samedi 30 juin 2018

Tu aimeras ton prochain

Les réfugiés, ils n'en veulent pas. Eux, ils sont populistes, donc ils savent ce qu'aime et n'aime pas le peuple. Et le peuple, disent-ils, n'aime pas les autres. En tout cas pas ceux qui n'ont pas les mêmes racines chrétiennes qu'eux. Donc, c'est simple, il faut fermer les frontières.
En réalité, ils ont principalement bâti leur programme politique simpliste sur ce seul rejet des étrangers. "Ils veulent faire croire à la population que le plus grand problème de notre époque ce sont les réfugiés, et nombre de concitoyens tombent dans le panneau", écrit Stefan Ulrich dans le Süddeutsche Zeitung (1).
Parfois pourtant, la cohabitation se passe sans tension et le climat s'apaise. Ainsi au Luc en Provence, commune de 10.500 habitants gérée par le FN-RN, où l'annonce, voici six mois, de l'arrivée dans un centre d'accueil d'une trentaine de demandeurs d'asile afghans et soudanais avaient suscité une virulente opposition. 0,29% de la population allait faire basculer le bourg dans le chaos. "L'afflux de migrants va poser d'énormes difficultés dans cette ville", pouvait-on lire sur Internet. "Le Luc est un si joli village. Il va être saccagé par cette horde." La mairie Front national avait signé une charte anti-migrants. Le maire prévoyait une "hausse des actes de vols", une "baisse du nombre de touristes" et une "baisse des investissements des entreprises". Il allait jusqu'à affirmer que "leur sexualité pose souvent problème" (2). Six mois plus tard, Le Luc est toujours aussi tranquille, malgré la présence d'une "horde" de trente candidats réfugiés et certains habitants regrettent avoir signé cette pétition. Ils se sont laissés entraîner par leur horde à eux. Une vraie meute aujourd'hui plus tranquille. Le maire reconnaît que "les choses se passent bien", même s'il se dit toujours opposé à l'accueil de migrants. On ne sait rien de sa sexualité. On espère qu'elle ne pose pas problème.
Les fantasmes du maire du Luc correspondent aux "perceptions de l'extranéité" selon l'écrivaine américaine Toni Morrison : "menace, dépravation, inintelligibilité" (3).

Quant aux investissements des entreprises, que le maire se rassure : certaines d'entre elles voient d'un bon œil l'arrivée de migrants. Rians, village du Cher, a plus d'emplois que d'habitants et ses entreprises - une laiterie qui produit crèmes et yaourts, et une chaudronnerie - peinent à recruter. Récemment, la laiterie a engagé un informaticien qu'elle a recruté au Gabon. La Creuse commence à manquer de maçons, alors qu'il s'agit là d'une activité traditionnelle qui fit et fait encore sa réputation. Plus au sud encore, des entreprises sont heureuses de pouvoir compter sur des migrants qu'elles forment pour répondre à leurs besoins de main d'œuvre.

En attendant, malgré les réalités de terrain, bien moins sombres et dramatiques qu'ils le hurlent, les populistes tirent l'Europe vers le bas. L'accord flou issu du dernier sommet européen prévoit de créer dans des pays d'Afrique du Nord des "plates-formes de désembarquement" pour séparer le bon grain de l'ivraie, et sur le sol européen des "centres contrôlés" dans des Etats qui les accepteraient. L'Union européenne compte donc sur des Etats qui lui sont étrangers pour empêcher ceux dont elle ne veut pas d'arriver jusque chez elle. Et pour ceux qui y arriveraient, elle compte sur le volontariat. La France a déjà annoncé qu'elle n'avait "pas vocation à être un pays d'arrivée". Comme l'écrit Hadrien Mathoux dans Marianne (4), "le projet européen d'accueil des migrants est une initiative de volontaires... sans volontaires". La réforme de la convention de Dublin est, elle, reportée aux calendes grecques. Les Etats européens du groupe dit de Visegrad (Hongrie, Pologne, Tchéquie, Slovaquie) ont marqué leur accord pour financer ces centres avec la contrepartie qu'ils n'accueilleront aucun réfugié.
Par définition, les nationalistes ne voient que leur propre intérêt. La notion même de solidarité (dont ils ont largement bénéficié de la part de l'UE) leur est étrangère. "Les nationalistes n'ont (...) aucun intérêt à ce qu'on trouve une solution juste et raisonnable, parce qu'une Europe en crise les renforce. Et ces nationalistes sont non seulement au pouvoir à Varsovie et à Budapest, mais aussi à Rome, Vienne et Munich. Ils se sont introduits au cœur de l'Europe", écrit Stefan Ulrich.
En acceptant de se transformer en forteresse, l'Europe fait  triompher les populistes. "La moindre des choses, dit encore le journaliste allemand, serait qu'ensuite ils aient la décence de ne plus jamais prétendre défendre l'Occident chrétien. Car Dieu sait que leurs agissements n'ont rien de chrétien."

Sono arrivati che faceva giorno
Uomini e donne all' altiplano
Col passo lento, silenzioso, accorto
Dei seminatori del grano
E hanno cercato quello che non c'era
Fra la discarica e la ferrovia
E hanno cercato quello che non c'era
Dietro i binocoli della polizia
E hanno piegato le mani e gli occhi al vento
Prima di andare via

Fino alla strada e con la notte intorno
Sono arrivati dall' altiplano
Uomini e donne con la sguardo assorto
Dei seminatori del grano
E hanno lasciato quello che non c'era
Alla discarica e alla ferrovia
E hanno lasciato quello che non c'era
Agli occhi liquidi della polizia
E hanno disteso le mani contro il vento
Che li porta via

Gianmaria Testa, Seminatori di grano (album Da questa parte del mare)

(1) 25.6.2018, in le Courrier international, 28.6.2018.
(2) https://www.france.tv/france-2/journal-20h00/537907-edition-du-mercredi-27-juin-2018.html
(3) Toni Morrison, "L'origine des autres", éd. Christian Bourgois, 2018.
(4) https://www.marianne.net/societe/crise-des-migrants-un-accord-boiteux-pour-l-union-europeenne

lundi 25 juin 2018

Référendum piège à cons

Deux ans après avoir été décidé, le Brexit est à l'arrêt en plein milieu de l'Eurotunnel. Dans le noir complet. Au point que le shuttle ne sait plus dans quel sens aller, s'il doit poursuivre sa route ou faire machine arrière.
Une majorité de Britanniques (une faible majorité, mais une majorité quand même, ainsi va la démocratie) a décidé en juin 2016 de quitter l'Union européenne. Et voilà aujourd'hui la Grande-Bretagne dans une impasse, le royaume moins uni que jamais (1).
Si la vox populi est vox dei, alors c'est celle d'un dieu totalement inconséquent.
Selon certains, le seul outil véritablement démocratique serait le référendum. Plutôt que de déléguer leur voix à des représentants, les citoyens décident eux-mêmes de leur avenir. Quel avenir attend la Grande-Bretagne au-delà du Brexit? Celui qui pourra répondre à cette question ne semble pas encore né.
Dès le lendemain de la décision de Brexit, certains ténors du camp du out se défilaient lâchement, conscients de la catastrophe attendue et refusant d'assumer leurs responsabilités. Ce fut particulièrement le cas du leader d'Ukip, ce triste clown de Nigel Farage, qui reconnaissait à demi-mot que les promesses de ristourner au peuple britannique des dizaines de millions de livres prétendument versées quotidiennement à l'Union européenne n'étaient que... promesses (2). On sait qu'elles n'engagent que ceux qui y croient. On sait aussi qu'ils ont été nombreux à tomber dans le panneau. Et à tenter vainement de se relever aujourd'hui. 
Dans un excellent billet (3), Alex Taylor nous apprend que les éleveurs de fruits de mer du port de Grimsby, dans le nord de l'Angleterre, fervents brexitteurs, se sont rendu compte qu'une sortie de la Grande-Bretagne de l'union douanière européenne leur serait fatale. Ils ont dès lors demandé à être reçus par le gouvernement, réclamant une exception pour leur seul port.
La frontière entre les deux Irlande constitue, tout le monde en est conscient, l'un des problèmes les plus aigus. Aussi des défenseurs du Brexit, conscients qu'elle crééra plus de problèmes qu'elle n'en résoudra, en arrivent à suggérer qu'on ferme les yeux sur les trafics illégaux de part et d'autre de la frontière. Voilà donc des gens qui, après avoir tout fait pour qu'on réinstaure des frontières, proposent que, le jour où elles redeviendront réalité, on fasse comme si elles n'existaient pas. 
L'ex-ministre et ancien président du Leave, Lord Lawson, semble avoir aujourd'hui une nouvelle conception de ce leave: il s'agit pour lui de quitter le Royaume-Uni en demandant en France une carte de résident permanent pour vivre dans son manoir de Gascogne.
Faut-il rire ou pleurer de ce Brexit? On est dans une tragi-comédie où le grotesque et la bouffonerie le disputent au catastrophique et à la panique. Comme le constate Alex Taylor, le Brexit trouve ses références chez Shakespeare, Benny Hill et les Monthy Python. Brexit semble devenu un synonyme de débandade.
Qui oserait encore affirmer que le référendum est l'outil le plus démocratique? Utilisé par des hommes et des femmes politiques aussi inconscients qu'irresponsables, il n'est qu'un piège à gogos débouchant sur des décisions aux conséquences auxquelles personne ne semble avoir réfléchi. 

(1) http://www.lalibre.be/actu/international/le-royaume-uni-toujours-dans-le-noir-deux-ans-jour-pour-jour-apres-le-vote-sur-le-brexit-5b2e73aa55325ecee80cf679
(2) https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2016/07/05/la-memoire-selective-de-nigel-farage-sur-sa-campagne-pro-brexit_4963784_4355770.html
(3) https://www.huffingtonpost.fr/alex-taylor/le-brexit-du-shakespeare-aux-allures-de-monty-python-sur-un-generique-de-benny-hill_a_23465654/?utm_hp_ref=fr-homepage

mercredi 20 juin 2018

Ceux qui cherchent asile

Les candidats réfugiés nous tendent un miroir, nous invitent à voir qui nous sommes.
Suffisant Ier se révèle pire encore qu'on ne l'imaginait. C'est Ignoble Ier. Il sépare parents et enfants pour les punir d'avoir osé pénétrer dans son pays d'immigration. Donald Trump franchit les frontières de l'abjection en faisant enfermer ces enfants dans ce qu'il faut bien appeler des cages (*).
En Europe, les dirigeants populistes veulent rejeter au-delà de leurs frontières ceux qu'ils qualifient abusivement d'illégaux. Qui donc est illégal? Tout être humain a le droit de vivre, d'exister, de quitter un pays où il ne se sent pas en sécurité. No one is illegal. 
Les nouveaux dirigeants autrichiens et italiens, ceux de Hongrie et ceux de la CSU bavaroise annoncent leur intention de rejeter au-delà de leurs frontières les réfugiés dont ils ne veulent pas. Ils doivent donc s'attendre à voir arriver ceux que leurs voisins qui pensent comme eux auront rejetés. Que vont-ils faire à nouveau de ces nouveaux réfugiés que leurs confrères en exclusion auront chassés?  Se les expédier sans fin d'un côté à l'autre? Les murs leur nuiraient plus qu'ils ne les serviraient. Vont-ils creuser des fossés entre leurs Etats? Ils pourraient les appeler oubliettes. La bêtise n'a pas de frontières. Et il ne pourront que le constater: celles-ci sont contraires à la vie. Au long de leur longue histoire, les êtres humains se sont développés et épanouis, se sont installés dans le monde en traversant celui-ci et en se fixant là où ils sentaient qu'ils pourraient vivre libres et en sécurité. 

En Belgique, Théo Francken, secrétaire d'Etat à l'Asile et à la Migration, a une conception très particulière de son rôle: il refuse asile et migration. D'ailleurs, parmi les six-cent vingt-neuf réfugiés de l'Aquarius il voyait un grand nombre de ressortissants du Bangladesh, considérant qu'ils n'ont strictement rien à faire en Europe. Il s'est avéré qu'ils n'étaient que trois dans ce cas (2). Le mépris et le mensonge sont devenus les seuls arguments de ces (ir)responsables populistes. 

Les migrants de L'Aquarius ont été pris en otages par le nouveau gouvernement populiste italien qui leur a interdit l'accès à son territoire. L'Italie est submergée, c'est un fait, et l'Union européenne, qui s'est bâtie sur le principe de solidarité, a hypocritement fermé les yeux sur une situation devenue ingérable, de nombreux pays - dont la France et la Belgique - continuant à lui renvoyer des candidats réfugiés qui y avaient été enregistrés. L'Aquarius aurait pu devenir Le Radeau de la Méduse sans que cela les émeuve.
"La méthode de Salvini est immonde, écrit Juliette Bénavent (2); mais son constat irréfutable. Oui, l'Italie est scandaleusement abandonnée. L'argent que lui verse l'Union sert de pathétique excuse aux autres pays membres, qui s'empressent de détourner les yeux. Oui, dénoncer le cynisme et l'irresponsabilité de l'Italie est particulièrement déplacé de la part d'Emmanuel Macron, un président qui a enterré toutes ses humanistes promesses de campagne sur le sujet."
Le président français, qui apparaissait comme le grand défenseur de l'U.E., celui qui semblait capable de la pousser à aller au-delà de ce qu'elle est devenue, a raté une belle occasion d'appliquer et de redynamiser le principe de solidarité plutôt que de tancer si facilement un pays dont plus personne ne veut voir qu'il est quotidiennement débordé. Aujourd'hui, il tente de se rattraper en proposant à l'Espagne d'accueilir une partie des réfugiés que celle-ci a accepté d'accueillir. Pourquoi la France ne l'a-t-elle pas fait d'emblée? Viva Espana. L'épisode de L'Aquarius mettra-t-il fin, enfin, à l'inapplicable protocole de Dubin? L'Union européennen va-t-elle, enfin, renouer avec ses valeurs de base?

On aimerait que chacun de ces dirigeants politiques, chefs d'Etat, ministres, secrétaires d'Etat, en cette journée mondiale des réfugiés rencontre ne serait-ce qu'un seul candidat réfugié, l'écoute raconter son histoire, ce qu'il a vécu dans son pays d'origine, ce qu'y vivent encore ses proches, son errance, ses emprisonnements multiples, les soumissions, les tortures qu'il a subies, la traversée de la Méditerranée ou des Balkans et des Alpes, les humiliations, les nuits dans la rue, la faim, l'insécurité. Sortirait-il indemne de tels récits? Si c'est le cas, qu'il cède sa place. Gouverner, c'est aussi être capable de se mettre à la place de l'autre. Et pas seulement à celle de ses électeurs comme il les imagine. D'autant que nombre d'entre eux, c'est-à-dire d'entre nous, se sentent appartenir à la même race humaine. Et savent que ce qui arrive à certains aurait hélas pu leur arriver. Les réfugiés interrogent notre capacité à être humain. 

(*) Post-scriptum: lire ou écouter à ce sujet le virulent éditorial de Bernard Guetta sur France Inter ce jeudi matin: https://www.franceinter.fr/emissions/geopolitique/geopolitique-21-juin-2018
(1) http://www.lalibre.be/actu/politique-belge/theo-francken-redouble-d-idees-personnelles-pour-laisser-les-migrants-aux-portes-de-l-europe-5b263aca55326301e7950f73
(2) "L'Europe à la dérive", Télérama, 20.6.2018.

(Re)lire sur ce blog:
- "La machine à refouler", 6.6.2018;
- "Etre humain", 23.1.2018;
- "La chasse est ouverte", 22.9.2017;
- "Le mépris", 16.9.2017;
- "Etre ou haïr", 8.8.2017;
- "Dans le mur", 10.2.2017;
- "Le mur murant Paris...", 6.2.2017;
- "Je cherche un homme", 22.1.2017;
- "L'accueil des déracinés", 4.1.2017;
- "Ceux qui n'aiment pas les autres", 17.10.2016;
- "A la mémoire de Zsuzsanna", 10.10.2016;
- "Plus d'Europe", 15.3.2016;
- "Les sinistrés et les toxiques", 18.9.2015;
- "Humanité et son contraire", 7.9.2015;
- "Un air de printemps", 2.9.2015;
- "Paroles, paroles, paroles", 26.8.2015;
- "Heures sombres", 26.6.2015;
- "La honte", 9.6.2015.

dimanche 17 juin 2018

Des nouvelles de la France profonde

Ce jour-là, le nom de la commune de Luçay-le-Mâle était au pluriel. Le club Harley-Davidson de Valençay était venu participer à la célébration des quarante ans de la maison de retraite et proposait  des balades à moto aux résidents (1). On se le demande: est-ce le meilleur moyen de lutter contre la maladie d'Alzheimer? Déclarations des motards d'un jour: "je ne reconnais plus personne en Harley-Davidson".

Voilà des nouvelles de la France profonde. Mais comment appelle-t-on l'autre France? La France légère, la France de surface, la France superficielle?

Dans la même série, (re)lire sur ce blog
"Des nouvelles de la France profonde", 10.10.2017 et 8.10.2016;
"Pour éviter le torticolis", 1.8.2016;
"Carnet rose", 2.8.2016

(1) La Nouvelle République - Indre, 16.6.2018.

samedi 16 juin 2018

Les djihadistes de la liberté d'expression

Elle a bon dos, la liberté d'expression. Il est particulièrement souple et flexible, son dos. On l'invoque pour défendre ces rappeurs qui appellent à "crucifier les laïcs" (1), à couper les mains des dessinateurs de Charlie Hebdo, à "un autodafé contre ces chiens de Charlie Hebdo", à "couper le pénis" des "pédés" et autres pratiques réjouissantes (2).
Mais osez critiquer les règles que certains islamistes veulent imposer à la société, osez critiquer la religion ou simplement vous moquer d'elle et vous voilà traité d'islamophobe. Et même sauvagement assassiné comme ce fut le cas de l'équipe de Charlie Hebdo. Ses membres n'ont pourtant jamais appelé à agresser qui que ce soit. Tout à coup la liberté d'expression est priée de s'effacer devant le respect des croyants et de leur religion. Ou devant les propos agressifs et haineux de rappeurs qui confondent écriture et appel au meurtre.
Ce sont les mêmes ou leurs camarades qui souhaitent qu'existent des lois condamnant le blasphème. Le pire blasphème n'est-il d'appeler à tuer ou mutiler d'autres hommes sous prétexte qu'ils n'ont pas la même façon de vivre, les mêmes idées que vous? La haine a-t-elle le droit de s'exprimer librement ? Des lois condamnent - et tant mieux - les propos et écrits racistes, sexistes, homophobes, négationnistes, antisémites. Mais on aurait le droit d'appeler dans une chanson à tuer ou agresser les autres, sous prétexte que la liberté d'expression doit être pleine et entière? Ne s'arrête-t-elle pas au respect de la vie des autres?
Qu'est-ce qu'être non croyant? Il y a des non croyants bien plus croyants que les soi-disant croyants. Croire en un dieu exclut-il de croire en l'homme, en la vie? Celle-ci compte-t-elle moins que l'idée qu'on se fait de dieu? Trop de croyants ne croient qu'en leurs petites idées vieillotes et rabougries, en leur nombril et en la mort.

(1) Voire la dernière polémique en France concernant le rappeur djihadiste qui se fait appeler Médine:
https://www.marianne.net/societe/face-face-b-lu-et-ecoute-presque-tout-medine-voici-ce-qu-il-dit-vraiment?_ope=eyJndWlkIjoiMWRhMjc0MDM2MDEzNTMyNzJkNjYxMmIyOWM2M2NiMDAifQ==
https://www.marianne.net/debattons/editos/medine-ou-le-syndrome-du-bataclan
(2) Re)lire sur ce  blog:
"Une belle Saint-Valentin", 14.2.2018;  "J'irai danser sur vos tombes", 6.5.2016; "La question des limites", 9.1.2015; "Le monde comme il essaie d'aller", 4.12.2013;   "Dé-rap-age", 27.11.2013.

mercredi 13 juin 2018

La grande lessive

Nous vivons des temps brutaux où chacun a raison contre les autres, se moque, fustige, insulte, dézingue qui ne pense pas comme lui. Mais soyons rassurés: l'heure est aussi à la bienveillance. Les romans doivent désormais éviter de choquer quelque minorité que ce soit (et on est toujours d'une minorité). Aux Etats-Unis, les sensivity readers, démineurs de polémiques, sont chargés par les éditeurs de repérer dans les textes avant leur publication les mots ou propos qui pourraient heurter les sensibilités et être vus comme racistes, homophobes, sexistes, violents, désobligeants pour les personnes malades ou handicapées.
On apprend ainsi (1) qu'une auteure américaine de polar s'est vu déconseiller d'utiliser, pour parler d'un chien à trois pattes, les adjectifs estropié et difforme. Ils pourraient choquer les personnes handicapées. Le politiquement correct s'invite dans la création artistique. Devra-t-on se contenter désormais de romans à l'eau de rose? Un terme qui pourrait heurter les vendeurs d'eau de fleur d'oranger qui risquent de se sentir ostracisés.
Ce soir, Arte diffuse une série britannique, Three Girls, basée sur des faits réels: la plongée, bien malgré elles, de jeunes adolescentes dans un réseau de prostitution tenu par des Pakistanais. Elle risque de heurter bien des sensibilités, notamment celles de Pakistanais.
En France, une nouvelle polémique touche la maison de Pierre Loti, reprise dans la liste des monuments qui seront aidés par le Loto du patrimoine. Certains rappellent que Loti prit le parti des Turcs contre les Arméniens. Il conviendrait donc de laisser sa maison s'écrouler et de débaptiser les écoles et les rues qui portent son nom. Quel artiste, quel homme ou femme politique, quel héros échappera à la grande lessive? Qui sera plus blanc que blanc ou plus noir que noir? Qui échappera à la vigilance des braves gens? Verlaine a tiré sur Rimbaud. Faut-il le bannir des anthologies de poésie? Tous deux ont eu une relation homosexuelle, à l'époque scandaleuse et pourtant parfaitement admissible au regard des mœurs d'aujourd'hui. A l'aune de quelle époque les juger? Faut-il proscrire Arthur Rimbaud et Henry de Monfreid qui furent tous deux trafiquants d'armes? Faut-il brûler "Les liaisons dangereuses", les écrits du Marquis de Sade, ceux de Jean Genet, de Georges Bataille? Aujourd'hui ceux de Michel Houellebecq qui a le tort de parler de son époque, de ses lâchetés, de son cynisme et de ses égarements? Sans doute faudrait-il aussi brûler les livres dits saints qui contiennent des appels à la violence contre les non croyants. On n'oserait appeler Voltaire au secours, lui qui sera aussitôt traité d'islamophobe pour avoir écrit Le Fanatisme ou Mahomet le Prophète.
Si on ajoute à ces excès de bien-pensance, la lutte contre le blasphème que veulent mener certains et la guerre aux appropriations culturelles (2), on peut s'attendre à voir la création artistique, dans quelque domaine que ce soit, se réduire à rien et devenir affaire de Bisounours. Même le Carré blanc sur fond blanc de Malevitch serait, à cause de sa couleur, scandaleux.
On voit par là que la censure est aussi immortelle que le ridicule. Et qu'elle n'a pas plus de limites que lui.

(1) http://www.lefigaro.fr/livres/2018/06/08/03005-20180608ARTFIG00259-le-politiquement-correct-gagne-la-litterature.php
(2) (Re)lire sur ce blog "Ceux qui rêvent en noir et blanc", 12 mai 2018.

lundi 11 juin 2018

Fais-moi mal, Tariq

A qui faire confiance? On ne sait à quels saints se vouer. Même eux déçoivent. Frère Tariq est tombé de son piédestal. Lui, le prédicateur rigoriste qui a toujours fustigé l'infidélité conjugale au point de ne pas condamner la lapidation de la femme adultère (il s'est contenté de demander un moratoire), voilà qu'il avoue maintenant avoir eu plusieurs relations sexuelles hors mariage (1). Bien sûr, ce ne serait qu'une affaire personnelle et ordinaire, qui ne regarde personne, s'il ne niait en même temps les accusations d'agressions et de viols dont il est l'objet et s'il ne se posait en victime. Il est le harcelé, pas le harceleur. Ce sont elles, ces femmes tentatrices, ces Lilith maléfiques qui le guettaient pour le faire tomber dans la turpitude, lui le beau prêcheur, victime de sa beaugossitude, comme dit Sophia Aram (2). Ce sont elles qui l'ont amené à avoir des relations brutales. C'est qu'elles aiment ça, les garces, elles en demandent et redemandent. Fais-moi mal, Tariq. Tariq, Tariq, fais-moi mal. Envoie-moi au ciel. Moi, j'aime l'amour qui fait mal.
Alors, faut-il jeter la pierre à l'imam adultère ? Eve est derrière.

Et c'est ainsi qu'Allah est grand.

(1) https://www.marianne.net/societe/tariq-ramadan-accuse-de-viol-c-est-moi-qui-suis-harcele-les-femmes-viennent-me-chercher
(2) https://www.franceinter.fr/emissions/le-billet-de-sophia-aram/le-billet-de-sophia-aram-11-juin-2018

vendredi 8 juin 2018

Aboiements pavloviens

Modifier son nom ne change rien à l'affaire. Qu'il s'appelle maintenant Rassemblement national plutôt que Front national n'enlève rien aux réflexes pavloviens du parti de la fille à papa. Prononcez "étranger", "musulman", "africain" ou "maghrébin", montrez le portrait-robot d'un jeune qui pourrait avoir des origines africaines et le parti à la flamme se met aussitôt à s'embraser. Et à aboyer. C'est ce qui vient de se passer avec cette sordide affaire de meurtre d'un adolescent dans la Marne. Sa petite amie, devant qui il a été poignardé, a décrit le meurtrier comme "un homme d'origine maghrébine de grande taille". Dans la demi-heure, la présidente du RN-FN tweetait: "le principal suspect est issu de l'immigration. Je refuse de m'habituer à cette barbarie qui tue la jeunesse de France". Mais elle a réagi un peu trop vite: il s'est rapidement avéré que la jeune fille avait tout inventé, étant elle-même impliquée dans l'assassinat.
Le plus drôle (façon de parler), c'est la réaction, comme toujours victimaire, du RN-FN: c'est de la faute du quotidien L'Union-L'Ardennais si le parti et sa cheffe ont ainsi attribué la responsabilité du meurtre à l'immigration. C'est ce journal qui avait répercuté les informations diffusées par les autorités judiciaires. Le FN-RN ne fait pas de différence entre les faits (qu'il convient toujours de vérifier) et ses analyses stupides.
On ne peut s'empêcher de penser que Marine Le Pen regrette que l'assassin ne soit pas bronzé, noir, jaune, rouge, en tout cas pas blanc. Parce qu'y a bon blanc.
Résumons-nous: le nouveau nom du FN est en soi un mensonge: ce parti ne rassemble pas, il cherche sans cesse à diviser.

https://www.huffingtonpost.fr/2018/06/06/mourmelon-le-grand-le-rn-hurle-a-la-fake-news-apres-avoir-ete-epingle-pour-avoir-recupere-trop-vite-un-fait-divers_a_23452297/?utm_hp_ref=fr-homepage
https://www.nouvelobs.com/justice/20180607.OBS7870/meurtre-de-kevin-la-recuperation-politique-totalement-loupee-de-marine-le-pen.html


mercredi 6 juin 2018

La machine à refouler

C'est une invention labellisée NVA (Nieuwe Vlaamse Alliantie): la machine à refouler les migrants.
Son modèle le plus performant s'appelle Terminator Francken. Sa touche push-back lui permet de refouler au loin les bateaux transportant les migrants (1). Si elle est aussi efficace, c'est que la machine ne ressent aucune émotion, mieux même - et c'est ce qui fait sa redoutable efficacité - elle se les interdit. Le concepteur de la machine, Bart De Wever, explique pourquoi il l'a programmée de la sorte: "je constate qu'on réagit de façon très émotionnelle. Cela me dérange depuis des années qu'on utilise des émotions et des sentiments à des fins politiques" (2). Ainsi, les notions de solidarité, de compassion, d'empathie, de fraternité lui sont totalement étrangères. Même si elles s'appellent solidariteit, medelijden, inlevingsvermorgen ou verbroedering.
C'est la même machine qui a récemment décidé de fermer des centres d'accueil de réfugiés en Belgique sous le prétexte que la vague migratoire est terminée. C'est une caractéristique de la machine: elle est sourde et aveugle, déconnectée du monde et de la vie. Et ne se rend pas compte de ses contradictions: il n'y a plus, selon elle, de vague migratoire, mais elle veut refouler les bateaux de migrants qui continuent à arriver. La machine est non seulement inhumaine, mais aussi un peu bête. 

(1) http://www.lalibre.be/actu/politique-belge/les-declarations-de-francken-n-ont-pas-fait-l-objet-d-une-concertation-prealable-au-gouvernement-5b17954f5532523bbaa5bb89
(2) voir à ce sujet le dernier billet du Professeur Ponchau:
http://profponchau.blogspot.com/2018/06/sous-le-coup-de-lemotion.html

samedi 2 juin 2018

La langue de bois de vigne

"Cette cuvée harmonieuse exprime la patience et la délicatesse nécessaire pour comprendre les terroirs et tenter de trouver le juste équilibre entre fruits mûrs et fraicheur aromatique. Un vin idéal pour l'accompagnement unique d'un repas."
Il y a des vignerons qui pourraient faire de la politique. La présentation de ce vin ressemble à celle d'un candidat aux élections. Ici, elle s'applique à un Saumur-Champigny, mais pourrait tout autant l'être à un Gaillac, un Jurançon, un Graves, un Beaujolais ou un Gewurtzraminer.
C'est joliment écrit, pas déplaisant à lire, mais ça ne dit rien que des banalités.