Après la lecture du "Mage", après être entré dans la tête du Tsar, on a peine à croire que Poutine ne soit pas prêt au pire pour se venger des erreurs qu'il a lui-même commises.
Extraits :
"S'appuyer sur les passions populaires en Russie ne sert à rien : à la fin celui qui gagne fonde toujours son pouvoir sur la Cour. C'est pourquoi le meilleur moyen est l'adulation, pas le talent, le silence, pas l'éloquence. (...) Pays de muets, pays de la belle endormie, merveilleux mais sans vie parce qu'y manque le souffle de la liberté. Aujourd'hui comme hier."
"Seul le privilège compte en Russie, la proximité du pouvoir. Tout le reste est accessoire. C'était comme ça du temps du tsar et pendant les années communistes encore plus. Le système soviétique était fondé sur le statut. L'argent ne comptait pas. Il y en avait peu en circulation et il était de toute façon inutile : personne n'aurait pensé évaluer une personne sur la base de l'argent qu'elle possédait. (...) Ce qui comptait, c'était le statut, pas le cash. Bien sûr, il s'agissait d'un piège. Le privilège est le contraire de la liberté, une forme d'esclavage plutôt."
"On n'échappe pas à son propre destin et celui des Russes est d'être gouverné par les descendants d'Ivan le Terrible. On peut inventer tout ce qu'on voudra : la révolution prolétaire, le libéralisme effréné, le résultat est toujours le même : au sommet, il y a les opritchniki, les chiens de garde du tsar. Aujourd'hui au moins un peu d'ordre est revenu, un minimum de respect. C'est déjà quelque chose, nous verrons combien de temps cela durera."
C'est Poutine qui parle dans le roman : "Mets-toi une chose en tête, Vadia, les marchands n'ont jamais dirigé la Russie. Et tu sais pourquoi ? Parce qu'ils ne sont pas capables d'assurer les deux choses que les Russes demandent à l'Etat : l'ordre à l'intérieur et la puissance à l'extérieur."
"Il s'agissait de mobiliser toutes les ressources, tous les éléments de force de la Russie pour retrouver notre place sur la scène mondiale. Une démocratie souveraine, tel était l'objectif. Pour le réaliser, nous avions besoin d'hommes d'acier, capables d'assurer la fonction primordiale de tout Etat : être une arme de défense et d'attaque. Cette élite existait déjà. c'était les siloviki, les hommes des services de sécurité. Poutine était un des leurs. Le plus puissant, le plus avisé. Le plus dur. Mais toujours un des leurs. (...) Il les a placés un à un dans des positions de commandement. Au sommet de l'Etat, certes, mais aussi à la tête d'entreprise privées, qu'il a récupérées une à une des mains des affairistes des années quatre-vingt-dix. L'énergie, les matières premières, les transports, les communications. Les hommes de la force ont remplacé les oligarques dans tous les secteurs. C'est ainsi qu'en Russie l'Etat est redevenu la source de toute chose."
"Débarrassée de mes conjectures, la vérité apparaissait pour ce qu'elle était. L'Empire du tsar naissait de la guerre et il était logique qu'à la fin il retournât à la guerre. C'était cela la base inébranlable de notre pouvoir, son vice original. Au fond, si on y regardait de près, avions-nous jamais bougé de là ?"
"La gentillesse de l'Europe, ses lumières d'en bas qui dissimulent la cruauté du monde, le moment était venu d'y renoncer. Au fond de moi, j'avais toujours su que ce moment viendrait ; depuis la première fois que mes yeux avaient rencontré le regard du Tsar. Il n'y avait rien d'européen dans ce regard, rien de doux. Seulement la détermination d'une nécessité qui ne tolère pas d'entraves."
(1) Giuliano Da Empoli, "Le Mage du Kremlin", Gallimard, 2022.
(2) https://www.telerama.fr/livres/le-mage-du-kremlin-3-16556746.php
(3) Boris Abramovitch Berezovsky est un homme d'affaires et homme politique russe, né à Moscou en 1946 et mort en 2013 (à 67 ans) à Ascot dans le Berkshire (Wikipedia).
1 commentaire:
Lugubres citations. C'est sans doute aussi, espérons, la guerre qui sera le tombeau du Tsar Poutine. Certains disent que la ville de Kherson sera "son Stalingrad" - s'il la perd, bien entendu. Ceci étant, la verticalité du pouvoir est une très vieille constante en Russie, qui remonte à la domination mongole de deux siècles. C'est sur ce point que le "petit frère" ukrainien a connu un parcours très différent de celui du "grand frère russe". Voir à ce sujet le livre très éclairant (encore un !) de l'historien autrichien, "Russes et Ukrianiens, les frères inégaux" (CNRS éditions, 2022). Mais cette verticalité n'est pas une fatalité, bien évidemment.
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