lundi 9 septembre 2013

Comprend qui peut

La France comique s'est souvent incarnée dans des duos: Roger Pierre et Jean-Marc Thibaut, les Frères Ennemis, Grosso et Modo, Chevalier et Laspallès. Elle a aujourd'hui Eric Ciotti et Christian Estrosi. Ils  sont sans conteste de type français. Ils sont eux aussi les fils spirituels de Louis Figuier qui écrivait en 1878 que "au point de vue intellectuel, le Français se distingue par une promptitude et une activité de conception vraiment hors ligne. Il comprend vite et bien. Une nuance de sentiment vient s'ajouter à son activité intellectuelle. A cet ensemble de qualités de l'esprit et du cœur, joignez une dose très prononcée de raison, un jugement solide et une véritable passion pour l'ordre et la méthode, et vous aurez le type français." (1)
Eric Ciotti et Christian Estrosi, tous deux élus UMP, se sont publiquement scandalisés que, en ouverture des Jeux de la Francophonie samedi dernier dans leur bonne ville de Nice, le rappeur Kery James ait été invité à chanter "Banlieusards" (2). "Une chanson scandaleuse et inappropriée qui appelle à la révolution dans les banlieues", estiment-ils. Leur dose très prononcée de raison, leur jugement solide et surtout leur véritable passion pour l'ordre et la méthode leur ont permis de voir clair. On ne la leur fait pas, à eux. Jésus a dit "lève-toi et marche!", ils appliquent cet ordre tous les jours au saut du lit. Mais quand Kery James prononce la même phrase, ce ne peut être que pour mettre les banlieues à feu et à sang. Quand Kery James serine en refrain que "on n'est pas condamnés à l'échec", ils comprennent qu'il invite les jeunes à mettre les banlieues à feu et à sang. Quand Kery James dit qu'il ne veut pas brûler des voitures, mais en construire et en vendre, ils comprennent qu'il appelle à mettre les banlieues à feu et à sang. Cette chanson, presque trop gentille, positive et volontariste, qui "rêve d'une France unifiée", qui incite les jeunes à refuser la fatalité, à se bouger, pour sortir d'une culture de l'échec, à "apprendre, comprendre, entreprendre", Estrosi et Ciotti la voient comme une menace. Ce en quoi ils ont raison: "si le savoir est une arme, dit Kery James, soyons armés, car nous sommes désarmés". Si les jeunes des banlieues devenaient tous armés, c'est-à-dire cultivés, critiques et actifs, s'ils connaissaient la réussite, que resterait-il du type français? Il serait condamné à l'échec.


(1) lire "Le type français", su ce blog, 24 août 2013.
(2) www.rue89.com/rue89-culture/zapnet/2013/09/08/chanson-kery-james-agace-eric-ciotti-245522

1 commentaire:

Grégoire a dit…

Juste un réflexe de caste... Les deux élus UMP estiment que les banlieusards ne font pas partie de la même couche. Chacun devrait rester à sa place. Que les hommes politiques d'un certain pouvoir (loin du maire du petit village) puissent continuer à faire leurs petites affaires entre eux. Pas très éloignés de la noblesse d'avant 1789, finalement... Si ce n'est que ces deux élus sont issus d'une république née d'une révolution, et qu'ils ne sont pas sensés redouter cette dernière. Comme le titre le magazine Marianne (France) dans son dernier numéro, la France se "tiers-mondise". Il suffit de remplacer les nobles par les politiques, le clergé par le Medef, et on retrouve une situation proche de 1788. Je m'étonne seulement que le tiers-état français de ce début de XXIème siècle ne se soit pas encore vraiment révolté...