mercredi 14 février 2018

Une belle Saint-Valentin

Si la chanson est le reflet de son époque, alors la nôtre est plutôt à la haine et à la brutalité. Le rap est à la mode. Au point que c'est un rappeur qui a remporté tout récemment les Victoires de la Musique de meilleur artiste, de meilleur album de musiques urbaines et de meilleur clip. On comprend pourquoi. Les chansons d'Orelsan sont fraiches et délicates comme un match de boxe thaïlandaise. Des textes aussi raffinés et élégants qu'un concours de dragsters. Bref, de la poésie à l'état brut. Vraiment brut. Témoin sa chanson Saint-Valentin (sortie il y a une dizaine d'années)  qui dit: "J' vais la limer jusqu'à ce qu'elle soit couchée et qu'elle voit des clochettes / Mais ferme ta gueule ou tu vas t' faire marie-trintignier / Je te l' dis gentiment / j'suis pas là pour faire de sentiments / J' suis là pour te mettre 21 centimètres / Tu seras ma petite chienne et je serai ton gentil maître / J' bois, baise jusqu'à ce que t'en sois mal en point" (1). Bref, une vraie chanson d'amour où la tendresse transparaît entre les lignes.
On pense à d'autres rappeurs tout aussi poétiques.
A Nekfeu qui appelait à "un autodafé pour ces chiens de Charlie Hebdo". C'était un peu plus d'un an avant le massacre d'une grande partie de l'équipe par des fous furieux d'Allah (2). Avaient-ils écouté son appel?
On pense aussi à Disiz la Peste (qui porte si bien son nom) qui, dans le même temps, s'adressant à l'équipe de Charlie, annonçait: "même si vous étiez muets je vous couperai la parole / vous voulez savoir comment je ferai / eh bien je vous couperai les mains" (3).
Ou encore à Black M qui chante "je me sens coupable quand je vois ce que vous a fait ce pays de kouffars", ou "je crois qu'il est temps que les pédés périssent, coupe-leur le pénis, laisse-les morts, retrouvés sur le périphérique", ou encore "les youpins s'éclatent et font les magasins" (4).
Ces rappeurs à la mauvaise haleine crieront sûrement à la censure si on critique leurs textes repoussants, d'autant qu'ils se savent populaires et, à ce titre, pensent sans doute pouvoir vomir les pires horreurs.
Sauf que les temps changent. Voilà qu'une pétition demande que les Victoires de la musique soient retirées à Orelsan pour le sexisme et les appels violents de certaines de ses chansons (1). 
Qui donc mettra fin à tous ces dérapages contrôlés, quels animateurs cesseront d'inviter dans leurs émissions ces chantres de la haine aux propos répugnants?

Post-scriptum:
- une opinion différente dans la Libre Belgique qui souligne que le rappeur a mûri, et celui-ci se défend en affirmant que les paroles citées ont été "sorties de leur contexte". Cet homme pourrait faire de la politique! Le contexte, le voici : https://www.youtube.com/watch?v=PRzKsIiOVkE (très contexte caniveau). http://www.lalibre.be/culture/musique/et-si-on-laissait-orelsan-tranquille-5a8593adcd70b558ed5d484d
- un autre rappeur, Booba, est critiqué pour ses "propos injurieux envers les femmes". 
http://www.lesoir.be/140192/article/2018-02-14/des-policiers-supplementaires-prevus-pour-le-concert-de-booba-ce-vendredi
Je ne mets pas tous les rappeurs dans le même sac, mais ce milieu-là semble quand même assez réac, non?

(1) http://www.lalibre.be/culture/musique/25-000-signatures-contre-les-textes-graves-et-inacceptables-du-rappeur-orelsan-5a843144cd70fdabba01d5b8
(2) (re)lire sur ce blog "Dé-rap-age", 27.11.2013.
(3) (re)lire sur ce blog "Le monde comme il essaie d'aller", 4.12.2013.
(4) (re)lire sur ce blog "J'irai danser sur vos tombes", 6.5.2016.
et aussi "La question des limites", 9.1.2015.

6 commentaires:

Grégoire a dit…

J'avoue qu'avant de lire cette chronique, je ne connaissais pas Orelsan, et une fois cette lacune "culturelle" comblée, je n'irai pas plus loin, persuadé à la lecture de l'extrait de sa chanson Saint-Valentin, que Verlaine peut continuer à reposer en paix, ce n'est pas un concurrent sérieux pour lui. En revanche, hasard (?) du calendrier, j'ai vu hier ou avant-hier le lancement de l'émission "Hep, Taxi!" avec pour invité le rappeur en question. Dans le peu que j'ai entendu, ce dernier déplorait qu'on l'on sorte ses anciennes paroles de leur contexte. Donc, pour les amateurs de ce rappeur, situés en principe majoritairement en banlieue, les paroles sont normales, mais en dehors de ce contexte...? Excuse facile pour quelqu'un qui n'assume pas des propos vieux de dix ans dans un climat qui a certes changé dans les médias, mais qui (les propos) pour ma part m'auraient déjà dégouté à l'époque si je les avais connus. Dans le même temps, une candidate de télécrochet en France au visage angélique de 22 ans déplore également le fait qu'on retire de leur contexte d'anciens messages complotistes de son cru qui n'exprimaient, a-t-elle dit, que sa peur lors des attentats en 2016, mais qu'elle regrette quand même (un début d'aveu?). Elle tente de se présenter sous un meilleur jour en disant "J'ai foi en l'humanité et en la bienveillance des gens. J'ai foi en un futur rempli d'amour, de paix et de tolérance. J'ai foi en mon pays, la France." C'est beau comme du Mireille Mathieu. L'express relève que des captures d'écran, notamment relayés par l'extrême droite sur les réseaux sociaux, montrent en outre qu'elle partageait sur Facebook des publications de l'islamologue controversé Tariq Ramadan ou de Dieudonné (https://www.lexpress.fr/actualite/medias/audiovisuel/messages-complotistes-face-a-la-polemique-mennel-quitte-the-voice_1983475.html).
Bien sûr, ces deux cas me navrent, mais nettement moins que la place de que les médias leur accordent. Il faudrait parfois un journal des bonnes nouvelles...

Unknown a dit…

Ecoutez aussi Casey, La Gale, Chilla, Billie brelok, Pumpkin, Vin'S da Cuero, Gaël Faye avant de vous faire une idée sur le rap... Je ne dis pas que c'est délicat, mais pour moi vulgarité et poésie ne sont pas incompatibles.

Michel GUILBERT a dit…

Je n'ai pas l'habitude de publier des messages non signés. Un peu de courage que diable! Mais je l'ai quand même fait pour le message précédent. C'est bon pour une fois!

Anonyme a dit…

J'ignorais que poster un commentaire signé nécessitait du courage, je tiens seulement à garder un peu d'intimité vis à vis de google, je me suis déjà faite enfermer dans une bulle je ne souhaite pas que ça se reproduise : https://info.arte.tv/fr/quand-le-web-nous-enferme-dans-notre-bulle
Claire

Grégoire a dit…

Je ne suis pas fan de rap, mais j'écoute régulièrement MC Solar avec un plaisir à chaque fois renouvelé, et pour paraphraser Unknown, je dirais que le rappeur que je viens de citer démontre que rap et poésie ne sont pas incompatibles. ;o)

Michel GUILBERT a dit…

A Claire: ben oui, signer un message me paraît tomber sous le sens. Un texte non signé n'existe pas. Voici ce qu'en dit Amélie Nothomb, "signer un texte, un article, un message de son nom, c'est produire son corps comme garantie de ce que l'on écrit. On n'a pas le droit d'écrire n'importe quoi, pour ce motif que l'on porte un nom, et que ce nom représente notre corps.
Sur Internet, le corps est le grand absent. Il n'y a pas de plus vertigineuse impunité potentielle que l'absence du corps. L'anonymat n'est rien d'autre que la représentation verbale de l'absence du corps. Tout texte courageux et juste comporte une signature" (extrait de "L'anonymat d'Internet", billet publié sur ce blog le 29.4.2008).
A tous, oui, il y a heureusement des rappeurs délicats, poétiques, intelligents. Personnellement, j'aime bien Abd-el-Malik ou encore Baloji.