dimanche 19 février 2023

Nucléaire et sécurité

Quelle nouvelle lubie a saisi le gouvernement français ? Voilà qu'il veut supprimer l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) pour « fluidifier » les processus et mettre en place un « pôle unique et indépendant de sûreté ».
Beaucoup d'élus et d'experts s'interrogent sur l'opportunité d'une telle décision en ce moment précisément.
"Outre le dossier des nouveaux réacteurs, rappelle Le Monde (1), dont le gouvernement souhaite lancer la construction, le gendarme du nucléaire aura à se prononcer prochainement sur un grand nombre de sujets : la prolongation du parc actuel au-delà de 50 et même 60 ans, l’autorisation de création du centre d’enfouissement des déchets radioactifs Cigéo ou encore le projet de petit réacteur modulaire « Nuward » d’EDF." 
En fait, le gouvernement veut que les compétences techniques de l’IRSN soient « réunies » à celles de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et du Commissariat à l’énergie atomique (CEA). Principaux dangers pointés du doigt : le rapprochement entre l’expertise technique et la décision politique.
"Jean-Claude Delalonde, le président de l’Association nationale des comités et commissions locales d’information (Anccli), écrit encore Le Monde, s’est également inquiété d’une possible disparition de l’ouverture de l’expertise sur la société civile, qui était portée par l’IRSN. La loi prévoit notamment que tous ses avis soient rendus publics." Or on sait combien le secteur nucléaire fonctionne de manière centralisée et trop souvent secrète.

En Belgique, des partis politiques et des acteurs du secteur font pression pour que soient prolongée la vie de certaines centrales. Mais la question de la sécurité n'est pas évoquée, s'indignait récemment (2) le journaliste Marc Molitor, auteur de "Tchernobyl, déni passé, menace future ?" (3).
On a vu avec la guerre d'Ukraine rappelle-t-il, les énormes risques que pose une centrale nucléaire au cœur d'un conflit armé. "Mais pas un mot dans le débat, aucun rapport n'est fait avec un risque ici, probablement parce qu'on n'imagine pas que cela puisse arriver ici."
Le coût - l'ensemble des dégâts économiques et sociaux - des deux catastrophes nucléaires de Tchernobyl et de Fukushima est estimé, de manière très minimale, à 700 milliards d'euros, soit en gros la valeur de cent réacteurs nucléaires de type EPR2 et plus s'il s'agit du modèle classique PWR. L'IRSN français évalue à 450 milliards d'euros le coût d'un accident majeur en France.
Si on faisait le bilan de la valeur des centrales nucléaires et des coûts des accidents imaginables, "bref, si on considérait le parc nucléaire mondial comme l'actif d'une seule entreprise - le secteur nucléaire - elle serait sans doute en faillite". Elle ne l'est pas, parce que les coûts générés par les accidents sont "quasi entièrement socialisés" : c'est la société dans son ensemble, et donc les contribuables, qui les supporte et non le secteur lui-même qui les a provoqués.
"Dans ce passif à notre charge, on pourrait encore inclure les subsides publics historiquement très abondants pour le développement des réacteurs, de même que ceux destinés à l'arlésienne de la fusion nucléaire (...). Et, dans le futur, ajoutons aussi la part du coût du démantèlement et de la gestion des déchets qui sera supportée par le citoyen."
Tout ceci amène Marc Molitor à considérer que "l'idée de prolonger tout le parc et même de relancer massivement le nucléaire (...) paraît déraisonnable - sinon insensée - en termes de coût mais aussi de sécurité".
Le journaliste rappelle "la plus forte densité (mondiale !) de population autour des centrales de Doel, la zone Seveso qui l'entoure, le nœud de communication qu'est le port d'Anvers, la quasi-impossibilité d'évacuer sa population en cas de problème... tous problèmes connus mais glissés sous le tapis".
En 2011, lors d'un débat à la sortie de son livre, le président de la Société française d'énergie nucléaire déclarait : "il y aura encore des accidents nucléaires, mais nous y ferons face !". Le président de l'IRSN tenait le même discours.
Quelle nouvelle lubie a donc saisi le gouvernement français (et peut-être demain le gouvernement belge) ? 

(1) https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/02/16/surete-nucleaire-vives-inquietudes-et-appel-a-la-greve-apres-l-annonce-d-une-reforme-majeure_6162148_3244.html
(2) "Sécurité nucléaire ? Une assourdissante absence...", La Libre Belgique - Débats, 17.1.2023.
(3) éditions Racine.

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