lundi 4 août 2025

Le mépris des siens et des autres

C'est un conflit sur lequel tant de gens se posent en experts et ont un avis arrêté. Les jugements émis aux comptoirs des bistros ou sur les réseaux prétendument sociaux (c'est parfois la même chose) sont définitifs et font loi. Il y a les méchants Israéliens qui commettent un génocide (1) et les gentils Palestiniens qui sont d'éternelles victimes. Et tant pis si la situation est pourtant d'une complexité inouïe et le cynisme partagé. La compassion et l'indignation ne font pas la vérité et bien malin qui la connaît.

La propagande des deux camps fonctionne bien pour démontrer que chacun est dans son droit et est le seul à souffrir. Une bonne partie des Gazaouis souffre de la faim et leur recherche de nourriture se fait trop souvent au péril de leur vie parce qu'ils sont sous la menace de tirs de mercenaires américains ou de l'armée israélienne et parfois aussi, affirment certaine sources, de tireurs du Hamas.
Parfois on apprend qu'une image d'un enfant décharné présenté comme souffrant de malnutrition était en réalité celle d'un petit malade souffrant d'une maladie rare. Tous les jours, les journaux télévisés nous montrent des gens se battant pour obtenir de la nourriture, des images d'enfants mourant de faim. Mais on se le demande : d'où viennent ces images ? Parmi ses nombreux torts, l'armée israélienne a celui d'avoir interdit l'accès à la bande de Gaza à la presse étrangère. On aimerait que les médias nous indiquent d'où viennent alors les images qu'ils diffusent : de l'armée israélienne ? du Hamas ? de qui ?

Récemment, le Hamas et un autre groupe armé à Gaza ont publié des vidéos de deux otages israéliens encagés et décharnés. "Plus qu’un levier de négociation, ces images sont utilisées comme des armes de guerre par le groupe terroriste, estimait ce matin sur France Inter le journaliste Guillaume Auda (2). "Des otages israéliens contraints de se prêter sous l’œil macabre d’une caméra et la menace d’une arme à feu à des mises en scène tout droit sorties d’esprits malades. Ceux de leurs geôliers du Hamas avec en toile de fond un simulacre d’exécution." L'un de ces otages, une pelle à la main, est sommé de creuser sa propre tombe." L'homme n'a plus que la peau sur les os. "De la nourriture, dit-il, il n’y en a pas ! Et c’est vrai, qu’il n’y en a pas de nourriture ou très peu pour les otages. Il y en a pas assez non plus de nourriture pour les deux millions de palestiniens qui vivent assiégés par Israël à Gaza. En revanche, il y en a sans doute en large quantité, des denrées pour les hommes qui filment ces images car le Hamas lui même affaibli a encore les moyens de mener sa guérilla et de manger à sa faim." 
Pour Guillaume Auda, "ce qu’illustrent ces images, c’est le piège mortel dans lequel sont enfermés ces deux peuples israélien et palestinien. D’une part, elles ont eu pour effet de renforcer l’intransigeance de leurs dirigeants. Désormais Israël exige la libération de tous les otages en un bloc et le désarmement du Hamas, en clair sa capitulation sous forme d’ultimatum. Refus catégorique font savoir ses porte-voix tant qu’un Etat palestinien ne verra pas le jour avec Jérusalem pour capitale. Autant dire qu’à ce stade l’impasse est totale." Les souffrances des deux peuples risquent de se poursuivre encore longtemps. "Celles des familles d’otages et de leurs proches en Israël dont les plaies ne se refermeront pas tant qu’ils ne seront tous pas rentrés. Et puis de l’autre côté, la population à Gaza coincée entre les bombardements israéliens, la famine qui menace et la férule du mouvement islamiste."

"Le drame de Gaza, écrit Caroline Fourest dans Franc-Tireur (3), c’est la définition de l’enfer. Celui de civils gazaouis piégés par le Hamas, qui s’en sert comme boucliers humains, et par l’armée israélienne, qui les traite comme des dommages collatéraux. Le drame de Gaza, ce n’est pas un génocide (1), mais une très sale guerre née d’un pogrom, menée par une armée puissante décidée à éliminer un voisin ayant juré sa mort, quoi qu’il en coûte. Un coût inhumain."

Dans Charlie Hebdo (4), son rédacteur en chef Gérard Biard dénonce les tirs de l'armée israélienne sur des foules qui cherchent juste à se nourrir et ne constituent aucune menace. "Si le mépris qu'ont Netanyahou  et d'autres responsables et élus israéliens pour la vie des Palestiniens  - et par la même occasion pour la vie des otages israéliens toujours détenus à Gaza - est patent, le Hamas a lui aussi prouvé qu'il faisait peu de cas du sort de sa population, qu'il considère avant tout comme un bouclier humain et une chair sacrificielle pour la cause. Plus les Gazaouis souffrent et meurent, de faim, de soif ou sous les balles, plus il est facile de faire d'Israël le monstre absolu - et force est de reconnaître que c'est de plus en plus facile...  (5) La famine est une arme de guerre. Mais il ne faut pas oublier que cette guerre-là est aussi une guerre de communication. Qu'Israël a déjà perdue."

Peut-on entrevoir malgré tout une lueur d'espoir ? "S’il existe un chemin, c’est celui ouvert par la Conférence de l’ONU sur la solution à deux Etats, estime Guillaume Auda. Où pour la première fois des pays comme l’Égypte, le Qatar, la Turquie et même la Ligue arabe en tant qu’organisation appuient la liquidation militaire du mouvement islamiste et l’émergence d’une alternative palestinienne crédible en échange d’une reconnaissance mutuelle Israël - Palestine. Un horizon politique donc, c’est le seul moyen d’obtenir un cessez-le-feu durable, de mettre fin au calvaire des otages et à cette guerre à Gaza où deux millions de Palestiniens n’ont plus aucun recours ni contre la férocité de l’armée israélienne, ni contre le Hamas et son cynisme mortifère."

(1) Sur la notion de génocide, lire l'analyse de Joël Kotek, historien des génocides, professeur à l’Université Libre de Bruxelles, Président de l’Institut Jonathas :
https://www.leddv.fr/analyse/le-mot-de-trop-reflexions-sur-le-terme-genocide-et-son-usage-contre-israel-20250625
L'écrivain israélien David Grossman parle, lui, maintenant, de génocide :
https://www.lemonde.fr/international/article/2025/08/03/david-grossman-celebre-ecrivain-israelien-qualifie-de-genocide-les-actions-d-israel-dans-la-bande-de-gaza_6626397_3210.html
(2) https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/geopolitique/geopolitique-du-lundi-04-aout-2025-4694066
(3) Caroline Fourest, "Le Drame de Gaza", Franc-Tireur, 30.7.2025.
(4) "Gérard Biard, "L'info à l'os", Charlie Hebdo, 30.7.2025.
(5) "La population gazaouie paie le prix d’une stratégie calculée. Yahya Sinwar, chef du bureau politique du Hamas et l’un des architectes de l’attaque du 7-Octobre, abattu le 16 octobre 2024 à Rafah, l’écrivait déjà dans un message adressé aux dirigeants du Hamas réfugiés au Qatar : « L’effusion de sang profitera au Hamas. » Et il n’avait pas tort.", Joël Kotek, op. cit.