mercredi 28 avril 2021

Vent favorable

Ils n'en veulent pas. C'est un principe. Ils ne veulent même pas discuter de leur taille, de leur nombre, de leurs emplacements, de leur recyclage. Elles les rendent hystériques, donc, qu'on n'en parle pas et surtout qu'on en interdise toute implantation. Les anti-éoliens ont décidé une fois pour toutes que les éoliennes étaient l'horreur absolue.

Vent contraire, c'est le nom de la fédération qu'ont créée onze associations d'opposition aux éoliennes d'Indre et d'Indre-et-Loire (1). Elles constatent que de nombreuses communes n'en veulent pas et en concluent que soutenir un projet éolien serait aller contre la volonté populaire. Elles ne veulent pas voir que derrière ces refus - qu'on ne retrouve pas partout, loin s'en faut - transpire la frilosité de tant de maires qui craignent de voir quelques manifestants devant leurs fenêtres et elles refusent d'entendre que, selon des sondages les trois quarts des Français ont une image positive de l'éolien (2). Un chiffre qui monte à 80 % chez celles et ceux qui vivent à proximité d'éoliennes. Les anti estiment que les éoliennes dégradent leur patrimoine paysager et ne peuvent qu' "entraîner une dépréciation immobilière". Ce qu'aucune étude, nulle part, ne corrobore. Ils prétendent qu'on manque de vent pour les faire tourner, alors qu'on en arrive à compter les jours sans vent. Ils dénoncent "le coût exorbitant des énergies renouvelables éoliennes et photovoltaïques pour les consommateurs contribuables". Ils oublient le coût démentiel des énergies fossiles pour la planète et donc pour tout habitant. Ils ne parlent pas non plus du nucléaire, du refus de toute commune d'accueillir ses déchets pour l'éternité et plus encore, du démantèlement des centrales qui se comptent en décennies. Ils refusent de voir dans leur ligne d'horizon la moindre éolienne mais ne sont visiblement pas dérangés par les antennes 5G qui s'érigent dans une indifférence quasi générale et expédient par milliers des satellites dans l'espace. Ils ont la vue basse. Certains d'entre eux se soucient des oiseaux et des chauves-souris, constatant qu'ils se laissent parfois abattre par des pales. Ce qui est vrai. Même si les parcs sont de plus en plus nombreux à mettre leurs éoliennes en veilleuse à certaines heures de passage des animaux en question. Et même si un kilomètre de ligne à haute tension ou d'autoroute tue de deux à dix fois plus d'oiseaux qu'une éolienne. Combien sont-ils parmi les anti-éoliens à avoir manifesté contre la limitation à 80 km/h sur route et 110 sur autoroute? Combien d'entre eux, si soucieux des paysages et des oiseaux, ont arraché des haies ou utilisé des pesticides dans leur jardin? Combien d'entre eux sont chasseurs? On peut - et on doit - évidemment critiquer des projets éoliens mal conçus, mal positionnés, imposés sans concertation, mais l'opposition de principe aux énergies renouvelables apparaît comme une position à la fois égoïste et suicidaire. Le climat leur est - comme à nous - contraire. Mais ils veulent garder une vue dégagée sur leur haie de thuyas.  

Regarde les éoliennes / mon amour, comme elles sont belles / regarde les éoliennes / et comme le vent les entraîne / à elles-mêmes faire le vent  / insistant que tu sens jouer encore dans tes cheveux /

Dominique A, "Les Eoliennes"


Eoliennes à Saint-Georges-sur-Arnon

(1) "Les anti-éoliens s'unissent entre la Touraine et le Berry", La Nouvelle République Indre, 13.4.2021.

(2) "3 Français sur 4 (73%) ont « une bonne image » à l’éolien. Ce chiffre grimpe même de 7 points (80%) auprès des Français vivant à proximité d’une éolienne". Enquête Harris octobre 2018: https://fee.asso.fr/pub/les-franc%CC%A7ais-et-lenergie-eolienne-sondage-et-enquete-2018/

"plus de 75% des citoyens français déclarent avoir une image positive de l’éolien en 2016, une énergie dont ils sont nombreux à percevoir le potentiel économique pour les territoires qui accueillent ces éoliennes." Enquête IFOP 2016: https://www.ifop.com/publication/leolien-en-question-etude-dopinion-aupres-des-riverains-de-parcs-eoliens-des-elus-et-du-grand-public/

lundi 26 avril 2021

Bêtise du jeunisme

On ne cesse de s'étonner. Voilà qu'on se découvre ennemi des Verts. C'est qu'on est boomer. Entendez par là né entre 1945 et 1965. Ce qui semble faire de nous des inconscients qui vivent leur vie en surconsommant joyeusement, sans aucun souci pour la planète qu'ils ont saccagée depuis soixante ans sans état d'âme.

Dans la perspective des élections régionales et départementales de juin prochain, les Verts d'Ile de France ont publié une série d'affiches pré-électorales qui ciblent les méchants: le polémiste d'ultra-droite Eric Zemmour, le philosophe Alain Finkielkraut, le ministre Gérald Darmanin, "les fachos" identitaires, les chasseurs et les boomers. Tous dans le même sac. La nuance est passée de mode. Les affiches des Verts invitent les jeunes à s'inscrire sur les listes électorales pour ne pas laisser toute la place à tous ces ennemis de l'écologie qui, eux, iront voter "pour défendre leurs propres intérêts" qui, on l'a compris, n'ont rien à voir avec l'intérêt collectif. Les jeunes ne sont pas invités à se mobiliser pour soutenir ou défendre des idées, un projet, un programme, mais pour faire barrage aux méchants. Et parmi ceux-ci figurent donc les boomers. Tant pis si les fondateurs du mouvement et des différents partis écologistes en sont. Leur âge les condamne. Salauds de nous! Tant pis si cette génération-là est plus disposée que la plus jeune - plus séduite par Macron et par la fille à papa - à soutenir les partis écologistes. Comme le constate Sophia Aram (1), qui n'a rien d'une boomeuse, encourager ceux qui sont nés entre 1943 et 1960 à ne pas voter pour soi est "au minimum... un peu con". Ce qu'elle appelle "se tirer une balle dans le pied avec l’opiniâtreté d’un chasseur aviné". Finalement, "le bilan carbone de leur parole politique est à peu près équivalent à celui d’un concessionnaire de 4x4 diesel". Les Verts ont-ils le souci de l'intérêt collectif? On se le demande.
On ne s'excusera pas d'avoir l'âge qu'on a, mais des excuses, oui, on aimerait en recevoir.


(1) https://www.franceinter.fr/emissions/le-billet-de-sophia-aram/le-billet-de-sophia-aram-26-avril-2021


vendredi 23 avril 2021

Une Bretagne corse

La liberté de la presse n'est jamais acquise. Même dans un pays démocratique comme la France. Récemment, la voiture de la journaliste Morgan Large a été sabotée, devant chez elle, dans les Côtes d'Armor. Une roue de sa voiture a été partiellement déboulonnée et elle a roulé ainsi pendant quelques jours sans le savoir, au risque de sa vie et de celle de ses enfants. Cette agression n'est qu'une ixième intimidation, après de nombreux appels téléphoniques nocturnes, des menaces sur les réseaux sociaux où sa photo a été diffusée, une intrusion nocturne dans les locaux de Radio Kreiz Breizh où elle travaille, ou chez elle, où son chien a été empoisonné. Elle n'est pas la seule à subir des menaces. "Depuis plusieurs années, écrit Le Monde (1), les journalistes installés en Bretagne alertent sur la 'loi du silence' qui leur est imposée autour de l’industrie agroalimentaire. La journaliste indépendante Inès Léraud, coautrice de l’enquête en bande dessinée Algues vertes - l’histoire interdite (2), en a particulièrement fait les frais. Entre autres choses, Inès Léraud est régulièrement ciblée par des plaintes en diffamation de groupes industriels, plaintes parfois retirées quelques jours avant l’audience, et qui ne visent qu’à inquiéter, à épuiser financièrement et psychologiquement la journaliste. Et in fine à imposer le silence."

L'agro-industrie dicte sa loi jusque dans les rédactions: "des articles en rade sur le bureau d'un rédacteur en chef, explique Natacha Devanda dans Charlie Hebdo (3), une couverture médiatique complaisante envers les grosses coopératives agricoles, des gendarmes zélés qui viennent contrôler les enregistrements d'une reporter allemande...". Des pressions telles qu'en 2020 cinq cents journalistes bretons, appuyés par une pétition signée par 40.000 personnes, ont adressé une lettre ouverte au Conseil régional de Bretagne, dénonçant les difficultés rencontrées quotidiennement pour enquêter sur le secteur agricole. "L'agro-industrie fait sa loi en Bretagne et n'accepte pas la contestation", confirme le syndicaliste Serge Le Quéau (3). La coopérative agricole Ereden - formée de l'union de D'aucy et Triskalia - pèse 3,2 milliards d'euros de chiffre d'affaires. "Un Etat dans l'Etat", selon Serge Le Quéau. Il a défendu, il y a dix ans, les salariés de Nutréa, une filiale de Triskalia, victimes du dichlorvos, un pesticide produit par Bayer. Par souci d'économies, la coopérative avait coupé la ventilation dans les bâtiments où étaient stockés des milliers de tonnes de céréales. Résultat: la fermentation a favorisé l'arrivée de charançons que Triskalia s'est empressée d'arroser avec l'insecticide Nuvan Total, interdit depuis 2007. "Autour des bâtiments, c'était Tchernobyl, raconte Serge Le Quéau. Les gars ont développé des tas de maladies invalidantes, ils se réveillaient parfois en pissant le sang." 

La Bretagne est "considérée comme la plus belle région de France", affirme le site bretagne.com. Qui le croit encore? Il y a quelque chose de pourri au royaume de Bretagne avec cette agro-industrie toute puissante qui s'autorise les pires exactions: "haies arrachées, zones humides réduites en bouillie, sites de stockage de pesticides toujours plus grands, pollution de l'air et des rivières", dénonce un collègue de Morgan Large. Même si, ajoute-t-il, "chez les agriculteurs qui participent au système dominant, tous ne sont pas d'accord avec la FNSEA. Mais les voix dominantes sont accusées de trahir les autres. " Reste à déterminer qui trahit qui et quoi. Cette agro-industrie sans foi ni loi et ce syndicat qui défend l'argent au mépris de ses adhérents trahissent cette terre et ceux qui l'habitent. 

(1) https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/04/11/deboulonner-une-roue-de-la-voiture-de-la-journaliste-morgan-large-n-est-pas-un-geste-d-intimidation-mais-une-tentative-de-blesser-ou-de-tuer_6076344_3232.html

(2) Delcourt/La Revue dessinée, 2019.

(3) "Agro-industrie - La Bretagne veut en finir avec la loi du silence", Charlie Hebdo, 14.4.2021.

dimanche 18 avril 2021

Je te dirai les mots bleus

Suffit-il d'écrire les mots pour qu'ils correspondent à une réalité?

Ici, c'est une chaîne de grandes surfaces de distribution alimentaire qui construit son nouveau "magasin durable". Un kilomètre plus loin que le précédent qui, lui, se situait déjà à deux kilomètres du centre-ville. En quoi le nouveau, auquel on ne peut accéder qu'en voiture, sera-t-il durable? Et que deviendra l'ancien construit il n'y a guère plus de trente ans? Une friche industrielle? Une montagne de gravats? 

Là, ce sont des carottes étiquetées "bio" emballées dans du plastique. Juste à côté, d'autres carottes, non attestées bio, sont présentées en vrac. Lesquelles le sont le plus? A partir de combien de kilomètres parcourus, un produit bio perd-il son appellation? Quel sens y a-t-il à consommer des produits alimentaires qui traversent l'Europe? L'absence de pesticides utilisés pour leur production ne compensera pas la pollution générée par leur emballage et/ou pour leur transport.

Ailleurs, ce sont des entreprises qui inventent leur propre label, très proche d'un label certifié, pour faire croire à la grande qualité environnementale de leurs produits. Ou d'autres qui parlent de "fraîcheur naturelle" ou de "natura verde" sans que les ingrédients chimiques qui composent leurs produits n'aient changé d'un iota.

Le greenwashing fonctionne bien auprès des consommateurs ingénus que nous sommes, soucieux de participer aux efforts pour une planète mieux respectée. Et nous, comme nous sommes très fleur bleue - ou verte - nous avons envie de les croire.

lundi 12 avril 2021

Liberté chérie

Ils réclament le droit de circuler sans masque. Ils sont aussi opposés au vaccin. Les mesures de lutte contre la Covid-19 sont liberticides, clament-ils. Ici et là, ils manifestent pour la liberté. La leur. A Quimperlé, par exemple, six cents personnes, soutenues par une députée complotiste, se sont rassemblées hier au coude-à-coude, le visage découvert. Elles ne semblent pas (vouloir) comprendre que le coronavirus est liberticide, qu'il peut nous envoyer à l'hôpital. Et même ad patres. Ce qui ne nous laisse, on en conviendra, plus de liberté du tout. 

La liberté absolue existe-t-elle? Doit-on être libre de contaminer les personnes qu'on croise? Libre de ne pas prendre des mesures de protection - de soi et des autres - et donc libre d'être et de rendre malade et de venir encombrer des hôpitaux saturés? Les anti-masques se voient comme des individus isolés, non comme des membres d'une société. Préserver l'intérêt collectif, c'est fatalement limiter les libertés individuelles. D'où l'existence de règles, le code de la route, le code du travail, la déontologie et tant d'autres mesures qui freinent la toute-puissance de la liberté personnelle. Ceux qui refusent les règles traitent très vite la société qui les édicte de dictature. "La dictature, ce n'est pas la limitation de la liberté, estime Riss (1), mais la destruction. Seule, donc, la démocratie limite les libertés car, et c'est tout le paradoxe, c'est l'unique moyen de les faire exister. Définir ce qu'on n'a pas le droit de faire implique automatiquement de définir ce qu'on a le droit de faire. La définition des limites est donc inhérente à toute démocratie." Et de rappeler l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789: "La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui". Or, la Covid-19, on en conviendra, est assez nuisible à autrui.

"Quand on y regarde de plus près, poursuit Riss, on s'aperçoit que presque tous les débats actuels qui nous agitent touchent du doigt cette épineuse question des limites. Jusqu'où accepter les restrictions des déplacements durant cette pandémie? Jusqu'où accepter la procréation médicalement assistée? Jusqu'où accepter la liberté de croire face à l'intolérance religieuse? Jusqu'où accepter la liberté d'expression? Jusqu'où accepter l'accueil de migrants, comme l'Allemagne, qui, du jour au lendemain, ouvrit ses portes à 1 million de personnes? A chaque fois, c'est la même question qui se pose sous des formes différentes: jusqu'où peut-on accepter une revendication, et à partir de quand doit-on en fixer la limite?"

Dans l'ère du nombril qui est la nôtre, nombreux sont celles et ceux qui pensent que leurs critères personnels doivent avoir force de loi, que leurs aspirations doivent pouvoir être satisfaites sans condition. "Pour séduire militants et électeurs, la tentation est grande de faire croire que leurs désirs de bonheur, de justice, d'égalité, de prospérité ne se heurteront jamais à rien, et ne pourront être comblés qu'à la condition qu'aucun obstacle ne soit mis en travers de leur route. Un projet de société sans limites, physique, technique ou éthique, possède une force séductrice redoutable à laquelle il est difficile de s'opposer, mais dont l'expression peut prendre la forme inquiétante d'un populisme suicidaire." On voit où le laisser-faire populiste a conduit des pays comme les Etats-Unis et le Brésil. La Covid-19 y use et abuse de la liberté de se propager qui lui a été accordée.

(1) Riss, "La démocratie peut-elle dépasser les bornes?", Charlie Hebdo, 7.4.2021.

samedi 10 avril 2021

Après eux, le chaos

Les élus devraient rester responsables, au-delà de leur mandat, de la situation chaotique qu'ils ont créée. David Cameron, alors premier ministre, a voulu le référendum sur le Brexit. Nigel Farage et le Ukip, en bons populistes, ont usé et abusé des arguments les plus fallacieux pour que le leave l'emporte. Aucun d'eux n'a ensuite assumé ses responsabilités, aucun d'eux n'avait réellement imaginé quelles conséquences concrètes aurait ce Brexit. Visiblement, personne n'avait envisagé qu'à cause précisément de ce retrait de l'Union européenne le Royaume puisse se désunir au point qu'il a aujourd'hui atteint, personne n'avait pensé que cinq ans plus tard les violences - qu'on croyait appartenir à une autre époque - se déchaîneraient à nouveau en Irlande du Nord. Pour éviter la recréation d'une frontière physique entre l'Irlande du Nord et la République d'Irlande, une frontière économique a été instaurée entre l'île et la Grande-Bretagne. A la colère des Unionistes qui se sentent trahis par Londres. Depuis une douzaine de jours, des émeutiers affrontent les forces de l'ordre. Il y a deux jours, les violences ont gagné les Républicains, les deux camps se balançant des projectiles par dessus le "mur de la paix".

Au lendemain du référendum, on a vu Cameron remettre sa démission, puis s'en aller tranquillement en sifflotant. Peu après, Farage s'est retiré, exprimant sa satisfaction d'avoir accompli sa mission. Le gouvernement britannique devrait lui faire comprendre que la mission est loin d'être terminée, qu'il a bouté le feu au Royaume désormais désuni et l'envoyer aujourd'hui en Irlande du Nord régler le conflit. L'obliger à assumer des responsabilités qu'il a toujours fuies. 

Résumons-nous: les capacités des nuisances des populistes sont infinies. 

(Re)lire sur ce blog "Référendum, piège à con", 25.6.2018

jeudi 8 avril 2021

Chers arbres

Ils figurent parmi les grands absents du projet de loi Climat du Gouvernement français. Ils ne passent pourtant pas inaperçus, eux qui occupent 30% du territoire de la France. Aucune des mesures concernant les arbres proposées par la Convention citoyenne sur le climat n'a été reprise dans ce projet de loi. La Convention proposait qu'on interdise les coupes rases de plus d'un demi-hectare, qu'on ne puisse prélever chaque année plus de bois que l'année précédente, qu'on abandonne la monoculture de résineux pour lui préférer des forêts mixtes, qu'on renforce sur le terrain les équipes de l'ONF. Mais, comme l'écrit Luc Le Chatelier (1), "les lobbies du bois, toujours plus gourmands, sont passés par là". La forêt n'est pas une compétence de la Ministre du Développement durable, mais de son collègue de l'Agriculture. On comprend par là qu'elle compte peu, cette forêt: on la plante et on la récolte comme du maïs, du blé ou du soja. "La filière bois, la forêt trinque", disait récemment la banderole d'un défenseur de la nature. L'ONF a vu disparaître cent postes l'an dernier. Ils seront presque aussi nombreux cette année à passer à la trappe. Les rouleaux compresseurs peuvent saccager tranquillement la forêt.

Traverser le plateau de Millevaches en ce moment, c'est découvrir des centaines et des centaines d'hectares de forêt rase. Les coupes à blanc y sont innombrables, coupes de résineux qu'on s'empresse, c'est vrai, de remplacer. Mais visiblement toujours en monoculture. On est frappé d'y entendre peu d'oiseaux. Où nicheraient-ils? 




Francis Hallé, botaniste et biologiste français, spécialiste renommé des arbres et des forêts tropicales, constate (2) la banalité de l'abattage des arbres: "un propriétaire forestier ou un exploitant abat ses arbres ou exploite une parcelle de forêt qui lui appartient, puis il vend son bois à un prix qui dépend de l’essence considérée et qui est fixé par les règles du marché. Il est le seul bénéficiaire de l’opération et cela nous paraît normal, puisque cet homme est propriétaire de la ressource". C'est ainsi depuis des siècles sans que ça ne dérange grand-monde. "Cette relative bienveillance envers les abattages et le commerce du bois se justifiait par le fait que, jusqu’à une époque récente, ces activités étaient artisanales et que leurs conséquences restaient discrètes, voire imperceptibles. Mais les temps ont changé, les abattages se sont industrialisés et les contraintes écologiques de notre époque amènent à questionner un processus d’exploitation qui fonctionnait bien dans le passé, mais qui paraît maintenant trop simple ; car s’il y a un bénéficiaire, il y a aussi des perdants." Et nous en sommes tous. Le botaniste rappelle que chaque arbre représente un patrimoine qui absorbe le CO2, fixe le carbone atmosphérique, nous fournit de l’oxygène, régule le débit des eaux, améliore la fertilité des sols, les protège contre l’érosion et maintient une diversité biologique qui nous est vitale. Sans compter qu'il agrémente nos paysages, inspire les peintres et les poètes et influence bénéfiquement notre santé physique et mentale. Les innombrables et incommensurables services qu'ils rendent ne valent pourtant rien face au profit immédiat de quelques-uns. 

Sur la porte de son bureau au MIT, Donella Meadows, une des auteurs du rapport The Limits to Growth  - Les limites à la croissance, publié en 1972, avait écrit: "Si le monde devait crever demain, je planterais un arbre aujourd'hui". Le monde va crever demain et chaque jour des arbres tombent par milliers.

(1) Luc Le Chatelier, "Avec la loi Climat, les lobbies sortent du bois", Télérama, 10.3.2021.

(2) https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/03/21/deforestation-l-industrie-du-bois-tue-et-detruit-les-arbres-sans-tenir-compte-des-services-qu-ils-nous-rendent_6073904_3232.html 

https://www.arbre-patrimoine.fr/association-francis-halle-pour-la-foret-primaire/

(Re)lire sur ce blog "Massacre à la tronçonneuse", 1.10.2021.

lundi 5 avril 2021

Tavernier et les censeurs

Bertrand Tavernier est mort récemment. Ce fut l'occasion de rappeler que ce grand réalisateur et fin connaisseur du cinéma américain s'est fâché contre la cancel culture, cette chasse aux sorcières menée par des néo-puritains qui veulent que disparaissent des mémoires les noms de celles et ceux qui, à un moment ou un autre, n'ont pas été dans la droite ligne qu'ils ont, eux les censeurs, définie.

"Tarvernier, disait Claude Askolovitch dans la revue de presse de France Inter du 26 mars (1), enrageait d'avoir appris que "dans l'Ohio, une université avait débaptisé son cinéma Lilian Gish, pour punir l'actrice qui un siècle plus tôt avait joué dans Naissance d'une nation, un film monument de DW Griffith, mais aussi un film raciste envers les noirs". Lilian Gish fut une grande actrice du muet et pour ce seul film il fallait que son nom soit effacé. Et Griffith, rappelait Bertrand Tavernier, avait aussi tourné un film sur Abraham Lincoln, et "montré la traite des esclaves dans toute sa violence. Est-ce qu’ils le savent à l’université dans l’Ohio ? Est-ce qu’ils savent ce que Griffith a produit?, s'indignait-il: Le lys brisé, A travers l’orage, Les deux orphelinesdes films incroyables, comprenant la première histoire d’amour interraciale sur l’écran!". Bertrand Tavernier "dénonçait la dictature du présent, l'ignorance de notre temps. Il avait dit au Monde en 2011, que l'histoire était une arme de construction massive contre toutes les dictatures et les incompréhensions". Il estimait aussi que "tout film, comme tout être humain, doit être présumé innocent ». Il est bon de s'en souvenir en cette période où des meutes de chiens virtuels dévorent à belles dents les proies qu'ils se sont choisies. 

(1) https://www.franceinter.fr/emissions/la-revue-de-presse/la-revue-de-presse-26-mars-2021