mercredi 24 février 2010

L'info plutôt que la com'

Intéressante et interpellante juxtaposition de points de vue de journalistes dans l'émission "Huit journalistes en colère" de Denis Jeambar, diffusée par Arte récemment. Les questions posées sont lourdes et mériteraient que plus d'une rédaction s'y attarde. De là à affirmer qu'ils sont "en colère", c'est autre chose... Ou alors contre eux-mêmes.
David Pujadas estime que le grand problème du journalisme aujourd'hui, ce sont le conformisme et le mimétisme. Il parle de "bruit de fond médiatique": d'un organe de presse à l'autre, on retrouve les mêmes sujets, avec les mêmes mots, le même regard. "C'est le journalisme des bons sentiments", dit-il. Le faible a toujours raison, quel que soit le problème. Ce qui rend, selon lui, toute action politique vaine, les médias soutenant par principe ceux qui crient le plus fort.
Philippe Val pense aussi que la presse souffre de conformisme, tombant dans le piège du bien et du mal. Trop de journalistes font passer leur point de vue avant les faits. C'est, dit-il, quand le journaliste pense contre sa propre opinion pour ensuite livrer son analyse qu'il est libre. La presse doit réinventer sa nécessité.
Jean-Pierre Elkabbach dit son ras-le-bol de voir les journalistes agir en meute. Il en appelle à la rigueur et à la qualité, contre l'émotion, l'irrationnel, le voyeurisme. Il souligne la versatilité de ces journalistes qui vilipendent un jour ceux qu'ils ont encensés la veille.
Axel Ganz considère que les médias traditionnels doivent échapper à la banalisation de l'info: "sur Internet, l'information se diffuse anarchiquement, tout se vaudra, et donc, estime-t-il, les jeunes ne croiront plus à rien".
Arlette Chabot constate que pour de plus de plus de personnes, la vérité serait sur la Toile, tandis que les médias traditionnels nous cacheraient la vérité. Pour elle, si ceux-ci doivent "avoir" l'info comme les autres, ils doivent surtout prendre le temps de réfléchir.
Eric Fottorino, président du groupe La Vie - Le Monde, témoigne d'appels qu'il a reçus du président de la République himself, lui disant: "ce n'est pas étonnant que vos ventes baissent, vous n'avez pas de bonne ligne éditoriale". Fottorino estime que la presse doit approfondir la réflexion plutôt que de participer à un mouvement de banalisation. Aujourd'hui, tout le monde communique, mais il faut arriver à ce que l'info l'emporte sur la com'. Aller "behind the news", comprendre qui sert ou dessert telle info, ne pas se laisser instrumentaliser.
Dans le débat qui a suivi l'émission, Jonathan Fenby, journaliste britannique, estime qu'il n'y a pas de dialogue sur les blogs, on y trouve des propos insensés, injurieux, que ne publierait pas un quotidien. Mais qu'on retrouve néanmoins sur le blog d'un journal comme the Guardian.
Le journaliste allemand Michaël Jürgs considère que dans son pays la presse reste plus vigilante, travaillant plus dans l'investigation.

Toutes ces réflexions, dans leurs convergences, sont interpellantes. D'autant que tous les jours la lecture de la presse, le suivi des JT et JP nous amènent à les partager.
Ainsi, le même soir où Arte diffusait cette émission, les JT de la RTBF et de RTL-TVI consacraient-ils tous deux les deux tiers de leur temps à la neige tombée le matin et à ses conséquences sur le trafic automobile bloqué sur une bonne partie du pays. Nous eûmes droit à un micro-trottoir ou plutôt un micro-autoroute, auprès d'automobilistes ulcérés crachant leur mépris pour les pouvoirs publics qui laissaient neiger alors qu'eux, braves travailleurs, avaient pris leur voiture pour aller travailler malgré les prévisions météo. L'émission 'Au Quotidien' de la RTBF était diffusée en direct d'une station-service pour mieux témoigner de la confusion qui règnait sur nos routes. De grands moments de journalisme! D'un intérêt suprême.
Il serait intéressant de calculer le temps que les journaux télévisés auront consacré à la neige durant cet hiver 2009-2010.

Revenant à ces "journalistes en colère", on peut se demander ce que font "ces grandes pointures" du journalisme français pour que leurs infos soient plus différentes, plus démarquées, plus pertinentes. Bref, pour agir et renverser la vapeur.
Il n'y a aucun manichéisme, il n'y a pas d'un côté une presse traditionnelle exemplaire et de l'autre un internet imbécile et inquiétant. S'il est vrai qu'on peut être terrifié des bêtises et des messages stupides, abrutissants et agressifs qui circulent sur le net, on y trouve aussi des infos alternatives, des réflexions décalées. Et certains quotidiens, des chaînes de télé (trop de chaînes de télé!) sont devenus de parfaits instruments de crétinisation. L'approche qu'ont eue certains d'entre eux de la catastrophe ferroviaire de Buizingen est à vomir. Il reste Arte, certaines chaînes de radio, et sur Internet quelques îlots de réflexion, de regard différent. Le problème, c'est à nouveau le risque de l'élitisme. Les chaînes classées comme intellectuelles pour ceux qui se considèrent ou sont considérés comme tels. Les chaînes populaires (parmi lesquelles s'auto-inclut de plus en plus le service public) pour le vulgum pecus. La solution réside, encore et toujours, comme depuis les origines de l'humanité j'imagine, dans l'éducation. Continuer à parier sur l'intelligence. Même si on ne peut s'empêcher de penser que les intérêts socio-économiques et souvent politiques font le pari de l'abrutissement.
Là-dessus, je vais poursuivre la lecture de "Mille crétins" de Quim Monzo. Histoire(s) de continuer à rire. Jaune.

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