samedi 30 janvier 2021

Incroyable mais vrai

Le rationalisme et la science sont dépassés. Pour être de son temps, il faut non pas connaître et comprendre, mais croire. Surtout ce que les autres ne croient pas. C'est à cela qu'on sait appartient aux esprits supérieurs, ceux à qui on ne la fait pas, ceux qui ont tout compris quand les gogos suivent encore grégairement les informations de cette presse aux ordres de son gouvernement.

Aujourd'hui, quantité de théories du complot se répandent aussi facilement qu'un vulgaire coronavirus. Au point qu'a été créé en France un Observatoire du conspirationnisme. Il y a quelques mois, un pseudo documentaire intitulé Hold Up a fait sur Internet ce qu'on appelle maintenant un buzz. Il entend démontrer que la Covid-19 est une invention, une manipulation des médias et des politiques. Il donne "une grille de lecture simple, pour ne pas dire simpliste, de la situation complexe et difficile que nous traversons", estime Tristan Mendès France, membre de cet Observatoire (1). D'habitude, ce genre de délire reste cantonné aux marges d'Internet, explique-t-il: "réseaux complotistes, extrême droite, une partie des Gilets jaunes", mais celui-ci atteint aujourd'hui plusieurs millions de vues. "Il utilise plusieurs champs narratifs et contradictoires, où chacun peut se projeter et trouver ce qu'il cherche à entendre." Hold Up met en doute la gravité du coronavirus tout en affirmant qu'il a été inventé pour exterminer des millions de personnes. Comprenne qui pourra, pourrait-on dire. Mais ici, il ne s'agit pas de comprendre, il s'agit juste de croire. De croire ce à quoi on a envie de croire, justement parce que ce n'est pas crédible. 

On n'est plus dans le champ de la raison, mais dans celui de l'émotion où le moindre détail est interprété comme un signe qui vient renforcer la croyance. Les réseaux (anti)sociaux sont les grands vecteurs de ces théories délirantes, qu'elles touchent à la réalité et à la dangerosité de la Covid-19, à l'appartenance des Démocrates américains à un vaste réseau de pédophilie, aux commanditaires des attentats du 11 septembre 2001 ou à tant d'autres fables. Dès le premier confinement, affirme Tristan Mendès France, la propagation des théories du complot a bondi. Beaucoup de personnes, délaissant les médias traditionnels qu'ils ne consultent plus jamais, ont cherché sur Internet des réponses à leurs questions. Et à leurs questions légitimes - la situation est inédite - ils ont préféré les réponses les plus éloignées de la réalité. Plutôt faire confiance aux amateurs qu'aux professionnels de l'information. Et surtout aux gens qu'ils connaissent ou ont appris à connaître parce qu'ils pensent comme eux. "C'est ce qu'on appelle le dark social, l'un des vecteurs de propagation les plus dangereux et préoccupants. La majorité de la population américaine s'informe aujourd'hui sur les réseaux sociaux, et 40 % en France."

Pas simple de lutter contre ces fumisteries. Plus la presse s'échine à démonter les théories du complot, plus les complotistes y voient la preuve que celles-ci sont une réalité qui fait peur au système. Des couples, des familles se déchirent parce que certains de leurs membres ne sont plus raisonnables, persuadés d'être du côté de la Vérité, d'être les seuls à être clairvoyants, et tentent de convaincre à toute force leurs proches que ce sont ces derniers qui sont dans l'erreur. 

Les enseignants, eux, sont de plus en plus confrontés à des élèves qui remettent en question les théories scientifiques pour les remplacer par des explications religieuses. Les histoires plutôt que l'Histoire, le créationnisme plutôt que le darwinisme, l'obscurantisme plutôt que les Lumières, la croyance plutôt que le savoir. Chacun entend choisir sa vérité. C'est à ne pas croire.

(1) Richard Sénéjoux, "Le virus du complot", Télérama, 2.12.2020.


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