jeudi 27 août 2020

Collective, par définition

Il y a ceux qui doutent, ceux qui pensent qu'on en fait trop, ceux à qui on ne racontera pas d'histoire et qui adorent donc s'en inventer, ceux qui contestent, ceux qui tempêtent. Pour eux, le Covid-19 n'est jamais qu'une épidémie de plus, qui tue moins que beaucoup d'autres. Il est l'arbre qui cache la forêt de toutes les maladies qui au total tuent des millions de gens dans le monde dans l'indifférence quasi générale. Le Covid n'est pas arrivé tout seul, affirment-ils, il constitue une si belle occasion de mettre sous le joug les citoyens, de les contrôler, de brimer leur liberté. Celle de respirer, celle de se toucher, celle de voyager. 
C'est leur liberté individuelle que défendent les pourfendeurs du masque et des règles de sécurité sanitaire. Est-on libre sur un lit d'hôpital?, s'insurge un virologue. Libre sous un respirateur?

"L'épidémie nous encourage à nous considérer comme les membres d'une collectivité, écrit le physicien italien Paolo Giordano (1). Elle nous oblige à accomplir un effort d'imagination auquel nous ne sommes pas accoutumés: voir que nous sommes inextricablement reliés les uns aux autres et tenir compte de la présence d'autrui dans nos choix individuels. Dans la contagion, nous sommes un organisme unique. Dans la contagion, nous redevenons une communauté."
Ceux qui réfutent les règles se mettent hors jeu. Hors du jeu collectif. lls pensent pouvoir exister seuls. "Dans la contagion, écrit encore Paolo Giordano, l'absence de solidarité est avant tout un manque d'imagination."
Le physicien nous distingue en trois groupes: les Susceptibles: ceux que le virus pourrait encore contaminer, les Infectés: ceux qu'il a déjà contaminés, et les Rejetés: ceux qu'il ne peut plus contaminer. Cependant, précise-t-il, "nous ne sommes pas tous Susceptibles de la même façon, mais les Ultra-susceptibles ne le sont pas seulement du fait de leur âge ou de leur état de santé précédent. Des millions et des millions d'Ultra-susceptibles le sont du fait de leurs conditions sociales et économiques. Leur destin, même s'ils sont très éloignés de nous géographiquement, nous concerne de très près".
Quant à l'origine du virus, que les gros malins ont vite identifiée (suivez mon regard, nous disent-ils), Paolo Giordano nous invite à l'humilité. "Le monde est encore un lieu d'émerveillement sauvage. Nous croyons l'avoir entièrement exploré, mais il existe des univers microbiens dont nous ignorons tout, des interactions entre espèces qui ne nous effleurent même pas l'esprit.
Notre agressivité envers l'environnement favorise notre contact avec ces nouveaux agents pathogènes qui, il y a encore quelque temps, se tenaient bien tranquillement dans leurs niches naturelles.
La déforestation, ainsi qu'un urbanisme irrépressible, nous rapprochent d'habitats qui ne prévoyaient pas notre présence.
L'extinction accélérée de multiples espèces animales oblige les bactéries qui vivaient dans leurs intestins à s'installer ailleurs.
Les élevages intensifs créent des cultures involontaires où tout, littéralement, prolifère. (...)
Les virus comptent parmi les nombreux réfugiés de la destruction environnementale."
Bref, il y a urgence à changer radicalement notre mode de vie. Mais nombre d'entre nous préfèrent voir derrière le coronavirus la volonté de telle entreprise, de tel gouvernement ou de tel individu. Ou, en tout cas, de minimiser son impact, pour mieux se mettre la tête dans le sable et poursuivre notre business as usual.
Les enchaînements meurtriers de cause à effet, poursuit le physicien italien, sont légion et "requièrent une réflexion urgente de la part d'individus de plus en plus nombreux. Car nous risquons de trouver à leur terme une nouvelle pandémie, encore plus terrible que celle-ci. (...) La contagion est un symptôme. L'infection réside dans l'écologie".

(1) "Contagions", Paolo Giordano, Seuil, 2020 (64 p.).

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