lundi 1 septembre 2025

Lettre à mon neveu anonyme

Rentrant d’un week-end familial, je découvre un long commentaire relatif à des billets publiés sur mon blog. Il est « anonyme ». Je n’ai pas l’habitude de publier des commentaires non signés, c’est une règle ici, les lecteurs et commentateurs habituels le savent. Comme d’autres, j’estime qu’un message non signé n’existe pas. Signer ce qu’on a écrit, c’est l’assumer. Ne pas le faire, c’est le contraire. Avec ce blog à mon nom, sans pseudonyme, j’assume ce que j’écris, je ne me cache pas. Celui ou celle qui me répond sans se faire connaître ne joue pas le jeu. Nous ne sommes pas à égalité. Je suis à visage découvert, l’autre pas. 
Dans ce cas précis, je découvre à la fin du commentaire qu’il est écrit par un de mes neveux. Si je compte bien (y compris les conjoints de mes nièces), j’en ai quinze. Je ne sais lequel d’entre eux est derrière ce commentaire. 
Soit. Je l’ai publié
(voir commentaire du billet https://moeursethumeurs.blogspot.com/2025/08/gauche-trumpiste.html) et voici mes réactions.

Mon cher neveu anonyme,

J’ai lu ce que tu m’as écrit. Je me réjouis que tu t’indignes et, j’espère, te mobilises, même si je suis rarement d’accord avec toi, mais l’important reste de dialoguer.

Extrême gauche ou gauche extrême ?

Le Ministère français de l’Intérieur classe LFI à gauche et non à l’extrême gauche, me fais-tu remarquer. Soit. Je parlerai alors de gauche extrême à propos de ce parti qui reste bienveillant avec la Russie de Poutine, est fasciné par le Hamas et entretient une relation assez distante avec la démocratie. Son fonctionnement en lui-même en témoigne : très vertical, le parti d’un homme (que je qualifie de gourou ou de parrain depuis longtemps) comme le décrit précisément le livre « La Meute » écrit par deux journalistes dont l’un a été interdit d’accès aux récentes rencontres de LFI.
Tu trouves « dommage que (je) choisisse de parler de ça mais pas de (mes) nombreux confrères assassinés par le gouvernement israélien ». Ce reproche-là, j’en ai l’habitude. Non seulement sur ce blog, mais aussi dans des combats que j’ai menés, c’est fou le nombre de gens qui m’ont invité à parler d’autre chose que ce que j’abordais. En général, ça témoigne d’une gêne : parlez d’autre chose avec laquelle je serai d’accord avec vous.

10 septembre

Concernant le mouvement de blocage de la France qui semble se dessiner pour le 10 septembre, je lis que tu reconnais  qu’il est bel et bien parti de mouvances d’extrême droite. Donc là, nous sommes d’accord. Tu me dis que « ce mouvement n'est pas du tout un appel à se confiner », mais ça, je ne l’invente pas, je l’ai bel et bien lu et c’était là le premier appel, on le trouve dans de nombreux articles de presse. Depuis, c’est vrai, d’autres, partis et syndicats, appellent, fermement ou timidement, à être dans la rue. C’est bien le signe que ce mouvement rassemble, actuellement, tout et son contraire. Dans Charlie Hebdo, le politologue Jean-Yves Camus, parle « d’un fourre-tout de revendications allant de la politique générale aux intérêts catégoriels. Idéologiquement composite, sans doute aussi faiblement structuré que les gilets jaunes. On peut s’en étonner ou le craindre tant il est indéchiffrable. » (1)

Tu ne veux pas parler de récupération, mais tu affirmes que la gauche veut « se saisir du mouvement mais sans pour autant le récupérer ». Ça, en langage politique, ça s’appelle de la langue de bois. Il faudrait que tu m’expliques la différence que tu fais entre « saisir » et « récupérer ». Qu’il y ait des motifs de protester, bien sûr il n'en manque pas, je l’ai évoqué dans mon billet, mais que la gauche n’arrive plus à se faire entendre qu’en s’accrochant à un mouvement parti de la mouvance d’extrême droite me fait désespérer de cette gauche qui a perdu le nord.

Un dessin de Juin dans le même numéro de Charlie Hebdo résume ce que je pense et qui fait que beaucoup de gens comme moi restent sceptiques et critiques par rapport à ce mouvement gazeux : Mélenchon et Le Pen sont dans une toute petite voiture sur laquelle il est écrit « Blocage du 10 septembre, covoiturage des luttes ». 

Dans le Journal de France 3 du 31 août (19h) étaient interviewés des militants du 10 septembre. Tous anonymes. Pourquoi se cacher derrière des parapluies ou ne laisser filmer que leurs mains pour réclamer la démission de Macron ou une augmentation du pouvoir d’achat ? N’osent-ils pas assumer ces revendications qui n'ont rien de neuf ni d'étonnant ? Ils dénoncent « ces gens (ceux qui nous gouvernent) payés à ne rien faire alors que nous devons travailler toujours plus ». Des propos de Café du Commerce. Aujourd’hui, les réseaux prétendument sociaux sont le Café du Commerce.

Tu écris encore que ce mouvement du 10 septembre veut « bloquer le pays pour faire entendre la voix d'un peuple à qui on demande trop d'efforts et qui ne veut plus de son gouvernement non légitime et corrompu ». J’ai toujours pensé qu’il est très prétentieux de se revendiquer du « peuple » et de se targuer d’être son porte-voix. Seuls les populistes, par définition, l’osent. Le peuple n’existe que dans la bouche de ceux qui veulent berner les citoyens en leur faisant croire à une unité et en s’exprimant à leur place. Un pays est fait d’une multitude de citoyens avec des opinions et des attentes extrêmement diverses, souvent contradictoires. Par ailleurs, j’aimerais que tu m’expliques en quoi le gouvernement Bayrou - pour lequel je n’ai aucune sympathie - est illégitime et corrompu. Sans doute certaines informations me manquent-elles.


Conflit israélo-palestinien

Tu tentes de résumer ce que tu as compris de mon point de vue sur le conflit israélo-palestinien et tu le fais d’une manière qui me sidère et que je considère malhonnête. Je ne sais pas où tu as lu que d’après moi « Il ne sert à rien de manifester pour la Palestine, les militants palestiniens auront mérité qu'on les soutienne seulement quand il n'y aura plus du tout d'homophobie ni de sexisme en Palestine et quand ils seront tous morts (comme ça ce sera officiellement un génocide) ». Quelle caricature !
Il m’est arrivé de dénoncer les incohérences de mouvements occidentaux LGBT ou féministes qui soutiennent le Hamas et méprisent donc de ce fait le sort que réserve le Hamas aux LGBT et aux femmes palestiniennes. L’européanocentrisme de certains qui se drapent dans leur indignation en ignorant sciemment le traitement réservé à ceux dont ils prétendent défendre la cause m’écœure. 
Dans ce conflit (oui, c’est un conflit), je suis des deux côtés : avec les Palestiniens et avec les Israéliens, contre ceux qui s’opposent à la paix et n’ont que mépris pour ce que vivent leurs concitoyens. Les deux peuples sont pris en otage par leurs gouvernements de va-t-en-guerre qui ont choisi la fuite en avant. Je suis pour la paix et donc pour une solution à deux Etats. Ceux qui soutiennent Netanyahou et sa clique sont comme ceux qui applaudissent le Hamas ou qui réclament une Palestine du fleuve à la mer (et donc la disparition d‘Israël) : du côté de la guerre. Et ils n’ont que mépris pour les populations qui souffrent de la guerre, de la menace permanente, de la perte de proches, de l’enfermement d’otages. Je suis de ceux qui pensent que reconnaître un Etat palestinien n’a de sens que s’il est conditionné à une reconnaissance par les deux parties de celle d’en face, à une libération des otages, à un désarmement du Hamas et à un soutien à l’Autorité palestinienne.  
Lis ce que vient d’écrire dans Le Monde l’historien Jean-Pierre Filliu, qui a récemment passé du temps à Gaza (et a été évidemment catastrophé de constater ce qui s’y passe) et qui ne peut être soupçonné de soutenir Netanyahou ni de mépriser les Palestiniens. Son article s’intitule « L’écrasante responsabilité du Hamas dans la catastrophe palestinienne » (2).

« Le nationalisme palestinien a toujours souffert d’un rapport de force écrasant en faveur du mouvement sioniste, puis de l’Etat d’Israël. Il est néanmoins discutable d’éluder la responsabilité de certains dirigeants palestiniens dans les deux désastres historiques que sont la Nakba, la « catastrophe » de 1948, avec l’exode de plus de la moitié de la population arabe de Palestine, et la catastrophe en cours dans la bande de Gaza, d’ores et déjà ravagée.
Dans les deux cas, des mouvements palestiniens en lutte ouverte contre d’autres factions palestiniennes ont fait passer leurs intérêts partisans avant la cause nationale qu’ils prétendaient défendre. Dans les deux cas, ils ont commis plus qu’un crime, mais une faute stratégique, Haj Amin Al-Husseini en s’associant au nazisme en 1941, le Hamas en perpétrant le bain de sang du 7 octobre 2023. » Ce ne sont que les deux premiers paragraphes de son texte que je t’invite à lire.

Lis aussi l’article « Les fascinations morbides de la gauche radicale » écrit par Emmanuel Debono, rédacteur en chef du magazine de la LICRA. Extrait :
« C’est ainsi qu’une partie de l’extrême gauche et certains de ses alliés continuent de la même façon à sublimer les actes commis par le Hamas et ses alliés, ainsi que la guerre d’éradication menée contre Israël, dans la vision irénique d’une guerre juste contre l’oppresseur sioniste. Qu’importe la Charte du Hamas, nourrie d’un complotisme antisémite destructeur, qu’importe la terreur imposée par les fondamentalistes religieux sur les Gazaouis et la transformation du petit territoire palestinien en base armée, construite avec le détournement de l’aide internationale – et notamment européenne. Qu’importe la géopolitique dans laquelle s’insère la guerre qui a suivi le 7-Octobre, le rôle néfaste de l’Iran et de ses proxys palestiniens, libanais et yéménites, ou le rôle trouble du Qatar… Israël est intrinsèquement coupable, par le principe même de son existence. Tout est donc permis contre lui, y compris, et surtout, l’aveuglement idéologique. »


Antisémitisme

Tu me parles du « soi-disant antisémitisme de la gauche, que les gens "raisonnables et pondérés" du centre s'échinent à décortiquer dans les prises de position hostiles envers Israël (et son apartheid, sa politique raciste, son occupation illégale de territoire, ses meurtres de civils, etc). »
Je ne dénonce pas l’antisémitisme de la gauche, mais d’une partie de la gauche. Il est devenu courant, quasi normal chez certains élus de LFI. Et en hausse considérable un peu partout non pas depuis mais dès le 7 octobre 2023. Depuis ce jour-là, depuis que des Israéliens ont été sauvagement assassinés, des femmes violées et éventrées, des bébés tués, depuis lors, des tas de gens, un peu partout, clament ouvertement leur haine des juifs. Et ça, je m’excuserai pas d’en être glacé.


« Depuis l'attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023, la France connaît une recrudescence de faits antisémites. Les Assises de lutte contre l'antisémitisme ont réuni du 27 février au 28 avril 2025 deux groupes de travail, l'un dédié à l'éducation, l'autre à la justice. (…)
Un antisémitisme grandissant
En France, on recense : 1 570 actes antisémites ayant donné lieu à un dépôt de plainte en 2024 (après 1 676 en 2023). 65% d’entre eux sont des atteintes aux personnes : 652 gestes ou propos menaçants et 106 violences physiques. Au premier trimestre 2025, on compte déjà 280 faits antisémites ; 1 670 faits antisémites en milieu scolaire et universitaire durant l’année 2023-2024, contre 400 en 2022-2023 (+317%). Les équipes académiques soulignent la récurrence des apologies du nazisme. » (4)

Je lis en ce moment « Que faire des juifs ? » de Yoann Sfar (Les Arènes). Je lis cette brique de 550 pages par petits morceaux, tant cette lecture est éprouvante, relatant des faits antisémites, anciens comme actuels, tous plus révulsants les uns que les autres. La question que pose Yoann Sfar a tout son sens : les Juifs ont été chassés de tous les pays arabes où ils vivaient depuis toujours, on a tenté de les exterminer en Europe et certaines personnes n’ont pour objectif dans la vie que la disparition d’Israël. Donc que faire des juifs ? 

Tu écris encore : « C’est fou cette tendance à ne parler que de l'antisémitisme (qui est souvent attribué à tort à des positions antisionistes) alors que les crimes racistes en tout genres augmentent, il y a encore deux semaines une CHASSE AU NEGRE a eu lieu dans la creuse, c'est peut-être anecdotique mais ça me semble révélateur de la dangerosité de la montée de l'extrême droite. »
Je te réponds : « c’est fou cette tendance à refuser de voir cette progression inquiétante de l’antisémitisme et à affirmer qu’on ne parle que de cela et non pas aussi du racisme. (De nouveau, tu me dis : ne parle pas de ceci, mais plutôt de cela !) Rien dans ce que j’écris sur ce blog depuis dix-huit ans, rien dans ce que je fais et ai fait dans ma vie ne te permet de laisser entendre que je ne dénoncerai que l’antisémitisme et pas le racisme. Ces deux types de rejet sont aussi inquiétants et abjects. Et il faut les dénoncer et lutter contre eux. Ce que j’ai toujours fait. 

Enfin, tu écris « Et la différence des réaction du gouvernement français face à des actes antisémites ou islamophobes est caricaturale… » Si je te comprends bien, tu considères sans doute qu’on ne dénonce pas suffisamment l’islamophobie. En lisant de nombreux billets de ce blog, tu me considèreras sûrement comme islamophobe. Ce mot a été inventé pour éviter qu’on critique la religion musulmane. Ce qu’on a le droit, et je dirais même le devoir, de faire par rapport à toute religion (les meilleurs moyens qu’on ait inventés pour coloniser les esprits et les corps). Je refuse ce mot d’islamophobie. Soit on parle de racisme et c’est évidement condamnable, soit on parle de critique d’une religion et c’est sain, comme de critiquer toute idée. 

Voilà, cher neveu anonyme, mes réactions aux tiennes. Et j’avais (j’ai encore) bien des choses à dire. Toute situation est complexe et il faut l’accepter. J’essaie de rester un esprit libre, de ne pas hurler avec la meute. Il faut rester critique, ne pas être naïf par rapport aux jeux (dangereux) dans lesquels certains nous enferment ou tentent de le faire. Je me méfie des slogans faciles, des mots à l’emporte-pièce et je refuse les injonctions à me positionner dans tel ou tel camp, ce qui ne signifie pas que je n’en ai pas. Je suis du côté de l’humanisme, de l’écologie, de la solidarité, du féminisme, de la laïcité, de l’universalisme, des Lumières… J’essaie de garder un regard ouvert, critique et, quand c’est possible, ironique, voire provocateur j’en conviens, de ne pas m‘enfermer dans un point de vue unique. 
On peut évidemment discuter de tout ceci. On peut aussi le faire en privé, ce qui me permettra de savoir qui tu es !

Je t’embrasse.

Michel


(1) Jean-Yves Camus, « Langue de bois », Charlie Hebdo, 27.8.2025.
(2) https://www.lemonde.fr/un-si-proche-orient/article/2025/08/31/l-ecrasante-responsabilite-du-hamas-dans-la-catastrophe-palestinienne_6637570_6116995.html
(3) https://www.leddv.fr/opinion/editorial/les-fascinations-morbides-de-la-gauche-radicale-20250720
(4) « Montée de l'antisémitisme en France : une situation « alarmante" (Vie publique - République française, 5.5.2025)
https://www.vie-publique.fr/en-bref/298423-antisemitisme-en-france-une-situation-alarmante