samedi 18 juillet 2020

Mouton vole

Le monde ne sera plus comme avant. C'est ce que, nombreux, nous avons voulu croire pendant le confinement. S'arrêtant (enfin), on ne pouvait pas ne pas voir la folie de notre monde et ses conséquences assassines pour nous et pour la planète.
"Le peuple, saoulé de dettes, de publicités invasives, de merdouilles qui s'empilent dans ses placards, va-t-il envoyer valdinguer ce système absurde, se demande Jacques Littauer (1), où l'on vit pour travailler, alors que, comme l'avait justement prédit Keynes il y a quatre-vingts ans, si nous travaillions tous trois petites heures par jour, pour produire seulement des trucs réellement utiles, le chômage disparaîtrait? De plus, n'est-ce pas le moment de consommer moins d'énergie, de plastique et de pesticides?"
Oui, c'est le moment. Evidemment, c'est enfin le moment. Mais certains ne le savent pas.

La 5G ne sert à rien. "L'immense majorité des particuliers et même 85% des industriels n'en ont pas besoin", affirme Jacques Littauer (2). Mais elle s'installe comme un virus, même si personne ne la demande. Le nombre d'antennes va exploser autant que la pollution et le volume de déchets électroniques. Sans parler des conséquences sur notre santé de ces outils inutiles.

Les chambres d'agriculture ont profité du confinement pour organiser en douce des consultations publiques sur les distances d'épandage des pesticides dans le cadre de chartes "de bon voisinage". La préfecture de l'Orne en a profité pour décider que ces distances - en soi déjà ridicules - n'avaient plus cours si une maison est inoccupée pendant trois jours (3). Plus question de partir en week-end sans courir le risque de voir son potager bio arrosé de pesticides.

La Région Auvergne-Rhône-Alpes a décidé d'entreprendre d'ici la fin de l'année "le plus gros chantier de la Haute-Loire depuis trente ans": une déviation deux fois deux voies entre deux bourgs. Longue de 10,5 km, elle comportera 13 ouvrages d'art et un viaduc de 300 mètres et détruira 140 hectares dont une vingtaine en zone humide (4). Mais le gain de quelques minutes pour les automobilistes n'a pas de prix. Ou plutôt si: 226 millions d'euros.

Parmi ses 149 propositions, la Convention citoyenne sur le climat envisageait de supprimer les vols intérieurs domestiques s'il existe une alternative ferroviaire "en moins de quatre heures". Mais avant qu'elle ne soit rendue publique, le gouvernement français s'est dépêché d'annoner son plan de soutien à Air France en le conditionnant notamment à l'interdiction de vols intérieurs s'il existe une liaison en train de moins de 2h30 et non 4. Actuellement, on compte 1.064 vols intérieurs à partir d'Orly. Seuls ceux vers et à partir de Lyon, Nantes et Bordeaux sont supprimés. Les 183 vols de Toulouse, les 159 de Nice, les 80 de Marseille, les 16 d'Aurillac et des centaines d'autres sont maintenus. (5)

Le maire d'un village du sud de l'Indre se réjouit d'accueillir bientôt sur le territoire de sa commune une entreprise qui fait voler les moutons. Deux mille reproducteurs mâles et femelles ont ainsi été expédiés récemment en Iran à partir de l'aéroport de Châteauroux-Déols.

Le monde ne sera plus comme avant. Il sera pire. Pendant que les moutons volent, les pigeons que nous sommes sont pris pour des veaux.

(1) Jacques Littauer, "Décroissance... de la démocratie", Charlie Hebdo, 8.7.2020.
(2) "La 5G, c'est que... des emmerdes", Charlie Hebdo, 1.7.2020.
(3) "A pleins poumons", Le Canard enchaîné, 15.7.2020.
(4) Fabrice Nicolino, "Wauquiez claque notre fric pour 10 km de route", Charlie Hebdo, 24.6.2020.
(5) "Oups, un trou d'air!", Le Canard enchaîné, 15.7.2020.


jeudi 9 juillet 2020

Je ne suis pas tout blanc

Je suis un salaud. Je suis un salaud. Je suis un salaud. Je suis un salaud. Je suis un salaud. Je suis un salaud. Je suis un salaud. Je suis un salaud. Je suis un salaud. Je suis un salaud. Je suis un salaud. 
Je ne le dirai jamais assez.
Je suis blanc, je suis un homme, j'ai fait des études supérieures, je suis retraité. Bref, je suis un salaud, un exploiteur, un raciste, un macho, un profiteur.

L'antiracisme bon teint qui se répand actuellement comme une injonction à mettre les deux genoux en terre fait de chaque Blanc un raciste. Qu'il le veuille ou non. C'est sa couleur de peau qui le veut. Qui est blanc est raciste. Le Blanc a beau penser ce qu'il veut, avoir l'attitude qu'il veut, il n'y pourra rien, il sera toujours raciste. Et plus encore s'il l'ignore. Salaud de moi! Chaque matin, je cueille un bouquet d'orties et m'en fouette nu dans le fond du jardin en le parcourant à genoux sur des chardons. Et la nuit, parfois, sur des charbons ardents. Grâce à l'antiracisme d'aujourd'hui, le judéo-christianisme, qui perdait du terrain ces derniers temps, reprend du poil de la bête. Je suis coupable de la colonisation, de l'esclavage, du racisme. Mea culpa, mea culpa, mea maxima culpa!

Un livre de 2018 de la sociologue américaine Robin DiAngelo, best-seller aux Etats-Unis, vient de sortir en français: "La fragilité blanche - Ce racisme que les blancs ne voient pas". Une bonne partie de la gauche française l'encense. Cette fragilité blanche désigne pour DiAngelo l'impossibilité dans laquelle nous sommes, nous Blancs, de réaliser que nous sommes tous racistes. Nous devons nous penser comme Blancs, assumer notre identité blanche. Parler d'identité blanche, demande Laure Daussy dans Charlie Hebdo (1), "n'est-ce pas le plus beau cadeau que la gauche peut offrir à l'extrême droite?". 
Dans la même édition de Charlie Hebdo, Tania de Montaigne (dont le nom n'indique pas qu'elle est Noire - oui, c'est compliqué) place ce livre dans la veine des livres de développement contritionnel: "genre littéraire basé sur l'idée d'associer développement personnel et contrition. La particularité de ces ouvrages, c'est qu'ils sont écrits par des intellectuels blancs qui envisagent le racisme comme s'il était le péché originel et l'antiracisme comme un acte de pénitence. Principe dont la conséquence directe est de faire de toute personne non blanche un prêtre en puissance. Pardonnez-moi, ma sœur, car j'ai pêché! D'ailleurs, mon emploi du temps commence à devenir un peu chargé puisque, en plus de mes activités quotidiennes, je dois aussi donner l'absolution."
Tania de Montaigne constate que les concepts de cette littérature baigne dans le religieux: on y parle de faute, de honte, de culpabilité, de bien et de mal. "Ce qui conduit tous ces auteurs à considérer que toute personne non blanche a forcément raison et que toute personne blanche a naturellement tort."
On se dit alors que, lors du génocide rwandais, Hutus comme Tutsis devaient tous avoir raison. Qu'on ne peut condamner les Khmers rouges qui ont fait périr un tiers de la population de leur pays. Qu'Idi Amin Dada ne pouvait être critiqué. Pas plus que les Incas qui ont asservi les peuples autour d'eux.
Tania de Montaigne estime que "ces ouvrages n'ont absolument pas pour but de faire en sorte que les choses changent. Bien au contraire. Tout y est organisé pour que le racisme continue à être perçu comme un problème de noirs, de jaunes, de rouges... mais certainement pas le problème de tous. Les non-blancs y sont présentés comme des êtres à part, spéciaux, incompréhensibles pour qui n'est pas comme eux, définis uniquement au regard de ce qu'ils subissent". 
Les Blancs, eux, selon Robin DiAngelo, doivent se rééduquer. Le maoïsme n'est pas mort. 

"Sous couvert de disruption et de prise de conscience radicale, écrit encore Tania de Montaigne, ces livres proposent, en fait, une philosophie de l'immobilité. En résumé: agir, c'est ne rien faire. Le travail du blanc, c'est la culpabilité et le retrait. Un rêve de moine. Totalement basés sur l'individualisme, ces ouvrages n'offrent aucun outil pratique de lutte collective mais permettent simplement à ceux qui les lisent de se sentir mal, donc bien. Un rêve SM. (...) Chacun est à nouveau essentialisé et réduit à une nature indépassable. Tout cela permettant d'oublier complètement le sujet de départ, à savoir lutter pour que chacun accède à l'égalité et au plein exercice de sa liberté. Le racisme peut donc tranquillement continuer sa route, comme si de rien n'était."
Et d'ajouter que "la lutte contre le racisme commence là, dans notre capacité à sortir de ce collage persistant qui voudrait que le noir dise qui est le blanc et le blanc dise qui est le noir". 

Je n'ai pas choisi d'être blanc, ni de sexe masculin. Etre chauve, myope et de taille très moyenne diminue-t-il un peu ma culpabilité vis-à-vis des Noirs et/ou des femmes qui sont grand-e-s et ont des cheveux et de bons yeux? J'espére que les malfaçons dont je suis victime m'expédieront plutôt au purgatoire qu'en enfer. 

(1) "La fragilité blanche", le rêve sadomaso du nouvel antiracisme, Charlie Hebdo, 8.7.2020.


vendredi 3 juillet 2020

Régression

On le craignait (1), il l'a fait: le président français n'est pas si grand qu'il le croit, il s'est couché devant le lobby automobile et a retiré des 149 propositions de la Convention citoyenne pour le climat celle qui consistait à abaisser à 110 km/h la vitesse maximale sur autoroute. Les Français doivent pouvoir rouler vite et pour pas cher. C'est un droit aussi inaliénable que celui des Américains à porter une arme. Un droit défendu becs et ongles par les Gilets jaunes que Macron craignait sans doute de voir repartir à l'assaut des ronds-points.
Rouler vite signifie plus d'insécurité routière, plus de morts, plus de consommation de carburant et plus de pollution. Tant pis pour l'écologie et pour la sécurité routière. La Sainte-Auto a tous les droits. La voiture individuelle reste sans conteste l'objet le plus vénéré de nos sociétés. Y toucher relève du sacrilège.

Ce 1er juillet, quarante-cinq agents du Département de l'Indre ont installé sur certains tronçons routiers des panneaux autorisant une vitesse maximale de 90 km/h plutôt que les 80 imposés partout (2). Il y a deux ans, ils avaient enlevé ces mêmes panneaux. Cette fois, ils en ont placé 400. Sachant qu'un panneau, son support et un éventuel panonceau coûte 100 euros, ce geste aux Gilets jaunes et au lobby automobile aura coûté, rien qu'en Indre, 40.000 euros. Combien à l'échelle française pour faire marche arrière et se (et nous) précipiter un peu plus vite dans le mur?
Dans le même temps, exit Edouard Philippe de son poste de premier ministre. C'est lui qui avait imposé la limitation à 80 km/h malgré les grognements, voire les hurlements des automobilistes. Emmanuel Macron aura bien du mal à nous faire croire à la moindre volonté de donner un vrai tournant écologique à son pays. On croit plus à son envie d'être réélu.

(1) (Re)lire sur ce blog "En avant, citoyens!", 28.6.2020 et "Ceux qui n'ont rien compris", 5.6.2020.
(2) "Quatre cents panneaux posés un un jour", La Nouvelle République - Indre, 2.7.2020.