vendredi 30 août 2019

Scène vue

Elle marche les yeux baissés, poussant son landau dans les rues de cette petite station balnéaire du bord de l’Atlantique, un dimanche après-midi de fin août. Elle est couverte des pieds à la tête de ce voile noir qui ne laisse visible que le visage.
Devant elle, marche son mari, vêtu d’un t-shirt et d’un short. Il a un grand sourire. Il regarde les jeunes femmes court, parfois très court-vêtues.

jeudi 29 août 2019

Une envie de silence

Sidoine Appolinaire, Lyonnais d’origine, fut, au Ve siècle, chef du Sénat, préfet de Rome, évêque d’Auvergne. Et poète aussi. « Le plus grand drame pour moi, disait-il, ce serait d’être entourés d’hommes complètement étrangers à l’étude des Lettres ». C’est pourtant ce qui lui arriva quand l’Auvergne tomba aux mains des Wisigoths qui l’exilèrent à Bordeaux.
Etranger au monde dans lequel il se retrouva plongé, il décida de se taire et inventa pour l’affirmer un verbe : taciturire : avoir envie de se taire. Sidoine Appolinaire créa aussi un autre mot: scripturire : avoir envie d’écrire.
C’est Laurent Nunez qui raconte l’histoire et de cet homme et de ces mots dans son remarquable ouvrage Il nous faudrait des mots nouveaux (1).

Aujourd’hui, nous ne vivons pas au milieu des Wisigoths, mais des Philistins, de personnages grossiers, étrangers aux arts et aux lettres, bouffis de leur prétention. Ils débordent de partout et doivent faire connaître urbi et orbi la haine qu’ils vouent à ceux qui ne leur ressemblent pas. Pour beaucoup, Twitter n’est ni parler, ni écrire. C’est jacasser, jargonner, cracher, vomir, éructer, provoquer. C’est remplir de vent un néant. Et nous nous laissons aspirés dans ces bavardages vides, dans ces propos venteux, souvent tempétueux, qui semblent diffusés sans même avoir été pensés.
On aimerait tant que les Trump, les Bolsonaro, les Salvini, les Johnson, tous ces hommes méprisants (et donc méprisables) commencent à réfléchir, puis à agir pour le bien commun, plutôt que de passer leur temps à s’auto-encenser et à agresser les autres.
On aimerait tant que les médias cessent de se faire l’écho de ces fatras de bêtises proférés quotidiennement par des (ir)responsables politiques, par des gens de télé qui jouent les paons, par tous ces mâles buzzeurs.
Si tout le temps qu’ils gaspillent à tweeter, ils le passaient à planter des arbres, le monde s’en trouverait plus apaisé. S’ils apprenaient à se taire.


(1) Les éditions du Cerf, 2018.

samedi 24 août 2019

Ordurocratie

Néron regarde son pays brûler et ne comprend pas qu'on s'en inquiète. Se soucier de l'Amazonie qui meurt sous les flammes est, selon lui, une attitude "colonialiste". Jair Bolsonaro est aujourd"hui, avec le Trump et beaucoup d'autres, l'une des multiples incarnations du diable. Le monde était déjà en triste état et voilà qu'il jette de l'huile sur le feu, faisant tout ce qui est son pouvoir pour accélérer sa fin.
Qui nous délivrera des nuisibles qui aujourd'hui dirigent le monde? Ces présidents incultes, grossiers, arrogants et méprisants, ces philistins brutaux, ces cuistres cyniques qui ne connaissent pas le doute, convaincus qu'ils sont seuls à avoir raison.
Il faut cesser de les présenter comme climatosceptiques. Ils sont climatocides. Les assasins de la Terre. Leur disparition dans les poubelles de l'histoire serait la meilleure chose qui puisse arriver à l'humanité. On ne les recyclera pas.

jeudi 22 août 2019

Ça sent l'automne

L'Union européenne ne fait plus rêver, nous dit-on. Ce qui est faux. Ils sont au moins trois en Belgique qu'elle fait frémir. Kris Peeters, Didier Reynders et Laurette Onkelinx lorgnent sur le poste de commissaire européen.
Les francophones ont plus de chances de voir un ou une des leurs occuper la fonction. C'est leur tour.
Didier Reynders a une première fois été élu député en 1992. Depuis, il a sans cesse été réélu. Vingt-sept ans donc qu'il est député. Et il est ministre depuis 1999. Vingt ans donc. 
Laurette Onkelinx a été élue députée fédérale en 1987, puis a, elle aussi, été ministre non stop, assumant divers portefeuilles à différents niveaux de pouvoir, de 1992 à 2014. Pendant vingt-deux ans donc. Depuis, elle est redevenue "simple" députée. Elle avait annoncé qu'elle se retirait de la "vie politique active". Mais voilà qu'elle se verrait bien commissaire européenne. C'est vrai: pourquoi s'arrêter en si bon chemin, alors que voici trente-deux ans qu'elle multiplie les mandats?

La volonté d'une part de plus en plus importante des électeurs de voir un renouvellement de la représentation politique est superbement ignorée par celles et ceux qui sont en place et n'envisagent aucunement de la céder. Vingt-sept ans et trente-deux ans de mandats, c'est au moins quinze et vingt de trop. Le problème, c'est que s'ils sont en poste depuis si longtemps c'est qu'ils sont constamment réélus. Peut-être par des électeurs qui eux-mêmes souhaitent un renouvellement mais continuent à voter pour les mêmes vieilles têtes pour être fidèles à leur parti.
Il est temps de limiter strictement les mandats, non seulement en nombre mais aussi en durée. Deux mandats rémunérés dans une vie, c'est bien assez. Cette limitation permettrait à plus de citoyens d'exercer des mandats politiques et d'en finir avec la notion de classe politique.

Reste à espérer que le mandat belge de commissaire européen - comme tout autre d'ailleurs - sera confié à quelqu'un de plus jeune et pas à un abonné à Cumul+. Quelqu'un qui aurait des idées fortes pour revaloriser et (re)populariser l'idée européenne, et l'armer pour lutter contre le dérèglement climatique et les nationalismes. Et pas à de vieilles barbes, même féminines, sans autre projet que de jouer à la guéguerre entre partis dépassés et de flatter leurs ego.

https://www.lalibre.be/belgique/politique-belge/qui-sera-le-prochain-commissaire-europeen-belge-ecolo-veut-un-debat-a-la-chambre-5d5ebd03f20d5a1dbdfb6f54

dimanche 18 août 2019

Soutenir Daniel Cueff

La planète se meurt. Les scientifiques hurlent à sa mort. Mais, on l'a trop dit ici, l'immense majorité des élus restent de marbre.
Il en est un, parmi quelques autres, qui prend ses responsabilités, mais se fait aussitôt taper sur les doigts par ses autorités. Daniel Cueff est maire de Langouët en Bretagne. En 1999 déjà, il avait interdit l'usage des pesticides sur la voie publique. Depuis, il a décidé que la cantine de l'école du village ne servirait que des produits bio. Aujourd'hui, il interdit l'épandage de pesticides à moins de 150 mètres des habitations. "Cet arrêté, dit-il, ce n'était pas possible de ne pas le prendre, dans la mesure où l'Etat retarde sans cesse l'interdiction des pesticides de synthèse". Des analyses ont constaté dans l'urine des Langoëtiens des taux de glyphosate de quatre à trente fois supérieurs aux normes admises dans l'eau de distribution.
Mais ces arguments ne comptent pas pour la préfète d'Ille-et-Vilaine qui a cassé l'arrêté municipal. L'opiniâtreté du maire l'amène devant le tribunal administratif de Rennes où il est convoqué jeudi prochain, 22 août. Il est possible de lui témoigner sa solidarité sur le site de "Agir pour l'environnement" (1).

Les pesticides nous submergent. Ils sont partout. Dans l'air, dans l'eau, dans nos organismes. 
Un rapport de l'agence de l'eau Loire - Bretagne de 2018 révèle qu'on a trouvé, dans les eaux du bassin versant de la Goulaine (un affluent de la Loire, non loin de Nantes),  deux cent cinq pesticides différents (oui, 205). Trente-neuf d'entre eux atteignent individuellement le niveau à partir duquel une eau ne peut être utilisée pour être potabilisée. La norme maximale est de 2 microgrammes par litre pour un pesticide et de 5 si on additionne tous les pesticides concentrés dans l'eau. Certains pesticides atteignent les 32 microgrammes par litre. L'un d'entre eux, la carbendazime, est interdit en Europe depuis quasiment dix ans. Les risques pour la santé humaine de tous ces pesticides sont dénoncés par le même rapport: l'un est "susceptible de provoquer le cancer", un autre de "nuire au fœtus", un troisième présente "un risque d'effets graves pour les organes à la suite d'expositions répétées ou d'une exposition prolongée".
La majorité de ces pesticides viennent de la viticulture intensive et du maraîchage, en particulier de la culture du muguet et de la mâche, grandes spécialités de Loire-Atlantique. La main d'œuvre est de plus en plus recrutée à l'étranger, en Roumanie notamment. Le maraîchage intensif exporte les effets de ses pesticides.
Et les riverains de l'agriculture chimique prendront, eux aussi, leur part de pollution, parce que l'économie, même dans ses pires folies, a toujours raison.

(Re)lire sur ce blog:
"Le cynisme a un nom", 22.7.2019;
"Histoires romantiques", 13.6.2019;
"Nouveau coup de David à Goliath", 12.4.2019;

(2) Fabrice Nicolino, "Au beau pays de la mâche et du muguet", Charlie Hebdo, 17.7.2019.

mardi 13 août 2019

Culot du bulldozer

Les populistes ont décidément tous les culots. Matteo Salvini, Ministre italien de l'Intérieur, a déposé une motion de censure contre le gouvernement dont il est dans les faits le numéro uno. On n'entend et ne voit que lui. Vu de l'extérieur, le gouvernement italien se résume à lui. 
Une motion de défiance vise à faire tomber un gouvernement, parce qu'on le juge mauvais. Quel message envoie donc aux électeurs l'une des plus grandes gueules de la politique européenne? Que ce gouvernement, mis en place il y a moins de quinze mois, et dont il est le fer de lance est tellement catastrophique qu'il vaut mieux organiser de nouvelles élections? 
En fait, l'homme qui pense comme un bulldozer sait que les sondages sont en ce moment très favorables à son parti d'extrême droite, la Liga. Il veut donc un retour aux urnes, invoquant le principe démocratique. Qui refuserait d'aller voter?, tempête-t-il. Qui peut s'opposer à ce grand moment de la démocratie que constituent les élections? 
Que serait une démocratie où les gouvernements tomberaient les uns après les autres parce que chacun de ses constituants, tour à tour, penserait pouvoir en être le plus fort? Salvini affiche en fait tout le mépris qu'il a pour le système électoral et pour les citoyens
En attendant, il fait ce qu'il fait de mieux: jouer les bouffons. Il s'exhibe en maillot sur les plages, se fait photographier par le bon peuple qui l'aime tant et sort son chapelet pour tenter de séduire les catholiques. Du moins, ceux qui n'aiment pas les autres. Parce que ceux qui écoutent le pape ont entendu celui-ci, en juin dernier, dénoncer "des discours qui ressemblent à ceux d'Hitler en 1934" et "des pensées qui font peur". Il n'a pas cité Salvini et la Liga, mais tout le monde les a reconnus.
Aujourd'hui, une majorité de sénateurs a rejeté la motion de censure de Salvini. Toute décision sur l'avenir du gouvernement est reportée d'une semaine au moins. Le bulldozer, convaincu que rien ni personne n'est capable de lui résister, a été freiné dans son élan. La démocratie italienne n'est pas encore sous sa botte.


vendredi 9 août 2019

La porte des trous

La déconstruction des arches centrales du Pont des trous à Tournai fait du bruit. Des Tournaisiens en ont pleuré. La presse en parle abondamment, souvent sans maîtriser le dossier. Même le Guardian à Londres s'en inquiète. Les réseaux prétendument sociaux - c'est devenu leur spécialité - permettent à Monsieur et Madame Toutlemonde de tempêter.
Ces arches datent de 1947 et non du XIIIe siècle comme les tours qu'elles reliaient. Elles avaient été démolies durant la seconde guerre mondiale par l'armée anglaise. Leur démolition est justifiée, qu'on l'accepte ou non (1), par l'étroitesse du passage pour les bateaux.
Faut-il les reconstruire à l'identique ou d'une manière résolument contemporaine? C'est la bataille tournaisienne d'Hernani. Défenseurs du faux vieux et partisans du vrai neuf s'étripent.
Et voilà qu'un architecte tournaisien sort son œuf de Colomb. Jacques Desablens propose, au vu de l'état actuel du chantier, de quasiment tout laisser en l'état. "Le massacre a assez duré, écrit-il. Le passage pour les péniches est dégagé, le SPW (service public de Wallonie) est content et son ministre aussi... gardons la dernière arche sans rien reconstruire. On garde la travée côté beffroi, témoignant de la reconstruction de 1948 et on ne fait pas du faux vieux. On  reste aussi dans l'expression de la ruine, pittoresque et un tant soit peu romantique, sans lisses de guidage. Et cela ne coûte quasi rien...". (2)
Ce pont a toujours mal porté son nom, il n'a jamais permis de passer d'une rive à l'autre, mais bien de fermer le passage sur l'Escaut. Il n'était en rien un pont mais une porte militaire. "On pourrait garder les traces de la reconstruction, propose encore l'architecte, et le fait qu'une partie subsiste permet à l'imaginaire de reconstituer la courtine. En plus, cela n'est pas moche, ça ouvre la perspective; c'est une porte ouverte, dans laquelle on montre sa situation quand elle défendait...".
Voilà une excellente idée, une évidence à laquelle personne n'avait pensé.
Mais les pouvoirs publics seront-ils assez rapides et assez intelligents pour stopper le chantier?
Après tout, le ministre avait pris peu de temps pour jeter à la poubelle le projet issu d'une concertaion populaire.

(1) (Re)lire sur ce blog
« Démocratie de l’esthétique », 22.10.2015 
http://moeursethumeurs.blogspot.com/2015/10/democratie-de-lesthetique.html
et « De la complexité des arches », 9.4.2019 


lundi 5 août 2019

La déesse Croissance

"Pendant qu'on nous amuse avec des guerres et des révolutions qui s'engendrent les unes les autres en répétant toujours la même chose, l'homme est en train, à force d'exploitation technologique incontrôlée, de rendre la planète inhabitable, non seulement pour lui mais pour toutes les formes de vie supérieures qui s'étaient jusqu'alors accommodées de sa présence. Le paradis concentrationnaire qui s'esquisse et que promettent ces cons de technocrates ne verra jamais le jour parce que leur ignorance et leur mépris des contingences biologiques le tueront dans l'œuf. La seule vraie question qui se pose n'est pas de savoir s'il sera supportable une fois né mais si, oui ou non, son avortement provoquera notre mort." Ces lignes, visionnaires, ont été écrites en 1969 par Pierre Fournier (1) dans Charlie Hebdo. L'année suivante, le club de Rome publiait son rapport "Halte à la croissance", appelant à freiner d'urgence cette société du toujours plus, de la surproduction et de la surconsommation. Voilà donc cinquante ans que l'on sait, cinquante ans que des prophètes inspirés nous invitent à changer radicalement de mode de vie sous peine de mort.
Et depuis, la grande majorité des politiques, la plupart des journalistes, la quasi totalité des économistes ne jurent que par la croissance et nous prédisent des jours sombres dès qu'elle diminue.
L'homme est un animal sourd.
Juillet 2019 est le mois le plus chaud jamais mesuré sur la planète Terre (2). Mais qui s'en soucie vraiment? Ugly Trump fait la seule chose qu'il sait faire: vociférer en accusant les autres de tous les maux. Les élus belges peinent à construire des gouvernements, leurs ego comptant plus que l'avenir de la planète. Bart De Wever espère devenir un jour président de la République flamande, se trompant totalement de combat. A la fin du siècle, demain donc, un tiers de sa Flandre pourrait être sous eau.
En France, on n'entend guère d'appels à changer rapidement les priorités politiques. L'écologie devrait guider tous les gouvernements de la planète. Elle n'est toujours vue que comme un boulet qu'on voudrait oublier mais qu'on est bien obligé de traîner derrière soi.
"Ça ne marchera jamais beaucoup l'écologie, écrivait Cabu en 2005 (1), parce que ce n'est pas une idéologie de la facilité. Tout ce qui marche, c'est quand on flatte les gens dans le sens du poil, quand on leur dit Vous êtes les plus grands, les plus beaux, la source de tous vos malheurs, c'est l'Arabe du coin. (...) Les idées écologistes dérangent tout le monde, puisque ça contrarie tous les privilèges, tous les plans, toutes les théories capitalistes, etc. C'est un retour à la frugalité, ça ne plaît pas aux chefs d'entreprise, au monde de la production."
On ne serait pas surpris que juillet 2020 soit le mois le plus chaud jamais mesuré sur la planète Terre. L'année aussi où nous serons plus nombreux encore à nous précipiter dans les bouchons pour partir en vacances. 

(1) cité par Jean-Luc Porquet dans  son remarquable ouvrage "Cabu, une vie de dessinateur", Gallimard, 2018.
(2) https://www.lesoir.be/240396/article/2019-08-05/climat-juillet-2019-mois-le-plus-chaud-jamais-mesure-dans-le-monde