dimanche 16 août 2020

Un dictateur sans peuple

Dur métier que celui de dictateur. On se pose sans cesse des questions. Faut-il s'assumer complètement et exercer clairement le pouvoir seul ? Ou tenter de faire croire qu'on est démocrate et organiser des élections qu'on arrange à sa façon? Et dans ce cas, quel score s'attribuer pour avoir l'air crédible, sans sembler faible ni s'apparenter à un président nord-coréen? Alexander Loukachenko, l'autocrate biélorusse, dernier dictateur d'Europe, vient de se réélire pour un sixième mandat. Il s'est attribué un score de 80% des voix, ce qui ne trompe pas l'immense majorité du peuple biélorusse qui descend quotidiennement dans les rues - les femmes en tête - pour le pousser à quitter le pouvoir.
Une agence de presse russe affirme, à partir d'un sondage réalisé à la sortie des bureaux de vote, que le dictateur n'aurait en réalité recueilli que 2% des voix (1).
"Pour la première fois, le pouvoir biélorusse est confronté à la révolte non d'une minorité, mais de la majorité de la population. Dont Loukachenko a clairement perdu l'appui", écrit Youri Pantchenko dans Oukraïnska Pravda (2). 

Une autre caractéristique d'un dictateur, c'est que s'il est contesté c'est forcément par des forces étrangères. L'une ou l'autre puissance envoie des agents dans son pays et manipule des citoyens faibles pour déstabiliser son régime. Mais ce ne peut en aucun cas être son peuple qui, de sa propre initiative, cherche à lui nuire. Un dictateur ne peut être conspué par un peuple qu'il a toujours protégé et dont il ne veut évidemment que le bien.
Loukachenko est une brute aujourd'hui aux abois qui fait bastonner et torturer ses opposants qui manifestent pourtant pacifiquement. Les témoignages de brutalités commises par les forces de l'ordre se multiplient sur les réseaux sociaux (3). 

La Russie lui a promis "une aide sécuritaire". Poutine se frotte les mains. Un Loukachenko en difficulté, c'est une opportunité de maîtriser plus et mieux encore un vassal. "Il est fort probable que le résutat de l'élection ne soit pas reconnu au niveau international, écrit encore Oukraïnska Pravda. En particulier si Loukachenko s'entête à appliquer le scénario du pire. Ce qui pourait entraîner son retour à un isolement international. Or ce scénario est extrêmement profitable à la Russie. La victoire usurpée de Loukachenko, dont les détails ont choqué l'Occident, accroît la dépendance de Minsk vis-à-vis de Moscou."
On espère que le pays ne connaîtra pas un scénario à la syrienne, avec une aide russe à un pouvoir brutal, capable de se maintenir au pouvoir dans un bain de sang. Nombre de dictateurs préfèrent finir en fossoyeurs de leur propre pays plutôt que de quitter le pouvoir, diriger un cimetière plutôt qu'un pays libre. Et, au-delà de Loukachenko, on peut craindre que la Russie n'acceptera pas qu'un régime démocratique se mette en place dans ce pays frère. A la communauté internationale de se mobiliser. Vite.

(1) https://www.lalibre.be/international/europe/loukachenko-a-recu-2-des-votes-lors-du-scrutin-presidentiel-selon-une-agence-de-presse-russe-5f3913d27b50a677fbaebec3
(2) "Loukachenko, une victoire en trompe-l'œil", 10.8.2020, in Le Courrier international, 13.8.2020.
(3) https://www.liberation.fr/planete/2020/08/13/belarus-les-chaines-humaines-se-multiplient-contre-la-repression_1796738

3 commentaires:

Bernard De Backer a dit…

Je crains que la situation en Belarus ne soit pas que l'affrontement entre un dictateur et son peuple, mais bien le fruit de l'histoire longue de ces confins européens (voir la Pologne et la Hongrie où les "dictateurs" sont démocratiquement élus et réélus) qui n'ont pas connus les mêmes évolutions que l'Europe occidentale. Certes, un mouvement de démocratisation est en cours (suite à l'influence occidentale) et Loukachenko tombera sans doute. Mais qu'est-ce qui suivra ? Souvenons-nous de la Roumanie après la mort de Ceaucescu. La démocratie est un exercice très difficile et la Belarus n'en a pas l'expérience. Quant à la Russie, n'oublions pas l'enclave de Kaliningrad toute proche.

Michel GUILBERT a dit…

Oui, je sais que ce n'est pas demain la veille que la Biélorussie connaîtra la démocratie à laquelle aspire aujourd'hui la majeure partie du peuple. Mais j'ai tellement envie d'y croire avec mes amis biélorusses que je croise les doigts...

Bernard De Backer a dit…

Toute la question est de savoir à quelle démocratie aspire la majeure partie du peuple. Le mot "démocratie" est tellement polysémique et couvre un champ tellement large que cela peut très bien être une démocratie illibérale à la Orban. A titre d'exemple emblématique : le "peuple biélorusse" est-il en faveur des droits des LBGT ? Ce qui est encourageant, c'est que le mouvement est dirigé par des femmes (notamment Svetlana Tsikhanovskaïa qui a pris la place de son mari) et qu'il semble très populaire. Mais attention au jour d'après.