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samedi 30 janvier 2021

Incroyable mais vrai

Le rationalisme et la science sont dépassés. Pour être de son temps, il faut non pas connaître et comprendre, mais croire. Surtout ce que les autres ne croient pas. C'est à cela qu'on sait appartient aux esprits supérieurs, ceux à qui on ne la fait pas, ceux qui ont tout compris quand les gogos suivent encore grégairement les informations de cette presse aux ordres de son gouvernement.

Aujourd'hui, quantité de théories du complot se répandent aussi facilement qu'un vulgaire coronavirus. Au point qu'a été créé en France un Observatoire du conspirationnisme. Il y a quelques mois, un pseudo documentaire intitulé Hold Up a fait sur Internet ce qu'on appelle maintenant un buzz. Il entend démontrer que la Covid-19 est une invention, une manipulation des médias et des politiques. Il donne "une grille de lecture simple, pour ne pas dire simpliste, de la situation complexe et difficile que nous traversons", estime Tristan Mendès France, membre de cet Observatoire (1). D'habitude, ce genre de délire reste cantonné aux marges d'Internet, explique-t-il: "réseaux complotistes, extrême droite, une partie des Gilets jaunes", mais celui-ci atteint aujourd'hui plusieurs millions de vues. "Il utilise plusieurs champs narratifs et contradictoires, où chacun peut se projeter et trouver ce qu'il cherche à entendre." Hold Up met en doute la gravité du coronavirus tout en affirmant qu'il a été inventé pour exterminer des millions de personnes. Comprenne qui pourra, pourrait-on dire. Mais ici, il ne s'agit pas de comprendre, il s'agit juste de croire. De croire ce à quoi on a envie de croire, justement parce que ce n'est pas crédible. 

On n'est plus dans le champ de la raison, mais dans celui de l'émotion où le moindre détail est interprété comme un signe qui vient renforcer la croyance. Les réseaux (anti)sociaux sont les grands vecteurs de ces théories délirantes, qu'elles touchent à la réalité et à la dangerosité de la Covid-19, à l'appartenance des Démocrates américains à un vaste réseau de pédophilie, aux commanditaires des attentats du 11 septembre 2001 ou à tant d'autres fables. Dès le premier confinement, affirme Tristan Mendès France, la propagation des théories du complot a bondi. Beaucoup de personnes, délaissant les médias traditionnels qu'ils ne consultent plus jamais, ont cherché sur Internet des réponses à leurs questions. Et à leurs questions légitimes - la situation est inédite - ils ont préféré les réponses les plus éloignées de la réalité. Plutôt faire confiance aux amateurs qu'aux professionnels de l'information. Et surtout aux gens qu'ils connaissent ou ont appris à connaître parce qu'ils pensent comme eux. "C'est ce qu'on appelle le dark social, l'un des vecteurs de propagation les plus dangereux et préoccupants. La majorité de la population américaine s'informe aujourd'hui sur les réseaux sociaux, et 40 % en France."

Pas simple de lutter contre ces fumisteries. Plus la presse s'échine à démonter les théories du complot, plus les complotistes y voient la preuve que celles-ci sont une réalité qui fait peur au système. Des couples, des familles se déchirent parce que certains de leurs membres ne sont plus raisonnables, persuadés d'être du côté de la Vérité, d'être les seuls à être clairvoyants, et tentent de convaincre à toute force leurs proches que ce sont ces derniers qui sont dans l'erreur. 

Les enseignants, eux, sont de plus en plus confrontés à des élèves qui remettent en question les théories scientifiques pour les remplacer par des explications religieuses. Les histoires plutôt que l'Histoire, le créationnisme plutôt que le darwinisme, l'obscurantisme plutôt que les Lumières, la croyance plutôt que le savoir. Chacun entend choisir sa vérité. C'est à ne pas croire.

(1) Richard Sénéjoux, "Le virus du complot", Télérama, 2.12.2020.


mercredi 12 août 2020

Bêtises et vaccins

La semaine dernière, Antonio Fischetti, journaliste scientifique de Charlie Hebdo, déplorait que la vaccination soit une "victime collatérale du coronavirus". 
"L'absence de vaccination est une maladie mortelle", constatait-il, rappelant que l'OMS la classe parmi les dix principales menaces pour la santé humaine. La seule rougeole est responsable de 150.000 morts chaque année dans le monde. Combien en provoquent la diphtérie, le tétanos, la coqueluche, la rubéole, la polio, la tuberculose? 
De nombreuses campagnes de vaccination ont été annulées parce que les personnes concernées étaient confinées, parce que des médecins rencontraient des difficultés de transport ou parce que des patients craignaient d'être contaminés par le coronavirus. Selon l'OMS, à cause de la pandémie de Covid-19, "au moins trente campagnes de vaccination contre la rougeole ont été ou risquent d'être annulées, ce qui pourrait entraîner de nouvelles flambées en 2020 et au-delà".
A ces difficultés, s'ajoutent les rumeurs et théories complotistes de ceux qui veulent se convaincre que le remède sera toujours pire que le mal. Ceux qui pensent que les vaccins transmettent d'autres maladies ou pensent qu'ils vont servir de cobayes. L'obscurantisme se nourrit des pandémies. 
Au Sénégal, rapporte Antonio Fischetti, les réseaux sociaux se sont enflammés suite à une rumeur qui prétendait que sept enfants y étaient morts après avoir reçu "le vaccin de Bill Gates". L'informaticien est même soupçonné par un économiste ivoirien de vouloir "dépeupler l'Afrique pour sauver les Européens". Une autre rumeur affirme que le véritable but d'un vaccin serait d'implanter une puce électronique dans le corps des gens. 
Pour les islamistes pakistanais, la vaccination serait un outil de domination du grand Satan occidental. D'ailleurs, affirment-ils, les vaccins contiennent du porc, entraînent l'infertilité et tuent des enfants. C'est pourquoi ces sauveurs de l'humanité que sont les islamistes tuent du personnel soignant.
"Le pire, regrette Antonio Fischetti, c'est que les rumeurs contre les vaccins sont plus contagieuses que les maladies elles-mêmes".

Pour déplorer ces assassinats, ces dérives et ces bêtises, Antoine (sic) Fischetti se fait traiter de con par un lecteur de Charlie (1) qui le déclare "chef des journaleux asservis aux lobbies". La vie est simple; défendre la vaccination, c'est soutenir l'industrie pharmaceutique. Les tenants de ce type d'analyse sommaire et simpliste ressemblent à ceux qui minimisent l'impact mortifère de l'islamisme. Seul compte leur point de vue chétif, jamais celui des victimes. Ils ne sont qu'ego boursouflés. que mépris, que morgue. Ils sont plus forts que tous les virus. "Je ne me ferai pas vacciner", clame l'ex-lecteur. L'absence d'intelligence peut aussi être une maladie mortelle. 

(1) "On a reçu ça", Charlie Hebdo, 12.8.2020.


vendredi 24 avril 2020

Se ressourcer

Au début de ce mois d'avril, France Inter a diffusé un message de l'UNESCO appelant en cette période de pandémie à vérifier plus que jamais ses sources, à ne pas diffuser des messages alarmistes dont on n'a pas identifié l'origine. A vérifier qui sont les soi-disant experts dont les éclairages seraient  systématiquement ignorés des responsables politiques.  A ne faire confiance qu'à des médias dont c'est le métier, avec des journalistes professionnels.
Etrangement, ce message n'a, à ma connaissance du moins, plus été diffusé ensuite. Dommage. Les bêtises se multiplient sur Internet et les béotiens que nous sommes en matière de biologie et de médecine sont tout prêts à croire aux théories ou aux démonstrations les plus tarabiscotées. Nous aimons tellement croire que nous sommes manipulés. Qu'on nous cache tout. A force de vouloir être  extrêmement critique, on devient parfois considérablement naïf.  



(Re)lire sur ce blog "Comme un virus", 29.3.2020 et "Sophia Aram présidente!", 13.4.2020.

dimanche 29 mars 2020

Comme un virus

Ce coronavirus est un don du ciel pour les complotistes. Ils se frottent les mains. 
ON NOUS CACHE TOUT, ON NOUS DIT RIEN!!!
S'ils s'expriment par vidéo, ils le disent en criant. Par écrit, avec des majuscules et d'innombrables points d'exclamation. Ils se positionnent comme l'extrême droite: à la fois en victimes et en (clair)voyants. Nos discours, nos analyses font peur au système, nous sommes les seuls à voir clair, on essaie de nous faire taire. Heureusement, nous sommes là pour dire la vérité et vous êtes là pour nous soutenir.
Sur Internet se répandent comme un virus ces vidéos de prédicateurs qui s'adressent à des croyants. A celles et ceux qui ont envie de croire qu'ils ne seront pas manipulés, ceux qui ont tout compris. Celles et ceux qui ne font confiance ni à l'intelligence (et en premier lieu à la leur), ni à la science.
Les prédicateurs ont eu la révélation, mais ils sont censurés, clament-ils haut et fort à leurs fidèles indignés.
Pourquoi ce besoin d'aller chercher les explications ou les solutions les plus irrationnelles? Comment tant de gens se montrent-ils si fiers de ne pas se laisser gruger tout en faisant la preuve de leur extrême naïveté?
Il y a ceux qui trouvent avec ce coronavirus une occasion de plus d'exprimer leur antisémitisme maladif. Ceux qui sont convaincus que nous sommes tous les victimes du grand complot pharmaceutique. Ceux qui ont une opinion tellement haute d'eux-mêmes qu'ils jurent que le confinement a été décrété pour les empêcher de manifester. Ils sont ainsi les victimes d'un immense complot mondial qui vise à les faire taire. 
Et puis il y a ceux qui depuis tant d'années ont une explication aux traînées blanches que laissent derrière eux les avions: ils sont le signe visible d'un projet d'empoisonnement de l'humanité.  La situation actuelle démontre, affirment-ils, qu'ils avaient raison: on ne voit plus de traînées blanches puisque le poison s'est répandu sur terre.
On ne connaît pas encore tous les symptômes du coronavirus, mais, visiblement, il empoisonne de nombreux esprits et transforme en yaourt la matière grise de certains.

A lire:
https://www.lemonde.fr/pixels/article/2020/03/28/comment-didier-raoult-est-devenu-la-nouvelle-egerie-des-complotistes_6034761_4408996.html
Post-scriptum: et celui-ci aussi:
https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2020/03/31/l-etrange-obsession-d-un-quart-des-francais-pour-la-these-du-virus-cree-en-laboratoire_6035093_4355770.html

mercredi 6 septembre 2017

Sur la mauvaise pente

Il y a de nombreuses années, le Chat (de Philippe Geluck), toujours prêt à partager ses connaissances scientifiques, répondait à cette question complexe: "comment savoir si l'on est dans une montée ou dans une descente?". C'est facile, expliquait-il, il suffit de se munir d'un ballon et de le lâcher. S'il part vers le haut, c'est qu'on est dans une montée, vers le bas, dans une descente. 
La même expérience peut s'opérer avec un vélo. Si le vélo avance seul sans que le cycliste ne donne le moindre coup de pédale, c'est que le vélo est dans une descente.
Ce phénomène incroyable semble ignoré de nombre de complotistes qui visiblement (1) n'y ont pas pensé, tant ils sont persuadés avoir découvert la preuve que le vélo de Froome est truqué.
Bien sûr, on peut avoir des doutes autant sur le dopage électrique de nombre de vélos de course que sur le dopage chimique des cyclistes professionnels qui les montent. Autre chose est de diffuser urbi et orbi des conclusions aussi hâtives que stupides à partir d'un vélo et d'un cycliste qui avancent pendant cinq secondes.
On voit par là qu'il peut être utile de quitter de temps à autre son écran pour faire de la marche ou du vélo et ainsi découvrir que le monde est moins plat que notre encéphalogramme. 

Faites notre test (niveau débutants):
sur quelle(s) photo(s) le vélo est-il dans une descente?







(1)

jeudi 19 mars 2015

L'univers des gros malins

L'Homme est admirable. On ne se lasse pas de le considérer comme un être plus humain que les autres. C'est un animal doué de raison et d'une intelligence supérieure. Aussi quand il ne peut comprendre ce qui lui échappe trouve-t-il malgré tout des explications. C'est plus fort que lui. Il est ainsi fait. Il est toujours le plus malin. On ne peut le berner (1).
Le tsunami asiatique de 2004 et le tremblement de terre en Haïti en 2010 furent trop importants pour que la nature soit seule en cause. Ce sont des expérimentations militaires américaines qui les expliquent. Le sida à ses débuts a décimé une part importante de la communauté homosexuelle et Ebola des populations africaines. Ces virus ont été concoctés par des labos occidentaux et inoculés volontairement. (2)
Les zadistes qui protestent contre un Center Parc à Roybon dans l'Isère restent là jour et nuit. Comment font-ils pour vivre? Ce sont les écologistes (et "peut-être même le Front de Gauche", dit le maire) qui leur paient une indemnité quotidienne de 90 €. Ils ont des ordinateurs et on en a même vu aller au restaurant. "Si ça, ce n'est pas une preuve!", dit un artisan local (3) qui devrait se recycler comme enquêteur. 
L'attentat contre Charlie Hebdo ne peut être le fait de jeunes islamistes. Eux auraient dans le même temps détruit toutes les archives du journal. C'est la version de l'inspecteur chef Thierry Meyssan, l'homme qui surpasse en sagacité Sherlock Holmes, Hercule Poirot, le commissaire Maigret et le lieutenant Columbo réunis. Les couleurs des rétroviseurs de la voiture des assassins ont changé d'une image à l'autre, signe qu'on essaie de nous faire croire n'importe quoi, disent des esprits peu habitués aux effets de la lumière. En fait, ce sont les forces de l'ordre qui sont derrière ces attentats. D'ailleurs, cet esprit supérieur de Jean-Marie Le Pen le croit aussi: pour lui, ce sont les services secrets. Et ceux qui en doutent se tairont quand ils se rendront compte que la date de l'attentat n'a pas été choisie au hasard: le 7 janvier, soit le 7 du 1. Placez les deux chiffres dans l'ordre inverse et vous obtenez 17. Soit le numéro de la police française. Et le numéro de Charlie qui a suivi l'attentat porte le numéro 1178. 1 + 1 + 7 + 8 = 17. Qui peut croire à un tel hasard? La police française signe ainsi de la même manière que la police américaine: son numéro est le 911. Un nombre qui évoque fortement la date d'un certain 11 septembre. (4)
On le voit, nous sommes victimes de complots. Un monde obscur agit contre nous et la presse dite traditionnelle concourt à nous enfumer. Heureusement, nous pouvons compter sur de fins limiers qui ne s'en laissent pas conter.
"Un (autre) de ses principes (du conspirationnisme), c'est le refus systématique de toute explication réaliste. Il faut une raison cachée à toute chose, écrit Antonio Fischetti (2). Cette obsession d'une vérité forcément ailleurs est du même registre que la pensée ésotérique ou religieuse."
"La pensée conspirationniste, estime Emmanuelle Danblon, professeure en rhétorique et argumentation à l'ULB (2), est une rhétorique hybride. D'un côté, elle comporte des traits typiques de la modernité, car elle se présente comme le comble de l'esprit critique. Mais elle a aussi des traits d'une pensée très archaïque: c'est-à-dire qu'elle se protège contre toute tentative critique de son modèle. Cela peut aller jusqu'au déni de la réalité. C'est typique d'une société dite fermée: on entend par là une société qui vit en autarcie avec son modèle du monde. Les sectes fonctionnent sur ce principe."
On peut penser que les personnes qui sont peu en relation avec d'autres, peu amenées à débattre en face à face, se nourrissant à longueur de journées d'un mélange, parfois confus, d'informations et d'opinions glanées sur Internet, vivent une forme d'autarcie.
Les partisans de théories du complot "singent la pensée méthodique, mais ils sont imperméables à la contradiction", analyse le sociologue Gérard Bronner (2).
Résumons-nous: il faut savoir quitter son écran d'ordinateur, discuter avec d'autres et se mettre à penser. Ca peut aider à comprendre bien des choses.

(1) Sur ce blog: "On nous cache tout, on nous dit rien", 11 août 2014.
(2) "Conspirationnistes et djihadistes, même combat", Charlie Hebdo, 4 mars 2015.
(3) "Les zadistes sont pleins aux as!", Le Canard enchaîné, 11 février 2015.

mardi 27 janvier 2015

Comprendre (essayer de)

Les massacres perpétrés au siège de Charlie Hebdo et dans une épicerie casher ne cessent de susciter commentaires et analyses. Pour détourner tant de jeunes de la tentation djihadiste, il faut sortir les banlieues du désespoir. Les monumentales (c'est le cas de le dire) erreurs architecturales et urbanistiques commises dans les années '60-'70, le chômage endémique, les discriminations à l'embauche, les trafics qui permettent à des jeunes de gagner en une journée autant que ce que gagnent leurs parents en un mois, toutes ces causes doivent être combattues fermement et des moyens doivent être mobilisés pour ce faire. Mais elles n'expliquent pas tout. On aimerait bien que les choses soient simples à comprendre. Elles ne le sont jamais. Il faut donc entrer dans leur complexité. C'est fatigant.

Les djihadistes occidentaux ne sont pas tous - loin s'en faut - des jeunes qui peuvent prétendre avoir été rejetés par la société. "On a vu récemment que des profils très différents étaient concernés par les départs en Syrie, dit Philippe Faucon, réalisateur du film La Désintégration, et ne correspondaient pas forcément à ce portrait habituellement fait du djihadisme français: Jeunes issus de l'immigration en pertes de repères. (0)"
Dans la région de Montargis, deux frères sont partis faire le djihad. Leur entourage se dit sidéré. L'un était étudiant, l'autre vendeur dans une boutique (1). Hayat Boumeddiene, la compagne d'Amedy Coulibaly, avait un emploi. Sur des photos, on peut, paraît-il, les voir tous deux en vacances, elle en bikini, "elle a les cheveux lâchés et des lunettes de starlette" (2). Ce qui ne l'empêchera pas de revêtir, peu après, le niqab, le voile intégral des salafistes. Les frères Belhoucine, qui ont emmené Hayat Boumeddiene en Syrie juste avant les crimes commis par Coulibaly, semblaient eux aussi "intégrés". Mohamed, l'aîné, avait accédé aux études supérieures (l'Ecole des Mines où il a choisi comme thème de recherche, en première année, "la correction de la trajectoire d'un missile"!)  et, après avoir flirté avec l'islamisme, était employé par la mairie d'Aulnay-sous-Bois, où il aidait les jeunes en difficulté scolaire. Son frère Mehdi était, dit-on, un "étudiant brillant" (3).

Les frères Kouachi ont commis le lâche massacre de Charlie Hebdo pour venger le Prophète, ont-ils déclaré. Est-ce en son nom que Chérif Kouachi visionnait et stockait sur son ordinateur des images pédopornographiques très violentes (4)?
Il y a aussi tous ces jeunes, très croyants, voire dévots, choqués par les caricatures du Prophète qui estiment que "il n'y a rien de pire qu'être athée". C'est même pire, visiblement, que "délinquant et trafiquant de drogue", comme ils se présentent eux-mêmes (5). On s'interroge sur leurs valeurs, sur leurs notions de bien et de mal.
Mais les musulmans, les vrais, n'ont rien, mais alors rien du tout, à voir avec ces dérives radicales et violentes. "Fréquenter une mosquée, ce n'est pas se radicaliser, affirme l'imam de Montigny-les-Corneilles (Val d'Oise), c'est exactement le contraire: c'est apprendre, connaître, s'élever. (6)". Il a cependant dû quitter Cergy-Pontoise "où la communauté des fidèles était, dit-il, sous l'influence rétrograde de l'Arabie saoudite, on lui reprochait  ses opinions différentes, et notamment de donner trop de place à la femme dans ses prêches. La femme est une honte pour eux, dit-il." On croit donc pouvoir comprendre que toutes les mosquées n'aident pas à comprendre, à connaître et à s'élever. 

L'Arabie saoudite, parlons-en: "Le jour où les pays occidentaux arrêteront d'entretenir des liens  avec l'Arabie saoudite ou le Qatar, ils auront une crédibilité à mes yeux", affirme le journaliste (français et vivant en Algérie) Kamel Haddar. Qui vend des armes à Daech? Qui a financé le terrorisme au Nigéria, au Moyen-Orient? Les terroristes se nourrissent au sein des wahhabites. Que les pays occidentaux en tirent les conséquences. (7)." Et qui a été, ces derniers jours, se recueillir devant la dépouille du roi saoudien Abdallah? La plupart des chefs d'Etat qui entendent faire la guerre à Daech, à Boko Haram et au radicalisme islamique (8). "Comment pouvons-nous continuer à considérer l'Arabie saoudite comme un pays ami?, demande Hind Meddeb, alors qu'elle rémunère depuis les années 1960 des prêcheurs qui vident l'islam de sa spiritualité et réduisent le Coran à un un mini-kit halal/haram de lois à respecter, au mépris de sa civilisation et de son histoire? (9)"

De toute façon, ces attentats sont des complots des services secrets français ou des Américains ou des Juifs ou de tous ceux-là ensemble, laissent entendre sur Internet (qui n'en demande pas tant) des fous furieux qui ont tout compris et vomissent leur bêtise, semblant oublier (ou ne pas vouloir voir) qui sont les victimes.
"Il y a ce point commun entre Mohamed Merah, Mehdi Nemmouche, Chérif Kouachi et Amedy Coulibaly, dit encore Philippe Faucon, c'est la haine à l'encontre d'Israël, généralisée à tous les juifs. Le ressentiment de chacun vis-à-vis de la société française ayant été probablement récupéré, exacerbé, téléguidé de façon meurtrière, pour des motifs géostratégiques. (0)"
Si le conflit israélo-palestinien trouvait enfin une solution, tout le monde se calmerait, entend-on dire. On ne demande que cela. Ce qui ne semble pas être la position de nombreux protagonistes. Là-bas comme ici. Chaque fois qu'Israël repart en guerre contre les Palestiniens, on déplore les agressions dont les Juifs sont victimes dans nos pays, de la part de gens qui confondent Juifs, Israéliens et  gouvernement israélien. Mais qui vient en France consoler des Juifs qui ont perdu des proches? Le premier ministre israélien. Et il en profite pour inviter les Juifs de France à s'exiler dans son pays, où ils seront mieux protégés. Où les accueillera-t-il? Selon toute probabilité, dans de nouvelles colonies de peuplement, créées sur des terres volées aux Palestiniens. On voit par là que l'attitude de Nethanyaou n'aide pas plus que les actes violents des djihadistes à trouver une solution à ce conflit qui serait, nous dit-on, à la base de tant d'autres à travers la planète.

On le voit, le monde n'est pas facile à comprendre. Nous ne sommes ni dans "La Guerre des étoiles" ni dans Tintin. Il n'y a pas les bons et les méchants, il y a plein de gens gris, flous, incohérents et la compréhension réclame un certain sens de la nuance. Reste qu'il est tellement plus facile de s'envoyer à la tête des clichés, des injures, des imprécations, des explications simplistes et des solutions toutes faites. 
Résumons-nous: rien n'est simple.

(0) Il n'y a pas de profils types, L'Obs, 22 janvier 2015.
(1) France 3 Centre, Journal, 22 janvier 2015, 19h.
(2) La fugitive, L'Obs, 22 janvier 2015.
(3) Ses complices de l'ombre, L'Obs, 22 janvier 2015.
(4) Comment Chérif Kouachi s'est rendu invisible, L'Obs, 22 janvier 2015.
(5) Des banlieues divisées, The Daily Beast (N.Y.), 13 janvier 2015, in Le Courrier International, 22 janvier 2015.
(6) La journée d'un imam du "juste milieu", L'Obs, 22 janvier 2015.
(7) J'étais un sale Arabe, mais je suis français, L'Orient-Le Jour (Beyrouth), 16 janvier 2015, in Le Courrier International, 22 janvier 2015.
(8) http://deredactie.be/cm/vrtnieuws.francais/Politique/1.2220151
(9) "C'est à l'Islam de s'adapter à l'Europe", L'Obs, 22 janvier 2015.

Sur l'Arabie saoudite, écouter (et voir!) l'excellent billet de Sophia Aram hier matin sur France Inter:
www.huffingtonpost.fr/2015/01/26/sophia-aram-burqa-france-inter-replay-video-abdallah-arabie-saoudite_n_6544970.html?utm_hp_ref=france

dimanche 25 janvier 2015

Quitter les clichés

Ce qui mine les débats sur les attentats qu'a connus la France, c'est la généralisation. On dit les musulmans, les juifs, les Français, les journalistes, les politiques. C'est trop souvent le même sac qui est utilisé pour y fourrer tous ceux qui, vus de l'extérieur, ont l'air semblable. Pour certains, tous les blancs sont forcément chrétiens; pour d'autres, tous les journalistes mentent; pour d'autres encore, la communauté musulmane n'a strictement rien à voir avec ce qui s'est passé ou est au contraire responsable de tout. "Charlie, c'est pour les chrétiens", dit un gamin à son copain (1), ignorant que depuis sa création l'hebdomadaire a bouffé du curé bien plus que de l'imam.  "Tous les musulmans sont responsables", lancent des irresponsables d'extrême droite. C'est tellement pratique de pouvoir comprendre que les uns sont comme ceci, les autres comme cela. Les clichés sont censés aider à maîtriser une situation qui est en réalité extrêmement complexe. Les premiers à faire des amalgames avec les autres sont parfois ceux qui les dénoncent quand ils en sont victimes. L'ignorance est la mère de l'incompréhension qui elle-même s'alimente de rumeurs, de stigmatisations, de manque de recul et de réflexion.
D'où - on ne cesse de le dire et il semble que le Gouvernement français ait décidé d'investir dans le secteur - la nécessité de soutenir l'éducation et les enseignants. L'éducation permanente devrait également jouer son rôle, tant ces problèmes ne sont pas l'apanage des jeunes. Ils sont nombreux les adultes à qui on ne la fait pas et qui se la jouent Café du Commerce avec le premier copain croisé.
Il est temps d'équiper les enseignants, les éducateurs, les animateurs d'outils qui permettent de faire la part des choses entre science et croyance, entre critique des idées et attaques de personnes, entre humour et haine, entre travail journalistique et diffusion d'opinions et de rumeurs.
Il faut, disait une enseignante (2), que certains jeunes découvrent les gens qui vivent autour d'eux. On peut espérer la même ouverture de quantité d'adultes. Mais les amalgames sont confortables, les théories du complot fascinantes et l'auto-critique fatigante. On voit par là qu'il vaut mieux penser que croire.

(1) L'école de la désunion, L'Obs, 22 janvier 2015.
(2) France Musique, 13 janvier 2015, vers 8h15.

lundi 19 janvier 2015

Comment l'islam crée lui-même l'islamophobie

Naïvement, à lire le titre de l'article du Monde (1), j'ai été - un instant - juste un instant seulement - un peu rassuré. Lisant que "Les futurs imams vident leur sac", j'ai pensé que les futurs "cadres de l'islam", en formation à la grande mosquée de Paris, pleuraient sur le sort que font à l'islam les islamistes, sur les morts atroces commises en son nom.
Et c'est l'inverse. C'est pas eux, ils n'ont rien à voir là-dedans. Le Mahomet dessiné par Luz en couverture du dernier Charlie est plus empathique qu'eux. Eux n'expriment pas un regret, pas une excuse pour les crimes commis au nom du même dieu. Au contraire, ils crachent sur les morts, en n'hésitant pas à relayer les théories du complot. Un homme voit "un scénario préparé d'avance". Là, on est d'accord, mais les comploteurs ne seraient pas ceux que l'on pense selon lui, puisqu'on n'a jamais vu le visage des tueurs, ils étaient cagoulés. On voit qu'on a affaire à un fin limier. Il devrait "faire" policier, pas imam. Une femme va plus loin encore, laissant entendre que c'était là l'occasion pour le journal de se refaire une santé. Des explications qui donnent envie de vomir. D'autres ne veulent pas voir la différence entre antisémitisme et islamophobie, comme si, pour eux, ce qu'on pense était inhérent à ce qu'on est. Ils sont, selon l'expression de Sophia Aram ce matin (2), "ceux qui ne font que croire ce qu'ils pensent". Un homme voit même dans le dessin de la dernière couverture des sexes cachés. Il connaît mal l'hebdomadaire: quand dans Charlie on dessine une bite, c'est une bite. Elle n'est pas cachée, elle ose se montrer. Mais des esprits tordus en voient partout et sont donc incapables de voir "la tendresse et l'intelligence"(3) que traduit le dessin de Luz.
J'ai été formateur durant des années. Mon ambition essentielle était d'aider mes étudiants à réfléchir, de les rendre plus intelligents, plus capables de comprendre et d'agir. Pas d'en faire des autruches qui éructent avec la tête dans le sable, relaient des rumeurs stupides et injurieuses, sortent des monstruosités. Comment ces futurs imams et ceux qui les forment ne comprennent-ils pas que des propos aussi idiots et infâmes sont dommageables pour l'ensemble des musulmans? Ce ne sont pas les caricaturistes qui donnent une mauvaise image de l'islam, disait Cabu, mais ceux qui tuent en son nom. Ceux qui crachent en son nom ternissent un peu plus cette image.
Comment ne pas comprendre que cet islam-là fait peur, qu'il crée une vraie phobie? Qu'il est aussi dangereux pour les musulmans que les attaques et les raccourcis répugnants de l'extrême droite et des identitaires?
Est-ce ainsi qu'Allah est grand?

Post-scriptum: les manifestations contre les caricatures de Charlie Hebdo organisées un peu partout dans le monde musulman (comme, par exemple, en Tchétchénie) sont des caricatures de manifestations (4). De véritables insultes à la démocratie. Qui se lèvera contre elles?

(1) www.lemonde.fr/societe/article/2015/01/17/a-la-grande-mosquee-de-paris-les-futurs-imams-vident-leur-sac_4558443_3224.html
(2) www.franceinter.fr, ce 19 janvier 2015, 8h55. Excellent billet sur les rumeurs et les complots!
(3) www.liberation.fr/societe/2015/01/14/aujourd-hui-le-prophete-est-aussi-charlie_1180802
(4) France Inter, Journal, 19 janvier, 13h.

jeudi 15 janvier 2015

Ca suffit!

Noms de dieux, ce monde devient complètement fou! Les théories du complot concernant le massacre de Charlie circulent sur le net et sont rediffusées par des jeunes qui y croient au moins autant qu'à leur prophète. On a vu sur les toits, à l'abri des tueurs, un journaliste vêtu d'un gilet pare-balles, c'est donc qu'il était prévenu, se disent certains qui visiblement découvrent un métier dont ils n'avaient jamais entendu parler. On n'a pas de preuve de la mort de tel policier, dit une étudiante (1) qui ne sait pas qu'elle insulte ainsi la douleur d'une famille et qu'on en a bien plus de preuves que de l'existence d'Allah ou de Mahomet. La bêtise se porte bien et Internet est son prophète.

A l'occasion de son enterrement, on apprend que le dessinateur Tignous se rendait régulièrement dans des écoles de Montreuil (où il vivait depuis trente ans) pour participer à des rencontres avec des élèves en tentant de lutter contre le racisme et l'homophie. Combien de jeunes - et de journalistes de pays musulmans - restent convaincus que Charlie est un journal raciste?

Au Nigéria, une femme a été tuée en plein accouchement par des assassins islamistes de Boko Haram. Mais ce qui scandalise, au même moment, certains musulmans, c'est le dessin de leur prophète qui fait preuve de compassion et pleure les morts de Charlie. Où sont les imams, les ayattolahs, les mollahs, les gouvernements islamiques? Qu'ont-ils à dire? A quoi croient-ils? Quelles sont leurs valeurs?

Il faut en finir avec les explications faussement naïves selon lesquelles les tueurs auraient agi parce qu'ils étaient choqués par les insultes ou l'irrespect de Charlie Hebdo vis-à-vis de Mahomet. Personne n'est obligé de lire Charlie s'il se sent heurté par cette lecture, pas plus que personne n'est forcé de lire le Coran, la Bible ou tout autre livre sacré parce qu'il le trouve rempli d'inepties qui seraient des insultes à la rationalité. Les tueurs ont agi avec la même logique que leurs "collègues" nigérians, syriens irakiens et autres qui enlèvent, violent, mutilent, tuent froidement enfants, femmes et hommes. Ils peuvent s'inventer tous les alibis, toutes les motivations du monde, ils n'ont qu'un objectif: installer par la terreur un régime fasciste, dont la religion - totalement dévoyée - n'est qu'un instrument.

Peut-on avoir un peu de silence et de respect pour les personnes lâchement abattues, plutôt que ce fatras de bêtises et de haine?

Ne deviens pas l'imbécile qu'ils ont besoin que tu sois.
Colum Mc Cann


(1) France Inter, Journal, 15 janvier 2015, 13h.