lundi 29 mai 2023

Le prix de la liberté

Libre enfin ! Le travailleur humanitaire belge Olivier Vandecasteele a été libéré vendredi dernier après 455 jours de détention en Iran. Officiellement accusé d’espionnage, il avait été condamné à 40 ans de prison et à une punition de 74 coups de fouet (1). En réalité, il était otage du régime iranien qui est arrivé à ses fins en l'échangeant contre l'un des ses diplomates, Assadolah Assadi, qui avait été condamné en 2018 en  Belgique à 20 ans de prison pour un projet d'attentat contre un rassemblement de l’opposition iranienne à Villejuif, près de Paris. 
La libération d'Olivier Vandecasteele est évidemment une excellente nouvelle, d'autant qu'on a pu craindre qu'il ne sorte jamais vivant de l'enfer dans lequel l'avaient plongé les fous de Dieu, mais elle se teinte d'amertume du fait précisément de cet échange entre un innocent et un terroriste. Et c'est tout le problème de ces échanges, pièges tendus aux démocraties par des régimes dictatoriaux contre lesquels ne peuvent rien ou si peu les défenseurs du droit et de justice. Ces Etats voyous s'en moquent, connaissent notre impuissance et ne cesseront de nous adresser des bras d'honneur. On ne peut les présenter comme sans foi ni loi. Leur foi aveugle (en un dieu, en leur nationalisme ou en tout cas en eux-mêmes) leur permet les lois les plus iniques. 

(1) (Re)lire sur ce blog "Etat voyou", 14.12.2022
 https://www.blogger.com/blog/post/edit/7279672397566866750/7058406552239157049

jeudi 25 mai 2023

Parti dans la direction du Crest

J'ai l'impression d'avoir perdu un frère. Un frère qu'on comprend dans ses emportements sur ce monde insupportable, mais qui peut vous énerver parfois parce que, trop râleur, à force de critiquer tout et tout le monde il finirait par apparaître prétentieux. Et donc un frère...
Mais un frère aussi et surtout pour sa sensibilité à la nature, pour ces cris de buses qu'on retrouve dans ses morceaux, pour sa musique qui marche dans l'herbe, ces meuglements de vaches, ces caquètements (1). Parfois, en écoutant ses disques, on sent l'odeur du foin coupé, celle du fumier ou de l'eau d'un lac. Parfois, on entend tomber la neige sur le Sancy.
Les textes de Jean-Louis Murat, à la fois obscurs et lumineux, incompréhensibles et envoutants, hargneux et doux, délirants, nostalgiques ou apaisés, beaux, simplement beaux, vous collent aux semelles et vous donnent envie de marcher dans ses montagnes dans les pas du berger de Chamablanc jusqu'au col de Diane. Son blues auvergnat vous aide à respirer. Et vous donne même envie d'embarquer sur le tracteur pour aller camper à la ferme (2).

Le siège de l'âme c'est la forêt
Le brouillard
Les genêts
Je ne suis plus celui qui a chanté
Où finir
Où aller
Dans un grand silence de printemps
Un troupeau
Un enfant
Quelle dernière syllabe tant
Aimée
Dans ma nuit
Haut perchée
Et n'y puis rien changer..

Partir dans la direction du Crest
Mille hectares de forêt
En longeant le champ des cerisiers
Quelque chose de léger
Poulain mal venu sous un poirier
Mon enfance
Disparaît
Quelle est la lueur qui s'en va
Quel écho
Quelle voix
Et n'y puis rien changer...
("Dans la direction du Crest", sur l'album Babel)
https://www.youtube.com/watch?v=ianohLd5uiE 

Tant la vie demande à rêver / Tant de sucs à s'imbiber / Tant de sève tant de baisers / Tant la vie demande à rêver
Tant la vie demande à jouir / Tant de traces, de pensées / Tant de vibrations de glaciers / Tant la vie demande à jouir
Mais tant la vie demande à aimer / Et tant la vie demande à mourir / Je ne peux aimer mourir

("Tant la vie demande à mourir," sur l'album Lilith)
https://www.youtube.com/watch?v=vyNwILjdvC4

Jean-Louis Murat fut le seul chanteur francophone à avoir été invité à reprendre une chanson (Avalanche IV) de Leonard Cohen sur un disque d'hommage (I'm your fan).
https://www.youtube.com/watch?v=lK9tYGAk2Ag

(1) Le lait des narcisses : 
https://www.youtube.com/watch?v=xRUV8P8QwiM&list=PLiN-7mukU_RHSrWGDzNDOmb68ZyNAZ_Wj&index=15
(2) https://www.youtube.com/watch?v=fiVTvsHAebE

lundi 22 mai 2023

Confusion will be my epitaph

A traiter de nazi n'importe qui pour n'importe quoi, on relativise le nazisme. La semaine dernière à Avignon, une trentaine d'affiches ont été placardées sur des panneaux publicitaires. On y voit une photo du président Macron, les cheveux grisonnants avec les chiffres 49-3 lui faisant une moustache semblable à celle d'Hitler. 
C'est un graffeur nommé Lekto qui a créé cette affiche. Il est déjà poursuivi, rappelle Le Monde (1), "dans une enquête pour provocation à la haine, après avoir réalisé une fresque antisémite représentant Emmanuel Macron en marionnette manipulée par l’économiste Jacques Attali, en juin 2022. Ce dernier avait porté plainte pour provocation à la haine, tandis que la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA) avait annoncé qu’elle se porterait partie civile."
Voilà donc un antisémite qui traite un président de nazi parce qu'il a fait passer l'âge de la retraite de 62 à 64 ans en utilisant un outil législatif légal, même s'il apparaît peu démocratique. Cherchez le nazisme que dénonce l'antisémite. On s'y perd. Finalement, le nazisme, ce n'était donc pas si grave alors. Mais peut-être cette confusion est-elle recherchée. Poutine, le tsar du culot et de la violence, qui traite de nazi le gouvernement ukrainien agit de même. Si les mots ne veulent plus rien dire, tout est possible. A commencer par le pire. 

(1) https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/05/18/une-enquete-ouverte-a-avignon-apres-l-apparition-d-affiches-representant-a-nouveau-emmanuel-macron-sous-les-traits-d-adolf-hitler_6173866_3224.html

vendredi 19 mai 2023

Des électeurs hors-sol

Quel sens y a-t-il à voter pour des élections qui ont lieu dans un pays dans lequel on ne vit pas ? 
Selon toute vraisemblance, le sultan Erdogan sera réélu président pour un nouveau mandat dans une dizaine de jours. Et il le sera notamment grâce aux voix des Turcs vivant à l'étranger. Ils sont 2,7 millions en Allemagne, 700.000 en France. Dans leur immense majorité, ils votent pour lui. En 2018, 75% des Turcs de Belgique l'avaient choisi. Mais ils n'ont pas, eux, à supporter les conséquences de l'inflation et du séisme de février qu'est incapable de gérer Erdogan le tout-puissant. Vivant dans des pays démocratiques, ils ne connaissent pas la suppression de la liberté de la presse, ils ne sont pas en danger comme le sont les opposants par principe considérés comme des soutiens du terrorisme. Ils ne subissent pas le poids de l'islamisme sur lequel s'appuie le régime de l'autocrate qu'ils participent à imposer à leurs compatriotes restés au pays.
On ne devrait pouvoir voter que dans le pays où l'on réside. Sinon, on exprime un vote qui n'a aucune incidence sur notre vie. Et qui n'a donc pas de sens. 


samedi 13 mai 2023

Des haies et des hommes

Dans la série "Ce monde marche sur la tête", parlons des haies. Voilà des années, des décennies sans doute, qu'on nous appelle à les respecter, qu'on nous vante leurs multiples qualités et que les pouvoirs publics réinvestissent pour soutenir leurs replantations. On serait donc amené à croire qu'il y en a de plus en plus. On se trompe totalement.
Depuis 1950, la France a éliminé 70 % de ses haies, soit 1,4 million de kilomètres de végétation détruite. Et la destruction se poursuit allègrement. L’arrachage de haies a beau être interdite par la PAC depuis 2015, selon un rapport du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), indique le Huffingtonpost (1), la France perd en moyenne, depuis 2017, 23.500 km de haies par an, deux fois plus que ce que l’on arrachait il y a dix ans.
Or la haie est un excellent moyen de lutter contre la sécheresse. « La haie permet de retenir l’eau et de la faire pénétrer dans les sols, jusqu’aux nappes phréatiques, plutôt que de la laisser ruisseler sur les terrains et provoquer de l’érosion », indique Luc Abbadie, écologue. Plantées perpendiculairement aux pentes, elles limitent à la fois les risques de crues et de sécheresse. Elles permettent aux troupeaux de s'abriter du vent, du soleil et de la pluie, elles favorisent la biodiversité, réduisent les extrêmes de températures et permettent de stocker du CO2. "Dans les vignes, les haies sont efficaces pour couper les vents caniculaires du sud, qui viennent brûler les feuillages des cultures », constate Sylvie Monier, agronome et directrice de la Mission haies Auvergne-Rhône-Alpes. Les arracher tient donc d'une rare bêtise. C'est pourtant ce que continuent à faire quantité d'agriculteurs parce qu'elles occupent de la place sur leurs terres et diminuent ainsi les rendements. L'élimination des haies a longtemps été vue comme un signe de modernité. Mais cette modernité-là est aujourd'hui totalement ringarde et inadaptée aux aléas climatiques que nous connaissons à présent.
En 2021, le gouvernement  français a lancé un programme de replantation de haies » et investi 50 millions d’euros pour aider les agriculteurs à planter 7.000 km de haies sur la période 2021-2022. Et chaque année, 23.500 km de haies disparaissent...

(1) https://www.huffingtonpost.fr/environnement/video/le-nombre-de-haies-degringole-en-france-et-c-est-un-mauvais-choix-face-au-changement-climatique_217180.html





mardi 9 mai 2023

Des jours sans

La religion est partout. Même dans l'énergie. Voilà qu'en Israël des juifs orthodoxes exigent une électricité casher. Le samedi, jour du shabbat, le travail est interdit pour les juifs. Seuls les médecins, les policiers et les militaires ont droit à une dérogation ce jour-là. Des élus orthodoxes se sont rendu compte que des employés travaillent le samedi dans les centrales électriques. Ils veulent dès lors le leur interdire en créant un statut spécial pour les centrales qui alimentent les villes où vivent les plus religieux : leurs employés seraient des non-juifs et elles seraient déconnectées du système général qui fournit de l'électricité non casher, car il ne peut être question de mélanger les deux. On l'imagine aisément, le dispositif à mettre en place serait d'une complexité rare et très coûteux. Ce qui n'empêche qu'une proposition de loi en ce sens vient de recevoir le feu vert du Conseil des ministres.
Actuellement, pour ne pas consommer de l'électricité non casher des familles utilisent des générateurs au fuel, très polluants. Casher ne veut donc pas dire propre. Ne pas confondre saint et sain.
Peut-on suggérer aux juifs orthodoxes de sortir de l'hypocrisie et de s'inspirer des amish ? Eux ne consomment pas du tout d'électricité.

https://www.radiofrance.fr/franceinter/grille-programmes?date=08-05-2023

samedi 6 mai 2023

Un monde fou

Vous plantez des arbres et des arbustes, tant et plus. Vous laissez pousser librement, un peu partout, herbes et fleurs sauvages. Vous respectez les haies. Vous laissez des tas de foin et de branchages pour qu'ils servent d'abris aux animaux. Et puis vous levez le nez. Et un découragement soudain vous tombe sur les épaules en voyant des dizaines de traces de passage d'avions. 
Vous vous souvenez de ce que vous avez entendu ces derniers jours. Air France a augmenté ses tarifs mais ses vols ne désemplissent pas, au contraire. Le nombre de vols de jets privés a explosé. Les voyageurs aériens sont toujours plus nombreux. Les agences touristiques et le commerce français réclament plus de vols au départ de la Chine : les touristes chinois sont de bons clients. 
Vous vous souvenez aussi avoir entendu que les stations de sports d'hiver ont fait le plein cet hiver et que les autoroutes sont saturées lors de tous les longs week-ends de ces semaines-ci.
Vous vous demandez qui sera tenu responsable de ce suicide collectif.



Et, parfois, vous vous dites qu'il vaudrait mieux ne regarder le ciel que la nuit.





jeudi 4 mai 2023

Tartarin de Valence

Le chasseur doit être le régulateur suprême. C'est ce qu'affirme Michel Sanjuan, président des chasseurs de la Drôme. Les sangliers causent trop de dégâts aux cultures, dès lors, les chasseurs, qui ont le sens du sacrifice, se font un devoir d'en abattre plus de 700.000 chaque année. Ils "régulent". Mais voilà que Michel Sanjuan constate, désolé, que les chasseurs ne sont pas les seuls à réguler. Les loups le font aussi. Et à cause d'eux, dit-il, le nombre de sangliers est en très forte baisse : moins 30% dans le département, affirme-t-il sans qu'on sache d'où il sort ces chiffres. 
"Bon, c’est plutôt une bonne nouvelle, non ?, commente le journaliste Hugo Clément (1). Les sangliers pullulaient et dévastaient nos cultures, donc on ne peut que se réjouir qu’il y en ait de moins en moins. Voilà ce qu'il (Sanjuan) dit : « Quand il n’y aura plus de grand gibier ou beaucoup moins de grand gibier, il y aura forcément beaucoup moins de chasseurs. On ne peut pas continuer comme ça ! » Suis-je bête ! Pour le président d’une fédération de chasse, la baisse du nombre de sangliers n’est pas une bonne nouvelle, puisque cela veut dire moins d’animaux à tuer… On est bien loin du joli discours sur la nécessaire régulation."
Pour le Tartarin drômois, la solution est simple : réguler - donc tuer - ce satané loup qui empêche les chasseurs de réguler le sanglier. Bref, ne plus protéger le loup pour permettre aux chasseurs d'être les rois de la régulation.
"Il reproche à un prédateur naturel de faire efficacement ce que les chasseurs prétendent faire depuis des lustres : réguler les sangliers, dit encore Hugo Clément. Et plutôt que de s’en réjouir, sa première réaction est de vouloir éliminer les loups pour réserver le gibier aux chasseurs. C’est tellement absurde qu’on pourrait en rire, mais cela a le mérite de la clarté. Plus qu’une nécessité, la « régulation » est avant tout un argument marketing, utilisé à tort et à travers, parfois de manière contradictoire, pour justifier des pratiques de chasse de plus en plus contestées par l’opinion publique."

(1) https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/en-toute-subjectivite/en-toute-subjectivite-du-mercredi-03-mai-2023-3518437



lundi 1 mai 2023

L'ère du PVC

J'ai été critique ici (1) sur le projet d'autoroute A69 Castres - Toulouse. J'ai eu tort. J'entends l'argument de ses défenseurs : désenclaver Castres. Ils ont raison : en cas d'incendies (qui seront de plus en plus nombreux à cause du réchauffement climatique), les habitants de la région pourront fuir plus rapidement grâce à l'autoroute. Mais fuir vers où ? Pas vers les Pyrénées orientales qui ont oublié ce qu'est la pluie : plus une goutte d'eau depuis douze mois et des incendies dès le printemps. Pas vers l'Espagne qui connaît la canicule dès avril et dont les deux-tiers du territoire risquent, à court terme, de se transformer en désert.  
Et puis, il s'agit d'un gain de temps appréciable : vingt minutes sur 62 km, voilà qui permettra aux automobilistes de trouver du temps pour consommer autre chose que des kilomètres.

Ces projets d'autoroute sont totalement anachroniques, l'époque des grands projets routiers est finie. Leurs promoteurs ont beau nous annoncer (sans rire) des autoroutes quasiment écolos, ils restent coincés dans la culture des années '60 et dans le culte de la déesse bagnole.
Quatre cents hectares de terres agricoles, de forêts, de zones humides vont être artificialisés. La France interdira la moindre artificialisation des sols à partir de 2030, mais persiste d'ici là dans ces pratiques d'un autre âge, comme un fumeur qui se dépêcherait de finir son paquet de cigarettes avant d'arrêter de fumer.
Ce système destructeur du toujours plus, toujours plus vite, toujours plus loin n'est pas remis en question.
Il ya une semaine, neuf pays (Belgique, France, Allemagne, Pays-Bas, Danemark, Irlande, Luxembourg, Royaume-Uni et Norvège) annonçaient leur projet d'installer en Mer du Nord de gigantesques parcs éoliens d'une capacité de production d'au moins 300 gigawatts à l’horizon 2050. C'est qu'il faut produire "vert" mais toujours plus d'énergie pour "répondre à la demande" tant des producteurs que des consommateurs. Nos pays restent coincés dans l'ère du PVC : Produire-Vendre-Consommer.

Le Ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, a annoncé sa volonté de dissoudre le mouvement Les Soulèvements de la Terre qui s'oppose à ce projet  d'autoroute A69 comme à d'autres types de projets destructeurs de biodiversité et générateurs de gaz à effet de serre. Casser le thermomètre n'a jamais fait tomber la fièvre.

"Dans les manuels d'histoire, on la nomme l'époque PVC, comme on dit l'antiquité ou la renaissance. En réalité, une époque particulièrement obscure, le monde et la planète ont mis des siècles à s'en remettre. C'était un temps où tout, absolument tout, des édifices au plus petit animal ou végétal avaient été élaborés en PVC. Qu'est-ce que le PVC ? Produire-Vendre-Consommer."

Patrick Henin-Miris, "Zadigacités", Cactus inébranlable éditions, 2021

(1) https://moeursethumeurs.blogspot.com/2023/02/une-question-de-temps.html
(Re)lire sur ce blog : "Machine arriérée", 4 avril 2023.