mardi 28 juin 2022

Illégal toi-même

Boris Johnson et son équipe sont de grands enfants : ils jouent avec les "illégaux" à "Une, deux, trois, soleil". Si un demandeur d'asile "illégal" est surpris sur le sol britannique, hop!, il doit reculer de six mille kilomètres : envoyé au Rwanda. Pourquoi le Rwanda ? Parce que le gouvernement britannique a signé en avril dernier un accord avec ce pays pour y délocaliser les exilés arrivés "illégalement" au Royaume-Uni. C'est là, au Rwanda, que seront traitées, selon les critères rwandais, les demandes d'asile. Si elles sont acceptées, les réfugiés pourront vivre au Rwanda. Ce pays ne les intéresse nullement ? Ils n'y connaissent personne ? N'en parlent pas la langue ? Tant pis pour eux, ils n'avaient qu'à pas arriver illégalement en Grande-Bretagne.  Le premier avion devait décoller il y a une dizaine de jours, mais, en dernière minute, la Cour européenne des Droits de l'Homme l'en a empêché, estimant qu'existait "un risque réel de préjudice irréversible" pour les migrants concernés. 
Au départ, cet avion devait emmener 130 personnes (dont 18 Syriens  - qui ont sans doute osé fuir illégalement la guerre qui continue à sévir dans leur pays, 14 Iraniens et 9 Afghans), mais grâce aux recours individuels déposés par des ONG, seules 7 "indésirables" devaient finalement s'envoler pour le Rwanda. Coût de l'opération :  l'équivalent de 583.000 €. L'avion n'a donc pas décollé, mais la ministre britannique de l'Intérieur l'affirme : "on ne nous découragera pas !". 

Les ONG, les travaillistes, certains conservateurs sont vent debout contre cette politique d'éloignement forcé. L'Eglise anglicane aussi qui parle d'une "politique immorale" qui "couvre le Royaume-Uni de honte". Le Prince Charles est sorti de son devoir de réserve, se disant "consterné" et affirmant que "l'approche du gouvernement est épouvantable".
Mais rien n'arrêtera Boris Johnson, qui essaie de faire oublier sa calamiteuse gestion du Covid, ses réunions festives en plein confinement et la motion de censure à laquelle il vient d'échapper. Si la Cour européenne des Droits de l'Homme continue à lui mettre des bâtons dans les roues, il est prêt à la quitter. Histoire de pouvoir agir sans égard ni pour la légalité, ni pour la moralité.

Ava Roussel, "Délocalisation de réfugiés - L'obstination de Boris Johnson", Charlie Hebdo, 22.6.2022.

samedi 25 juin 2022

Ukraine : comment sortir de la guerre ?

La candidature de l'Ukraine à l'adhésion à l'Union européenne vient d'être acceptée par celle-ci. La procédure sera longue. L'UE exige des réformes sur sept points : réforme de la Cour constitutionnelle, poursuite de la réforme judiciaire, lutte contre la corruption, lutte contre le blanchiment d'argent, mise en œuvre de la loi anti-oligarchie, harmonisation de la législation audiovisuelle avec la législation européenne, modification de la législation sur les minorités nationales. "Nous devons être conscients, écrit Evropeïska Pravda, que nous ne pourrons entamer des négociations avant la fin de la phase active de la guerre, ce qui était connu. (...) La chose la plus importante, c'est que le processus est lancé." (1)

Quand et comment cette guerre pourra-t-elle prendre fin ? A Bruxelles, le Groupe du 24 février (constitué de chercheurs, journalistes, traducteurs, fonctionnaires nationaux et européens, militants des droits humains, citoyens engagés dans des coopérations avec l’Ukraine) constate que "ces derniers temps, les idées qu’il faudrait se résigner à une guerre longue et à des concessions territoriales de la part de l’Ukraine pour mettre fin au conflit circulent largement — provoquant des réactions indignées de la part des Ukrainiens, qui s’y opposent dans leur très large majorité". Le groupe salue la décision de Messieurs Macron, Draghi, Scholz et Iohannis de se rendre en Ukraine. "Comme ceux qui les y avaient précédés, ils ont pu constater de leurs yeux ce que vit l’Ukraine aujourd’hui."
Les membres du groupe affirment que "une occupation n’est pas qu’un fait géopolitique abstrait. C’est aussi et surtout une réalité humaine tragique. Nous avons tous en tête les meurtres, les tortures, les viols, détentions arbitraires, disparitions forcées, déportations et pillages infligés aux populations civiles dans les zones libérées de l’occupation russe (...). Des preuves ont déjà été collectées, des rapports sérieux publiés, et un travail titanesque est en cours pour continuer de vérifier, documenter, recenser ces crimes de façon aussi exhaustive que possible. Certaines informations sur les zones actuellement occupées depuis l’invasion du 24 février nous parviennent, comme l’existence de points de filtration, interrogatoires et disparitions."

Le Groupe du 24 février fait état des violences, des tortures, des privations de droit, des humiliations, des arrestations arbitraires, des disparitions forcées, des restrictions à la liberté d’association, d’expression, de religion et de mouvement, des enrôlements sous contrainte, des confiscations de biens, des transferts forcés de personnes vers la Russie subis par les Ukrainiens, même les enfants. "Certaines pratiques à l'œuvre en Ukraine rappellent celles mises en œuvre lors des deux guerres de Tchétchénie menées par la Russie : bombardements massifs, opérations dites de « nettoyage », usage systématique de la torture dans les camps de filtration, exécutions extra-judiciaires. Elles ont été documentées de façon très précise dans de nombreux rapports d'organisations de défense des droits humains. (...) On assiste en Ukraine à la transposition d'un système bien rodé." Tout cela se produit "dans un contexte où le pouvoir russe nie l’existence de l’Ukraine en tant que Nation et tente de mettre en œuvre sa destruction."

Pourrait-on sortir de ce conflit grâce à des concessions territoriales, s'interroge le groupe ? "Par le biais de mensonges et de manipulations des faits, le pouvoir russe justifie l’agression de l’Ukraine en invoquant des arguments territoriaux, ethniques, linguistiques, historiques. La réalité est qu’il poursuit une politique d’agression dont il n’a pas fixé les limites, tandis que ni les discours ni les faits ne permettent de penser qu’il en fixera. Avoir laissé la Russie annexer la Crimée et amputer des états souverains (Ukraine, Géorgie, Moldavie) de territoires comme le Donbass, l’Ossétie du Sud ou la Transnistrie n’a en rien mis fin à sa politique agressive dans son voisinage. Au contraire, dans la vision du Kremlin, l’inaction de la communauté internationale vis-à-vis de chaque conquête territoriale est endossée comme un succès transitoire, un encouragement à préparer de nouvelles prédations. Dans ce contexte, toute concession territoriale offrirait à la Russie un tremplin pour la poursuite de la conquête de l’Ukraine. La Crimée a servi de base pour occuper Kherson et prendre Marioupol, et les « Républiques » auto-proclamées sont un avant-poste pour la prise du reste du Donbass."

Pour le groupe du 24 février, "seuls les Ukrainiens ont la légitimité pour décider de l’avenir de leur pays. Mais l’Union européenne et ses dirigeants seront inévitablement impliqués dans la définition des conditions de la paix, ne serait-ce que sur les questions des sanctions et des garanties de sécurité." Le groupe appelle dès lors les dirigeants européens "à toujours mesurer les conséquences humaines et sécuritaires de l’occupation russe dans les propositions qu’ils formulent et les décisions qu’ils prennent" et invite Emmanuel Macron, Mario Draghi, Olaf Scholz et Klaus Iohannis à tenir les promesses qu'ils ont formulées. "L’aveuglement et l’ambivalence des deux dernières décennies n’ont pas servi la paix. "

(1) "Tout reste à faire", Le Courrier international, 23.6.2022.
(2) https://www.lalibre.be/debats/opinions/2022/06/22/pour-retrouver-la-paix-lukraine-devrait-elle-ceder-des-territoires-a-la-russie-ALHYS22FMNE4FK54OHEH4ECCJE/

vendredi 24 juin 2022

Développement du râle

C'est une réunion organisée dans le cadre de la définition du PLUi, le plan local d'urbanisme intercommunal qui doit créer des zonages (l'équivalent des plans de secteur en Belgique) et les règles d'urbanisme qui y seront appliquées (l'équivalent du Cwatup en Wallonie). Il s'agit à ce stade de nourrir le PADD, le Projet d'aménagement et de développement durable.
Elle réunit une trentaine de citoyens, pour la plupart retraités . On comprend vite que c'est une réunion de  conservateurs. Certains sont visiblement venus avec pour seule ambition une opposition ferme et totale à tout éventuel projet d'implantation d'éoliennes. D'autres déplorent que l'Etat français ait décidé de restreindre, puis d'interdire à l'horizon 2050 de nouvelles zones d'urbanisme. Un homme estime que les nouveaux venus ne pourront dès lors plus s'installer que dans "des cages à lapins", alors que, lui fait-on remarquer, les maisons abandonnées sont ici légion. Une participante déplore qu'on autorise les paysans à équiper les toitures de leurs stabulations de panneaux photovoltaïques qui lui gâchent la vue sur le paysage. La même laisse entendre que le réchauffement climatique serait un mythe. Une autre pense qu'il faudrait cesser, si on veut voir des citadins d'installer dans nos campagnes, d'exiger qu'ils équipent leur maison d'une micro-station d'épuration individuelle. Dès qu'on parle de normes européennes s'élève un ricanement. C'est une réunion de plaintifs qui veulent que rien ne change alors que tout change. 
C'est une réunion consacrée au développement durable avec des gens qui ne développent pas grand-chose de positif.

"Il est urgent de changer de modèle culturel. Ce qui ne veut pas dire un retour en arrière. Il ne s'agit pas de refuser la technologie, mais de l'adapter à un mode de vie qui n'est pas destructeur. (...)
Si l'on continue comme maintenant, ce sera sans nous. Je ne m'en fais trop pour l'avenir de la planète, mais pour celui de l'humanité, si. Quand le Giec dit qu'on a trois ans pour redresser la barre, il a raison. La situation est critique et l'humain éminemment fragile."
Gilles Clément, jardinier paysagiste, Télérama, 8.6.2022.

mardi 21 juin 2022

Quel bazar !

Arno aurait pu le dire : la France, c'est un sacré bazar !
Le président Macron se retrouve sans majorité. Il ne peut s'en prendre qu'à lui-même : croyant que l'histoire se répète inévitablement, il a parié que les électeurs accorderaient leur confiance à son parti puisqu'ils venaient de le réélire comme président. Il n'a pas compris que les temps changent, que l'opinion publique ne lui est pas aussi favorable qu'il le pensait et que les extrêmes sont à la mode. Absorbé par ses fonctions de président de l'Union européenne et de chef de guerre, il pensait qu'elles suffisaient à rendre indispensable ses troupes et il n'a pas fait campagne. Résultat : le voici coincé  entre extrême droite et extrême gauche.

Jamais, dans le plus fou de ses rêves, la fille à papa Le Pen n'avait imaginé avoir quatre-vingt-neuf députés, près de dix fois plus qu'en 2017. Elle a visiblement compris que son pire ennemi, c'est elle, que s'exposer dans des débats, c'est faire la démonstration de ses limites intellectuelles et de son incompétence. Dès lors, elle se contente de sourire, de serrer des mains, de se faire photographier aux côtés de ses aficionados et de promettre que demain, avec elle, on rasera gratis. Et voilà le parti des grognons, des rétifs au changement, des tenants de l'identité française sacré premier parti d'opposition.

"Alors, au lendemain de cette élection gueule de bois, que va donc donner l’arrivée massive du RN à l’Assemblée nationale ?, s'interroge Natacha Devanda dans Charlie Hebdo (1) Que vont faire ces nouveaux élus du peuple ? Sans doute, ce qu’ils savent faire de mieux. Éructer et imposer les thèmes politiques. Hier dans les médias, demain dans l’Hémicycle. C’est aussi pour le parti de Marine Le Pen, sacrément mal géré et complètement endetté, un souffle d’air et une arrivée massive de pognon sous forme de subventions publiques. Et encore des collaborateurs, des bureaux et des salles de réunion. Voilà pour l’aspect matériel. Pour le reste, c’est pire. C’est le pouvoir de nuisance qui va être décuplé par la force de nos règles constitutionnelles." (...) "Il y a plus sûrement un risque de voir l’extrême droite s’emparer d’un poste de vice-président de l’Assemblée nationale, ce qui semblait inimaginable jusqu’alors en France. Les commissions spéciales ou d’enquêtes vont aussi leur être ouvertes. Leur temps de parole, donc de bourrage de crânes sur leurs sujets de prédilection, va exploser et, une fois par mois, ils pourront carrément donner le « la » à l’Assemblée nationale en fixant les sujets à l’ordre du jour, qu’il s’agisse d’un débat ou d’une proposition de loi."

Merci qui ? Merci, Macron qui avait promis de réduire les extrêmes lors de son premier mandat et de renouveler la démocratie, mais a gouverné en monarque. Merci à la droite dont certains élus ont banalisé l'extrême droite en la trouvant parfaitement fréquentable. Merci à la gauche qui semble avoir définitivement abandonné les classes populaires pour se perdre dans des combats communautaristes et obscurantistes qui font le jeu de cette extrême droite. Merci, les médias qui ont eux aussi banalisé les idées de l'extrême droite quand ils ne se transforment pas carrément en porte-voix de cette dernière. Il serait bon pour l'avenir de la démocratie que chacun s'interroge sur le rôle qu'il a joué dans cette ascension pas aussi inattendue qu'on veut le croire. (2)

En attendant, comment Macron II pourra-t-il gouverner la France ? "Les Français ne sont d’accord entre eux que pour dire non à Emmanuel Macron, pas pour dire oui à une alternative. Alors comment on fait ?, demande l'éditorialiste de France Inter Thomas Legrand (3). Dans une démocratie parlementaire, ailleurs en Europe, au vu de ces résultats, les forces politiques qui pensent pouvoir partager l'essentiel se réuniraient pour former une majorité après de longues semaines de négociations." Oui, mais la France n'est pas un pays où l'on a l'habitude de négocier, le mot coalition y est inconnu. "Forgés par des décennies d'affrontement, de tout ou rien, nos partis confondent toujours deux mots étymologiquement proches, mais en fait si éloignés : compromis et compromission. Un compromis, de toute façon, ne peut procéder honnêtement que d'une assemblée élue à la proportionnelle dans laquelle chacun sait que ce qu'il pèse dans l'hémicycle correspond à son poids réel dans le pays. Notre système électoral montre ses limites."

Certains observateurs font remarquer que le résultat des élections de dimanche place enfin le parlement au centre. Les élus vont devoir sortir d'un jeu stérile qui opposait jusqu'à présent majorité toute-puissante et méprisante et opposition coincée dans le rejet systématique. Il va falloir construire ensemble, au cas par cas. Les députés en seront-ils capables ? Certains annoncent déjà qu'ils n'aideront en rien le gouvernement, n'attendant qu'une chose : le voir tomber et revenir à de nouvelles élections. Avec une abstention encore plus forte ? 

(1) https://charliehebdo.fr/2022/06/politique/rn-ne-rien-faire-rien-dire-mais-simplanter-bien-profond/?utm_source=sendinblue&utm_campaign=QUOTIDIENNE_20062022_-_ABONNES&utm_medium=email
(2) Lire à ce propos la tribune de Dominique Sopo, président de SOS Racisme :
https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/06/20/politique-a-vouloir-surfer-sur-les-coleres-et-en-esperant-les-recuperer-sur-un-malentendu-on-contribue-a-banaliser-toutes-les-coleres_6131264_3232.html
(3) https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-edito-politique/l-edito-politique-du-lundi-20-juin-2022-1808509

Post-scriptum : https://www.huffingtonpost.fr/entry/macron-sans-majorite-a-lassemblee-peut-il-sinspirer-de-nos-voisins-europeens_fr_62b073ade4b06169ca9c1ffa

samedi 18 juin 2022

Dernière ligne droite (ou gauche ?)

Deuxième tour des élections législatives françaises demain. Le président Macron aura-t-il la majorité ? Devra-t-il composer avec d'autres formations politiques ? Il y a urgence à prendre des mesures radicales pour le climat. Pour cela, on ferait plutôt confiance à la Nupes, même si elle compte sur une relance de la consommation pour financer ses projets, ce qui paraît plutôt contradictoire avec une politique énergétique sobre. Pour une politique internationale apaisée et une progression de l'Union européenne, on compte plutôt sur Ensemble mené par Macron. Bref, une coalition entre le centre-droite et la gauche serait l'idéal. Mais, on l'a dit déjà, la France ne fonctionne que par opposition et clivage.
La preuve en cette semaine de second tour où les uns et les autres se sont traités de tous les maux. Nadia Pantel, dans le Süddeutsche Zeitung (1), constate que le parti présidentiel s'est refusé à appeler les électeurs à faire front contre l'extrême droite, alors que, rappelle-t-elle, de très nombreuses voix de gauche ont fait barrage à la Le Pen et permis à Macron d'être réélu. "Mélenchon est un populiste, écrit-elle, il est souvent agressif et ses opinions concernant l'Europe et la politique étrangère, qui reposent essentiellement sur la haine des Etats-Unis, semblent ne pas avoir été revues depuis les années 1980. Mais Mélenchon n'est pas l'héritier d'un parti fasciste comme Le Pen."
"L'homme est démago et méprisant, certes, lui répond en écho Dorian de Meeûs dans La Libre Belgique (2), mais particulièrement malin et tenace. Peu d'observateurs ont vu ce vieux renard de la politique tenir bon. Mélenchon élève le culot au rang d'art." Par exemple, en appelant les Français à l' "élire" premier ministre, ce qui est une "aberration constitutionnelle". Mais Macron lui a laissé un boulevard. De diverses manières. "L'interminable formation de son gouvernement a laissé un vide surexploité par un Jean-Luc Mélenchon déchaîné, dont le culte de la personnalité, la paranoïa et les provocations ont occupé tout l'espace." Mais Emmanuel Macron a aussi lui-même donné des armes à Mélenchon chantre d'une VIe république. Il avait promis une réforme du droit électoral, mais n'a rien fait, rappelle Nadia Pantel. "Il a préféré  expérimenter des formes de démocratie directe qui n'ont mené à rien. Comme la Convention citoyenne pour le climat. S'il avait vraiment fait preuve de courage ou simplement d'un peu de détermination à propos du climat, la Nupes serait moins forte aujourd'hui."

Ceci dit, aucune de ces deux formations politiques n'a pu triompher au premier tour. Le parti présidentiel a dégringolé par rapport à ses résultats de 2017, passant de 31,2% à 25,77. Et la gauche est restée stable avec un total de 26% en 2017, quand toutes ses composantes se présentaient isolément, et 25,66% aujourd'hui où elle s'est présentée unie. Par contre, le RN-ex-FN a progressé de 13,2% à 18,6. Pourcentage auquel il faut ajouter 4,2%, le score (même s'il est piètre) de Reconquête, le parti de Zemmour (dont la carrière politique aura sans doute été un feu de paille) (3). Bref, l'extrême droite est à près de 23% aux législatives, après avoir totalisé 32,15% au premier tour de l'élection présidentielle et 42% au second.
Autre constat inquiétant au premier tour : comme annoncé, la participation fut faible, voire calamiteuse. Moins de 50 % des Français ont été voter. Seuls 30% des moins de 35 ans se sont rendus dans les bureaux de vote.
Le système majoritaire des élections françaises laisse de côté les perdants. De ce fait, les assemblées d'élus reflètent très mal l'état de l'opinion. "Voilà pourquoi, écrit François Brousseau dans Le Devoir (4), cette grande et vieille démocratie, fondatrice de la nation moderne incarne si mal la distance qui s'est creusée au fil des ans entre le peuple et sa représentation politique." 

(1) Nadia Pantel, "Arrêtez de crier au loup, M. Macron !",  Süddeutsche Zeitung (Munich), 13.6.2022, in Le Courrier international, 16.6.2022.
(2) Dorian de Meeûs, "Quel culot M. Mélenchon !", La Libre Belgique, 12.6.2022, in Le Courrier international, 16.6.2022.
(3) Paul Ackermann, "L'extrême droite, l'autre vainqueur", Le Temps (Genève), 13.6.2022, in Le Courrier international, 16.6.2022.
(4) François Brousseau, "La France face à un malaise démocratique", Le Devoir (Montréal), 13.6.2022, in Le Courrier international, 16.6.2022.

vendredi 17 juin 2022

L'avis de l'expert

On ne conteste pas à Willy Schraen sa place dans l'émission Les Grandes gueules. Il est parfaitement outillé pour y prendre part. Mais quand même, les chasseurs se sentent-ils vraiment bien représentés par ce complotiste ? Voilà qu'il laisse entendre que la météo serait de mèche avec la NUPES et les écologistes. 
“Il faut reconnaître qu’il va faire chaud pendant trois jours”, a-t-il déclaré le 14 juin, mais il trouve “bizarre” que pendant l’entre-deux-tours, “on nous explique du matin jusqu’au soir depuis deux jours : ‘Attention l’écologie machin’.” Il en est convaincu : "il y a une vraie manipulation". Et là le président des "premiers écologistes de France" (les chasseurs donc) se montre très fin : ces alertes aux vagues de chaleur "finissent par desservir l'écologie". On voit par là qu'on a affaire à un expert.

https://www.huffingtonpost.fr/entry/legislatives-sortie-de-willy-schraen-sur-la-canicule-et-la-nupes-passe-mal_fr_62a878bee4b0cf43c84e9f9c

jeudi 16 juin 2022

Passion triste

C'est une vraie question : mais pourquoi donc en France le président de la République, une fois élu, réélu dans ce cas-ci, doit-il remplacer son gouvernement pour une durée de quelques semaines en attendant les législatives ? En intimant l'ordre à ses néo-ministres de se faire élire ou réélire sous peine de devoir démissionner. Pourquoi n'attend-il pas le renouvellement de l'Assemblée nationale pour nommer ses ministres ? Ce système n'a aucun sens, non ? Ne serait-il pas plus cohérent d'organiser d'abord les législatives, puis la présidentielle ? Ne faudrait-il pas en finir avec ce régime présidentiel monarchique qui donne à la démocratie française une allure pyramidale et qui amène les Français à tout attendre de leur président et à le rendre responsable de tout ce qui dysfonctionne dans leur vie quotidienne ?
Le système à deux tours est peu démocratique, très peu par rapport au système proportionnel. Une seule opinion politique emporte la mise même si elle gagne d'un chouïa.
Il serait temps que la France sorte de la verticalité et de la dichotomie et entre dans une culture du compromis.

En 2014, Thomas Legrand, éditorialiste à France Inter, l'écrivait déjà (1) : les législatives à la suite de la présidentielle sont régies "par le fait majoritaire qui fige les forces politiques dans la bipolarité et dans l'opposition frontale, générale et systématique, entre elles".
François Hollande, de son côté, constatait que "dans d'autres pays, ils y vont fort pendant les campagnes, mais ils se disent Attention, on va peut-être être obligés de se retrouver après !" alors qu'en France vous combattez en vous disant toujours De toute façon, toi, je te trouverai toujours en face de moi, jamais avec moi... Et ça c'est à cause du mode de scrutin."
Thomas Legrand proposait alors de dé-hystériser l'élection présidentielle, de retirer au président la possibilité de nommer le Premier ministre et le gouvernement et de faire en sorte que l'exécutif procède du parlement et non plus du directement du président. En France, constatait-il, on préfère "l'affrontement au compromis, la bataille des hommes à celle des idées".
Aujourd'hui, il semble que le deuxième tour des législatives se résume à un choix entre Macron et Mélenchon, les idées - et même les candidats de terrain - semblent très secondaires, alors que les enjeux par rapport à l'Union européenne, aux autocraties, au populisme, au réchauffement climatique, à l'avenir de la planète sont cruciaux. Mais on se passionne pour un match de catch. 

(1) Thomas Legrand, "Arrêtons d'élire des présidents !", Stock, 2014.
(Re)lire sur ce blog "Monarchie française", 14.6.2020.

vendredi 10 juin 2022

Autant savoir

La NUPES, ce rassemblement des gauches françaises, le reconnaît : elle n'a pas réglé en son sein les questions internationales. Les partis qui la composent ont parfois des positions diamétralement opposées sur l'Union européenne, sur l'OTAN ou sur les régimes autocratiques. Ces derniers ont toujours été protégés par La France dite insoumise (mais pas à l'autorité). 

Schams El Ghoneimi, conseiller politique du groupe Renew au Parlement européen, rappelle l'attitude bienveillante qu'a souvent eue la France insoumise :
"J’ai négocié, dit-il, en novembre 2021 la résolution avec Nathalie Loiseau sur les mercenaires du groupe Wagner, à 100% contrôlé par Poutine, responsable d’atrocités en Syrie, en Ukraine, en RCA, en Libye, au Mali. Les Verts et le PS l'ont soutenue, mais LFI s’est abstenue et a boycotté les négociations. Seuls LFI et le RN ont refusé de co-signer la résolution dénonçant le groupe Wagner.
En décembre 2021, LFI a voté carrément contre la résolution sur la situation à la frontière ukrainienne, avec le RN bien sûr. Les Verts, le PS, les centristes et LR ont voté pour ce texte qui dénonçait des signaux militaires très inquiétants de Poutine, deux mois avant l’invasion. LFI a refusé de co-signer la résolution sur la frontière ukrainienne qui, en son point 1, affirmait que  “Le Parlement européen soutient l’indépendance, la souveraineté et l’intégrité territoriale de l'Ukraine.".  
Février 2022 la majorité de LFI s’est abstenue sur la résolution condamnant la peine de mort en Iran, alors que plusieurs Français innocents (chercheurs, touristes) y risquent leur vie en prison.
En septembre 2021, LFI s’est abstenue (tout comme le RN) sur la résolution proposée par @GrudlerCH sur la corruption au Liban. Car la “responsabilité particulière du Hezbollah dans la crise" y est clairement dénoncée, ainsi que la responsabilité d'Assad dans la crise des réfugiés syriens : inacceptable pour LFI, car le régime syrien et le Hezbollah sont pro-Iran, pro-Poutine, anti-USA. 
En janvier 2021 la majorité de LFI s’est abstenue (tout comme le RN) sur la résolution dénonçant la répression à Hong Kong. Inacceptable de demander la libération immédiate de militants pacifistes et de journalistes, car c’est critiquer la Chine, que Mélenchon soutient car son régime est anti-USA." 

Dans le reportage dessiné qu'il consacre au meeting qu'a tenu Le MélenChe dans le 11e arrondissement de Paris (1), Foolz constate que le gourou de la NUPES s'est abstenu de dire le moindre mot à propos de l'Ukraine.
" Mélenchon, bien qu’ayant rectifié son discours après le 24 février, reste fondamentalement un sympathisant de Moscou, constate Alla Lazareva, correspondante de Oukraïnsky Tijden  (2). Il faut cependant admettre que pour les Verts et les socialistes, la survie de leur propre force politique est plus importante que le droit à la liberté, l’égalité et la fraternité pour lequel meurent aujourd’hui les Ukrainiens, et pas les Français. La guerre a fait remonter cette vérité à la surface.
La journaliste est amère et a bien le droit de l'être. "S’ils scrutent de près les symboles imprimés sur les tee-shirts des combattants du régiment Azov [unité nationaliste ukrainienne fondée par des militants d’extrême droite et régulièrement désignée comme nazie par la propagande russe], les Français se pardonnent aisément leurs 42 % en faveur de Le Pen au second tour de la présidentielle, et le soutien massif en faveur de Mélenchon de la part de la gauche modérée. Ils n’ont pas, vis-à-vis de leur propre radicalisme, les mêmes exigences que vis-à-vis de celui, supposé, des Ukrainiens, en dépit du fait que l’Ukraine se défend contre une agression armée directe, alors que la France, elle, a la chance de vivre sous un ciel pacifique. Une des causes de cette exigence sélective, c’est le caractère de la radicalisation électorale dans cette Gaule bénie. Elle a pour origine la colère face à la fin d’un certain confort, le sentiment d’un bien-être menacé, la peur et l’incertitude face à l’avenir. Le rêve impérial n’a pas été totalement éradiqué par la république. L’agression russe est comme un miroir magique déformant dans lequel bon nombre de Français redoutent de plonger le regard, de peur de s’y voir."

(1) Charlie Hebdo, 8.6.2022.
(2) https://www.courrierinternational.com/article/vu-de-kiev-au-moment-de-voter-la-france-oublie-l-ukraine

jeudi 9 juin 2022

Pas dupes de la Nupes (ni des autres)

Dans le courrier des lecteurs de Charlie Hebdo récemment (1), un certain LucS. B s'étonne de voir que l'hebdomadaire satirique, après avoir torpillé Macron et le RN tire "à boulets rouges" sur Mélenchon. Il trouve Charlie difficile à comprendre : "si on vous suit bien, il ne nous reste plus qu'à voter pour LREM aux législatives, et ensuite, vous pourrez recracher votre venin sur la Macronie et ses affidés".
Ce lecteur tire des conclusions surprenantes et pour le moins simplistes. S'attaquer à l'extrême droite et à la Macronie impliquerait-il forcément de soutenir les yeux fermés cet attelage hétéroclite qu'est la NUPES et son gourou, le si clivant et de moins en moins laïc Mélenchon ? Toute analyse critique devrait-elle être évitée ? On a compris que la NUPES a de quoi inquiéter (2) et on voit et entend chaque jour certains de ses chefs de file éructer et chercher à augmenter son indice de bruit médiatique. La France dite insoumise a d'ores et déjà décidé que le prochain chef du gouvernement français serait son lider maximo. Dans cette campagne électorale assez calme, l'affiche qu'on voit le plus est d'ailleurs celle de celui qui n'est pas candidat aux législatives : "Jean-Luc Mélenchon, premier ministre". Le dauphin de ce dernier estime que le président Macron, qu'il appelle "bonhomme", n'aura pas le choix. Devant l'indignation que suscite cette appellation, il répond par des propos de comptoir (3). On soupire. Et on en arrive, au moins un peu, à comprendre l'inquiétant désintérêt des électeurs français pour ces élections. Actuellement, seuls 46% d'entre eux sont prêts à aller voter dimanche. L'abstention pourrait battre des records. 
"Un peu comme lors des dernières régionales, il semble que les Français connaissent extrêmement mal les candidats en présence ou n’ont pas envie de s’y attarder", écrit Brice Teinturier, directeur général délégué d’Ipsos (4). "Tout se passe donc comme si cette élection était intégralement nationalisée, avec une attention très faible des Français pour la dimension locale de leurs candidats et pour leurs propositions." De quoi décourager dès lors les candidats de terrain qui voient débarquer, de plus en plus nombreux, des candidats parachutés. On en trouve dans tous les partis (5).
Evoquant les diverses causes qui expliquent "l’atonie du corps électoral et l’absence de dynamique", Brice Teinturier y relève celle-ci : "dans cette élection dont l’issue semble jouée d’avance, il n’y a ni désir ni confiance forte pour Ensemble ! et pour la Nupes. En 2017, les Français découvraient M. Macron, approuvaient ses premières mesures et étaient sensibles au profond renouvellement du personnel politique qui se profilait. Rien de cela en 2022. Dans de très nombreux domaines, les niveaux de confiance sont faibles ou très faibles, le gouvernement est perçu comme insuffisamment renouvelé et son action beaucoup trop lente. Mais, à l’inverse, si la Nupes l’emportait, les Français considèrent qu’elle ne ferait globalement pas mieux et même moins bien sur la plupart des sujets soumis à leur jugement." 
Résumons-nous : la démocratie n'est pas au mieux de sa forme.

(1) "On a reçu ça", Charlie Hebdo, 18.5.2022.
(2) (Re)lire sur ce blog "Vieilles pratiques et faux espoirs", 15.6.2022 et "Une gauche suicidaire", 7.5.2022.
(3) https://www.huffingtonpost.fr/entry/legislatives-2022-manuel-bompard-qualifie-macron-bonhomme-mepris-repond-lrem_fr_629e3800e4b0b1100a6778fd?ncid=other_huffpostre_pqylmel2bk8&utm_campaign=related_articles
(4)  https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/06/08/elections-legislatives-2022-le-risque-du-desinteret_6129345_823448.html
(5) https://www.huffingtonpost.fr/entry/aux-elections-legislatives-2022-ces-candidats-ne-pourront-pas-voter-pour-eux_fr_629f4221e4b090b53b89821a

lundi 6 juin 2022

Larmes de crocodiles

Posséder une arme et même plusieurs est une liberté fondamentale pour quantité d'Américains. Les Etats-Unis comptent aujourd'hui 120 armes pour 100 personnes. Durant la pandémie, les ventes ont fortement augmenté : 20 millions d'armes vendues en 2020 et 18,5 millions en 2021. Pour tuer le virus ? 
La moyenne quotidienne aux Etats-Unis est de 321 victimes d'armes à feu, dont 42 cas de meurtres et 65 de suicide. 
Les massacres se succèdent sans que la raison ne puisse l'emporter. Le 24 mai dernier, à Uvalde, petite ville du Texas, un jeune homme a abattu froidement dix-neuf enfants et deux enseignants. Des morts révoltantes qui s'ajoutent à tant d'autres : 60 à Las Vegas, 49 à Orlando, 28 à Sandy Hook, 13 à Columbine, 10 à Buffalo et d'innombrable autres partout ailleurs. Hier encore, au moins trois morts à Philadelphie (0). Visiblement, les élus américains partisans d'un contrôle strict du droit à acheter et détenir une arme ne seront jamais assez nombreux. "Davantage d'armes partout, moins de contrôles, moins de règlementations : depuis Sandy Hook (2012), notre pays régresse plus que jamais vers la barbarie", s'indigne David Frum dans The Atlantic (1). "Et il n'y a rien de plus barbare que l'insensibilité du monde politique à la litanie des tueries de masse", ajoute Roxane Gay du NewYork Times (2).

Dans Charlie Hebdo (3), Jean-Yves Camus relève que "les Etats-Unis sont de culture protestante, et cela importe. Les défenseurs des armes sont souvent les mêmes que ceux qui ont une aversion envers tout empiétement de l'Etat sur leur droit naturel à vivre comme ils l'entendent. Et cette défiance vis-à-vis de toute régulation des droits individuels vient d'une interprétation dévoyée de la tradition protestante de résistance au pouvoir temporel absolutiste, tradition que l'Histoire explique, mais qui s'est transformée, outre-Atlantique, en individualisme libertarien". Le politologue souligne aussi l'injonction contradictoire que contient la théologie de Calvin sur la responsabilité humaine : l'homme a une responsabilité à faire le bien, mais tout ce qui arrive - les éléments naturels comme nos actions - est déterminé par la toute-puissance d'un Dieu qui détermine d'avance qui sera sauvé et qui ne le sera pas. "L'Américain moyen n'est pas théologien. Il retient donc qu'une tuerie entre dans le dessein de Dieu, dont la volonté nous est incompréhensible mais qu'il faut accepter." Et donc, pour lui, il ne sert à rien de légiférer, "il suffit de craindre le jugement de Dieu". 
Et de prier, comme le fait hypocritement la NRA, le tout-puissant lobby des armes : "en nous réunissant à Houston, nous réfléchirons à ces évènements, prierons pour les victimes, rendrons hommage à nos membres patriotes et promettrons de redoubler nos engagements pour rendre nos écoles sûr". Lors de cette convention de Houston précisément, le président de la NRA, Wayne LaPierre, a été pris à partie par le duo d'humoristes The Good Liars (4). "Les médias de gauche disent que Wayne LaPierre n'en fait pas assez pour arrêter les fusillades, a dit l'un d'eux, mais ce n'est pas vrai. Ses pensées vont aux victimes et il prie pour les familles." Avant d'ajouter : "Peut-être que ces fusillades de masse cesseraient de se produire si nous pensions tous un peu plus et prions un peu plus. Je demande à tout le monde dans cette salle de prier un peu plus". L'ironie amère de l'humoriste a échappé à certains congressistes assez stupides pour l'applaudir, pas au président LaPierre coincé dans son discours nauséeux.
"Le plus honteux, pour les Etats-Unis, écrit encore Roxane Gay, c'est de savoir que toute la rage, toutes les protestations, tous les chagrins du monde ne changeront absolument rien au rapport de ce pays avec les armes à feu et avec la vie humaine."


(0) https://www.huffingtonpost.fr/entry/etats-unis-une-fusillade-a-philadelphie-fait-3-morts-et-11-blesses_fr_629c7951e4b0b1100a65c6d0
(1) David Frum, "Les Américains ont les mains pleines de sang", The Atlantic, 24.5.2022, in Le Courrier international, 2.6.2022.
(2) Roxane Gay, "Armes, IVG : la révolte est légitime", The New York Times, 25.5.2022, in Le Courrier international, 2.6.2022.
(3) Jean-Yves Camus, "Tuerie d'Uvalde - Dieu reconnaîtra les siens", Charlie Hebdo, 1.6.2022.
(4) https://www.lalibre.be/international/amerique/2022/05/30/le-president-de-la-nra-ridiculise-il-fait-assez-pour-empecher-les-fusillades-il-prie-pour-les-victimes-X5HTHHWH2RHJTHGNKTLLS7MREA/

jeudi 2 juin 2022

L'urgence (à partir en vacances)

La planète va mal ? Ben, nous aussi.
Dans un dossier intitulé "Une saison en enfer", le Courrier international de ce jour explique que les tempêtes de sable étouffent les pays du Moyen-Orient, que les Pakistanais meurent de chaleur, que la Sibérie est dévorée par les flammes, que les Etats-Unis connaissent la pire sécheresse depuis douze siècles, que la famine guette la Corne de l'Afrique

Partout, les agriculteurs s'inquiètent des sécheresses qui se répètent. Les nappes d'eau sont beaucoup trop basses pour la saison. Les niveaux des rivières aussi. Vingt-quatre départements de France métropolitaine sont déjà soumis à des restrictions d'eau.
En Belgique (1), un agriculteur dit conventionnel estime que plusieurs de ses cultures sont en péril : haricots, épinards, carottes. Ses céréales s'en sortent, mais avec moins de rendement. Les betteraves poussent mieux. Mais il est obligé de faire des choix dans les arrosages et pense essayer des cultures plus méridionales. Un agriculteur bio dit s'adapter en choisissant des variétés résistantes aux sécheresses et en effectuant des rotations longues pour éviter l'épuisement des sols et casser le cycle des maladies et des mauvaises herbes.

Les sécheresses, les incendies, les tempêtes de sable, les famines, on en connaît la cause : le réchauffement climatique qui progresse sans cesse et sans que nous ne y opposions vraiment. Au contraire.
En France, le secteur du tourisme s'en est réjoui : dix millions de Français se sont offert des vacances durant le week-end de l'Ascension. Les autoroutes étaient bondées. Les compagnies aériennes ont rajouté des vols en urgence tant la demande était importante. Que du bonheur !
Dans Le Monde Guillemette Faure (2) se moque de celles et ceux qui sont bien conscients de la nécessité de changer nos habitudes, qui "ont été parmi les premiers à s’inquiéter du réchauffement climatique, à hurler contre les 4 × 4 en ville, à acheter leurs légumes dans une AMAP, à être capables d’effectuer un détour de 500 mètres pour aller jeter leurs épluchures dans le composteur du quartier", mais qui doivent continuer à prendre l'avion. "Les voyages, c’est leur « petit plaisir », disent-ils comme des végétariens reconnaîtraient craquer occasionnellement pour un burger. Après tout, est-ce si grave de prendre l’avion pour un week-end de trois jours dans une capitale européenne quand on apporte ses sacs en papier et ses bocaux au marché pour éviter les emballages ? " Ils ont bien sûr quantité d'explications et d'excuses : "on va faire autrement bientôt, mais en attendant on s’arrange comme on peut. Il faut que tout le modèle change. On prendrait bien le train, mais les TGV sont trop chers/trop pleins."

"Le mode de temporalité qui domine à l’intérieur de nos sociétés contredit le souci écologique non seulement parce que le temps y détient le monopole de la contrainte psychique légitime, mais aussi parce qu’en parlant d’urgence écologique, on pense en homologie avec ce que l’on condamne. L’urgence met sous pression. On agit en urgence devant la violence et la mort. L’urgence s’adapte donc parfaitement à la destructivité soft du consumérisme. Elle nous grise, mais ne rend pas le monde habitable." Voilà ce qu'écrit dans Libération Hélène L’Heuillet, psychanalyste et professeure de philosophie à l’université Paris-Sorbonne (3) L’idéologie fonctionnelle nous prive aussi de notre horizon mental, en rendant attractif un mode de vie seulement machinal. Elle s’oppose à toute évaluation normative des attentes à l’égard de l’existence personnelle et collective. La seule norme comportementale devient, dans ce contexte, de «bien fonctionner». La marginalité n’est plus tant déviance que dysfonctionnement. Dans cette logique de problem solving, l’écologie n’est qu’un «problème à résoudre» ; et c’est précisément ce qui empêche sa résolution. Un monde habitable n’est pas un monde fonctionnel, mais un monde où la vie vaut la peine d’être vécue." Il faudrait parvenir à "sortir de la culture de la consommation, qui avale tout", dit-elle encore.

Et pendant ce temps, Xavier Bertrand, président de la région Hauts-de-France, respecte une de ses promesses de campagne des élections régionales : il achète les anti-éoliens. La région a accordé 170.000 euros à l'association Stop Eoliennes Hauts-de-France (4). Cette somme sera utilisée pour acter en justice contre des projets éoliens. Autant en emporte le vent.  L’opposition de gauche dénonce le caractère opaque de l’association et ses accointances climatosceptiques. Le jour de la délibération, constate Le Monde, la page Facebook de Stop Eoliennes Hauts-de-France relayait une vidéo intitulée « Le GIEC vous ment ». Bertrand, lui, comme tant d'élus et tant de citoyens, se moque de la planète. Après lui les mouches. S'il en reste.