vendredi 13 juin 2014

Du vent


Non loin de chez moi, un projet de sept éoliennes fait du bruit. Comme partout, des "riverains" s'y opposent. Même si les plus proches d'entre eux se trouveront à plus de 800 mètres de ces moulins à vent. Mais le nymbisme semble bien être le mal du siècle. 
Ci-dessous le courrier que je viens de leur adresser.


Mesdames, Messieurs,

habitant L., à proximité de T., je viens de recevoir votre folder dans lequel vous vous opposez à l'implantation d'éoliennes dans notre région.
Que vous vous souciiez de notre cadre de vie, je m'en réjouis, mais je vous avoue rencontrer certaines difficultés à comprendre vos arguments.
Tout d'abord, je ne parviens pas à savoir de combien d'éoliennes il s'agit: vous parlez d'une enquête publique concernant "7 éoliennes", mais votre carte en indique 20 du côté des H. et en illustre 17.
Ensuite, je ne peux accepter telle quelle la liste de vos critiques contre les éoliennes, qui ressemble fort à un « copier-coller » de toutes celles que s’échangent les comités anti-éoliens à travers l’Europe.
Vous parlez de "nuisances sonores et visuelles". Personnellement, j'ai eu l'occasion de voir, de près, d'un peu plus loin et de très loin, des éoliennes, en France, en Belgique, aux Pays-Bas, en Allemagne, en Espagne, et je dois dire que si je les ai vues, je ne les ai pas entendues, mis à part un chuintement quand on se trouve à leur pied et tout au plus à 200 mètres. Dès que le vent augmente, le bruit ambiant fait de même et celui des éoliennes se perd dans l'ensemble.
Quant à leur impact visuel, vous me permettrez d'estimer qu'il s'agit là d'un point de vue purement subjectif. Personnellement (et ça n'engage évidement que moi), je les trouve rassurantes, apaisantes, modernes et design. C'est peut-être bête à dire, mais j'adore voir tourner des éoliennes. Dans les débats publics sur les éoliennes, c’est en général le dernier argument qui tienne : les éoliennes sont-elles belles ou pas ? Juste une question d’esthétique donc.
Vous affirmez de manière assez précise que les éoliennes "font subir une dévalorisation aux biens situés à proximité, et ce dans une fourchette comprise entre -28% à -46% de leur valeur d'origine". Je ne sais d'où vous tenez ces chiffres. De mon côté, j'ai lu une étude – en Wallonie -  qui réfute totalement votre affirmation. Des maisons ont été revendues, à partir desquelles la vue s'ouvre sur des éoliennes, sans que leur valeur ait baissé. C'est donc, sans doute, qu'il y a des gens qu'elles ne dérangent pas ou qui les apprécient.
Vous dénoncez la destruction de la faune: ici encore, aucune étude, à ma connaissance, ne le confirme. Et s'il doit y avoir parfois des oiseaux tués par des éoliennes, leur nombre n'a rien à voir avec celui, bien plus élevé, des oiseaux tués par le trafic automobile et par la chasse. Envisagez-vous l’interdiction de ces activités ?
Elle "ne subsistent que grâce aux subventions", dites-vous. Vieil opposant au nucléaire, je serais curieux de savoir quelles fortunes les pouvoirs publics ont dépensé pour lui permettre de se développer et de gérer aujourd'hui l'ingérable problème des déchets. Donc, oui, l'énergie, quelles que soient ses formes, a un coût pour la société.
Les éoliennes ne fonctionnent, dites-vous encore "que 15% des 365 jours d'une année". Voilà  bien une rumeur que se refilent tous les comités anti-éoliens. J'ai entendu la même en Belgique où j'ai vécu et où j'ai vu tourner pendant des années, au moins 25 à 28 jours par mois (quand ce n'est pas 31 – je l’ai par exemple vérifié quotidiennement du 1er au 31 mars 2013 * ), les 7 éoliennes érigées à proximité de chez moi.
Elles "ne créent pas d'emplois industriels en France", affirmez-vous. Comme d'autres pays, la France a pris du retard en ce domaine. L'opposition de principe n'aide évidemment pas le secteur à se développer, même si, en Allemagne, par exemple, il a créé bien plus d'emplois que le nucléaire.
Enfin, vous regrettez qu'elles "ne profitent qu'à une minorité de propriétaires-exploitants". Mais vous soulignez par ailleurs que la Communauté de Communes, donc la collectivité, donc les citoyens, en bénéficieront (le groupe de soutien aux éoliennes cite les chiffres de 50.000 € annuels pour la minuscule commune de T., tout récemment au bord de la faillite, et autant pour la Communauté de communes). Cherchez l'erreur. Si demain on se met à interdire toute activité industrielle qui ne rapporte qu'à quelques-uns, j'imagine que l'économie française serait définitivement ruinée. A moins que vous ne souhaitiez - c'est peut-être votre projet, après tout pourquoi pas? - passer à une économie de type communiste.
Vous terminez en posant la question de savoir quel héritage nous voulons laisser à nos enfants. Personnellement, j'aimerais leur laisser une Terre la plus propre possible, d'où auraient disparu les énergies polluantes et sans leur laisser pendant des siècles de dangereux déchets nucléaires.

Je l'ai vécu en Belgique comme en France: l'opposition aux éoliennes semble reposer sur un principe... d'opposition, sur des rumeurs, sur la résistance au changement et surtout sur une attitude d'autruches. Que proposent, que font les opposants pour réduire leurs consommations, pour changer de mode de production d'énergie?
La région de L. a refusé, voilà des années, l'enfouissement de déchets nucléaires. Elle a eu bien raison. Mais soyons cohérents : on ne peut refuser les déchets tout en acceptant la logique nucléaire, à moins de tomber dans le « nimbysme » (not in my backyard – pas dans le fond de mon jardin). Donc, quelles formes d’énergie pour remplacer le nucléaire?
Peut-être le projet que vous contestez envisage-t-il trop d'éoliennes. Peut-être les éoliennes en projet sont-elles trop hautes. Peut-être certaines sont-elles prévues trop près de certaines habitations. Je n’en sais rien et c'est possible, mais vous n'en dites rien et je serais prêt à vous suivre si vous pouvez démontrer que leur impact paysager pourrait être diminué.
Sans doute faudrait-il exiger que ces éoliennes soient « citoyennes », en ce sens que les riverains puissent y investir prioritairement et en retirer donc, sous l’une ou l’autre forme, des bénéfices. Cette pratique a déjà prouvé, ailleurs, tout son « intérêt ».
A Houyet, petite commune rurale de Wallonie, les habitants et les communes environnantes sont propriétaires de 2/3 du parc éolien. J’y ai rencontré des habitants très fiers de « leurs » éoliennes. Le concept est le suivant : « le gisement vent appartient aux citoyens et est l’une de leurs ressources énergétiques. (…) Les retombées économiques et financières de l’exploitation du gisement vent sont réservées majoritairement aux habitants de la région et à leurs sympathisants dans le pays, soit à titre individuel ou associatif, soit par le biais de leurs administrations communales, intercommunales, etc. » (extrait d’un document que je tiens à votre disposition - voir www.vents-houyet.be)

Je suis persuadé que c’est dans ce sens qu’il faut aller, plutôt que de s’en tenir à un refus de principe de tout parc éolien, au risque que votre combat reste un combat d'arrière-garde, s'inscrivant dans une démarche de résistance à un  changement  indispensable. Les éoliennes sont aujourd’hui un moyen, parmi d’autres, de changer de modes d’énergie. Elles  génèrent, comme les autres modes, mais moins que d’autres, certaines gênes. Faut-il, absolument, les refuser ? Si oui, il faut alors cesser toute consommation d’énergie.
Il n’est pas question d’accepter n’importe quoi, mais pas non plus de refuser tout changement. Et chacun doit en prendre sa part.

* lire sur ce blog "Et pourtant elles tournent", 31 mars 2013.

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