenchon n'aime pas l'Union européenne. Ces décisions ne lui conviennent pas. Il faut dire qu'elles sont issues de longues négociations et de compromis, ce qui ne plaît pas à cet homme de rupture et de conflit. Il aurait pu participer à l'amélioration des textes quand il était député européen, mais il avait visiblement mieux à faire puisqu'il a brillé par son absence au Parlement européen et a quitté sa fonction à mi-mandat pour briguer le poste de président de la République française. On appréciera le respect qu'il a pour ses électeurs.
Les Insoumis et leurs désormais affidés annoncent qu'ils prendront à la carte les directives de l'Union européenne. Le menu ne leur plaît pas. Si on les suit, on comprend qu'ils appliqueraient uniquement les règles quand elles leur conviennent. Si tout le monde agissait de même, plus aucune institution, aucune entreprise, aucune association, aucun club ne serait gérable.  Chacun n'appliquerait que les règles qui lui plaisent. Des maires de droite auraient alors, par exemple, le droit de refuser de célébrer un mariage homosexuel, de ne pas créer d'aire d'accueil des gens du voyage, de ne pas se conformer au nombre prescrit de logements sociaux dans leur commune. Chacun pourrait ainsi agir selon ses valeurs, sa sensibilité, ses objectifs électoraux. Une attitude très... libérale.
Les Insoumis, on l'entend bien, n'aiment pas l'UE, responsable de tant de maux. Comment expliquent-ils que tant de pays frappent à sa porte ? Pleure pas la bouche pleine, a-t-on envie de leur dire.

Jean-Luc Tito Mélenchon se présente comme non aligné par rapport à la guerre d'Ukraine, refusant qu'une aide militaire soit apportée à ce pays pour se défendre, quand le PS et EELV sont pour. La France insoumise dit vouloir privilégier la diplomatie. Qui ne le voudrait pas ? Mais elle ne fonctionne pas avec un autocrate brutal et menteur comme Poutine et peut-on laisser les Ukrainiens se faire massacrer ? Mélenchon, s'il voit dans la rue un homme au sol tabassé par quatre autres, ne va pas appeler les secours, il va se contenter de les inviter à s'expliquer et, devant le refus des agresseurs, il passera son chemin. Cet homme est l'incarnation de la responsabilité et du courage. Un véritable humaniste !

LFI est-il un parti démocratique ? On a le droit d'en douter quand on lit qu'une de ses élues, Clémentine Autain, estime que "si ça ne se passe pas comme prévu, il faudra aller chercher la victoire dans la rue" (2). On ne peut que comprendre Bernard Cazeneuve, ancien premier ministre socialiste, quand il claque la porte de son parti passé sous les fourches caudines de cette France aussi insoumise à l'OTAN.
« L’indépendance de la nation n’a jamais signifié, écrit-il, la rupture de ses alliances militaires ni l’accommodement avec des régimes autoritaires ou des dictatures, sur notre continent ou sur d’autres » (...) « la réorientation des politiques de l’Union ne saurait se traduire par la destruction du projet européen qui permettrait à d’autres de décider, à notre place, de notre destin » (3). 

"Je souhaite bonne chance à ce qu'il reste de socialistes et de Verts dans leurs aventure législatives avec les Insoumis, écrit Philippe Lançon. Il est difficile de s'entendre avec Merluchon et la plupart de ses amis, lorsqu'on n'est pas d'accord à 101% avec eux, lorsqu'on ne rit pas exclusivement des mêmes cibles qu'eux. Bref, lorsqu'on n'est pas prêt à se soumettre à eux. Insoumis ne rime pas avec compromis." (4)
Cette gauche, à se trouver une tête, l'a perdue.

Post-scriptum : à lire :
https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/05/08/olivier-costa-on-peut-s-etonner-de-voir-le-ps-et-les-ecologistes-s-aligner-sur-un-programme-eurosceptique_6125219_3232.html
Et aussi : https://www.huffingtonpost.fr/entry/laccord-eelv-lfi-qui-cree-la-nupes-est-une-escroquerie-pour-ces-personnalites-ecolos_fr_62778ed5e4b00fbab62f63a0

(1) consultée le 6 mai 2022 à 7h25.
(2) Télématin, 27.4.2022.
(3) https://www.lemonde.fr/elections-legislatives-2022/article/2022/05/04/bernard-cazeneuve-annonce-qu-il-quitte-le-parti-socialiste-a-la-suite-de-l-accord-passe-avec-la-france-insoumise_6124779_6104324.html
(4) "Proust et Charlie", Charlie Hebdo, 4.5.2022.
A lire: https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/05/04/legislatives-2022-a-gauche-des-divergences-programmatiques-releguees-a-l-arriere-plan-des-negociations_6124703_823448.html
https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/05/06/le-profil-culturel-de-jean-luc-melenchon-indigne-certains-au-ps-et-inquiete-nombre-de-responsables-du-secteur-artistique_6124948_3232.html
(Re)lire sur ce blog "A mes amies et amis mélenchonistes", 27.3.2022.