vendredi 31 décembre 2010

Indignons-nous

Il faut s'indigner. On ne le fait jamais assez. C'est ce que nous dit Stéphane Hessel dans un tout petit opuscule précisément intitulé "Indignez-vous!" (1). A 93 ans, non seulement il n'a pas fini de s'indigner, mais en plus il pousse les jeunes à faire de même. Il nous pousse tous à nous lever, à être debout.
Il a été résistant durant la Seconde guerre mondiale, arrêté par la Gestapo, torturé, emprisonné à Buchenwald. Il a réussi à échapper à la pendaison. Quelques années plus tard, il fut l'un des membres les plus actifs de la Commission chargée d'élaborer la Déclaration universelle des Droits de l'Homme.
"Le motif de la résistance, c'est l'indignation", dit-il. Et il ajoute que "l'indifférence (est) la pire des attitudes".
Il s'indigne du pouvoir de l'argent aujourd'hui: "le pouvoir de l'argent, tellement combattu par la Résistance, n'a jamais été aussi grand, insolent, égoïste, avec ses propres serviteurs jusque dans les plus hautes sphères de l'Etat. Les banques désormais privatisées se montrent d'abord soucieuses de leurs dividendes, et des très hauts salaires de leurs dirigeants, pas de l'intérêt général. L'écart entre les plus pauvres et les plus riches n'a jamais été aussi important; et la course à l'argent, la compétition, autant encouragée". Il s'indigne du bradage des acquis de la Résistance, du traitement infligé aux Roms et aux sans-papiers, de l'attitude d'Israël vis-à-vis des Palestiniens.
Il a été très marqué par Sartre qui, écrit-il, "nous a appris à nous dire: Vous êtes responsables en tant qu'individus. C'était un message libertaire. La responsabilité de l'homme qui ne peut s'en remettre ni à un pouvoir ni à un dieu. Au contraire, il faut s'engager au nom de sa responsabilité de personne humaine."
"Indignez-vous!" a été tiré d'abord à 8.000 exemplaires. D'autres tirages se sont rapidement succédé, pour dépasser aujourd'hui les 200.000 exemplaires vendus. Un signe sans doute d'un ras le bol vis-à-vis des populistes aujourd'hui au pouvoir, mais aussi des tièdes, des inconstants inconsistants qui s'affirment de gauche et ont sanctifié le capitalisme. Ceux qui déresponsabilisent les citoyens en en faisant des assistés, des indigents matériels ou intellectuels.
Aujourd'hui, il est mille motifs d'indignation. Il faudrait que 2011 soit proclamée année internationale de l'intelligence et que tous les gouvernements de la planète réinvestisse dans l'éducation et la culture qui permettent à l'être humain de se construire, de réfléchir, de s'indigner et - surtout - d'agir.

(1) Stéphane Hessel:"Indignez-vous!", Indigène éditions, dans la collection (au bien joli nom) Ceux qui marchent contre le vent

Une année chaude

Tombe la neige et une cliente chez le boulanger de douter: "et dire qu'on essaie de nous faire croire au réchauffement climatique". Les peu habituelles chutes de neige que nous avons connues chez nous ces dernières semaines n'y changeront rien: 2010 devrait figurer parmi les trois années les plus chaudes jamais enregistrées.
Et le retour de la neige et du froid serait précisément causé par le réchauffement de l'atmosphère. Un graphique dans LLB (1) l'explique clairement: l'augmentation des températures fait fondre la glace de la banquise qui, dès lors, réfléchit moins les rayons du soleil. Résultat: ceux-ci réchauffent plus l'océan, créant ainsi en altitude une masse d'air chaud qui pousse l'air polaire vers l'Europe. Alors que l'Europe a froid, le Groenland est au-dessus de 0°C... C'est donc le réchauffement climatique qui nous amène la neige, ma bonne dame.

(1) 27.12.2010

mercredi 29 décembre 2010

Passons à autre chose

Enfin, on arrive au bout de l'année et de la décennie. Il était temps. La démocratie ne sort pas grandie de cette et de ces années.
La Belgique bloque sur son incapacité de trouver un modèle qui satisfasse ses deux principales communautés. Le parti nationaliste flamingant entraîne dans sa surenchère d'autres partis qu'on aurait pu croire, naïvement sans doute, un tantinet plus indépendants.
En Italie, Berlusca a compris que l'argent fait rêver et permet tout, y compris de changer les lois à son profit pour se protéger de la justice, d'afficher son mépris pour les juges, les journalistes et tous ceux qui ne pensent pas comme lui (ce qui implique qu'il pense...), de se poser en macho grotesque, de sauver son siège en achetant les votes de députés.
En France, les politiques sociales et culturelles sont peu à peu détricotées par un gouvernement qui a fait de l'argent sa valeur principale. Marine Le Pen, la fille de son père, monte à 18% dans les sondages. Pour détourner l'attention du bon peuple, les Roms sont désormais porteurs de tous les péchés d'Israël
Les Israëliens mènent une guerre meurtrière autant que suicidaire aux Palestiniens qu'ils enferment derrière des murs.
En Biélorussie, Loukachenko s'est fait réélire lors d'élections bidons.
En Côte d'Ivoire, Laurent Gbagbo, jamais élu en dix ans d'exercice du pouvoir, s'est fait introniser président, malgré sa défaite aux élections.
Les Etats-Unis, après s'être enfin débarrassés de cette catastrophe planétaire que fut Bush Jr, ont remis la barre très à droite. Les ultra-conservateurs emmenés par Sarah Palin ne croient qu'en la Bible et au fusil.
L'Eglise ouest-européenne est dans de mauvais draps: on ne compte plus les prêtres accusés de faits de pédophilie. Jusqu'au pape de la mondialisation, "réfugié" en Equateur.
En Irak, en Afghanistan, au Pakistan et dans d'autres pays encore, Allah endosse d'innombrables meurtres et attentats.
J'en passe. Et des meilleurs sans doute. Bref, c'est avec plaisir qu'on arrive au terme de cette décennie.
Vivement 2011!

mercredi 22 décembre 2010

Que du bonheur

La parade de RTL a coûté, on l'a vu, 30.000 € aux contribuables tournaisiens. La crétinisation a un coût. La Ville de Mons a fait plus fort: elle a dépensé 40.000 € pour un trou. C'est Jean-Pierre Viseur, chef de groupe Ecolo au Conseil communal montois, qui dénonçait sur Matin Première ce matin ce... gouffre nécessaire pour la plantation d'un sapin que les autorités locales ont voulu plus grand encore que celui de Bruxelles: 18,5 mètres. Six de plus qu'habituellement. C'est que le statut de future capitale culturelle européenne doit être assumé et qu'il faut que l'étoile montante montoise brille loin. La SNCB dépensera d'ailleurs pour ce faire 150 millions pour la nouvelle gare de la plus belle des capitales.

En Belgique toujours, leurseigeur Léonard est interrogé à la Chambre sur les faits de pédophilie commis par des prêtres. Il innove: il propose de créer un fonds collectif d'indemnisation des victimes. Après tout, dit-il, en cas d'inondation, c'est la collectivité qui assume. La pédophilie, c'est comme la pluie, elle vient du ciel et on ne peut rien y faire. Prier, peut-être?

En France, le gouvernement a assoupli le permis à points. Celui-ci, d'après la porte-parole des proches des victimes de la route, a permis d'éviter vingt mille morts. Mais brûler un feu rouge en roulant lentement ou en roulant vite n'est pas comparable et ne peut être condamné de la même façon, estime l'avocat des-malheureux-sans-permis-dont-la vie-est-devenue-invivable. Ce qui est un comble, on en convient aisément. De la vie invivable, pas de l'absence de permis. En attendant, les sans permis le récupéreront désormais en deux ans plutôt que trois. Déjà ils revivent. Leurs victimes ont plus de mal.

En France toujours, chaque année, soixante mille personnes utilisent des produits anti-rides. Une femme sortie d'un autre âge, style Guerre du feu, témoigne. Elle a un peu de mal à s'exprimer, mais on parvient à la comprendre: elle est heureuse d'avoir utilisé ces crèmes. Non, rien de rien, elle ne regrette rien. On rit de son faciès à la Picasso période Demoiselles d'Avignon. On creuse un peu plus ses propres rides. On devrait faire attention, on a tort.

Le Vif a désigné l'homme de l'année: c'est Paul Magnette, le lobbyiste nucléaire. Comment devenir homme de l'année? Il faut se faire désigner ministre par un président de parti. Etre beau gosse peut aider. Ensuite, se présenter aux élections et se faire élire. C'est plus facile quand on est d'abord connu. Michel Daerden, l'homme de l'année du peuple, pense de même. Il a fait un carton dans l'émission d'un certain Arthur sur TF1. Le Soir lui demande si cette peoplisation n'est pas gênante. Il ne le pense pas: pour être élu, il faut être connu, estime-t-il. Marine Le Pen pense la même chose, elle est devenue la nouvelle star en France. Miss Requin plaît. Elle est invitée sur tous les plateaux. On en reparlera. Chaque chose en son temps.
Et Noël sera blanc, nous dit-on. Ce qui doit plaire à la fille à son papa. Il fait froid.

lundi 20 décembre 2010

RTL-PS, même combat

La grande parade de RTL-TVI a émerveillé les rues de Tournai. La Ville y est allée de sa poche pour l'occasion. Une paille: 30.000 euros. Mais la dépense en valait la peine: c'est que sont quand même venus de 20.000 à 70.000 badauds (selon la police et selon les organisateurs). C'était bien la grande parade: les politiques ont pu parader sur leurs chars, paraît-il, saluant le bon peuple. "C'est le retour vers des valeurs saines, de famille", déclare à No Télé l'un des responsables de RTL, sans qu'il précise où sont ces valeurs. Dans les chars publicitaires sans doute. La crétinisation suit un cours aussi tranquille que l'Escaut. C'était la deuxième édition de la parade ertéèlienne à Tournai. Et la dernière sûrement. Le bon peuple tournaisien attend impatiemment son nouveau bourgmestre, élu avant l'heure, le sauveur, le guide, Rudy W.P. Demotte. L'intelligence incarnée, c'est ainsi que le précède sa légende. Lui saura mettre fin à une politique axée sur les "panem et circenses". Il a toute notre confiance. Le temps est long déjà. Vivement Noël 2012!

Patinage

La neige est un révélateur. Sur son blanc manteau (comme dit la télé locale qui parle comme un instituteur d'autrefois), tout se voit. Notamment les absurdités de notre système.
Les camions se retrouvent à l'arrêt, leurs chauffeurs sont mécontents. On apprend qu'en dix ans le nombre de camions sur les routes belges a augmenté de 20%. Le nombre de kilomètres parcourus par les poids lourds a augmenté de 40% en quelques années. (1) Les responsables politiques nous disaient haut et fort qu'il fallait inverser la tendance. Encore raté.
Ce dimanche, 20.000 vols (vingt mille, oui) devaient parcourir le ciel européen. Seuls (!) 6500 d'entre eux ont pu être effectués. (2) Des voyageurs se retrouvent bloqués par milliers dans des aéroports où ils n'avaient pas prévu de se trouver. Leur situation n'est pas drôle. Mais pas plus inattendue que celle des camionneurs. La météo avait annoncé de fortes chutes de neige et d'énormes difficultés de circulation. Mais l'homme est fort, il est tout puissant même. Il allait pouvoir rouler ou voler malgré le temps. Encore raté. Comme il ne peut s'en prendre au ciel, il peste sur le sol et ceux qui sont chargés de dégager les routes recouvertes par une neige aussi abondante qu'opiniâtre.
Quand un volcan islandais avait perturbé une bonne partie de la circulation aérienne, on pouvait - si l'on était naïf ou démesurément optimiste - penser que l'on allait changer de manière de se déplacer. Mais rien ne peut arrêter l'homme du XXIe siècle quand il a besoin de bouger. C'est plus fort que lui. Sauf quand il tombe sur plus fort que lui. La neige, par exemple, ou un volcan. Bref, la nature qu'il n'a pas totalement domptée. Alors, l'homme du XXIe siècle n'est pas content. Il peut même aller jusqu'à se fâcher.


Ceci dit, j'ai pris le train ce dimanche pour aller voir l'expo Tati à Gand, deux trains à l'aller, deux au retour. Ils étaient à l'heure, parfois même à l'avance. Et le personnel était charmant.


(1) JT RTBF, 18.12.2010
(2) JT RTBF, 19.12.2010

jeudi 16 décembre 2010

Tant de questions

Mais de quoi parlent donc les journaux télévisés quand il ne neige pas? On se le demande. La neige occupe à peu près la moitié des informations. On la voit recouvrir les routes. Et surtout les autoroutes. C'est très intéressant. Elle est blanche. Et parfois abondante. Les automobilistes s'en plaignent. On sent pointer l'exaspération. Ils ne peuvent plus rouler, disent-ils. Que font les autorités? C'est une autre question. Elles interdisent la circulation des camions dans certaines régions. Ce qui fâche beaucoup l'UPTR, l'Union professionnelle des Transporteurs routiers. C'est un scandale, dit-elle. On apprend aussi qu'une autoroute est bloquée parce que deux poids lourds y sont à l'arrêt côte à côte. Des routiers trouvent normale l'interdiction de circulation en raison des conditions climatiques. On se demande si l'UPTR représente vraiment les routiers. Ils n'ont pas l'air d'accord entre eux. Mais on ne s'en mêle pas. Des responsables de marchés de Noël s'inquiètent eux aussi: la neige ne va-t-elle pas freiner les visiteurs le week-end prochain? Une suggestion. Elle n'engage que moi: pourquoi ne pas déplacer Noël fin juin? Ou début septembre? Entendons-nous bien: c'est juste une suggestion.

mercredi 15 décembre 2010

Un goût de voyage

Je n'ai jamais épousé aucune thèse de complot. Mais ici franchement, je doute. La CIA ne serait-elle pas derrière la déglingue à laquelle nous assistons? Ou Al-Qaida? Ou l'ETA, les FARC, que sais-je encore? Je parle ici de l'état de nos transports en commun. Un de mes frères a fait le pari de se passer de voiture. Il souffre, peste, déplore les trains en retard, supprimés, détournés, les voyageurs de la STIB abandonnés sur le pavé bruxellois. Et la désinvolture avec laquelle les sociétés de transport en commun traitent leurs usagers. Un jour, ce sont les feuilles mortes qui expliquent la pagaille, un autre la neige, un accident, un conducteur qui n'a pas su se lever, une panne, un vol de câbles, une défectuosité de la locomotive, la présence sur la voie d'un train en détresse... (1) On voit par là que les motifs d'excuses ne manquent pas. A chaque jour suffit le sien.
A Tournai, les autorités communales ont repensé le parking dans toute la ville, pour éviter les voitures-ventouses. Sage décision. Sauf qu'elles n'ont pas pris en compte les navetteurs, à présent obligés de se garer au diable vauvert - ce qui, on en conviendra, est fort loin - pour ensuite rejoindre la gare. Voudrait-on les décourager de ne plus prendre le train qu'on ne s'y prendrait pas autrement.
L'utilisation des TEC reste une pratique mystérieuse. Début de cette année, j'avais acheté à Tournai une carte de dix voyages que j'ai utilisée sans problème entre la gare de Namur et Jambes. Impossible par contre d'en faire usage, plus récemment, dans un bus des TEC à Charleroi pour me rendre de la gare au Musée de la Photographie à Marchienne. "Pas grave", s'est contenté de me dire le chauffeur. Entre chez moi et la petite ville voisine, la carte ne fonctionne pas non plus. Mais cette fois le chauffeur s'est montré inquiétant par rapport à cette carte qu'il dit ne pas connaître: "ne la montrez surtout pas aux inspecteurs, vous auriez des ennuis", a-t-il dit. Depuis, je la cache soigneusement. Je n'ai plus de raison d'aller à Jambes, mais je me sens obligé d'y retourner pour ne pas perdre le bénéfice de cette carte.
En 2010, on a enregistré en Belgique une hausse de 15% de nouvelles immatriculations (2). L'industrie automobile aurait-elle ourdi un complot? Les dirigeants des services de transport en commun seraient-ils tous actionnaires des grandes marques de voitures? La paranoïa me guette. Je reste chez moi. Je ne dors plus.

(1) voir blog.pierreguilbert.be
(2) JT RTBF, 14.12.2010

mardi 14 décembre 2010

Les temps sont doux

Delta Lloyd vire ses clients les plus pauvres. En tout cas, les moins riches. C'est qu'il faut quand même avoir les moyens d'avoir un compte en banque (1). Les assurances augmentent en France. Les compagnies avaient placé - et donc joué - leurs ressources en bourse. Elles les ont perdues. Les assurés n'ont qu'à payer la différence (2). En France toujours, les PDG les plus dotés voient leur salaire raboté de quelques pour cents. Ainsi, exemple parmi d'autres, leur champion, patron de Renault, Carlos Ghosn, touchera légèrement moins que les 9,2 millions d'euros qu'il avait encaissés l'an dernier, ce qui représentait 190 fois le smic que touchent deux millions de Français (2). Le nombre de millionnaires dans le monde a augmenté de 17% (2). Et le roi des maffiosi, Berlusca himself, populiste homophobe aux réflexions à ras de terre, s'en sort par trois voix d'écart. Voix achetées, semble-t-il. Joyeux Noël! Que le champagne coule à flots!

(1) JT RTBF, 14.12.2010
(2) JT FR2, 14.12.2010

lundi 13 décembre 2010

L'enfer, c'est les autres

"Je est un autre", a écrit Arthur Rimbaud. Qui ne s'est pas trompé, même s'il ignorait alors qu'il resterait un poète éblouissant mais aussi qu'il deviendrait trafiquant d'armes. Donc, je est un autre. C'est dire si l'autre l'est, autre. L'autre est trop différent de l'un et surtout de chacun d'entre nous. Il y a trop d'étrangers dans le monde, estimait Pierre Desproges qui affirmait par ailleurs qu'ils sont nuls. Ce en quoi tant de gens lui donnent raison.
A Moscou ce samedi, un millier de supporters (ou soi-disant supporters, mais avec le Q.I. d'un supporter) du Spartak Moscou ont fait la chasse aux "bougnoules", entendez par là les autres, les personnes d'origine caucasienne ou asiatique. Plusieurs d'entre elles ont été tabassées sous les yeux d'une police visiblement trop fatiguée pour intervenir. En Russie, la haine sert aujourd'hui d'arme politique (1).
A Buenos Aires, la police a dû protéger les sans-abri d'origine bolivienne, paraguayenne ou péruvienne, victimes pendant cinq jours d'agressions de la part de la population locale. Une population quasi exclusivement d'origine étrangère (1).
En France, ce sont les Roms qui sont désormais chargés de tous les péchés d'Israël.
Chez nous, ce serait justement les Juifs. La Belgique a connu en 2009 une hausse sensible d'actes antisémites. Au point que nombreux sont les Juifs belges qui quittent le pays pour se réfugier en Israël, en Australie ou en Suisse (2).
Les autres sont nuls, c'est vrai. Tandis que les uns sont beaux, sont forts, sont purs. En un mot, n'hésitons pas à le dire, les uns sont les meilleurs. Chacun se laisse guider par son ego. Chacun se voit en coq. Même Bart De Wever, héros flamingant. C'est le comble. Pour le coq flamand, tous les autres sont trop différents de lui: les Wallons, les socialistes, le roi, tous les Belges sont trop étranges, voire étrangers. Il vient de le dire à Der Spiegel et ne comprend pas qu'on ne le comprenne pas. On voit par là que non seulement les autres sont nuls, mais en plus ils sont cons. Et en plus ils sont nombreux.

J'étais devenu un mensonge sur pattes / Qui saoule grave / Et qui sait même pas ce qu'il dit / Qui voit même pas que c'est un malade / Et qui dit comme ça / Tout le monde dit / Y dit comme ça / Les autres / Les autres / C'est pas moi, c'est les autres / Les autres
Abd Al-Malik

(1) LLB, 13.12.2010
(2) JT RTBF, 13.12.2010

Le jeu de la vérité

Comment savoir si un demandeur d'asile est sincère, si les arguments qu'il avance pour demander la protection d'un Etat autre que celui où il vivait sont plausibles? La République tchèque a mis en oeuvre une solution innovante. Elle est phallométrique. On a du mal à y croire, mais c'est l'Agence européenne des droits fondamentaux qui nous la fait connaître dans un rapport récent (1). Des demandeurs d'asile qui se disent victimes de persécution à cause de leur homosexualité sont placés face à des images qui leur montrent un couple hétérosexuel en pleine copulation. Si les capteurs érectiles du demandeur d'asile ne fournissent aucune réponse, c'est qu'il est effectivement homosexuel, en concluent - avec une logique désarmante - les autorités tchèques. La Commission européenne, via le porte-parole de la Commissaire en charge des Affaires intérieures, s'en est émue, estimant que "cette pratique suscite des doutes quant à sa conformité avec les articles 4 et 7 de la Charte des Droits fondamentaux" de l'Union européenne. L'information ne dit pas comment la République tchèque vérifie que des demandeurs sont bien victimes de persécution en fonction de leurs préférences politiques ou religieuses. S'ils se disent persécutés parce qu'ils sont catholiques, doivent-ils tomber à genoux devant une photo du pape? Si c'est parce qu'ils sont musulmans, doivent-ils tomber automatiquement de leur lit dès le premier appel du muezzin? S'ils sont de farouches capitalistes fuyant un régime communiste, doivent-ils avoir envie de plonger si on leur montre une piscine emplie de billets de banque (un test un peu coûteux, il est vrai, mais il faut savoir se donner les moyens de ses politiques)? Si c'est l'inverse, doivent-ils savoir chanter l'Internationale par coeur et avec des larmes dans la voix? Pour savoir si une personne victime de persécution l'est à cause de ses choix écologistes, c'est facile: il suffit de lui donner le choix entre une BMW et un vélo.
Pour savoir si la bêtise est humaine, c'est facile: il suffit d'ouvrir son journal.

A quoi pensent les Tchèques quand ils pensent à quelque chose? Pensent-ils comme des Tchèques, pensent-ils rouge ou pensent-ils rose ou pansent-ils leurs plaies?
Dick Annegarn

(1) voir LLB de ce 11 décembre: "Quand l'asile tient à une érection".

vendredi 10 décembre 2010

December in Paris

La polémique fait rage en France. Comment a-t-on pu et surtout qui a pu laisser neiger à ce point sur Paris? Au point que la capitale française (et bien plus que française) s'est retrouvée bloquée comme une vulgaire ville de province. Qui est responsable? Les syndicats pointent le gouvernement. Le gouvernement accuse Météo France et même les médias. La controverse est importante, il ne faudrait que se répètent de tels événements qui rendent impossible la circulation dans une ville qu'habituellement rien n'arrête. Nos amis parisiens (*) sont désemparés. Ils ne se souviennent pas avoir connu des journées aussi dramatiques. Que l'on compose au plus vite une commission d'enquête. Et qu'on y convoque l'hiver. Et vite: en ce moment, il semble avoir le temps.

(*) à prononcer comme ils prononcent "nos amis les Belges" ou "nos amis les bêtes". C'est pareil.

jeudi 9 décembre 2010

Cinq minutes de courage politique

Il y a quelques années, Yves Leterme déclarait que la scission de B.H.V. ne nécessitait que cinq minutes de courage politique. Il n'a visiblement pas trouvé ce temps-là depuis. Aujourd'hui, alors qu'il fait toujours fonction de premier ministre, les négociations pour lui trouver un successeur sont dans l'impasse. On sent bien qu'elles n'aboutiront pas, que la N.V.A. joue depuis le début au poker menteur et ne veut surtout pas d'un accord. Il serait pourtant possible si le C.D.V. acceptait de quitter cet étrange rôle qu'il s'est donné: celui de toutou de la N.V.A. scotché à ses basques. Alors qu'il suffirait qu'il redevienne indépendant et adulte, qu'il prenne ses distances avec les flamingants, pour que ce pays puisse se donner un nouvel avenir. L'affaire de cinq minutes de courage politique, quoi.
On n'en est pas là, on en est loin. Même de mauvais gré, même avec des pieds de plomb, tout le monde, petit à petit, semble se résigner à d'inéluctables nouvelles élections. Jusqu'à présent en Belgique, le parti qui a provoqué les élections l'a payé lourdement en termes de voix. Le peu Open V.L.D. en a encore fait l'expérience en juin dernier. Logiquement, la N.V.A. devrait connaître le même sort. En ce sens, on pourrait nourrir quelque espoir de ce nouveau rendez-vous électoral: les nationalistes devraient, si l'histoire se répète, y laisser des plumes. Mais le jeu est complexe et l'histoire ne repasse pas toujours les mêmes plats. Aujourd'hui, De Wever a réussi à se faire statufier en homme de cet Etat flamand tant attendu (?). Mais surtout il participera, durant la période des fêtes, à l'émission "De aller slimste mens ter wereld" à la VRT (le plus intelligent des plus intelligents du monde, pas moins). Et cette participation vaut sans doute cinq minutes de courage politique. Pauvre B.

mercredi 8 décembre 2010

Brefs propos de grand froid

Quel beau pays que le nôtre! Où les terrains de football de première division sont chauffés. Où une famille de cinq personnes vit dans sa voiture sur un parking, faute de logement. Où quantité d'autres familles d'ici comme d'ailleurs n'ont que la rue pour vivre et leurs yeux pour pleurer. Où certains "responsables" politiques ne vivent que pour un drapeau affichant leur chauvinisme petit-bourgeois. Après eux les mouches.

dimanche 5 décembre 2010

Marche arrière

A propos de cette lamentable pièce qui s'intitule "Pauvre B", cette phrase de Frédéric Flamand: "je trouve que c'est d'une tristesse incroyable de voir la Belgique dans une identité régressive, c'est très pénible, cela ne peut qu'aller vers la petitesse. On parle de droit du sol alors que le sol appartient aux gens qui y vivent" (1). F. Flamand est directeur du Ballet national à Marseille, après avoir été celui de la Raffinerie à Bruxelles.
Aujourd'hui, la grande majorité des Belges a le sentiment d'être pris en otage, l'impression d'être des spectateurs enfermés dans la salle, obligés de supporter jusqu'au bout un "inter-minable" spectacle d'impro joué par de piètres comédiens. Un "En attendant Godot", où depuis longtemps plus personne ne croit à l'arrivée de Godot, mais continue à attendre. Sans savoir qui ou quoi. Prisonniers de l'attente.

(1) Le Vif/l'Express, 26.11.2010

jeudi 2 décembre 2010

Qui veut gagner des millions?

Tout récemment, j'évoquais ici, comme beaucoup d'autres le font, la nécessité de changer radicalement de mode de vie, de lutter contre le réchauffement climatique qui ne fait qu'augmenter. Voilà qu'on apprend, via une question parlementaire d'un groen député, que la Belgique a dépensé depuis six ans 202 millions d'euros (1) pour acquérir des droits d'émission de CO2. On en reste confondu. On se demande ce qu'on aurait pu mener comme politique environnementale et/ou sociale avec semblable budget. Voilà de l'argent véritablement parti en fumée, jeté par les fenêtres. Payer (cher) pour ne pas changer de mode de vie, on ne peut que lever son chapeau. Le capitalisme, bien aidé par les sociaux démocrates, achète tout. Y compris son propre immobilisme et son propre cynisme.

(1) ce qui représente, pour ceux qui ont de vieilles références, plus de huit milliards de francs belges...

Magouille blues

Enfin une bonne nouvelle en cette période froide et morose. La Coupe du Monde de football sera organisée en 2018 en Russie. Ouf! On l'a échappé belle! La Belgique et les Pays-Bas avaient déposé une candidature conjointe. Ils n'accueilleront donc pas ce grand barnum de l'hypercapitalisme (voir sur ce blog "Une bonne et une mauvaise nouvelle", 14.10.2010).

lundi 29 novembre 2010

Je crise, tu crises, il crise

Peut-être me répète-je. Sans doute même. C'est que les politiques - ou leur absence - se répètent, elles. Et leurs conséquences augmentent. A l'heure où s'ouvre à Cancun la 16e Conférence des Nations Unies sur le climat, l'Organisation météorologique mondiale annonce que nous n'avons jamais produit autant de gaz à effet de serre qu'en 2009. Leurs rejets dans l'atmosphère ont atteint les plus hauts niveaux jamais observés depuis l'époque pré-industrielle. Les responsables politiques, dans nos pays en tout cas, se disent tous convaincus de la nécessité de changer nos modes de vie et de lutter radicalement contre le réchauffement climatique. Ils le disent autant qu'ils se réjouissent des festivités de fin d'année qui s'annoncent avec leurs illuminations débordantes, leurs patinoires parfois dégoutantes (au sens premier), leur neige artificielle. Bref, leurs allègres gaspillages d'énergie. Les J.T. ne savent plus où donner de la caméra, tant est merveilleuse la féérie de Noël. C'est sûr, le changement de mode de vie, on le sent venir! Combien d'appareils électriques ou électroniques, rarement indispensables, parfois totalement inutiles, jamais biodégradables, vont encore se vendre pendant les fêtes? Quels sont les journaux, écrits, radio, télévisés, qui prendront du recul par rapport à la grande course à la consommation qu'est la fin de l'année?
"Le probable est catastrophique, dit Edgar Morin. Mais le futur n'est jamais joué". C'est Télérama (1) qui le cite, parlant de l'ouvrage qu'il vient de publier avec Patrick Viveret: "Comment vivre en temps de crise?" (2) Les deux auteurs pensent qu'il est possible de positiver la crise, économico-financière, écologique et démocratique, que nous traversons: en faire "un rendez-vous critique de l'humanité avec elle-même, lui permettant de travailler sur l'essentiel". Ils nous invitent à nous "déployer du côté de l'essentiel, c'est-à-dire du côté d'un développement dans l'ordre de l'être plutôt que d'une croissance dans l'ordre de l'avoir. Cette distinction essentielle, traditionnellement considérée comme une question philosophique réservée à une petite minorité, devient une question politique massive."
"Il s'agit, vraiment, aujourd'hui, d'une crise, disait en (pré-)écho Michel Serres (3). Il faut donc inventer du nouveau. Saurai-je le faire? Rien de moins sûr. Saurons-nous tracer d'autres voies? Je l'espère. Lesquelles? Nul ne le sait encore. En tout cas, rien de plus passionnant à chercher."
Oui, il est possible de positiver la crise, de tracer d'autres voies, d'inventer du nouveau. En théorie. En mots. Mais quel politique osera affronter le Père Noël?

(1) 17.11.2010
(2) éd. Bayard
(3) "Temps de crise", Editions Le Pommier, 2009

samedi 27 novembre 2010

Les enfants perdus

Il a été le premier à prendre la parole dans ce débat qui suivait une représentation de "Elise et nous" ce vendredi à Charleroi. Il s'est levé, il a dit son nom, il a dit qu'il avait seize ans. Et il a développé son analyse du spectacle, il a décortiqué les personnages avec une grande justesse. Il a dit qu'il ne contestait pas les problèmes qu'évoquait la candidate d'extrême-droite, mais que les solutions qu'elle propose lui semblent inacceptables et dangereuses. Il nous a tous impressionnés par son intelligence, sa pertinence calme.
Dans une discussion en petit groupe, après le débat, il nous appris qu'il vient du Kasaï, qu'il est en Belgique depuis trois semaines, qu'il espère obtenir le statut de réfugié. Il a le même regard perdu et triste que les trois garçons et la jeune fille qui l'accompagnaient. Ils sont du Sénégal, de Guinée, du Rwanda, enfants perdus qui ont fui Dieu sait quelle misère, Dieu sait quelle galère. Ou qui sont venus parce que quelqu'un leur a fait croire que le Père Noël existe ici en Belgique. Que sera la vie de ces enfants perdus? Qui ou quoi rallumera leur regard?

Tous ces garçons perdus/ Ne rient jamais / Assis sur des rochers / Le torse découvert / Ils sont là / Et leurs yeux font barrage au mal / Que l'on pourrait leur faire
Dominique A, Les garçons perdus

jeudi 25 novembre 2010

Les gens sont cons

Zappant hier soir tard sur la télé, je tombe sur une émission de France 2 où un animateur ricane en nous montrant des extraits d'autres émissions. Par exemple de Questions pour un champion où l'on entend une candidate donner une réponse très éloignée de la question. Les gens sont cons. En studio, le public rit. Mollement, mais il rit. Ensuite, un extrait de Koh Lanta où un homme offre un objet à un autre, il le présente, si j'ai bien compris, comme son "doudou". Les gens sont cons. Le public rit pour faire plaisir au présentateur. Celui-ci a un rictus permanent, comme une moue de dédain. L'émission s'appelle Le bureau des plaintes, il semblerait que ce soit une émission de service public. Il y a comme une odeur d'égout qui émane de ma télé. Les gens sont cons.
Et brusquement, je me demande ce qui m'a pris d'allumer ma télé, alors que je viens de voir à Kortrijk le remarquable spectacle de Sidi Larbi Cherkaoui et Gregory Maqoma, Southern Bound Comfort. Je me demande si je ne serais pas comme les gens.

mardi 23 novembre 2010

Presque rien

"LA tendance des tendances, c'est le minimalisme, écrit dans son dernier édito Delphine Kindermans. "Trente ans plus tôt, c'est les hippies qui imaginaient qu'un monde sans possessions, c'était facile si on essayait. Et en remontant encore dans le temps sans craindre les raccourcis audacieux, les disciples de Gandhi ou de Bouddha disaient déjà less is more", ajoute-elle, avant de citer des femmes qui, si, je la comprends bien, minimalisent au maximum. Par exemple, en se contentant d'une seule petite robe noire (mais "customisée"). Ou en vivant "avec 100 objets, pas un de plus".
Delphine Kindermans est rédactrice en chef de Weekend, supplément du Vif. Ce doit être la première fois que je lis son édito. Je ne le regrette pas. Je veux dire que je ne regrette pas de ne jamais l'avoir lu auparavant. Dans le numéro de ce 19 novembre, Weekend nous parle, comme chaque semaine, de mode, de design, de vêtements, de téléphones portables, de chapeaux, de montres, de maquillage, de cuisine, de vin, de voitures. Weekend n'est pas encore bouddhiste et, mais je peux me tromper, on ne le sent pas sur cette voie. On cherche le lien entre l'édito et le contenu. Peut-être est-il bien caché. Pour Weekend, more is more. S'il minimalisait un max, il disparaitrait.

dimanche 21 novembre 2010

Déraisonnement raisonnable

L'histoire (1) se passe dans la commune de Saint-Nicolas. Un automobiliste s'approche d'un carrefour très fréquenté. On imagine aisément que, comme tout automobiliste, il a envie de le franchir. Et le plus vite possible. L'automobiliste est ainsi fait qu'il est très souvent pressé. Mais voilà que celui-ci s'arrête, refusant de répondre au signe du policier qui l'enjoint de passer. C'est que le policier est une policière et que cet automobiliste a des principes: notamment celui de ne jamais obéir aux ordres d'une femme. Ce sont donc des policiers, mâles cette fois, qui sont venus, manu militari, le déférer devant le juge d'instruction. On voit par là que les supporters des "accommodements raisonnables" ont raison: il suffirait de signaler, à un embranchement, que la circulation au carrefour suivant est réglée par un homme ou une femme. L'automobiliste pourrait faire son choix et ne risquerait pas de perturber la circulation en fonction de ses principes.
Caroline Fourest rapporte (2) qu'en Grande-Bretagne , "les sikhs ont le droit de conduire une moto sans casque pour porter le turban, alors que des bikers en bandana récolteraient une amende".
Le code de la route pourrait être ainsi suivi à la carte. On pourrait imaginer que certains refusent de porter la ceinture de sécurité, sous prétexte qu'ils ne sont attachés qu'à leur dieu. Moi qui n'ai, je l'ai déjà dit, pour seule religion que le vin, je me demande si je ne vais pas réclamer le droit de rouler, non pas saoul - n'exagérons pas - mais au moins légèrement gris. Ou grisé par ma religion.

(1) telle que la rapporte LLB de ce 20 novembre
(2) notamment dans la postface de "Fichu voile" de Nadia Geerts (Luc Pire, L'Espace vital, 2009)

samedi 20 novembre 2010

Pour faire le portrait d'un (drôle d') oiseau

Le Vif/l'Express de ce week--end s'essaie à cerner les ressemblances et les différences entre Flamands et francophones. Ce qui revient à se poser la question de savoir ce qu'est ou serait un Belge.
Dans "La Belgique - Le roman d'un pays" (1), Patrick Roegiers rappelle que Léopold Ier, prenant ses fonctions, sait que "les Belges turbulents, prêts à s'enflammer, dotés d'une réputation d'émeutiers, ne sont guère faciles à gouverner et qu'ils sont jaloux de leur liberté tout récemment conquise". Difficile aujourd'hui encore de qualifier les Belges d'émeutiers. Depuis 180 ans (la constitution et la monarchie ont été votées le 13 novembre 1830 par le Congrès, un anniversaire passé totalement inaperçu...), le Belge semble être plutôt devenu un citoyen résigné aux interminables négociations.
Selon Jean-Marie Klinkenberg (2), en Belgique, "la polémique (y) est un péché ou au moins une faute de gout. Ici, pas d'insolence, toujours grossière, pas d'irrespect, toujours incivil". C'est que le Belge a l'art de "dire les choses comme elles (ne) sont (pas)". Ainsi, dit-il, "il n'y a pas de foutoir: que des dysfonctionnements. Aucun responsable n'y échappe radicalement à ses responsabilités: il n'est sujet qu'à de fugaces estompements de la norme. Les entreprises n'y licencient pas: elles restructurent." Il dit aussi que "flotte sur la terre belge un air léger de tolérance", mais "cette tolérance-là fuit l'affrontement. Plus qu'un autre petit pays, celui-ci mériterait qu'on le nomme pays du matin calme. Un calme satisfait, convenant bien à l'expert en compromis et à l'amateur de witloof et de waterzooi".

Patrick Roegiers (1) cite Léopold Ier qui, en 1859, après vingt-huit ans de règne, a pu apprendre à connaître son pays. Il avait tout compris: "la Belgique n'a pas de nationalité et, vu le caractère de ses habitants, ne pourra jamais en avoir".
Plus loin, Patrick Roegiers évoque "un pays qui n'a aucun sens de la gloire". Ce qui reste vrai. Moins sans doute que cette affirmation: "le Belge, naturellement crédule, croit aux miracles". Qui croit encore à un miracle aujourd'hui concernant l'avenir du pays? Au bon sens peut-être.
Rogiers décrit le Belge de la manière suivante: "Jovial, bon enfant et bonne fourchette, le Belge a le goût des kermesses et agapes publiques. Il est fidèle à ses traditions mais jaloux de sa liberté. Souffre d'un complexe d'infériorité dû à l'exiguïté du territoire et au climat pluvieux ("Quatre saisons en une journée", soupirait Baudelaire). Mais il est ravi de son accent (3). Il le distingue du français qui reste une langue adoptive. Joyeux drille, égrillard, roublard et débrouillard, le Belge a la peau dure. C'est un dur à cuire qui a une brique dans le ventre (...). Ses défauts sont le déni de l'Histoire, la mauvaise foi, l'absence de mémoire, plus ou moins volontaire, et le repli sur soi. La déglingue générale des institutions accroît son identité flottante. (...) Le Belge est perçu à l'étranger comme hospitalier (4), honnête, franc, amusant et gai. Les bonnes blagues, la joie de vivre, la bonhomie, la maladresse caractérisent cette contrée (...). Le Belge, dit Patrick Roegiers, est un conformiste original et inclassable."
"Un conformiste original", voilà qui résume bien le Belge. Ou encore: un homme (ou une femme) simple qui adore la complexité.

Dans son dossier de la semaine, le Vif (5) constate que ce qui réunit Flamands et francophones, "c'est un certain levenstijl", un style de vie. Beaucoup de ses interlocuteurs relèvent que nous avons en commun "un état d'esprit, un ensemble de coutumes, une atmosphère. Un climat, au sens propre comme au figuré". Qu'est-ce qui nous réunit, selon le Vif? Bruxelles, même s'il nous divise; une histoire commune qui remonte bien avant 1830; la Mer du Nord et les Ardennes où nous nous sentons tous chez nous, la monarchie, Eddy Merckx, Jacques Brel et le Père Damien; la bière ou plutôt les bières; la brique que nous avons tous dans le ventre (les Belges ont les plus vastes maisons d'Europe); la sécurité sociale, mais aussi la dette de l'Etat; la particratie (les Belges sont champions d'Europe avec les Italiens); la méfiance vis-à-vis de l'autorité.

Tout ceci n'enlève rien aux inquiétudes, aux agacements, au fatalisme manifestés à l'égard de l'avenir du pays des Belges. Mais cet avenir est-il si important? "C'est le pays où rien n'est grave, dit J.M. Klinkenberg. Sérieux, mais pas grave."

(1) Patrick Roegiers, Découvertes Gallimard n° 466, 2005
(2) Jean-Marie Klinkenberg, Petites mythologies belges, Les Impressions nouvelles, 2009
(3) Ce qui reste vrai aujourd'hui. Hélas! Il suffit d'écouter - de subir - les publicités en radio ou le Jeu des Dictionnaires qui utilisent jusqu'à l'indigestion les accents bruxellois et wallons.
(4) Dans le Vif du 19.11.2010, le président du Parlement flamand, Jan Peumans, en convient, mais il trouve le Wallon plus hospitalier que le Flamand, plus tolérant aussi.
(5) Le Vif/L'Express, 19.11.2010

lundi 15 novembre 2010

Mauvaise foi

Les Assises de l'interculturalité ont donc accouché d'une souris. C'est ce que je lis dans la presse. Dans le Vif en tout cas très clairement. Dans d'autres organes de presse en filigrane. On y trouve de bonnes idées, des idées de bon sens, qui - sans être originales et inattendues - doivent être répétées et surtout concrétisées: rendre l'école obligatoire avant six ans, aborder la colonisation dans les cours d'histoire, favoriser l'emploi et donc l'intégration de personnes étrangères. Mais le rapport est faible. Il se serait centré essentiellement sur des revendications religieuses, musulmanes en particulier: liberté du port du voile à partir de la quatrième année secondaire, jours fériés religieux (voir sur ce blog le billet Jours fériés). Rien sur la difficulté du vivre ensemble sur laquelle coince la Belgique, et pas seulement la Belgique institutionnelle. Rien sur les autres minorités. Les Roms paient pour les autres, tous les autres, en ce moment, mais n'existent pas.
Certains ont pris leurs distances sur certaines recommandations du rapport, tel Edouard Delruelle, directeur francophone du Centre pour l'Egalité des chances. D'autres ont quitté, en cours de travaux, le comité de pilotage, tel le philosophe Guy Haarscher: "les recommandations qui font la part belle aux revendications religieuses ostentatoires et conservatrices me semblent critiquables", dit-il (1). A gauche et plus encore à l'extrême-gauche, il se trouve de belles âmes (!), totalement laïques, pour défendre les revendications musulmanes, au nom d'une tolérance qu'elles n'ont jamais manifesté à l'égard d'autres religions. C'est que l'islam est, pour ces tartuffes, la religion des opprimés. On en vient à se demander si leur attitude, favorable au communautarisme, ne serait pas quelque peu, non pas irrationnelle (on le sait depuis longtemps), mais surtout condescendante, voire d'une certaine manière raciste, pour ces pauvres musulmans qui subissent la loi de ces horribles occidentaux sans avoir les capacités de réagir. On les voit surtout (volontairement?) sourds aux appels de musulmans ou de personnes de culture musulmane qui plaident pour un islam moderne et/ou pour que la religion reste à sa place.
Tel Chemsi Cheref-Khan, qui se présente comme humaniste de culture musulmane et qui estime que "le communautarisme mène à l'exacerbation des particularismes, à la manie identitariste, au repli sur soi et sur sa communauté" (2). Il appelle de ses voeux, dit-il, "l'avènement de la laïque-cité du XXIe siècle, selon l'expression de l'écrivain Pierre Efratas. La laïque-cité est celle qui propose résolument d'organiser les affaires sociales et les relations inter-personnelles, au sein de la cité, en séparant clairement le domaine intime de la foi, du domaine public du droit".
Tel le philosophe Malek Chebel qui plaide pour un Islam des Lumières et des plaisirs: "Je milite pour une utopie, c'est vrai, pour un Islam de demain qui n'est pas encore vraiment là. Je parle d'un Islam des Lumières et non plus d'un Islam arrêté au VIIe siècle ou d'un Islam qui ne bouge plus et qui exige que tout le reste du monde s'adapte à lui", dit-il (3). "90% des musulmans aspirent à un Islam ouvert et seuls 1% amènent le feu, mais ce sont eux qui font la une des JT", ajoute-t-il. "Les musulmans doivent accepter de vivre en Europe selon un contrat social différent. La gouvernance humaine appartient aux hommes. Et l'Islam doit rester du domaine de la foi sans piétiner sur cette gouvernance." (...) "Il faut stigmatiser ceux qui justifient la burqa ou la polygamie au nom de l'Islam. Je suis un militant des droits de l'homme, en particulier dans l'Islam. (...) Nous devons élargir nos champs de représentation mutuels. Dire aux Occidentaux de ne pas enterrer trop vite l'Islam sous prétexte qu'il a de mauvais côtés. Et dire aux musulmans que l'aspiration à la beauté et à la sexualité est un combat aussi politique qu'esthétique."
Dommage que cet Islam-là on ne l'entende pas plus. Ce n'est en tout cas pas celui-là qu'entend une certaine gauche européenne, réactionnelle et réactionnaire qui roule pour les barbus.
Mais sans doute certains de ses paragons me reprocheront-ils ma mauvaise foi...

(1) LLB, 9.11.2010
(2) LLB, 3.11.2010
(3) LLB, 12.11.2010

Merci à M.V. qui a inspiré ce billet en me traitant, avec l'élégance qui est la sienne, de "sale réac" en réaction à mon texte "Jours de fête".

dimanche 14 novembre 2010

Daniel fait du jogging

Alors que Tournai s'apprête à célébrer Martine, trop gentille héroïne de générations de petites filles sages, No Télé a lancé une nouvelle série. Son héros se prénomme Daniel. On a eu droit à "Daniel, maïeur de Trignolles", "Daniel au parlement", "Daniel reçoit Michou", "Daniel fait la cuisine", "Daniel écrit ses mémoires", "Daniel aime tant le vieux canal", "Les douze travaux de Daniel" (1) et d'autres épisodes qui m'ont échappé.
Ce week-end, on a eu droit à "Daniel court pour une bonne cause". Où l'on voit le député-bourgmestre - qui a définitivement enterré toute pudeur - courir dans les rues de sa commune en petit short (rouge, comme il se doit). La série est plaisante. On attend impatiemment "Daniel fait du ski à Comines", "Daniel fait ses courses à Cora", "Daniel apprend le flamand", "Daniel est si gentil". Non, cet épisode-là, on l'a à chaque fois.

(1) voir billet sur ce blog, en date du 6 octobre dernier: "L'Hercule picard"

lundi 8 novembre 2010

Jours de fête

Les Assises de la Multiculturalité vont déposer aujourd'hui leur rapport. Sans qu'on en connaisse encore la teneur, on sait que ses auteurs plaident, avec raison, pour des politiques plus volontaristes et plus égalitaires en matière d'emploi et de logement. Il est évidemment inadmissible que des personnes soient discriminées en la matière du fait de leurs origines.
Le rapport se penche aussi, nous dit-on, sur les jours fériés. On parle chez nous de calendrier chrétien. Les fêtes liturgiques catholiques rythment notre année. Faut-il adapter notre calendrier aux fêtes d'autres religions? Certains plaident pour des jours fériés flottants: chacun aurait droit à des congés selon ses croyances. Ce qui impliquerait que chacun soit obligé de se positionner publiquement par rapport à sa foi ou sa non foi en une religion. Ce qui impliquerait également une plus grande division de la société. Ce matin, sur la Première (RTBF), une des auteurs du rapport des Assises de la Multiculturalité rappelait qu'un jour est férié parce qu'il marque une célébration et qu'il convient de garder du sens à celle-ci. Pour beaucoup, disait-elle, la raison de la fête est inconnue. On ne peut que la rejoindre et constater que, la pratique catholique étant en chute libre, il se trouverait vraisemblablement un nombre extrêmement faible de Belges capables d'expliquer ce que sont l'Ascension, l'Assomption, voire Pâques. Mais, ce constat étant posé, qu'en tirer comme conclusion? Surtout pas que le calendrier devrait être rythmé par des fêtes catholiques, protestantes, musulmanes, juives, laïques, selon les convictions des uns et des autres. L'organisation du travail, des cours, de la vie en société s'en trouverait impossible. Et absurde.
C'est sur un calendrier déconfessionnalisé qu'il faut travailler, en donnant à chacun des jours fériés une vraie signification pour tous les citoyens.
Quelques modestes propositions de jours fériés revus et corrigés.
Gardons évidemment le 1er janvier, jour de l'an, même si dans certains pays l'année ne commence pas le même jour.
Remplaçons Pâques par la Fête de la Nature (1). C'est le printemps, le renouveau, un nouveau départ, bref, une résurrection. Chacun y mettra le sens qu'il veut. On peut même y ajouter le Lundi de la Nature, une journée de travail bénévole pour améliorer son environnement.
Le 1er mai continuera, bien entendu, à célébrer la Fête du Travail.
Remplaçons l'Ascension, qui célèbre le retour du Christ au ciel, par une journée des religions et de la philosophie. Une manière de s'élever, en réfléchissant au sens que l'on donne à sa vie.
La Pentecôte qui vit les Apôtres devenir multilingues pourrait devenir la Fête de la Multiculturalité et de la Solidarité.
Conservons (jusqu'à nouvel ordre...) la Fête nationale.
J'avoue de ne pas connaître le sens de l'Assomption. Le Petit Robert nous apprend qu'il s'agit de "l'enlèvement miraculeux de la Sainte Vierge au ciel par les anges". Bref, Ascension et Assomption sont proches sur la forme comme sur le fond. Donc, je propose de supprimer cette redondance pour la remplacer le 10 décembre par la Fête des Droits de l'Homme.
La Toussaint, dans nos pays, est confondue avec le jour des morts qui la suit. Supprimons donc le jour férié du 1er novembre pour le remplacer par le Jour des morts le lendemain, une célébration autant laïque que religieuse.
L'Armistice ou plutôt les armistices continueront à être commémorés le 11 novembre en tant que journées de célébration de la paix.
Reste Noël qui pourrait être rebaptisée en Fête de la Famille et de l'Amour.
Les plus attentifs auront noté qu'ils risquent de perdre un jour de congé, celui du Lundi de Pentecôte. Il pourrait, par exemple, être remplacé le 1er avril par la Fête du Rire et du Sourire.
Un tel calendrier aurait, me semble-t-il le mérite de donner du sens à chacun des jours fériés pour tous les membres de notre société, en travaillant sur ce qui nous unit plutôt que ce qui nous sépare.

(1) On notera que remplacer Pâques par une date fixe aura l'immense avantage d'éviter une date fluctuant chaque année, qui en entraîne d'autres dans son sillage, rendant compliquées certaines organisations.

Post-scriptum: quant aux régimes alimentaires adaptés aux prescrits religieux, ne compliquons pas le travail des gestionnaires des cantines scolaires. Tous végétariens! C'est bon pour la santé et pour la planète.

mercredi 3 novembre 2010

CQFD

Jean-Yves Hayez est pédopsychiatre. Un spécialiste reconnu dans sa profession, régulièrement sollicité par les médias. La Dernière Heure lui a demandé de brosser le portrait de Bart De Wever. Il estime que le leader flamingant (1) entend se faire détester par les francophones, affirme sa "volonté de puissance" et a "une personnalité très dominante". Il agit comme "un enfant-roi", dit le pédopsychiatre. Bref, des analyses qu'aurait pu livrer le premier observateur venu de la vie politique belge, des observations qui semblent relever du bon sens.
Mais Bart De Wever est très fâché. Il n'accepte pas l'analyse. Caliméro se plaint. C'est dans son caractère. "C'est trop injuste", dit-il. Il trépigne. Il tape du pied. Peut-être l'anti-monarchiste aurait-il préféré être traité d'enfant-président. Il annonce qu'il déposera plainte contre Hayez devant l'ordre des médecins. On le comprend: un enfant-roi en aurait fait tout autant.

(1) il est étrange de constater que ce terme semble avoir disparu du vocabulaire actuel, alors que la flamingantisation semble à son paroxysme.

jeudi 28 octobre 2010

Hors la loi

Le 22 septembre dernier, j'évoquais ici même le cas de ces deux travailleurs du bâtiment qui, en Algérie, avaient eu l'audace de manger dans l'immeuble privé dans lequel ils travaillaient. C'était le 13 août à midi, on était alors en plein ramadan. Et quand je dis "on", je parle plus d'eux que de moi. Le tribunal local les avait inculpés pour atteinte à un précepte de l'islam. On a appris depuis lors (LLB, 06.10.2010) qu'ils ont été relaxés: ils sont chrétiens. L'information ne dit pas ce qui leur serait arrivé s'ils s'étaient déclarés athées. Ou pire: musulmans.
Le même article nous a appris que, en Indonésie cette fois, deux jeunes femmes ont été flagellées en public pour avoir commis le crime atroce d'avoir vendu de la nourriture durant les heures de jeûne du ramadan. En Indonésie comme en Algérie et tant d'autres pays, la charia devient la loi. Le religieux s'impose par la force. Comme il tente de le faire chez nous.
"Comment aujourd'hui, à l'heure de la liberté des consciences, une religion peut-elle encore se définir comme un système légal et coutumier s'imposant de façon collective?" C'est le philosophe Abdennour Bidar qui pose cette question (1) "Le Coran a été sacralisé de manière archaïque, estime-t-il, il est déclaré intouchable, comme si le sacré devait éternellement signifier pour les hommes le règne de l'indiscutable. Beaucoup de musulmans en Occident étouffent sous une telle conception et me soutiennent", dit-il.
Du côté de l'église catholique, on essaie de faire passer la "culture" religieuse devant la loi. L'archevêque Léonard a estimé dans l'émission "Questions à la Une" de ce mercredi que les prêtres retraités soupçonnés de faits de pédophilie devaient être laissés en paix, leurs victimes étant invitées à leur accorder le pardon. Leurseigneur Léonard s'insurge contre la volonté de "vengeance" des victimes. Visiblement, il confond vengeance et justice et ignore ou veut ignorer ce qu'est simplement la justice des hommes.
On voit par là que l'homme, s'il veut se sauver, ne peut accepter que les religions fassent la loi.

(1) "L'islam face à la mort de Dieu" (F. Bourin éditeur), interviewé dans Le Vif, 15 octobre 2010

lundi 25 octobre 2010

Derrièrologie et devantologie

Bart De Wever a le verbe franc. Pour lui, un chat est un chat. Il y a quelques semaines, il déclarait: "ce qui est derrière mon dos, c'est mon cul", voulant signifier que lui importe peu ce qui se dit à son sujet. D'autres que moi ont souligné l'erreur manifeste. De Wever imagine mal sa constitution: il n'a pas le cul derrière, mais dans le bas de son dos. Ainsi sommes-nous faits. En tout cas toutes les personnes que je connais. En attendant, beaucoup de gens se sont pincés. D'autres indignés. La phrase fait un buzz sur internet, nous dit-on.
Sans doute, le nationaliste flamand a-t-il pris conseil auprès de l'orateur que Lydie Salvayre fait s'exprimer dans "La Conférence de Cintegabelle" (1): "Exprimez-vous ouvertement, dit-il, et d'un ton résolu qui est la marque des grands esprits. Fuyez les faux semblants. Tel est précisément le genre de trouvailles stylistiques qui empeste l'artifice et que j'essaie pied à pied de combattre. Ne mâchez pas vos mots, quitte à choquer les cagots tout en pudibonderies et en érubescences, et les vierges effarouchées qui ne s'expriment qu'à mots couverts de trente-six pelisses. (...) Appelez un derrière un derrière et une connerie une connerie", dit-il.
En parlant du sien, Bart De Wever s'inscrit dans une longue tradition. Celle de la "derrièrologie" en laquelle il a d'illustres prédécesseurs français. C'est en lisant Alexandre Vialatte qu'on l'apprend: "lorsque j'étais petit garçon, on me défendait de montrer mon derrière, écrit-il. Je le dissimulais de mon mieux. Qu'on m'en excuse. C'était alors la civilisation. Notre littérature a changé tout cela, ces cachotteries ne sont plus de mise, la vogue est aux journaux intimes, la mode est de montrer son derrière, et surtout celui des grands hommes: Vigny, Hugo, Michelet, Colette si je puis dire, Elise, Rachilde, etc. Ce ne sont qu'augustes volumes. Il en est de honteux, il en est d'arrogants." (2) Celui de Bart De Wever appartient à la seconde catégorie. On n'ose pour autant le qualifier de callipyge. Bref, il dit se moquer qu'on parle de lui dans son dos.
D'autres voix cependant s'élèvent clairement face à lui. Des voix flamandes, pour lui dire qu'il a tort.
On a entendu les syndicats nationaux, francophones et néerlandophones confondus, dénoncer le repli nationaliste de la NVA et regretter la perte d'une valeur fondatrice de tout Etat, celle de la solidarité.
On a entendu Frank Vandenbroucke de la SP.A et des universitaires flamands démonter les calculs du nouveau héros flamand: le mécanisme de financement qu'a imaginé la NVA pour les régions appauvrirait considérablement la Wallonie, dit l'ancien ministre socialiste flamand. Et les chiffres avancés par les nationalistes ne tiennent pas la route, estiment certains professeurs.
On a lu les artistes: deux cents d'entre eux ont publié une carte blanche pour "rejeter le discours sur la culture et l'identité qu'on nous propose", disent-ils. "Ce discours vide les concepts de culture et d'identité de leur contenu pour les transformer en instruments de manipulation à des fins politiques. Nous avons déjà une culture et une identité. Les deux sont plurielles. Elles sont aussi flamandes, mais pas exclusivement." Les artistes flamands disent aussi se révolter contre l'image désastreuse des francophones véhiculée par les nationalistes flamands. Ils regrettent "la perspective peu réjouissante d'une Flandre dominée par les objectifs économiques et où les acquis sociaux seront démantelés". Ils estiment que "le repli sur des communautés toujours plus petites et toujours plus précisément identifiées à une culture unique est un obstacle qui nous empêche d'évoluer vers une Europe plus sociale et plus solidaire". Et c'est cette valeur de solidarité, liée aux notions de multilinguisme et de multiculturalité qu'ils veulent mettre en avant": "ce qui fait défaut dans le discours nationaliste flamand, c'est l'idée de solidarité. Cette valeur humaine est tout le contraire de l'égoïsme, de la cupidité et de l'intolérance. (...) Une grande culture, une culture ouverte, c'est une culture qui quitte le chemin étroit de l'égocentrisme et qui adopte la solidarité comme valeur fondatrice. C'est la solidarité qui fait la grandeur d'une culture" (3), concluent les artistes flamands.
S'il se moque de ce qu'on dit dans son dos, le leader flamingant semble supporter difficilement qu'on lui parle en face. Il s'énerve, il laisse entendre qu'il ne sera jamais d'accord. Il se retourne, il boude. On ne voit plus que le bas de son dos.

(1) Seuil/Verticales, 1999
(2) Chronique de la Montagne n°105, intitulée "Les frères Goncourt", 21.12.1954
(3) "Deux cents artistes du Nord du pays contre le nationalisme borné - Des artistes flamands élèvent la voix", notamment in LLB, 20.10.2010

samedi 23 octobre 2010

Synergétiques cumuls

Jacques Gobert joue bien son rôle de lobbyiste. Il faut le reconnaître. Jacques Gobert est bourgmestre Ps de La Louvière, il est aussi président de l’Union des villes et communes de Wallonie. C'est à ce dernier titre que, dans le courrier des lecteurs de LLB de ce vendredi, il regrette le récent décret wallon interdisant le cumul de mandats. Il plaide pour les synergies, regrette qu’elles ne puissent désormais plus être mises en œuvre si on interdit à un bourgmestre ou un échevin d’être en même temps député wallon. Ne dites donc pas "cumuls", utilisez le terme politiquement correct de "synergies".
Jacques Gobert estime que l’argument selon lequel les députés utiliseraient leur position pour favoriser leur commune ne tient pas la route : « qu’on nous cite un exemple de décret qui favoriserait une ville ou une commune », dit-il. Les députés wallons ne sont pas assez bêtes, il le sait, pour tomber dans ce piège. Là où certains députés abusent de leur position, c’est en entretenant avec les ministres et les membres de leur cabinet des relations privilégiées qui permettent de faire avancer leurs dossiers locaux. Un député-bourgmestre et un bourgmestre ne sont pas sur pied d’égalité. Jacques Gobert le sait. Ou alors, il est sourd et aveugle. Ou naïf, ce qu'on a du mal à croire. Maurice Dehu, qui est du même parti que Jacques Gobert, est moins sourd, aveugle ou naïf que lui, en tout cas plus sincère: « je peux vous donner une liste de vingt hommes politiques qui ont financé la rénovation de leur ville lorsqu’ils étaient ministres. C’est humain… » (LLB, 01.01.04)
Jacques Gobert réfute également l’argument selon lequel les députés « ne sont jamais au Parlement puisqu’ils sont trop sollicités localement » : « je connais, dit le président de l’Union des villes et communes de Wallonie, beaucoup de députés-bourgmestres, et je les vois assidus et engagés, tant dans les fonctions parlementaires que maïorales. Ils sont dévoués à leurs tâches locales tout en s’investissant pour le bien de tous au niveau régional. » On voit par là que Jacques Gobert est un bon lobbyiste. Mais qu’il méconnaît (ou nie) la réalité. Pour le nouvel élu que je fus, en 1999, aux parlements régional et communautaire, la première surprise fut l’absentéisme. C’est que les députés-bourgmestres ont parfois divers chats à fouetter… Combien de fois n'avons-nous pas dû attendre des collègues (du parti de Jacques Gobert en particulier) qui n'avaient pas cru bon de venir en réunion de commission, accaparés qu'ils étaient par leur commune? Le quorum n'était pas atteint, la réunion ne pouvait se tenir. Les assistants de groupe, gênés, téléphonaient à l'un ou l'autre de leurs députés, pourtant si dévoués, pour les convaincre de venir en quatrième vitesse. Zoé Genot, ma collègue d'alors, au Parlement fédéral, disait la même chose en 2003: « les cumulards : ces députés-bourgmestres-échevins-etc. cumulent les fonctions et n’ont pas le temps de venir aux commissions parlementaires. Or, lorsque nous travaillons sur des projets ou propositions, nous devons avoir le quorum. Lorsque nous ne l’avons pas, nous reportons la commission pour deux heures. C’est de cette manière que nous avons perdu des centaines d’heures durant la législature précédente. (…) Tous les parlementaires sont payés à plein temps, donc la moindre des choses, c’est de bosser à plein temps ! » (JDM, 21.10.2003)
Je me souviens d'un collègue du Parlement wallon, membre du parti de Jacques Gobert, aujourd'hui député européen et toujours fils de son "papa", qui s'étonnait du temps plus que plein que nous disions consacrer, nous, députés écologistes, à notre mandat: "allez, ne me dites pas que le Parlement wallon vous prend plus de quinze heures par semaine", disait-il avec son accent liégeois.

Pour A. Destexhe, A. Eraly et E. Gillet, « le cumul des mandats constitue un lourd handicap pour la démocratie. Il provoque des conflits d’agenda. Il conduit à une augmentation de l’absentéisme parlementaire. Il détourne le député de l’intérêt général qu’il est censé défendre, au profit d’intérêts trop particuliers. Il crée la confusion dans l’esprit des électeurs. Il accorde au « cumulard » un avantage sur le député qui n’exerce qu’un seul mandat et qui se prive ainsi d’une occasion de se constituer un « capital de voix » dans son fief. Il contribue à renforcer les baronnies locales… » (LLB, 01.01.2004). Zoé Genot fait écho: « Je constate qu’à quelques exceptions près les parlementaires qui exercent également un mandat local sont moins actifs que les autres. Cela vaut d’ailleurs aussi pour le députés qui continuent à exercer leur métier dans le privé. (…) Si les députés bourgmestres faisaient vraiment entendre leurs voix au Parlement fédéral, la réforme des polices ne serait pas passée comme elle l’a fait. (…) Certains ministres se comportent comme s’ils étaient toujours bourgmestre de leur commune.» (LLB, 01.01.2004)

En attendant, le décret diminuant la possibilité de cumul de mandats est passé. Avec ses limites et ses incohérences, d'accord, mais il est passé. Malgré les combats d'une arrière-garde synergétique.

lire "Les abonnés à Cumul + (sur ce blog, billet du 11 juin 2009)

mercredi 20 octobre 2010

Poseur (de première) (pierre)

Une belle grande photo en couleurs intrigue en pages économiques de la Libre Belgique de ce jour. L'article nous apprend que le groupe Janssen, filiale pharmaceutique du groupe américain Johnson & Johnson, a posé hier à La Louvière la première pierre de son futur centre de distribution européen. Un centre qui devrait employer de cent à cent trente-cinq personnes. "La Région wallonne a investi onze millions d'euros en subsidiation directe" dans ce centre, nous explique Jaak Peeters, président du groupe Janssen en Europe. Déjà, on s'interroge et on s'inquiète: on ne connaît pas le groupe, mais on sait que l'activité pharmaceutique n'est pas toujours parmi les plus soucieuses de la santé de l'homme, quoi qu'elle puisse laisser croire. Quels critères amènent la Région wallonne à investir dans tel ou tel projet, dans tel ou tel secteur?
Mais ce qui nous interpelle ici, c'est la photo. Elle nous montre le ministre-président Rudy Demotte poser la première pierre. La tâche fait partie de ses obligations, il s'en acquitte avec le sérieux dont il a toujours fait preuve. Plus surprenant est de voir que celui qui lui tend une brique à cimenter n'est autre qu'Elio Di Rupo. On s'interroge: à quel titre joue-t-il les maçons? Il n'est plus ministre depuis un bon moment. Il est (parfois) bourgmestre de Mons, mais - que l'on sache - La Louvière n'est pas Mons. Il est membre d'on ne sait plus quel parlement, fédéral imagine-t-on (l'homme, comme son collègue Demotte, est difficile à suivre), parlementaire du Hainaut c'est sûr. Mais si c'est en fonction de ce statut qu'il joue les poseurs de première pierre, pourquoi ses collègues de tous les partis n'occupent-ils pas la même place que lui? Il est aussi - et surtout - président de parti. Mais tous les présidents de partis n'étaient pas invités à jouer le même rôle de bâtisseur. C'est que l'homme est président du Ps. Et là, tout s'explique: le Ps est triomphant en Wallonie et plus encore en Hainaut. Donc, son président-empereur représente la Région wallonne, suppose-t-on. Et plus personne ne s'étonne de le voir partout.
Le Vif du 15 octobre nous apprenait que le même Di Rupo a décidé, en tant que bourgmestre de Mons, "de renoncer momentanément à son salaire". Il considère que depuis quelques mois il n'a pas pu consacrer beaucoup de temps à ce mandat, englué qu'il fut dans les louables tentatives qu'il entreprit pour trouver un accord gouvernemental. On en convient avec lui, il faut, voire faudrait, faire des choix. On ne peut être à la fois à l'hôtel de ville, au parlement et à la présidence de son parti, être au four, au moulin et au pied du mur. Là où l'on voit le maçon.

lundi 18 octobre 2010

Sauver le thon et le Belge

Le Sommet de Nagoya s’est ouvert aujourd’hui. Il a pour ambition de définir des objectifs et de dégager des moyens pour préserver la biodiversité mondiale. D’après le WWF, elle a diminué de 30% depuis 1970. Dix-sept mille espèces, oui 17.000, seraient menacées de disparition : 37% des poissons, 21% des mammifères, 12% des oiseaux. Chaque année, treize millions (13.000.000!) d’hectares de forêt sont supprimés.
Le WWF invite tous les citoyens à se mobiliser. « Tous à Nagoya », crie-t-il, nous invitant à embarquer dans un avion virtuel, manière d’indiquer à nos responsables politiques que nous voulons qu’ils prennent le problème à bras le corps. Ticket d’embarquement sur www.wwf.be.
Il faut sauver le thon, le panda géant, l’albatros, le tigre du Bengale, la tortue luth, le cactus. Oui, même le cactus. Ils figurent parmi les victimes des activités humaines et du réchauffement climatique.

Le Belge, lui, est menacé de disparition, victime du « chauvinisme du bien-être ». C’est Mark Hunyadi qui évoque cette espèce d'égotisme des nantis (dans le Vif du 1er octobre). Ce philosophe suisse et professeur à l’UCL estime que les revendications flamandes sont psychologiquement compréhensibles au regard de l’histoire des deux communautés, mais, dit-il, « c’est pour le moins étriqué du point de vue moral et politique. On joue l’intérêt (immédiat et apparent) contre la solidarité. (…) Le fait caractéristique de ce chacun pour soi est qu’il s’affirme de façon décomplexée, dit-il. Même à gauche, on n’ose simplement plus affirmer ce qui était cependant l’une de ses valeurs cardinales : l’internationalisme. Même à gauche, la valeur de solidarité s’est repliée à l’intérieur des frontières nationales. Et à droite, on joue les riches contre les pauvres, les travailleurs contre les fainéants, etc. C’est aussi ce que fait Umberto Bossi en Italie. » L’identité flamande n’est pas menacée, estime le philosophe suisse : « ce n’est pas un repli identitaire, c’est une désolidarisation, c’est la revendication d’une non-solidarité, c’est tout différent ».
En écho, l'eurodéputé écologiste luxembourgeois Claude Turmes dénonce "cet égoïsme qui va de pair avec le succès économique". "On assiste à l'émergence d'une nouvelle droite, estime-t-il, très différente de la droite chrétienne-sociale de jadis. Le S a disparu. Cette nouvelle droite fédère les classes moyennes et les industriels qu'elle met égoïstement au centre de ses préoccupations, au détriment des autres. " Bert De Wever ne dément pas. Il a récemment déclaré que son patron est la VOKA, réseau des entreprises flamandes.

Le bien-être de quelques nantis n'a ni prix ni scrupule et a les mêmes effets. Et le chômeur wallon sera comme le thon: mis en boîte.
Il y a peu de chances que Joke Schauvliege, ministre flamande de l’Environnement, représentante de la Belgique à Nagoya, propose d’ajouter le Belge à la liste des espèces menacées.

samedi 16 octobre 2010

Belge au grand pied

"La planète vivra bien sans nous, ce n'est pas elle qu'il faut sauver, c'est l'espèce humaine." Voilà en substance ce qu'a dit hier soir Alain Hubert au Foyer culturel de Péruwelz, devant une salle comble et attentive. Il y était invité par la section locale d'Ecolo et par l'ACDA. L'explorateur, président de la Polar Fondation, a présenté la Station polaire Princesse Elisabeth dont il est l'initiateur et qui a été construite au coeur du continent antarctique. Elle n'est utilisée qu'en été, quand les températures ne descendent pas au-delà des -20°C. Elle a été conçue en habitat passif et fonctionne uniquement grâce aux énergies solaire et éolienne. Donc, pas de CO2. Et, dit Alain Hubert, il faut résoudre le problème des températures excessives à l'intérieur de ce bâtiment sans chauffage. Il y fait trop chaud.
Grande particularité de cette station: la gestion énergétique par un système informatique. Des priorités sont fixées: tôt le matin, ce sont la cuisine et les salles de bain qui ont priorité, puis les espaces de travail et de recherche; le soir, c'est l'espace de détente qui est privilégié. L'énergie n'est donc pas disponible partout à tout moment, contrairement à ce que nous connaissons chez nous. On se dit que c'est là une des clés de la question énergétique qui est et sera un des problèmes majeurs de ce siècle. Changer radicalement notre manière de consommer de l'énergie, notre "culture" énergétique, on n'y échappera pas. Ou alors, si elle joue les autruches, l'espèce humaine n'échappera pas à un sort funeste qu'elle se sera elle-même inventé. C'est ce qui ressort de la conférence d'hier soir.

Au même moment, le WWF présente son huitième rapport "Planète vivante". Il porte mal son nom. La biodiversité s'est amoindrie de 30% entre 1970 et 2007. Dans les régions tropicales, le recul est de 60%, à cause de la déforestation et le changement d'affectation des terres. Les régions tempérées, elles, ont amélioré de 29% leur biodiversité. Mais qu'elles se ne rengorgent pas: elles contribuent très largement, par leur mode de consommation, à l'appauvrissement des pays du sud. Ce sont évidemment les populations les plus vulnérables qui en paient le prix.

La Terre, généreusement, nous offre 1,8 hectare par personne. En 2007, notre empreinte écologique moyenne a été de 2,7 hectares par personne. Celle du Belge est de... 8 hectares! La Belgique se classe au quatrième rang mondial, derrière les Emirats arabes unis, le Qatar et le Danemark. Et devant les Etats-Unis. Gageons qu'un gouvernement fédéral va se former au plus vite pour s'attaquer avec énergie (!) au problème. Que des mesures drastiques seront prises par tous les niveaux de pouvoir et par les citoyens. Voilà que nous apprenons que la Commission européenne a renoncé à un moratoire sur les forages pétroliers en eaux profondes. Elle invite les Etats membres à la prudence en la matière. Voilà qu'on entend déjà parler des patinoires en plein air pour la période des fêtes. Voilà qu'on lit qu'à Celles-Pecq des milliers d'habitants s'opposent à un projet d'implantation d'éoliennes. On se dit qu'il y a du travail. On se rassure en se disant qu'il y avait hier plus de quatre cents personnes dans la salle du Foyer culturel de Péruwelz. Que Marina Silva, la candidate écologiste, a recueilli près de vingt pour cent des voix aux élections présidentielles brésiliennes. Que Didier Reynders remettra à la fin de ce mois un rapport au Conseil européen sur les modalités concrètes d'une taxe carbone et d'une taxe sur les transactions financières, avec l'espoir que l'Europe l'apporte sur la table du G20. Allez, on respire.

jeudi 14 octobre 2010

Une bonne et une mauvaise nouvelle

La bonne nouvelle, c'est que la Belgique existera toujours en 2018. Certains y croient en tout cas. Ils ont déposé, conjointement avec leurs collègues néerlandais (entendez par là les Pays-Bas, que les choses soient claires), la candidature de la Belgique pour une Coupe du Monde cette année-là. Alain Courtois, ce soir, se dit confiant. Dans tous les journaux, parlés ou télévisés - et sans doute écrits, qui l'interrogent.
La mauvaise nouvelle, c'est qu'il s'agit de la Coupe du Monde de Football. Et là, on est moins sûr que ce soit la meilleure des idées. La Fifa, la Fédération internationale de Football, pose, pour cette organisation, ses conditions. Elles sont nombreuses.
Passons-les en revue. La FIFA exige un accès gratuit au territoire belge pour les personnes qui doivent être en possession d'un visa. Elle exige l'octroi de permis de travail en quatrième vitesse. Peut-être même en cinquième. Elle veut que ses revenus, ses dépenses et celles de ses partenaires soient exonérés d'impôts. Qu'elle et ses amis puissent convertir en euros des dollars et des francs suisses sans coût. (On s'interroge: pourquoi des francs suisses? La Suisse est-elle déjà qualifiée pour la Coupe du Monde 2018?) La FIFA veut un accès gratuit aux installations de télécommunication. Elle exige que dans un rayon de deux kilomètres autour des stades qui accueilleront cet événement planétaire seules les publicités de ses sponsors soient affichées et que les cafetiers situés dans le même rayon ne puissent vendre que la bière du sponsor officiel. Tandis qu'elle puisse vendre dans ces mêmes stades ses produits dérivés. On voit par là que la FIFA veut le beurre, l'argent du beurre et le sourire de la crémière. Et qu'elle n'aime pas la contrainte. Willy Borsus, vice-président du MR, joue à merveille le rôle de la crémière: "il faut savoir ce que l'on veut, déclarait-il dans LLB du 4 août dernier. Et si l'on veut concurrencer les autres nations concurrentes, il faut être attractif", ajoutait-t-il, signifiant par là qu'il faut être plus libéral qu'il ne l'est. Ce qui n'est pas rien, on en conviendra. On s'interroge: les citoyens habitant dans un rayon de deux kilomètres autour des stades pourront-ils encore boire de l'eau? Seront-ils forcés de boire la bière du sponsor? On attend impatiemment la Coupe du Monde de Foot 2018 et on se dit qu'on vit quand même une époque formidable.

dimanche 10 octobre 2010

Vive le blasphème

Le Gouvernement chinois a qualifié de blasphème le choix du jury d'attribuer le Prix Nobel de la Paix à Liu Xiaobo. Ce qui est amusant venant d'un Etat on ne peut plus laïque qui fait la guerre aux religions. Un blasphème est "une parole qui outrage la divinité, la religion", selon le Petit Robert. Mais il est aussi défini comme "des propos déplacés et outrageants pour une personne ou une chose considérée comme quasi sacrée".
Liu Xiaobo a été condamné à onze ans de prison pour "subversion du pouvoir de l'Etat". Entendez par là avoir participé à la rédaction et la diffusion de la Charte 08. Cette charte prône notamment "un système moderne de gouvernement dans lequel la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire soit garantie." Elle considère que "les membres des organes législatifs à tous les niveaux devraient être choisis dans de élections directes". Elle plaide pour qu'il y ait des garanties strictes sur le respect des droits de l'homme et de la dignité humaine". Elle propose aussi de remplacer à l'école l'endoctrinement idéologique par l'éducation civique.
Le terme de blasphème est donc approprié. Toutes ces demandes qui ont juste l'air de tomber sous le sens sont en Chine autant de "propos déplacés et outrageants". Alors, les couronner d'un prix Nobel, c'est honorer le blasphème. Quand la dictature et le monopartisme sont érigés au rang de religion, prôner la démocratie et le multipartisme, c'est bel et bien blasphémer.
En attendant, tout le monde se plaît à souligner le courage et la détermination du jury du Nobel qui, contrairement à tant d'autorités de par le monde, ne s'est pas couché devant le Gouvernement chinois.

samedi 9 octobre 2010

Les nains et le cinquième Beatle

A voir sa coupe de cheveux et ses costumes, on soupçonnait Serge Kubla d'être un grand fan des Beatles première période. Mais on ne s'attendait pas à ce qu'il rende un hommage à John Lennon en ce 9 octobre. Dans la Libre Belgique, il déplore que "dans des moments aussi importants, un parti dont la démocratie ne peut pas être mise en cause (il s'agit du sien bien sûr, le MR), la première force bruxelloise et la deuxième wallonne, est obstinément tenu à l'écart de tout, comme s'il était pestiféré, alors que deux partis nains - le CDH et Ecolo - qui ont eu le culot en 2009 d'être formateurs d'une majorité décrètent que c'est ainsi et pas autrement!". Serge Kubla ne pouvait pas rendre plus bel hommage à John Lennon le jour où celui-ci aurait eu septante ans: "I'm just a jealous guy", nous dit-il.

vendredi 8 octobre 2010

Vaticancans

Le Vatican n'aime décidément pas les prix Nobel.
Il n'avait pas aimé que Dario Fo reçoive le prix Nobel de Littérature (c'était en 1997). Dario Fo, anti-conformiste notoire, n'épargne aucun pouvoir dans ses textes théâtraux. Ni les responsables politiques, ni l'armée, ni la police, ni l'Eglise. La censure, il connaît.

Le Vatican n'avait pas aimé que José Saramago reçoive le même prix (c'était l'année suivante). Il faut reconnaître qu'avec son "Evangile selon Jésus-Christ", ouvrage passionnant, Saramago a fait de Jésus une victime sacrificielle, portant la marque d'une faute commise par son père.
Plus récemment, dans "Les Intermittences de la mort", Saramago imagine que la mort, dans un pays non nommé, a cessé d'agir. Ce qui n'est pas aussi réjouissant qu'on pourrait le penser de prime abord. Les problèmes sont nombreux, les protestations se succèdent. Notamment celles des délégués des religions. Ainsi, le cardinal reconnaît que "si la mort disparaissait, il n'y aurait plus de résurrection possible et que sans résurrection l'église perdrait tout son sens". Plus loin, l'un de ses représentants donne raison au philosophe: "c'est exactement pour cela que nous existons, pour que les gens passent toute leur vie pris dans l'étau de la peur et pour que, leur heure venue, ils accueillent la mort comme une libération, Le Paradis, Paradis ou enfer, ou rien du tout, ce qui se passe après la mort nous importe bien moins qu'on ne le croit généralement, la religion, monsieur le philosophe, est une affaire terrestre, elle n'a rien à voir avec le ciel", ajoute ce "représentant renommé du secteur catholique" qui avoue faire semblant de croire à la vie éternelle". On voit comment Saramago, cet grand écrivain au regard ironique, a su ne pas se faire aimer du Vatican.

Aujourd'hui, le Vatican n'aime pas que le physiologiste britannique Robert Edwards ait reçu (c'était au début de la semaine) le Prix Nobel de Médecine. Edwards est l'inventeur de la fécondation in vitro, le père des bébés éprouvettes. Mais l'Eglise n'aime pas l'insémination artificielle. La naissance est un don de Dieu, estime le Vatican. Et Dieu n'aime pas la concurrence. Mais comment ne pas s'adresser à la concurrence quand Dieu n'a plus rien dans ses cartons? Dans LLB du 5 octobre, le Pr Yvon Englert, chef de la clinique de fertilité à l'hôpital Erasme à Bruxelles, estime que ce prix est justifié par "la révolution dans la prise en charge de la stérilité humaine que représente aujourd'hui la fécondation in vitro qui s'est révélée une technique utilisable dans un très grand nombre de pathologies médicales empêchant d'avoir des enfants". Il ajoute que "la FIV est en quelque sorte un précurseur d'une évolution de la médecine dont on voit tout doucement se dessiner les contours, à l'aube du XXIe siècle, en l'occurrence la thérapie cellulaire. Cela consiste à prendre des cellules au patient, à les traiter en laboratoire puis à les réinjecter. En ce sens, dit-il, la FIV est une technique visionnaire".
En fait, ce Nobel applaudit la vie. Tout comme il récompense l'évolution. Mais le Vatican a peur de la vie et n'aime pas l'évolution.

Voir à ce propos l'amusant dessin de Vadot dans les dernières pages du Vif de ce vendredi.

jeudi 7 octobre 2010

Ik hou van je, moi non plus

J'affichais ici même, tout récemment, mon pessimisme par rapport à l'évolution de la Belgique fédérale. Un article de la Libre Belgique d'hier ne me rend pas plus optimiste. Sous le titre "Off", voici comment ils se font la guerre, M.Bu et V.D.W. relate une série de déclarations de négociateurs francophones et flamands les uns par rapport aux autres. Dire que ce n'est pas l'amour fou entre eux relève de l'euphémisme. Les noms d'oiseaux volent et ils volent bas.
Quelques exemples: "ce type est vraiment pathologique"; "c'est de la torture de négocier avec eux" (...) c'est l'enfer"; "elle brasse du vent. Ce sont des débiles, en fait."; "c'est un peu comme un asile de demeurés"; "ce type est une horreur"; il ne comprend pas grand-chose. Il est lent."; "nous avons affaire à un type.... C'est quelque chose d'épouvantable"; "ce type est un vrai autoritaire, très malin" (...) un grand menteur"; "c'est une folle"; "qu'est-ce que cette région avec une langue de zouaves, là?".
Finalement, Bart De Wever a raison: mieux vaut repartir d'une page blanche.

mercredi 6 octobre 2010

L'Hercule picard

Daniel Senesael a fait sa rentrée. L'information, pour n'être pas capitale, est importante. Elle méritait de convoquer la presse, qui est d'ailleurs venue. Avec un sourire en coin, mais qui est venue, c'est là l'essentiel. Visiblement, le député-bourgmestre d'Estaimpuis a passé de bonnes vacances. Il est plus bronzé que jamais.
Il a intitulé sa conférence de presse: "Les 12 travaux de Daniel Senesael". Et là, avouons le, nous sommes pantois. Ainsi donc, Hercule, c'est lui. Pas plus qu'on ne soupçonnait Don Diego de la Vega sous le masque de Zorro, on n'imaginait que Daniel Senesael se cachait sous Hercule. Mais on y croit: parmi ses priorités figure l'état des routes wallonnes. Ce qui est simplement logique: "tout ce qui est humain m'intéresse", affirme-t-il à No Télé. On s'interroge: Hercule seul suffira-t-il à régler le problème? Et ce n'est là qu'un chantier parmi les douze auxquels il entend s'attaquer. L'hyperactif député agira dans tous les domaines. Mais c'est sa région qui a néanmoins sa préférence: "je suis spécialisé dans la Wallonie picarde", nous dit-il la main sur le coeur. Et sans rire.
On se dit que chaque bourgmestre, chaque échevin, chaque directeur d'entreprise, d'école ou d'administration, chaque artiste ou artisan devrait lui aussi à la rentrée faire état de ses projets, faire savoir qu'il bouge, qu'il est actif, qu'il se projette dans l'avenir. Voilà qui rassurerait les pessimistes et les grincheux. Et en particulier ceux qui raillent la Wallonie picarde. Elle est entre de bonnes mains.

mardi 5 octobre 2010

Il n'y a pas de pire sourd...

Que faire pour sortir la Belgique de l'ornière dans laquelle elle s'est fourrée? On me le demande. Je me le demande. Qui jouera le rôle de la dépanneuse? Faut-il faire appel à Europe Assistance? C'est une des pistes. L'Union européenne sait que l'indépendance de la Flandre ouvrirait la boîte de Pandore. Demain, les Ecossais, les Gallois, les Bretons, les Siciliens, les Catalans, les Basques, les Irlandais du nord, les Italiens du nord, les Luxembourgeois du sud, les Estoniens de l'est (tout est possible, allez savoir!) s'engouffreraient dans la brèche. L'Europe a donc logiquement dû envoyer des messages aux chantres de la nation flamande. A dû (ou devrait) leur faire comprendre que jamais elle ne la reconnaîtrait. Les raisons ne manquent pas. L'Union européenne repose sur le principe de la solidarité: les Etats les plus nantis contribuent à aider les plus "en retard de développement" à se remettre à niveau. Voilà ce qui s'appelle solidarité. Or, c'est précisément cette valeur que les Flamingants veulent mettre à mal en Belgique. Si demain un (encore à ce jour) hypothétique Etat flamand devait voir le jour au sein de l'Union européenne, il contribuerait, indirectement cette fois, à soutenir la Wallonie, quelle que soit la forme de celle-ci. Cherchez l'erreur. Ou l'incohérence. Ou l'absurdité. Et biffez la mention inutile, s'il devait y en avoir une.
La solution peut donc venir de l'Europe. Mais aussi de Flandre bien sûr. Si les autres partis démocratiques avaient le courage de mettre la NVA hors jeu pour former une majorité sans elle. Ce qui ne sera pas le cas. On a compris que, pour d'inexplicables raisons (1), le CDV s'est intimement scotché à la NVA. Il pense comme elle, rêve comme elle, ricane comme elle. Il est l'ombre de son ombre. Il pourrait être l'ombre de son chien, l'ombre de sa main. Peut-être même se teindrait-il en blonde. On a compris qu'il ne fallait rien en attendre. Reste l'opinion publique flamande. On a un peu entendu les syndicats nationaux affirmer que les priorités sont ailleurs. La FGTB se dit révoltée par l'idée de la régionalisation de l'impôt sur les personnes physiques et de l'impôt des sociétés. Elle voit l'Etat social menacé. Mais la réaction est peu forte et guère audible. Il faudrait que la rue se fasse entendre. On nous dit que la majorité des Flamands tient à la Belgique. Mais la rue semble bien tranquille ces temps-ci. Une solution à la crise? Honnêtement, en ce moment, Anne, ma soeur Anne, je ne vois que le soleil qui poudroie et l'herbe qui verdoie. En fait, l'herbe verdoie peut-être, mais sa verdoyance est peu visible à cause des feuilles mortes qui la recouvrent. Bref, et désolé, de mon point de vue, le temps n'est guère à l'optimisme, vous l'aurez compris.

(1) en fait elles sont parfaitement explicables puisque trivialement électoralistes, même si on sait que les électeurs préfèrent toujours l'original à la copie. Le positionnement du CDV semble relever d'une attitude politique naïve, ou absurde, ou simpliste. En tout cas ahurissante.

Ps-scriptum: pour essayer de comprendre un peu mieux ce bazar et surtout pour en rire, voir "La Flandre pour les nuls", par Bert Kruismans, à la salle La Fenêtre à Tournai le samedi 16 octobre à 20h (www.lafenetre.be).

lundi 4 octobre 2010

L'art de se faire détester

Le Gilles de Rais flamand, le boulimique qui mange même sa parole, ne connaît que deux mots, dirait-on: meer et niet. Aujourd'hui, il les a associés. Niet meer, a-t-il déclaré. Il souhaite qu'on efface le tableau et qu'on reprenne les négociations à zéro. Sa stratégie a l'air totalement aléatoire. Mais elle est calculée. Bart De Wever veut se faire détester des Francophones. Pour susciter le ras-le-bol, voire le dégoût. Pour que les Francophones abandonnent l'idée même de défendre un pays, une structure dont lui-même rêve chaque nuit de la mort. Détesté par les Francophones et déifié par les Flamands. Par beaucoup en tout cas. L'homme ambitionne d'entrer dans l'histoire de sa région. Il en sera le héros, aura sa statue au pied de la tour de l'Yser. Et tant pis si, au passage, il est intellectuellement malhonnête, s'il témoigne de petitesse et d'égoïsme, affiche du mépris, manie le mensonge, se montre hypocrite. Il sait que ses électeurs ne lui en tiendront pas rigueur. Au contraire. Il sait aussi que les Francophones n'ont aucune prise sur lui. Il sait que le CDV continue à le suivre comme un chien obéissant et que le VLD n'osera pas aboyer plus fort que lui.
Je formule ici une proposition qui devrait sauver la Belgique de la crise: qu'on lâche Hal ou Vilvoorde ou les deux. Et qu'on en fasse une principauté: la Flandre à la sauce Monaco sur laquelle il règnerait tout en laissant tranquille le reste de la Belgique. Leve et vive le prince Bart!

dimanche 3 octobre 2010

Un grand coup d'hélicon

En ce dimanche, nous avons eu droit à une belle (dernière?) journée d'été. A midi, le thermomètre affichait joyeusement ses 22°C. Le thermomètre est ainsi fait qu'il a la faculté de faire partager ses humeurs. A 22°C, il est joyeux, alors qu'à 6 ou 7, il est triste. Bref, ce dimanche était réjouissant. Aussi décidâmes-nous de manger dans le jardin et d'y profiter du calme et du coassement des grenouilles. C'était sans compter sur la Fête de la Pomme d'un village proche. Si ce village fête la pomme, c'est que des vergers y sont plantés. Les fruits y sont traités en "lutte intégrée". Entendez par là que les coccinelles remplacent fort efficacement les insecticides. Ce qui est, on en conviendra, la meilleure des idées. Les produits y sont variés et excellents: jus de fruits, sirops, vinaigres et tutti quanti (tutti frutti, faudrait-il écrire). Mais à la Fête de la Pomme, le ciel se fait porter pales. Pales d'hélicoptère s'entend. Le ciel vrombit. Les visiteurs ont la possibilité de survoler les vergers et les villages voisins et de pousser une pointe jusqu'au Grand Large. L'appel du large est puissant. D'autres que moi ont chanté sa force. Nombreux sont ceux qui y succombent. Mais, allez savoir pourquoi, l'hélicoptère rugit plus qu'un million de coccinelles s'attaquant en même temps à autant de pucerons. Il pollue légèrement plus aussi. On s'interroge: où est le lien entre lutte intégrée et hélicoptère? Que reste-t-il du bénéfice du travail écologique après ce ballet d'hélicoptères? On reste dans l'expectative. En attendant, à la fête de la pomme, les voisins sont les poires. La nature aussi sans doute.

jeudi 30 septembre 2010

Gagner le droit d'être un crétin à vie

La Loterie nationale se propose de nous faire gagner deux mille euros par mois à vie. Pour nous pousser à jouer au Win for life, elle multiplie les spots de pub en radio comme en télé.
On y voit ou entend des couples que leurs gains mensuels met très à l'aise et qui peuvent se permettre le moindre caprice.
Monsieur et Madame ne savent plus comment changer l'image de fond d'écran de leur ordinateur? Qu'à cela ne tienne, ils en achètent un nouveau.
Le téléchargement de Monsieur et Madame est particulièrement lent? Qu'à cela ne tienne, ils partent passer deux jours à Venise en attendant.
Au retour d'un week-end à Pise, Monsieur et Madame se rendent compte qu'une de leurs photos souvenirs est ratée? Qu'à cela ne tienne, ils y retournent.
Win for life, c'est Lose for world.

mardi 28 septembre 2010

Du rôle de l'artiste

Le gouvernement israélien n'a pas prolongé le moratoire sur les constructions en zones occupées. On n'arrive évidemment pas à croire à sa volonté d'entamer de vraies négociations. On se plaît parfois à dire en Belgique que les Palestiniens et les Israéliens s'intéressent de près au modèle belge du vivre ensemble entre communautés soeurs ennemies. Il semble que ce soit vrai. Le modèle belge actuel a la faveur du gouvernement israélien: il dit vouloir négocier un accord, mais fait tout pour qu'il n'y en ait aucun. Jamais. Bibi et Babart, même combat (même si l'un est le colon et que l'autre s'estime colonisé).
Des comédiens et metteurs en scène israéliens ont fait connaître leur opposition à la colonisation des territoires occupés: une cinquantaine d'entre eux a décidé de boycotter le nouveau centre culturel de la colonie d'Ariel en Cisjordanie. Donc en territoire occupé. Des ministres de droite ont menacé les compagnies théâtrales qui appliqueraient ce boycott de leur couper les vivres. Comme souvent, les menaces ont l'effet contraire à leurs objectifs: d'autres artistes emboîtent le pas aux gens de théâtre: les écrivains David Grossmann et Amos Oz notamment les soutiennent: "accorder la moindre légitimité à l'entreprise de colonisation porte atteinte aux chances d'Israël de parvenir à la paix avec nos voisins palestiniens", estiment-ils. (1) "Les artistes ne sont pas des soldats qui doivent marcher au pas", estime Yossi Sarid, ancien ministre de gauche. "Personne ne peut les contraindre à se produire".
Et pendant ce temps-là, ou presque, des organisations culturelles européennes boycottent des artistes israéliens. Les mêmes ou presque. Début juin, le réseau indépendant Utopia déprogrammait un film israélien, pour protester contre les violentes attaques de la marine israélienne à l'égard de la flottille qui tentait de rompre le blocus de Gaza. Boycotter des artistes, qui sont souvent sont très critiques par rapport à la politique suivie par leur gouvernement, a-t-elle un sens? (2) Quand nous boycottions les pommes et les oranges d'Afrique du Sud, il ne nous serait pas venu à l'idée de boycotter Johnny Clegg, J.M. Coetzee ou Nadine Gordimer.
Un colloque était prévu à Aix-en-Provence au début 2011 autour du thème "Ecrire aujourd'hui en Méditerranée, échanges et tensions". Il a été annulé. (3) Les échanges n'auront pas lieu. Restent les tensions. "Des écrivains et universitaires arabes, égyptiens et palestiniens" (selon les organisateurs) ont annulé leur participation parce qu'une écrivaine israélienne y était invitée. Esther Orner, l'écrivaine dont il était question, est favorable à la paix entre Israël et un Etat palestinien. Mais rien n'y a fait. "Aurait-on l'idée de boycotter un Iranien?", demande-t-elle. Que des artistes refusent le dialogue avec d'autres est contraire à leur rôle. Qui sont, que sont ces artistes qui refusent d'échanger? L'artiste est là pour forcer la réflexion, pour poser des questions que personne ne veut entendre. Ces artistes-là n'ont que des réponses à des questions qu'ils ne posent pas. Des réponses fermées à des questions même pas ouvertes. "Censurer la culture, dit Costa-Gavras, c'est l'apanage des dictatures. En démocratie, on accueille les films, qui sont porteurs d'idées parfois très fortes, on les contextualise, on en débat. Les refuser, c'est la pire des réponses."

(1) voir Marianne, 11.09.2010: "Israël. les artistes se rebiffent"
(2) voir Télérama, 23.06.2010: "Faut-il boycotter les artistes israéliens?"
(3) voir Libération, 23.07.2010: "Aix: la présence d'une Israélienne clôt le débat"

lundi 27 septembre 2010

Le succès ne se critique pas

Le succès aveugle, qu'il soit électoral, sportif ou autre. Et autorise à refuser la critique. Et plus encore l'autocritique. On le sait. On en a encore la preuve dans la Libre de ce samedi. Le président du Parti Socialiste, plus triomphant que jamais, y est interviewé. Martin Buxan lui demande si le succès de son parti n'est pas lié au clientélisme qu'il entretient. Elio Di Rupo prend son air pincé. On le voit en le lisant. "Pourquoi critiquez-vous ceux qui ont du succès?", demande-t-il. "On nous jette des expressions comme clientéliste qui ne signifient plus rien du tout", dit-il, après avoir affirmé que ce sont "des propos tenus par des gens qui sont intellectuellement conservateurs". On ne sait en quoi le reproche de clientélisme serait intellectuellement conservateur plutôt que l'inverse. Si ce n'est qu'on devrait savoir sans doute que le Ps a modifié de fond en comble ses pratiques. Mais on ne le sait pas assez. Or il faut croire, imagine-t-on dès lors, que désormais le Ps a supprimé les "permanences sociales", que les élus socialistes n'envoient plus de lettres de recommandation aux ministres, aux directeurs d'administration et aux patrons du privé pour soutenir la candidature de leurs "protégés" à un emploi, qu'ils n'interviennent plus dans les dossiers d'attribution de logements sociaux, que les ministres socialistes ne favorisent plus les communes dont ils ont les clés. Le Ps aurait abandonné ces pratiques conservatrices. Et on ne nous dit rien! Mais que fait la presse?
Martin Buxan parle aussi à Elio Di Rupo de la "machine de guerre" qu'est le PS. "Ai-je l'air d'une machine de guerre?", lui rétorque le président, réduisant ainsi son parti à sa propre personne. C'est sûr, ici aussi, les pratiques ont dû changer: le Ps a dû cesser de nommer des directeurs de l'administration en fonction de leur carte de parti, il a dû couper les ponts avec la Mutualité socialiste, avec la FGTB, avec cette myriade d'instances sociales, économiques, culturelles qui gravitent autour du parti. (Il n'y aurait donc plus de constellation. Juste une star.) Et P&V Assurance n'affichera désormais plus sur ses vitrines les affiches des candidats socialistes. Les employés de P&V n'useront plus de leur statut pour faire campagne, comme ce député-bourgmestre qui m'avouait avoir gardé quelques heures "parce que ça fait des voix". Bref, les temps ont changé et nous, conservateurs intellectuels que nous sommes, nous ne le savions pas.
Elio Di Rupo triomphe aujourd'hui dans tous les sondages et tout le monde lui reconnaît - un point de vue qu'on peut aisément partager - une grande opiniâtreté et de grands talents de négociateur. Le voilà même le deuxième homme politique le plus populaire auprès des Flamands, derrière Bart De Wever. Visiblement, cette position d'homme providentiel lui ôte tout sens autocritique. Même si le Ps a un peu plus le sens de l'éthique, il reste le Ps.(1) Et l'histoire a montré que plus il est puissant, plus il se laisse aller à des dérives hégémoniques. Pour être homme d'Etat, il est bon d'être conscient de tous ses états. Pas seulement d'âme.
D'autant que les manières d'agir du Ps ont, parmi d'autres facteurs (soyons de bon compte, bien sûr), un impact sur l'image de la Wallonie dans les autres régions. On ne s'étonnera donc pas de découvrir, dans le sondage que publiait ce même samedi la même Libre, que seuls 12% des Bruxellois souhaitent la création d'une fédération Wallonie-Bruxelles. Même si "en cas de scission inéluctable du pays", ils sont 39% à la souhaiter, contre 34% (quand même!) à rêver d'un Etat bruxellois indépendant. Au JT de la RTBF samedi, des micro-trottoirs (même si on sait qu'on leur fait dire ce qu'on veut) témoignaient de la distance que nombre de Bruxellois affichent avec la Wallonie. Une image ne tient pas qu'à des mots, mais surtout à des manières d'agir. Et là il faut bien convenir qu'il y a un certain retard de travail à récupérer.

Et qu'on ne vienne pas me considérer, comme certains se plaisent à le faire, comme "un anti-socialiste primaire". Ce serait bien mal me connaître. Et ce serait confondre le mot et la chose, croire que se dire socialiste serait l'être et ne pas comprendre qu'on puisse être à la fois socialiste et très critique vis-à-vis du Ps. Quant à l'adjectif de primaire, il implique l'absence d'analyse, d'expérience et de réflexion. Je préfère celui de secondaire.

(1) voir aussi sur ce blog "La stratégie de l'araignée", 12.09.2009