mardi 22 septembre 2020

SLA, Salut, les Amish

Il nous arrive parfois des choses étranges. Par exemple, se découvrir ce qu'on n'avait jamais pensé être. Ce qu'on n'avait pas imaginé une seule seconde. Etre amish, par exemple.                                                         Il a suffi d'une phrase du président Macron pour cela. Parlant de l'arrivée très contestée de la 5G, la cinquième génération de téléphonie mobile, il a estimé que c'est là le progrès et qu'on ne peut s'y opposer. A moins de vouloir vivre comme les Amish, estime-t-il. Voilà donc comment on se retrouve catalogué amish (1).                                                                                                                                                          Le président Macron se voit sans doute comme un symbole de la modernité. Mais qui est le plus ringard? Celui qui utilise ces vieux arguments (c'est ça ou la préhistoire, c'est le nucléaire ou la bougie) pour critiquer les arguments écolos tout en défendant une technologie inutile qui va provoquer une nouvelle catastrophe environnementale? Ou celui qui au nom de l'avenir de la planète appelle à s'opposer au progrès à tout prix?

(1) (Re)lire sur ce blog: "Restons stupides (et arriérés)", 29.12.2019 et "Ce vieux monde sourd, aveugle et cupide", 12.4.2020.


samedi 19 septembre 2020

Des questions

Suivre le procès des attentats de janvier 2015, c'est être renvoyé à une immense tristesse, à la perte de celle et ceux qui, à force de les lire, étaient devenus des proches et que d'obscur(antiste)s crétins surarmés ont froidement abattus comme dans un tir aux pipes. Et ce pour quelques dessins qu'ils n'avaient pas compris et auxquels, en agissant de la sorte, ils ont donné tout leur sens. (Oui, Mahomet doit vraiment se dire que c'est dur d'être aimé par des cons) C'est être renvoyé à la violence, à la bêtise, à la lâcheté, à l'incompréhensible.
Et c'est aussi à cela que sert un procès: tenter de comprendre au-delà des responsabilités de chacun. Comprendre pourquoi, comprendre comment, et sans doute accepter que des questions restent à jamais sans réponse. 
L'équipe de Charlie Hebdo a demandé à un de ses membres de suivre quotidiennement ce procès et de partager sur le site de Charlie ses réflexions (1). Yannick Haenel n'est pas journaliste, mais écrivain et il a intégré l'équipe après l'horreur du 7 janvier. Ce qui lui permet sans doute cette vision cathartique. Même si l'horreur nous dégoute et nous noie, ses propos nous permettent de surnager.

"Tout le procès tend vers ce point innommable, vers cette scène qui nous a été rappelée ce matin parce qu’elle est le cœur de la tragédie. Offre-t-elle à ceux qui en soutiennent la vision une quelconque vérité ? Je ne sais pas. Sans doute pas, mais elle dit que cette vérité existe et qu’elle peut être rejointe selon le cœur de chacun (par le deuil, la conscience de l’atrocité, l’adieu à ceux qui ont fini leur vie, par l’amour qui doit se substituer au crime). 
Ça a eu lieu, et rien ne doit l’effacer. Dire les noms, saluer les corps par l’endurance de notre regard : ici commence un nouveau silence. Ce silence est notre éthique, il est celui de nos battements de cœur.
"Permettez-moi de continuer encore un peu. Faire la vérité implique-t-il de soutenir l’horreur ? Les rescapés, les familles choisissent le plus souvent de ne pas regarder des images qui dégraderaient la mémoire de ceux qu’ils aiment. Alors disons ceci : dans ce tribunal, dans tout tribunal peut-être, nous qui souffrons moins qu’eux, nous regardons pour eux — à leur place. C’est pourquoi j’ai accepté d’être là et d’écrire ce compte rendu quotidien dont je sais qu’il sera chaque jour plus difficile parce qu’il m’entraîne vers un lieu si reculé en nous que l’humain semble s’y consumer. Mais ces flammes, je les vois aussi comme des lueurs. J’en ressens la justesse, j’en devine l’innocence, j’en attends la justice."  (4e jour)

Et ceci encore, parlant du tribunal et du procès qu'il mène:
"Mais il n’empêche : nulle part ailleurs, il n’existe, dans la société, un tel rassemblement de paroles, sauf dans la littérature (mais la littérature n’est pas la société, elle est une résistance à la société). Aujourd’hui, plus personne n’écoute personne. La contradiction n’est plus considérée comme un moment du dialogue, chacun ne parle que pour soi ou sa communauté d’intérêts ; et d’ailleurs, les gens ne se mélangent plus car ils ne supportent plus de rencontrer quelqu’un qui n’est pas d’accord avec eux. D’où aussi les problèmes de Charlie Hebdo : les problèmes que ce journal pose, les problèmes qu’il subit." (8e jour)

Et enfin, ceci, publié ce matin. Cette question sans doute sans réponse: pourquoi Coulibaly a-t-il assassiné la jeune policière Clarissa Jean-Philippe alors qu'elle s'occupait d'un accident sans gravité avec lequel il n'avait rien à voir?
"J’aimerais essayer de penser les crimes de Coulibaly parce que, justement, plus encore que ceux des Kouachi — ou du moins d’une manière différente —, ils ont à voir avec l’impensable. Il me semble qu’ils ne sont pas entièrement réductibles à l’idéologie islamiste, ou disons que s’ils s’y soumettent, celle-ci ne les définit pas intégralement : il reste une part — et certains soirs il me semble que c’est la pire —, qui relève d’une autre dimension. L’islamisme radical, balbutié chez ces gens-là comme une psalmodie criminelle dont on se demande en quoi elle a à voir avec Allah et Mahomet, est surtout un bon prétexte pour tuer. La part la plus noire du crime chez Coulibaly est purement gratuite, elle est sa jouissance même, la dimension démoniaque qui a pourri son âme, et qui le pousse à tuer quelqu’un pour rien. À assassiner telle ou telle personne, au hasard, dans la rue, le matin, le soir, peu importe. Nous autres qui passons nos vies à chercher, qui voulons comprendre, qui nous imaginons que même le mal a ses raisons, nous ne sommes sans doute pas à la hauteur d’un phénomène qui touche à la racine même de la malfaisance : sa terrible gratuité. Le mal peut bien se donner toutes les raisons du monde, au fond il n’en a pas : il est sans cause. Nous demandons pourquoi, mais il est possible qu’il n’y en pas de pourquoi, car c’est dans l’absence de sens — dans l’insensé — que gît réellement le mal." 

A suivre quotidiennement, textes de Yannick Haenel, dessins de François Boucq:
https://charliehebdo.fr/themes/proces-attentats/

mardi 15 septembre 2020

C'est la faute à la société

Le recteur de la Grande mosquée de Paris a appelé à respecter Charlie Hebdo (1). Mais d'autres responsables musulmans continuent leurs appels à la haine (2). Ainsi, l'Observatoire pour la lutte contre l'extrémisme d'Al-Azhar (considéré comme la plus haute instance de l'islam sunnite) affirme que la une de Charlie Hebdo du 2 septembre (qui republiait, dans le cadre du procès des présumés complices des assassins, les caricatures qui ont justifié un tel massacre) est un crime. Cet observatoire a donc d'étranges conceptions de ce qu'est l'extrémisme et des moyens de lutter pour le combattre: il ne condamne pas l'horrible crime des assassins qui prétendaient agir au nom du prophète, mais renverse les responsabilités et jette de l'huile sur le feu. Peut-être s'est-il donné pour rôle d'observer comment l'extrémisme progresse à partir de ses propres déclarations?                                                                                                                    Parlant de cette même une, le Ministre des Affaires étrangères du Pakistan (de la République islamique du Pakistan) estime que "cet acte de provocation délibérée qui offense des milliards de musulmans ne peut pas être justifié par l'exercice de la liberté de la presse ou de la liberté d'expression". On ne sait où il trouve "des milliards de musulmans". Sans doute compte-t-il tous ceux qui sont décédés depuis la naissance du prophète. Parce qu'actuellement il y en aurait 1,8 milliard dans le monde. Et visiblement nombreux sont, heureusement, ceux d'entre eux qui considèrent (sans oser le dire trop fort) que les assassins font plus de tort à l'islam que quelques dessins. Ce grand rigolo de ministre affirme encore que "ce genre de comportement (publier des caricatures) va à l'encontre des aspirations mondiales à une coexistence pacifique et à l'harmonie sociale et interreligieuse". Tous les démocrates pakistanais qui ont été exécutés pour blasphème ne sont plus là pour témoigner du rôle actif que joue quotidiennement le gouvernement pakistanais dans la coexistence pacifique et l'harmonie sociale et interreligieuse.                    La Turquie, autre modèle de démocratie, évoque, s'agissant de Charlie et pas de l'islamisme, une "mentalité malade". Le Ministre turc des Affaires étrangères accuse les démocraties acceptant de telles caricatures de favoriser la résurgence de "fascistes et de racistes en France et en Europe".                            Bref, l'auto-critique n'existe pas en terre d'islam et les victimes sont coupables.

Mais chez nous aussi, il ne reste pas bien vu de pointer du doigt les dérives fascistes islamistes. Gérard Biard, rédacteur en chef de Charlie Hebdo, relève un article du Monde publié deux jours avant l'ouverture du procès des attentats de janvier 2015: "pourquoi il ne faut pas surévaluer les motivations religieuses des terroristes" (3). Il s'agit plutôt d'un "phénomène de bande" plutôt que de terrorisme islamiste, estime l'auteur de l'article. "La rhétorique est sans surprise, écrit Biard, et fait partie de la panoplie du parfait petit relativiste: affirmer qu'une idéologie criminelle n'est pas le produit d'un discours - ici, d'un discours fanatique religieux - mais d'éléments disparates, incontrôlables, qui auraient pu tout aussi bien produire autre chose." Et Gérard Biard de rappeler l'historique de toutes ces menaces et de tous ces attentats contre qui se montre un tant soit peu critique vis-à-vis de l'islam. Des Versets sataniques  de Salman Rushdie aux attentats et agressions à Madrid, Tunis, Berlin, Bruxelles, Paris ou New York, au Pakistan, en Algérie, au Mali, au Nigéria ou en Egypte. C'est au nom d'Allah qu'on tue et appelle à tuer. Les ignobles tueurs de Charlie Hebdo ont dit être venus venger leur prophète. Ils n'étaient pas des représentants de la firme Kalashnikov venus faire une démonstration commerciale. "L'article du Monde, conclut Gérard Biard, s'inscrit dans cette doxa, largement répandue, qui réfute en creux qu'un discours religieux puisse produire une doctrine mortifère et criminelle, et ne craint pas le ridicule en minimisant le rôle de l'islamisme dans le djihadisme."                                                                                                                                                      Et ne parlons pas de l'écœurant Jean-Luc MélenChe qui confond sciemment les magazines Valeurs actuelles et Marianne et Charlie Hebdo (4).                                                                                                   Aujourd'hui, Charlie Hebdo, journal fondamentalement antiraciste et laïc, est bien seul à mener ce combat essentiel pour la liberté de pensée.

(1) voir le billet précédent de ce blog.                                                                                                              (2) Inna Shevchenko, "Caricatures de Mahomet - #JeSuisCharia contre #JeSuisCharlie", Charlie Hebdo, 9.9.2020.                                                                                                                                                        (3) "Religion, poil au menton", Charlie Hebdo, 9.9.2020.                                                                              (4) https://www.marianne.net/debattons/billets/l-universalisme-seule-boussole-de-l-antiracisme-le-philosophe-henri-pena-ruiz?utm_medium=Social&utm_source=Twitter&Echobox=1598871487#xtor=CS2-5

Note: désolé pour la mise en page. Je teste la nouvelle configuration de Blogger...

                                                                           

lundi 7 septembre 2020

Que vive Charlie Hebdo

Enfin ! Enfin, un haut représentant du culte musulman appelle ses fidèles à respecter Charlie Hebdo. Le recteur de la Grand mosquée de Paris, Hafiz Chems-eddine, souhaite « que Charlie Hebdo continue d’écrire, de dessiner, d’user de son art et surtout de vivre. Que le drame qui a frappé cette publication, des policiers et nos compatriotes juifs serve de leçon à la communauté nationale, mais aussi à ceux qui se réclament de l’islam, à ceux qui se disent amis des musulmans et qui ne condamnent pas clairement ces crimes terroristes : en quoi le meurtre de dessinateurs a fait avancer la cause des musulmans ? Et en quoi la destruction et la barbarie peuvent-elles servir la cause de l’islam ? », demande-t-il (1).

« Tout ça pour ça » a titré Charlie dans son numéro du 2 septembre, le jour où s’est ouvert le procès des présumés complices des assassins de son équipe. « Tout ça », c’est ce massacre. « Pour ça », ce sont des caricatures, comme il y en a eu tant d’autres. Celles-ci, pour la plupart, dénonçaient la prise en otage de l’islam par des obscurantistes prêts aux pires violences pour asseoir leur pouvoir.
« Si le crime est si difficile à nommer, écrit Riss, directeur de Charlie, c’est parce qu’il fut commis au nom d’une idéologie fasciste nourrie dans les entrailles d’une religion. Et rares sont ceux qui, cinq ans après, osent s’opposer aux exigences toujours plus pressantes des religions en général, et de certaines en particulier.
« Des procès, poursuit-il, il faudrait donc en faire non pas un, mais dix, vingt ou cent. Contre les coupables, mais ils sont morts. Contre leurs complices, et ils sont là. Mais  aussi contre la lâcheté, le cynisme, le pédantisme, l’inculture, la trahison, la couardise, le confort intellectuel, l’opportunisme, l’aveuglement, la suffisance, la superficialité, les calculs politiques, l’inconscience, la légèreté, le défaitisme, l’indécision, l’imprévoyance et mille autres travers qui, séparément, semblent anodins, mais qui, tous réunis, ont permis d’exterminer un journal. » (2)

Il y a tous ces charognards, tous ces immondes, tous ces hypocrites, toutes ces âmes  qui se pensent bien nées, « amies » des pauvres musulmans, prompts à traiter d’islamophobes qui se moque de l’islam. Se rendent-ils compte de leur racisme ? Ils laissent entendre que les musulmans ne peuvent entendre la critique et l’humour. Ils insultent les hommes et les femmes qui, dans les pays dominés par l’islam, tentent de vivre libres, de se dégager du poids d’une religion qui entend régir tous les aspects de la vie quotidienne.
Il faut respecter les religions, affirment-ils, la main sur le cœur. Pourquoi pourrait-on se moquer de tout, sauf de ces religions qui se moquent royalement de nous ? Qui inventent des histoires terrifiantes de dieux menaçants et vengeurs, qui multiplient les règles pour nous empêcher de jouir de la vie, qui se préoccupent du contenu de nos assiettes et de ce qui se passe sous nos draps.

Bien sûr, on se réjouit des propos du recteur de la Grand mosquée de Paris, espérant qu’ils seront entendus aussi de tous ceux qui se prosternent devant les déviances assassines d’une religion. Mais le chantier est immense pour lui. Charlie Hebdo a fait réaliser un sondage dont les résultats sont particulièrement inquiétants (3).
74% des 15 à 24 ans se déclarant musulmans font passer leurs convictions religieuses avant les valeurs de la République et 73% d’entre eux estiment que l’islam, leur seule vraie religion, est incompatible avec les valeurs de la société française. Seuls 62% d’entre eux condamnent totalement les frères Kouachi, les sombres assassins crétins de l’équipe de Charlie.
Comme l’écrit Gérard Biard, rédacteur en chef de Charlie, « l’Education nationale a aujourd’hui un problème autrement plus compliqué  et explosif à gérer qu’une bête distribution de masques et de gel hydroalcoolique ».

(1)         Le Figaro, 5.9.2020.
(2)         « Ceux que nous avons perdus », Charlie Hebdo, 2.9.2020.

(3)         « La liberté d’expression, c’est important, MAIS… », Charlie Hebdo, 2.9.2020.