lundi 11 août 2025

Une autre voix

On l'a écrit déjà, dans le conflit israélo-palestinien, ce qui compte pour chacun des deux camps, c'est l'éradication de celui d'en face beaucoup plus que l'intérêt des siens. Le gouvernement israélien veut (rêve de) supprimer le Hamas bien plus qu'obtenir la libération des otages, tandis que le Hamas veut voir disparaître Israël de la carte, qu'importent les souffrances endurées par les Gazaouis.

Voilà que Netanyahou annonce vouloir occuper l'ensemble de la bande Gaza, au mépris de l'avis du chef d’état-major des forces israéliennes qui a dit tout le mal qu’il pense du plan du Premier ministre. "Si le Général Zamir s’exprime ainsi - et c’est très rare de la part d’un militaire à ce niveau de responsabilité - c’est qu’il voit bien que son armée est devenue l’instrument d’une manœuvre politique", affirmait ce matin sur France Inter l'éditorialiste Guillaume Auda (1). Qui pâtira de cette occupation ? Les otages israéliens et la population gazaouie. Son pari : forcer le Hamas à négocier, même si "rien n’indique que le Hamas veuille bouger. Il garde en mémoire qu’en mars dernier, c’est le Premier ministre israélien qui a rompu la trêve et de fait interrompu le processus de libération des otages."
"Si ce pari échoue, alors l’issue serait de déplacer un million d’habitants sans savoir où les installer sur un territoire en grande partie détruit soumis à de constants bombardements, tout cela sur fond de désastre humanitaire. C’est irréaliste ! (...) D'un côté, vous avez Benjamin Netanyahu dont toutes les décisions semblent guidées par la volonté de se maintenir au pouvoir. Il ménage ses alliés d’extrême droite des jusqu’au-boutistes enclins à sacrifier les otages. Et puis de l’autre, vous avez le Hamas prêt à assumer des jours, des semaines ou peut-être des mois encore le supplice de son propre peuple. Le mouvement islamiste semble déterminé pour sa part à ne pas disparaître de l’équation palestinienne. Dans cette course à la mort, les deux parties au conflit jouent leur survie politique. Deux cynismes qui entrent en collision au péril des vingt derniers otages vivants et de la population palestinienne."

La population gazaouie est prise entre deux feux. L'avocat palestinien Moumen al-Natour vit à Gaza où il lutte depuis des années contre le Hamas. En 2019, il a cofondé le mouvement de protestation « We want to live ». Il a été arrêté à plusieurs reprises et, comme d'autres opposants au Hamas, torturé par ce dernier. La Neue Zürcher Zeitung (NZZ, quotidien suisse en langue allemande) l'a récemment interviewé (2).
Avec sa famille, il vit dans les ruines de sa maison à Gaza. "Comme je suis persécuté par le Hamas, je vais bientôt déménager. La misère est grande. Le Hamas aggrave la situation, car ses partisans volent la plupart des biens humanitaires, avec l'aide de bandes alliées et de voleurs. Presque toute la nourriture vendue sur les marchés provient des camions volés."
Les responsabilités de la misère et de la famine "bien réelle"et "dangereuse" dont souffrent les Gazaouis sont partagées selon lui. "Israël et le Hamas sont tout autant responsables. Le Hamas vole la nourriture des habitants, c'est leur seule source de revenus. Israël est responsable de l'absence de zone de sécurité humanitaire à Gaza, où les gens pourraient se procurer de la nourriture ou recevoir des soins médicaux. Cette zone devrait être surveillée par une tierce partie, ni le Hamas ni Israël. Ce serait la clé pour sauver les habitants de Gaza. Si les Israéliens s'en étaient occupés dès le début, beaucoup de gens seraient encore en vie. Ils savaient bien que le Hamas utilise les gens comme boucliers humains, qu'il sacrifie les femmes et les enfants."
Le Hamas, dit Moumen al-Natour, "a probablement perdu plus de 60 % de son personnel militaire, mais il est toujours capable de diriger des bandes loyales. Il se venge des dissidents et de ceux qui le critiquent. Il leur brise les jambes, certains sont tués ou emmenés dans des quartiers reculés de la ville". L'avocat s'oppose depuis longtemps au mouvement terroriste. "Le Hamas est une organisation radicale et totalitaire qui réprime les manifestations par la violence et les arrestations. Mais nous devons prendre ce risque, nous devons élever la voix pour tous ceux qui, dans le monde, veulent dire : Gaza n'est pas le Hamas. Et le Hamas n'est pas Gaza."
Selon lui, une majorité de la population est désormais opposée au Hamas. "Même ceux qui étaient pour avant le 7 octobre les appellent à abandonner enfin. Ils veulent retrouver une vie normale. Il y a quelques jours, des pays européens et arabes ont appelé à désarmer le Hamas. Même le Qatar, qui a armé et financé le Hamas, l'exige. J'espère que c'est la position réelle du Qatar. Peut-être s'agit-il seulement de déclarations destinées aux médias et à l'opinion publique occidentale. Car qui accueille le Hamas, qui héberge ses entreprises, qui le soutient dans les médias, sur Al-Jazeera ? Le Qatar ! Si les Qataris sont sérieux, ils devraient arrêter les dirigeants du Hamas et confisquer leurs biens. Ils devraient donner cet argent à la population qui souffre."
Moumen al-Natour est très critique par rapport à Al-Jazeera. "Le Hamas s'est forgé une forte influence dans les médias. Il est soutenu par la chaîne internationale Al-Jazeera, contrôlée par le Qatar, qui cite principalement des voix favorables au Hamas. Ceux qui pensent autrement à Gaza ont peur. Les gens comme moi ont rarement une tribune. C'est pourquoi nous appelons les médias à s'ouvrir et à ne pas faire confiance à des médias comme Al-Jazeera."
Critique aussi par rapport aux manifestations Free Palestine. "Toutes ces manifestations ne servent à rien à la population de Gaza. Personnellement, je vois les choses ainsi : ces manifestants aident le Hamas, pas la population de Gaza. J'ai vu des photos de manifestants habillés comme Abu Obeida (un porte-parole du Hamas). Mais je n'ai jamais vu de manifestants qui reprenaient notre revendication d'une zone de sécurité humanitaire."
Quelle issue à ce conflit sanglant ? "Il y a deux possibilités : soit le Hamas capitule, soit des zones de sécurité démilitarisées sont mises en place de toute urgence, qui ne soient pas exposées aux bombardements israéliens. Si le Hamas ne capitule pas et qu'il n'y a pas de véritables zones de sécurité, il y aura des décennies de tueries."

Mais le Hamas capitulera-t-il un jour face à un Israël honni (et qui en ce moment fait ce qu'il faut pour l'être plus encore) ? Comme sa charte l'indique, le mouvement islamiste et antisémite rejette la négociation : "il n'y aura de solution à la cause palestinienne que par le jihad. Quant aux initiatives, propositions et autres conférences internationales, ce ne sont que pertes de temps et activités futiles" (3).
Il y a urgence à sortir de la bienveillance naïve - ou du cynisme. On ne soutiendra réellement les Gazaouis qu'en s'opposant au gouvernement Netanyahou ET au Hamas - et donc au Qatar. 

(1) https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/geopolitique/geopolitique-du-lundi-11-aout-2025-1166926
(2) https://www.nzz.ch/feuilleton/anruf-nach-gaza-fast-alles-essen-wird-von-der-hamas-geklaut-ld.1895932?fbclid=IwY2xjawMC6YdleHRuA2FlbQIxMQBicmlkETFhRDFNazBtdmRqVUJZcDJVAR4-YiQY2FL1kBTzib8gOllGbWOb5A4qSbDnEoVXcBIO9nQUufFQeMDU60v9tg_aem_hoJeYwyTRBxAXbcYCL6GaQ
(3) Extraits de la charte du Hamas de 1988, cités par Thomas Snégaroff et Vincent Lemire in "Israël / Palestine - anatomie d'un conflit", Les Arènes - France Inter, 2024, pp. 109-111.



Aucun commentaire: