dimanche 9 février 2025

L'enfermement d'un homme libre

Dans son roman "Le Village de l'Allemand - ou le journal des frères Schiller" publié en 2008 (1), Boualem Sansal fait débarquer un de ses personnages principaux, Malrich qui vit en région parisienne, à l'aéroport d'Alger. Là, comme d'autres voyageurs, il est maintenu à l'écart, interrogé, puis enfin laissé libre d'aller où il veut. Mais d'autres n'ont pas cette chance, embarqués dans un camion, vers une destination inconnue. "Longtemps, je me suis demandé ce qu'étaient devenus ceux de l'autre groupe. Je refusais de penser qu'ils les avaient torturés, tués, déportés ou quoi d'autre. Je préfère croire qu'ils les ont simplement jetés en prison et que les parents ne seront pas inquiétés."

Il y aura bientôt trois mois, l'écrivain algéro-français a vécu la même chose que ce qu'il décrivait dans ce roman il y a dix-sept ans. Il a été arrêté à sa descente d'avion en provenance de Paris et envoyé en prison par le gouvernement algérien.
"Assez, crie son éditeur Jean-Marie Laclavetine (2). Assez de prudence diplomatique, assez de chuchotements dans les couloirs des chancelleries, assez de mises en garde sur le caractère ombrageux des dirigeants algériens qu’il ne faudrait surtout pas braquer, assez de lâchetés camouflées sous les rodomontades, assez de « oui, mais », assez de défilements, assez d’hypocrisie."
Faute de visa, l'avocat de Boualem Sansal ne peut lui rendre visite. Malade, il a été hospitalisé, puis renvoyé à l'isolement en prison. "Boualem Sansal est utilisé avec cynisme et cruauté par des dirigeants qui veulent faire payer à la France des différends qui n’ont rien à voir avec lui, ni avec son œuvre."
La protection consulaire a été refusée à Boualem Sansal, "coupable d’avoir écrit et parlé en homme libre".
Jean-Marie Laclavetine le considère comme un prisonnier d’opinion, "enfermé au mépris des droits de la défense, des règles internationales et des simples lois d’humanité".
"Vous qui gouvernez la France, dit-il encore, comment pouvez-vous supporter une situation aussi insultante, une telle atteinte aux droits d’un citoyen français, qui est par ailleurs une des grandes voix de notre littérature ? Votre inertie est inacceptable, comme est inacceptable l’instrumentalisation du cas de Boualem Sansal par des politiciens de tous bords  (...). Un seul mot d’ordre doit prévaloir, en dehors de toute considération partisane : il faut libérer Boualem Sansal."

Il a compris que l'islamisme et le nazisme c'était du pareil au même. Il a voulu voir ce qui nous attendait si on laissait faire comme on a laissé faire en Allemagne, à Kaboul et en Algérie où les charniers islamistes ne se comptent plus. Au bout du compte, ça lui a fait tellement peur qu'il s'est suicidé. Il pensait qu'il était trop tard, il se sentait responsable, il disait que notre silence était de la complicité, il disait que nous sommes dans le piège et qu'à force de nous  taire en faisant semblant de discutailler intelligemment, nous finirons par devenir des kapos, sans nous en rendre compte, sans voir que les autres, autour de nous, le sont déjà.
Boualem Sansal, "Le Village de l'Allemand - ou le journal des frères Schiller".

(1) nrf - Gallimard.
(2) https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/02/02/boualem-sansal-prisonnier-pour-delit-d-opinion-reste-enferme-au-mepris-des-droits-de-la-defense-et-des-regles-internationales_6527783_3232.html
A lire : https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/11/29/smain-laacher-sociologue-des-deux-cotes-de-la-mediterranee-boualem-sansal-et-kamel-daoud-sont-consideres-comme-des-traitres_6420829_3232.html

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