mercredi 31 janvier 2018

Y a des jours comme ça

Allez savoir pourquoi, quand j'ai appris la mise en garde à vue de Tariq Ramadan,  j'ai décidé d'ouvrir une bonne bouteille.  Mon choix s'est porté sur un Vino nobile di Montepulciano, cuvée 2011. Excellent!

Note: ceux qui ne comprendraient pas ce billet peuvent lire, sur ce blog,
- "Gourouphilie", 14.11.2017,
- "Guerre sainte et satané humour", 6.11.2017,
- "La boue et le gourou", 28.10.2017,
- "Ces textes glaçants", 8.4.2016
et bien d'autres billets sur ces Tartuffe, spécialistes du double langage.

dimanche 28 janvier 2018

La censure n'a pas d'âge

A quoi se forme-t-on quand on est étudiant? A l'intelligence d'abord. Une série d'étudiants sont déjà recalés (1). Ceux - du syndicat étudiant Solidaires (Solidaires avec qui?) - qui ont demandé à la direction de la faculté Paris Diderot d'annuler la représentation de la pièce de Gérald Dumont inspirée du texte de Charb Lettre aux escrocs de l'islamophobie qui font le jeu des racistes (2). La section locale de l'UNEF a l'intention, nous dit le Printemps républicain, d'envahir l'amphithéâtre pour empêcher la représentation. Censurer un spectacle fondamentalement laïc, antifasciste et antiraciste, voilà un projet de vieux réacs, mais ici menés par des étudiants. La censure n'a pas d'âge, pas plus que la bêtise.
Rappelons qu'il y a trois ans Charb, directeur de Charlie Hebdo, fut lâchement et sauvagement assassiné, comme nombre de ses camarades et collègues, par de jeunes obscurantistes convaincus que, en tirant à la kalachnikov sur des dessinateurs et des journalistes désarmés, ils avaient "vengé le Prophète". "C'est dur d'être aimé par des cons", avait fait dire Cabu à celui-ci, quelques années avant d'être assassiné. Et il aurait pu ajouter "et par d'immondes crapules".
Que dit Charb dans ce texte que certains esprits obscurs veulent faire taire? Il dit que le terme islamophobie est devenu un outil aux mains de ceux qui veulent empêcher toute critique d'une déviance politique intégriste et violente de l'islam. "Non, vraiment, le terme islamophobie est mal choisi s'il doit désigner la haine que certains tarés ont des musulmans. Il n'est pas seulement mal choisi, il est dangereux. (...) Lutter contre le racisme, c'est lutter contre tous les racismes, alors lutter contre l'islamophobie, c'est lutter contre quoi? Contre la critique d'une religion, ou contre la détestation des gens qui pratiquent cette religion parce qu'ils sont d'origine étrangère?".
Ceux qui sont prompts à dénoncer l'islamophobie ne supportent pas l'humour vis-à-vis de l'islam. "Si on laisse entendre qu'on peut rire de tout, sauf de certains aspects de l'islam parce que les musulmans sont beaucoup plus susceptibles que le reste de la population que fait-on sinon de la discrimination? , s'interrogeait Charb. La deuxième religion de France ne devrait pas être traitée comme la première? Il serait temps d'en finir avec ce paternalisme dégueulasse de l'intellectuel bourgeois blanc de gauche qui cherche à exister auprès de pauvres malheureux sous-éduqués."
Etudiants qui vous sentez solidaires des musulmans, n'assassinez pas Charb une seconde fois. Réfléchissez. Lisez attentivement le titre du texte de Charb, lisez le texte (89 pages en grands caractères, ça devrait aller...) (3). Et rappelez-vous, vous qui avez la chance d'étudier à l'Université Diderot, que ce dernier fut un des grands penseurs des Lumières. Pas de l'obscurantisme que vous soutenez par votre tentative de censure.

Post-scriptum: lire, à ce sujet, les pages 2 et 3 de Charlie Hebdo de ce 31 janvier: "Charb n'est plus là, mais ses livres sont encore de trop". Riss y souligne notamment que "demander l'interdiction de la lecture des textes de Charb est une insulte à la mémoire d'un homme qui a payé de sa vie le courage de dire une réalité qu'ils (les étudiants qui se croient antiracistes) fuient lâchement". Gérard Biard y rappelle notamment que "Charb considérait les musulmans et les musulmanes comme des adultes émancipés et des citoyens à part entière. Il combattait autant la haine qu'on leur porte à l'extrême droite que la condescendance méprisante qu'on leur porte à l'extrême gauche".

(1) Comme ceux de l'Université Libre de Bruxelles qui, avec des cris stupides et incompréhensibles, avaient en 2012 empêché un débat sur l'extrême droite. (Re)lire sur ce blog "Faiblesses d'esprit", 8.2.2012.
(2) Ce mercredi 31 janvier à 18h dans les locaux de l'université, amphi Buffon, 15 rue Hélène Brion, Paris 13e.
(3) Charb, Lettre aux escrocs de l'islamophobie qui font le jeu des racistes, éditions Les Echappés, 2015.

samedi 27 janvier 2018

1336

1336, c’est le combat de la souris contre l’éléphant. 1336, c’est 3 ans et 241 jours. 1336, c’est le nombre de jours pendant lesquels les salariés de l’usine Fralib de Géménos, à deux pas de Marseille, se sont battus contre Unilever, propriétaire de leur entreprise, pour conserver leur outil de travail. Ils produisaient thés et tisanes sous la marque Eléphant et leur site était en bonne santé économique. Ce qui n’a pas empêché la multinationale de l’alimentaire de vouloir, en 2010, le transférer en Pologne. En 2014, une petite soixantaine de travailleurs ont sauvé leur emploi et leur outil de travail en créant leur coopérative, Scop-Ti. Leur ambition: créer une "république sociale" dans l'usine comme dans l'atelier.
« Le projet de l’entreprise, expliquent-ils, s’inscrit dans une démarche économique, sociale et solidaire : une gestion démocratique, garantissant l’instauration de qualité de travail satisfaisante pour tous ses acteurs et un engagement dans une recherche de développement de productions plus soutenables. » Ils travaillent avec une coopérative de producteurs de plantes en France, mais aussi avec des cultivateurs de thé à l'autre bout de la planète, dans un esprit de partenariat. Tous les produits vendus sous les marques 1336Bio ScopTi, et Paysans d'ici (avec le réseau Ethiquable), certifiés bio, sont composés à partir d’arômes 100% naturels.

On trouve les produits 1336 / ScopTi dans de nombreux supermarchés en France (voir les sites www.1336.fr et http://www.scop-ti.com). Mais pas suffisamment encore, la coopérative manquant de moyens pour investir dans la communication. Pourquoi ne pas réclamer ces produits à son épicier, son magasin bio ou son supermarché? Il est aussi possible de les commander sur www.1336.fr Via le site, on peut également participer au sociofinancement de cette coopérative roborative. 

mardi 23 janvier 2018

Etre humain

Souvent, l'homme est désespérant. Mais il arrive aussi, et heureusement, qu'il soit réjouissant.
Ce fut le cas à Bruxelles dimanche soir, quand 2.500 à 3.000 personnes ont formé une chaîne humaine près de la gare du Nord pour empêcher la police d'arrêter les candidats réfugiés qui squattent le Parc Maximilien. De toute façon, aucun d'eux n'était présent, tous - quelque 500 personnes - ayant été accueillis dans l'après-midi ou la veille déjà par des habitants qui refusent la politique répressive du gouvernement belge à l'égard de celles et ceux qui fuient guerre et misère (1).
Même la police des zones locales de Bruxelles-Capitale et de Bruxelles-Nord avait refusé de participer à cette opération d'interpellations.
Depuis, ce sont les juges d'instruction qui se sont clairement positionnés du côté de l'humanisme, affirmant leur opposition au projet de loi sur les "visites domicilaires" qui permettrait à la police d'entrer chez les personnes qui hébergent des migrants pour ensuite éloigner ceux d'entre eux qui sont en situation dite illégale. Les juges d'instruction refusent d'être mis d'autorité au service de l'Office des Etrangers: "ce projet de loi détruit l'indépendance du juge d'instruction, principe essentiel à toute société démocratique", disent-ils (2). "Les visites domiciliaires: mais comment a-t-on pu imaginer un truc aussi indigne qu'inacceptable?, demande Xavier Diskeuve dans l'Avenir. Ce projet de loi, selon diverses associations, pourrait aboutir à une criminalisation de l'accueil de migrants, sur le modèle français. Le débat à la Chambre a été reporté d'une semaine et sera précédé d'auditions. 
La mobilisation citoyenne à Bruxelles est réjouissante. D'autant que l'indignation vis-à-vis de la politique gouvernementale s'exprime aussi au cœur de la police et de divers organismes officiels dont des membres, scandalisés par les projets répressifs, n'hésitent à communiquer à la plateforme citoyenne des informations sur les opérations programmées.
En France aussi, de nombreux citoyens n'hésitent pas à transgresser une loi contradictoire avec le principe de secours à des personnes en danger ou en détresse.
Se conduire en être humain, simplement humain, n'est-ce pas le premier des droits de l'homme? Et le premier de ses devoirs?

(1) http://www.lalibre.be/actu/belgique/parc-maximilien-2500-personnes-forment-une-chaine-humaine-en-soutien-aux-migrants-5a64d31dcd70b09cefc82ae5
http://plus.lesoir.be/135418/article/2018-01-21/parc-maximilien-la-demonstration-de-force-des-hebergeurs
(2) http://www.lalibre.be/actu/politique-belge/loi-sur-les-visites-domiciliaires-les-juges-d-instruction-refusent-de-devenir-le-bras-arme-de-l-office-des-etrangers-5a65f196cd7083db8bb43051
http://www.lesoir.be/135733/article/2018-01-23/migrants-le-debat-sur-les-tres-controversees-visites-domicile-sera-reporte
http://www.levif.be/actualite/belgique/mouvement-citoyen-un-texte-controverse-a-la-chambre/article-normal-788037.html




jeudi 18 janvier 2018

Balance ton aéroport!

La décision - logique - du gouvernement français d'abandonner le projet d'aéroport à Notre-Dame-des-Landes amène l'opposition de droite à hurler au reniement. Le candidat Macron avait annoncé son intention de respecter le résultat de la consultation populaire qui, il y a deux ans, avait donné la majorité aux partisans de ce projet des années '60. L'opposition de droite ne veut pas voir qu'en cinquante ans le temps a passé et avec lui la biodiversité et l'état sanitaire de notre (seule) planète.
Le temps des projets des pharaons locaux est terminé. Les nouveaux aéroports, les nouvelles autoroutes, les zones commerciales installées à la périphérie des villes appartiennent à la préhistoire de notre civilisation post-industrielle. Mais certains élus d'un autre siècle ne veulent pas le comprendre, convaincus que leur réélection tient à leur soutien à ce sacré développement économique totalement irrésistible qui, avec son rouleau compresseur, avale sans état d'âme terres naturelles et agricoles, faune et flore et réserves d'eau et pollue l'air autant que la culture de citoyens réduits au pauvre rôle de consommateurs. 
Ce matin, Dominique Seux, dans son éditorial économique sur France Inter, estimait que la décision du gouvernement français "ne sera raisonnable - peut-on penser - qu'à une seule condition: si elle n'entrave pas la vie et le développement économiques du Grand Ouest. Cela veut dire qu'à la seule condition que les aménagements de l'aéroport actuel et l'agrandissement soient réellement effectués pour permettre au trafic aérien d'évoluer comme tous les experts l'ont prévu - jusqu'à 6 millions de passagers en 2025 et 7 en 2030" (1). Dominique Seux semble l'ignorer, mais il se fait le porte-voix du passé, de ce temps de l'économie toute puissante qui impose sa loi. Pourquoi faut-il absolument que le trafic aérien évolue comme les experts l'ont prévu? Pour permettre aux habitants du Grand Ouest d'aller passer un week-end à Barcelone ou à Marrakech? Ou d'aller manger une pizza à Rome ou du caviar à Saint-Pétersbourg via une compagnie low cost qui exploite son personnel? Le développement économique d'une région tient-il encore à celui d'un aéroport ou d'une autoroute? 
L'intérêt collectif est bafoué, affirme un partisan du projet d'aéroport. Réflexion intéressante qui amène à se poser la question de la définition de cet intérêt collectif. On comprend évidemment le ras-le-bol, voire la colère, des riverains de l'actuel aéroport qui vivent - ou survivent - dans un bruit infernal, mais délocaliser les nuisances dont ils souffrent n'a aucun sens. L'intérêt collectif, c'est celui de la planète. Le gouvernement donne raison aux zadistes, se plaignent les soutiens au nouvel aéroport. Tant mieux si c'est la victoire de la cohérence. Le président Macron ne pouvait défendre l'accord de Paris sur le climat et la création d'un nouvel aéroport avec son énorme lot de nuisances.
Au-delà de la décision du gouvernement, on peut se réjouir de voir comme elle est accueillie par l'opinion publique: selon un sondage, les trois quarts des Français l'approuvent, tout autant que l'échéance laissée aux zadistes pour évacuer la zone (2). Les élus locaux et d'opposition qui conspuent l'abandon du projet de Notre-Dame-des-Landes doivent se sentir un peu seuls. Dépassés peut-être?

(1) https://www.franceinter.fr/emissions/l-edito-eco/l-edito-eco-18-janvier-2018
(2) http://www.lefigaro.fr/politique/2018/01/18/01002-20180118ARTFIG00134-notre-dame-des-landes-les-francais-plebiscitent-la-decision-du-gouvernement.php

dimanche 14 janvier 2018

Zappings

J'y arrive. J'ai décidé d'être stoïque en cette année 2018. Je tiens bon. Pour l'instant.
France Gall était sans doute une femme sympathique et généreuse. C'est ce qu'on dit d'elle et je ne vois pas pourquoi je le contesterais. Elle était populaire aussi. Mais ces qualités suffisent-elles pour que "La Librairie francophone", émission littéraire de France Inter et d'autres radios publiques francophones, lui rende hommage? Cette femme qui n'a jamais eu de voix et chantait plutôt mal n'a jamais été connue pour la qualité de ses textes (1). Ce qui n'a pas empêché l'émission de faire appel à Philippe Delerm pour saluer sa mémoire. Il ne manque pourtant pas de jeunes écrivains talentueux et trop méconnus qui mériteraient qu'on parle d'eux. Stoïquement, j'ai coupé le poste.
Le même samedi, le Journal régional de France 3 Centre - Val de Loire commence avec un sujet sur les cohortes de visiteurs qui se pressent au zoo de Beauval pour voir la première sortie du bébé panda. Une demi-heure plus tard, le Journal national, de France 3 toujours, commence avec le même sujet. Stoïquement, j'ai zappé.
Mais quand même... J'avais trouvé excessive la récente critique du président Macron vis-à-vis de l'audiovisuel public français. Hier, je ne pouvais m'empêcher de lui donner raison. Pourquoi l'information de service public doit-elle absolument "faire dans le populaire"?

(1) Il y a de nombreuses années, je ne sais plus qui affirmait que "Ella, elle l'a" lui rappelait "Félicie aussi" de Fernandel.

vendredi 12 janvier 2018

Roule, ma poule!

La voiture tue, le ridicule pas. Pour tenter de faire diminuer le nombre de morts sur les routes secondaires, le gouvernement français vient d'adopter une série de mesures. Parmi lesquelles la limitation de vitesse à 80 km/h sur ces routes plutôt que 90 actuellement (1). De nombreux automobilistes protestent (2). L'une d'entre eux affirme son "impatience" quand elle roule à 80, elle n'a alors qu'une envie: doubler. Un autre estime que rouler à cette vitesse le rend moins attentif: il a alors tendance à regarder le paysage. Si on l'écoutait, il faudrait supprimer la limitation à 30 km/h aux abords des écoles, il risque de regarder plus les vitrines des magasins que les enfants sur les passages pour piétons. Une automobiliste estime qu'une limitation à 80 km/h va correspondre dans les faits à une vitesse réellement pratiquée de 70 km/h, les conducteurs ayant trop peur d'être pris en défaut. D'autres automobilistes sont convaincus que rouler moins vite signifie créer plus d'embouteillages, ou encore polluer plus. Quant aux associations d'automobilistes, elles tiennent toujours le même discours: ce sont les infrastructures routières qui sont la source de trop d'accidents. C'est pas moi, c'est les autres. Les associations de motards pensent de même: "le premier ministre veut limiter la vitesse à 80 km/h pour son propre plaisir", affirme la FFM de la Creuse qui estime que "le danger, ce n'est pas la vitesse, c'est l'état des routes". Et les motards d'inviter le préfet de la Creuse à "limiter les petits fours et le champagne dans les réceptions" pour payer le bitume. Comme leur rétorque un chroniqueur de La Montagne, "eh les gars, il faudrait changer de rapport, si vous voulez que votre raisonnement tienne la route!" (3). 
Bref, tous les arguments sont bons, même les plus ridicules, pour défendre son droit à conduire vite. Aucun autre droit ne semble susciter autant de passion que celui de l'automobiliste à rouler à la vitesse qui lui plaît. Chacun se proclame spécialiste en la matière.
Les vrais spécialistes, eux, constatent que les diverses limitations de vitesse dans plusieurs pays d'Europe ont permis de diminuer le nombre de morts sur les routes. Des études suédoise et norvégienne de 1982 et 2009 constatent qu'une limitation de 1% de la vitesse entraîne une baisse de 2% des accidents corporels et de 4% des accidents mortels (4).
Autres avantages d'une diminution de la vitesse: des économies d'essence et une réduction des émissions de gaz polluants . "Ça vaut vraiment le coup de s'énerver?", s'interroge Jean-Baptiste Duval, chef de rubrique Eco et Techno du Huffington Post (5). 
Le F.N., en total décrochage ces derniers temps, pense avoir trouvé là un moyen de revenir en piste et de fédérer les grognons. Il se présente comme le défenseur des lobbies automobiles et surtout de tous ces pauvres ruraux qui vont se traîner sur les routes, méprisés par les élites parisiennes. Le Front néandertal a fait de la lutte contre l'insécurité sa priorité, sauf quand cette insécurité est routière. Le populisme permet les grands écarts.

(1) (Re)lire sur ce blog "A fond la caisse" et ses commentaires (3 décembre 2017).
(2) Cités de mémoire, entendus sur France Inter il y a quelques jours.
(3) La Montagne - Creuse, 13.1.2018.
(4) http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2018/01/09/pourquoi-abaisser-la-vitesse-a-80-km-h-sur-les-routes_5239333_4355770.html
(5) http://www.huffingtonpost.fr/2018/01/08/rouler-a-80-km-h-sur-les-nationales-ne-fera-pas-perdre-tant-de-temps-mais-economiser-de-largent_a_23327166/?utm_hp_ref=fr-homepage
https://www.marianne.net/societe/trafic-limitation-80-km-au-lieu-90-route-quelles-consequences-sur-l-environnement-pollution


mardi 9 janvier 2018

Le Génie des Appalaches

Donald Trump ne le dira pas lui-même, sa modestie proverbiale l'en empêche, mais c'est un grand humoriste. Ces derniers jours, chaque fois que, sur un site d'information, je tombe sur cette phrase, je m'escaffle: "tout au long de ma vie, mes deux atouts ont été ma stabilité mentale et le fait d'être, genre, très intelligent." Ajoutant: "je pense qu'on peut me qualifier non seulement de malin, mais de génie... et un génie très stable en plus" (1). 
Numéro 45 (comme l'appelle Paul Auster qui refuse de prononcer son nom) n'a pas tort. Il y a de la stabilité chez lui: rien n'est plus constant que son instabilité. Il est capable d'envoyer quatre tweets en deux heures sur un même sujet sans qu'on sache, au bout du compte, ce qu'il pense réellement (s'il pense) de la question, tant ses propos sont contradictoires et simplistes.
Ceausescu s'était autoproclamé Génie des Carpathes et Danube de la Pensée. Donald Trump est sans conteste le Génie des Appalaches et l'Hudson de la Pensée.

(1) http://www.lemonde.fr/donald-trump/article/2018/01/06/le-chef-de-la-diplomatie-americaine-defend-la-sante-mentale-de-donald-trump_5238129_4853715.html
http://www.lalibre.be/actu/international/trump-tout-au-long-de-ma-vie-mes-deux-atouts-ont-ete-ma-stabilite-mentale-et-le-fait-d-etre-genre-tres-intelligent-5a50d4a7cd70b09cef7ece07

samedi 6 janvier 2018

Tu t'es vu sans Cabu?

Je suis Charlie. Aujourd'hui comme il y a trois ans, comme il y a vingt ans. Etre Charlie, c'est se ranger du côté de la liberté d'expression, de la liberté de critique, de la laïcité. De l'humour aussi, même si on n'est pas obligé de rire de toutes les caricatures et si le sens de l'humour est forcément très  subjectif. Parlons-en des caricatures: aucune ne sera jamais aussi atroce que la réalité qu'elle dénonce. Un dessin n'est jamais que le résultat de l'usage d'un crayon. Pas d'une kalachnikov, d'explosifs ou d'une voiture-bélier. On peut trouver drôle ou non un dessin, jamais un assassinat qui sera toujours un acte ignoble et inhumain. Inacceptable et intolérable. Lâche et répugnant.
Charlie Hebdo, comme le rappelle son rédacteur en chef, n'a jamais abandonné un seul de ses combats: "la lutte contre tous les totalitarismes, la liberté d'expression et de conscience, l'égalité des droits, la laïcité, l'antiracisme et le féminisme universalistes, l'écologie et la protection animale, la liberté sexuelle, l'opposition à toutes les religions - y compris à celle du foot -, aux croyances et élucubrations de toutes sortes, aux manipulations des sectes et de leurs gourous, à tout ce qui relève de l'irrationnel" (1). Et ceux qui traitent Charlie Hebdo de raciste ou d'islamophobe, soit ne l'ont jamais lu, soit sont de mauvaise foi, soit n'y comprennent rien. Soit aussi sont dans ces trois catégories à la fois. 


Depuis trois ans, depuis l'ignoble massacre, l'équipe de Charlie vit contrainte et forcée dans un bunker. La liberté d'expression a ce prix en France, où certains organes de presse inconscients (?) et bien pensants (?) n'hésitent pas à affirmer que leurs confrères mènent une guerre aux musulmans parce qu'ils se battent contre l'obscurantisme (2). Le prix: outre la protection rapprochée par la police dont bénéficient certains membres de la rédaction, entre un million et un million et demi d'euros par an à la charge de l'hebdomadaire, pour payer les équipements et les agents de sécurité qui permettent aux journalistes, aux dessinateurs et autres collaborateurs de Charlie de se réunir et travailler sans risquer de se faire flinguer par de faibles d'esprit, apôtres violents de l'obscurantisme, qui veulent défendre leurs prophètes contre de petits dessins. "Est-il normal pour un journal d'un pays démocratique, demande Riss, directeur de Charlie Hebdo, que plus d'un exemplaire sur deux vendus en kiosque finance la sécurité des locaux et des journalistes qui y travaillent? Quel autre média en France doit investir autant d'argent pour lui permettre d'user de cette liberté fondamentale qu'est la liberté d'expression?" (3)
"Si Charlie Hebdo est aujourd'hui sous protection policière, écrit Gérard Biard, c'est aussi en partie parce que, hier, des politiciens, des éditorialistes, des responsables religieux, des intellectuels, des militants et des experts de tout poil ont considéré - et pour beaucoup considèrent toujours - comme parfaitement logique  que l'équipe de ce journal soit physiquement en danger." (4)

La philosophe Elisabeth Badinter, elle, continue à soutenir Charlie Hebdo: "l'équipe de Charlie ne m'a jamais déçue", dit-elle. "Ce qui me lie à Charlie, c'est que ce journal n'a pas seulement été le premier, mais le seul à défendre jusqu'au bout les caricatures de Mahomet des dessinateurs danois. Ce fut pour moi une bouffée d'oxygène: enfin un journal qui défendait sans concession le droit de critiquer les religions y compris l'islam, alors que les hommes politiques restaient muets. On tuait des centaines de chrétiens au Pakistan, on attaquait des ambassades et Chirac a condamné Charlie. La caricature redevenait sacrilège et le blasphème, un crime. Oublié, le combat voltairien pour la liberté d'expression! C'était le grand saut en arrière, plus de deux siècles auparavant." (5)
Mais, à part Elisabeth Badinter, l'hebdo Marianne, le Printemps républicain, la Licra, le Comité Laïcité République et quelques autres, les soutiens déclarés à Charlie Hebdo sont peu nombreux. Aujourd'hui, les prudents sont légion. Ceux qui ne veulent surtout pas choquer, ceux qui comprennent qu'on se vexe d'un dessin, ceux qui sont "Charlie mais", ceux qui pensent qu'on peut rire de tout sauf de la religion des damnés de la terre (6), ceux qui dénoncent, tel le président Macron, une "radicalisation de la laïcité". Tous ceux-là préfèrent se ranger de facto du côté du totalitarisme islamique plutôt que de la liberté d'expression et de conscience. La laïcité serait-elle radicale? (7) Y a-t-il une seule personne qui ait tué des milliers d'innocents au nom de la laïcité? Y a-t-il une seule personne qui, en son nom, ait massacré une rédaction entière? Y a-t-il une seule personne qui se soit fait exploser dans le métro pour venger le dieu de la laïcité? Y a-t-il une seule personne qui, pour défendre les valeurs de la laïcité, ait tiré à la kalachnikov sur des spectateurs dans un concert ou des consommateurs en terrassse de bistrots?
"La laïcité n'est pas un glaive, écrit Renaud Dély, mais un bouclier, un principe émancipateur qui permet à tous, croyants et non croyants, de vivre en paix dans le respect de l'autre. La laïcité ne saurait pas non plus se réduire à la seule liberté religieuse: elle garantit la liberté de conscience, celle de croire ou de ne pas croire, et dresse une frontière infranchissable entre le spirituel et le temporel, entre ce qui relève de l'intime et de l'individuel et ce qui a trait au public et au collectif." (8)

(1) Gérard Biard, "25 ans en première ligne", Charlie Hebdo, 27.12.2017.
(2) (Re)lire sur ce blog "Non (encore une fois)!",  21.11.2017, et "Non!", 18.11.2017.
(3) Riss, "Liberté d'expression, combien ça coûte?", Charlie Hebdo, 3.1.2018.
(4) Gérard Biard, "Bindé ou plombé il faut choisir", Charlie Hebdo, 3.1.2018.
(5) "En France, Dieu ne gouverne pas la cité", Marianne, 5.1.2018.
(6) Tous les autocrates et théocrates en terres musulmanes (tels les ayatollahs corrompus iraniens - la fortune de Khamenei est évaluée à 95 milliards de dollars) sont-ils des damnés de la terre? Quelle blague! Et pourquoi donc les monarchies pétrolières n'accueillent-elles aucun réfugié musulman qui fuie guerre et oppression?
(7) "Comme l'on voudrait être assez radicalement laïque pour ne pas accorder foi aux représentants des religions!", écrit Guy Konopnicki ("Je n'aime plus les débuts d'année", Marianne, 5.1.2018).
(8) Renaud Dély, "Plus que jamais soyons Charlie", Marianne, 5.1.2018.
A lire: le numéro de Charlie Hebdo de ce 3 janvier 2018 où les journalistes de Charlie, anciens et nouveaux, racontent leurs "trois ans dans une boîte de conserve", leur vie la peur au ventre, les menaces imbéciles dont ils restent l'objet, et aussi, parfois, leurs rires.
Post-scriptum: à propos du rassemblement organisé samedi à Paris en soutien à Charlie Hebdo:
https://www.marianne.net/debattons/billets/toujours-charlie-ce-qui-s-est-vraiment-dit-aux-debats-des-folies-bergere

vendredi 5 janvier 2018

Propos d'un ringard

L'Education nationale française prévoit d'interdire les téléphones portables dans l'enceinte des écoles. Ne serait-ce pas là une attitude anti-moderne?, demandent certains (1).
Le téléphone portable participe à la déconcentration et à l'enfermement sur soi-même, répliquent d'autres. Les outils de communication n'aident pas toujours à communiquer. Il suffit d'observer tous ces gens seuls ou non, dans la rue, dans les transports en commun, dans les restaurants, au spectacle, qui ont le nez sur leur téléphone portable, coupés de leur monde immédiat (dans tous les sens du terme). Ils communiquent plus avec ceux qui sont ailleurs qu'avec ceux qui sont à côté ou en face d'eux.

Une étude nous apprend que 92% des 12-17 ans ont un téléphone portable. Ce qui est étonnant, c'est de constater que 8% n'en ont pas. Les parents veulent évidemment que leurs enfants soient plus concentrés mais la plupart d'entre eux leur donnent un téléphone portable, d'abord parce que les jeunes eux-mêmes le demandent, mais aussi pour savoir à tout moment où ils sont, comment ils vont, pour pouvoir les contrôler, pour se rassurer.
Un collège de Déols (530 élèves) en Indre a totalement interdit les portables depuis deux ans (2). Lors d'une rencontre inter-collèges, les enseignants s'étaient rendu compte que leurs élèves étaient "complètement insociables", incapables d'aller vers les autres, de jouer avec eux. Lors des récrés, chacun avait les yeux rivés sur son portable, les oreillettes rendant impossibles les conversations. Aujourd'hui, "les élèves se reparlent, constate le principal. Ils se disent et nous disent bonjour. C'est le retour des relations sociales." Un jeune de 13 ans s'en réjouit: n'ayant pas de téléphone, il se sentait bien seul.

Le journaliste français Guy Birenbaum vient de publier son "Petit manuel pour dresser son smartphone" (3). En 2014, il a fait une "dépression 2.0": il avait développé une addiction aux réseaux sociaux. "L'hyper présence sur les réseaux sociaux avec ses likes et ses retweets active le circuit de la dopamine. C'est un shoot. On est dans un processus d'addiction chimique", explique-t-il (4). Il envoyait alors une centaine de commentaires par jour, capable, reconnaît-il aujourd'hui, "d'une arrogance et d'une brutalité extrêmes". Il voit dans ces réseaux le "café du commerce mondial où on se parle derrière des écrans et devant des claviers", "un invraisemblable maelström dans lequel on ne peut être que pour ou contre". Il reconnaît avoir réagi des centaines de fois à des sujets auxquels il n'entendait strictement rien mais qu'il se faisait une obligation de commenter. "Les gens ne réfléchissent plus, ils twittent plus vite qu'ils respirent, ce sont les Lucky Luke de la pensée."
Aujourd'hui sorti de son addiction, Guy Birenbaum invite chacun à couper régulièrement son téléphone portable. Il effectue avec son chien une promenade quotidienne. Sans plus de téléphone que quand il est en vacances.
La direction de l'école de Déols, elle, a installé de nouvelles infrastructures sportives dans la cour de l'école et des bancs pour créer des espaces de rencontre. Et visiblement, ça marche.

Dans son dernier album, Bug, le dessinateur Enki Bilal imagine qu'en 2041 tous les outils numériques se crashent. "Bilal, écrit Télérama, ironise sur la dépendance des humains à la technologie, met en scène des ados suicidaires depuis qu'ils n'ont plus accès à leurs applications préférées, ou des milliardaires en bloquage lévitationnel au-dessus de la plèbe."
Un instant, on imagine ce qui arriverait alors à ce joueur de golf, qui essaie comme il peut d'être président de son pays, twitteur compulsif qui peut se contredire trois fois dans une journée sur le même sujet. Vivement le bug!

(1) Emission "28 minutes", Arte, un soir de décembre.
(2) "Sans portable, la nouvelle vie du collège de Déols", Bertrand Slézak, la Nouvelle République Indre, 14.12.2017.
(3) éditions Mazarine.
(4) Julien Proult, "Guy Birenbaum, ex-homme de réseaux", La Nouvelle République, 9.12.2017.
(5) Laurence Le Saux, "Enki Bilal - Il nous met chaos", Télérama, 13.12.2017.

mercredi 3 janvier 2018

Rester stoïque

Début 2017, j'invitais à croire en la lumière en ces temps obscurs.
En 2016, à faire mille choses, parmi lesquelles marcher et prendre du recul, ne rien subir sans réagir, s'emporter et se laisser emporter, pratiquer la chasse aux idées reçues et simplistes, ouvrir sa porte, avoir envie de comprendre (et essayer), sourire, savoir dire non, et parfois oui.
En 2015, j'exprimais l'espoir que les gouvernements investissent massivement dans l'éducation et la culture pour favoriser l'intelligence tant individuelle que collective.
En 2009, j'espérais une remise à neuf, un climat flambant neuf.
En 2018, qu'espérer encore sinon tout cela? Espérer ne pas s'habituer au banal. Le banal aujourd'hui, c'est l'extrême droite au pouvoir en Autriche, c'est le triomphe des populismes et des replis sur soi, c'est le renvoi dans leur pays dictatorial de réfugiés soudanais, c'est le boucher de Damas qui reste président de la Syrie, c'est le pays le plus puissant de la planète dirigé par un Ubu imbécile enorgueilli de son intelligence, c'est la Terre qui se réchauffe globalement non pas de deux mais de trois degrés,  c'est l'islamisme qui tue aveuglément, c'est l'agression de policiers qui sauvent des enfants d'un incendie, c'est la bêtise et le rejet de l'autre qui se nourrissent mutuellement sur les réseaux asociaux. On s'habitue à tout. Ce qui nous faisait hier descendre dans les rues nous fait aujourd'hui soupirer.
Sur les conseils d'un commentateur habituel de ce blog, je viens d'entreprendre la lecture du dernier livre de Pierre Ansay: "Restons stoïques face à ce monde inquiétant - Epictète et Spinoza peuvent nous y aider" (1). On y trouve des "remarques sur la bêtise médiatique", on y apprend à "ne pas ignorer son ignorance", à "se passer de la reconnaissance des autres", à "prendre le parti de se conduire en homme", à penser plutôt qu'hennir, à "éviter le devenir con". Parce que "mieux vaut comprendre la connerie que s'y mettre à son tour". En ces temps inquiétants et fatalistes, voilà sans doute des voies de salut, des chemins de traverse qui pourraient nous éviter les sorties de secours.

(1) éd. Couleur livres, Bruxelles, 2017.