Alain Frachon examine aussi l’explication de la guerre actuelle par l’extension de l’OTAN. "C’est la thèse officielle entendue à Moscou, mais aussi ailleurs. Stratège avisé et prévoyant, Poutine met la main sur l’Ukraine parce qu’elle pourrait un jour rejoindre l’OTAN et, forte de cette appartenance, partir à la reconquête de la Crimée et du Donbass (...). Si l’OTAN a admis en 2008 que Kiev avait vocation à la rejoindre, l’Alliance se refuse toujours à ouvrir la procédure d’adhésion."
Autre explication concomitante qu'examine Alain Frachon : aux Etats-Unis, l’école néoréaliste en politique étrangère estime que "l’histoire, la géographie et la culture font que la Russie a inévitablement droit à une ceinture de sécurité autour d’elle et, dans cette zone, les Etats et les peuples concernés doivent savoir que leur souveraineté est limitée. La situation de l’Ukraine détermine son destin politique : une forme de vassalité. La classe politique ukrainienne aurait dû intégrer cette dimension, dit l’école néoréaliste occidentale, sauf à risquer un conflit avec le Kremlin. Un néoréaliste aussi brillant que John Mearsheimer, grand professeur à l’université de Chicago, invoque la nécessaire prise en compte des intérêts de sécurité de la Russie – pas de ceux de ses voisins". (...) "Le problème avec l’école néoréaliste, c’est qu’elle pense que Poutine pense comme elle – en termes de (sage) raison d’Etat. Une part de la réalité « réelle » échappe aux néoréalistes : ils sous-estiment toujours la force de l’idéologie. Convaincu qu’une majorité d’Ukrainiens partage son opinion, le président russe a dit et écrit que l’Ukraine n’existe pas : elle fait partie de la Russie." Et tant pis si la volonté des Etats et des peuples à disposer d'eux-mêmes est écrasée sous les bottes de Poutine.
Aujourd'hui, certaines personnalités politiques, en France et ailleurs en Europe, feignent de s'étonner : le Poutine 2022 n'est pas celui qu'ils ont connu. La brute épaisse qui massacre les Ukrainiens aurait donc remplacé un démocrate qui a mis la Tchétchénie à feu et à sang, terrorisé la Syrie en soutenant ce brave Assad ? Comme le disait de manière cinglante Sophia Aram récemment, "la seule véritable surprise c’est qu’il aura fallu qu’il massacre l’Ukraine pour comprendre ce qu’il avait déjà réalisé en Tchétchénie et en Syrie. Parce que la surprise, ce serait quoi ? Qu'un dictateur qui a passé ses vingt-deux premières années de pouvoir à éliminer ses opposants, envahir et annexer ses voisins, tuer des centaines de milliers de civils et bombarder des centaines d’hôpitaux, d’écoles, de maternités, de musées, de mosquées et d’églises puisse continuer à le faire … en Ukraine ? C'était quoi l'idée, qu'il allait se lasser ? Qu'avec l'âge et les amphétamines il allait oublier ce qu'il avait dit qu'il continuerait à faire ? A ce niveau de naïveté on peut commencer à parler de connerie, voire de complicité non ?"
Arrêtons de nous flageller et de trouver des excuses à ce criminel de guerre. De guerres.
Post-scriptum : Alexis Corbière, député de La France insoumise, estime que Poutine a changé. Celui d'aujourd'hui est différent de ce qu'il était il y a quelques mois encore. Peut-on inviter Corbière à discuter avec les Tchétchènes, les Géorgiens, les Syriens, les opposants russes ? Dans quelle bulle vivait Corbière ces vingt-deux dernières années ?
https://www.huffingtonpost.fr/entry/pour-alexis-corbiere-le-poutine-daujourdhui-nest-pas-le-meme-quil-y-a-quelques-mois_fr_623c3671e4b009ab930253db
(1) https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/03/17/poutine-l-agresseur-de-l-ukraine-n-est-pas-le-produit-de-l-extension-de-l-otan-ou-des-humiliations-de-l-occident_6117934_3232.html
(2) https://www.franceinter.fr/emissions/le-billet-de-sophia-aram/le-billet-de-sophia-aram-du-lundi-14-mars-2022
A voir : "Rozy / Donbass" par le groupe ukrainien Dack Daughters (2013) :
https://www.youtube.com/watch?v=6wCgZh-nczY
1 commentaire:
Cette culpabilité occidentale a fait l'objet de deux livres à la tonalité pamphlétaire de Pascal Bruckner, "La sanglot de l'homme blanc" et surtout "La tyrannie de la penitence". Je les ai lu avec intérêt dès leur parution. Au-delà de ses constats,je pense qu'il y a dans cette "nostra culpa" une forme de néo-colonialisme pénitentiel. Je m'explique : penser encore et toujours que l'Occident est responsable, c'est continuer à considérer qu'il n'y a qu'un seul acteur dans le monde, l'Occident. C'est évidemment faux. Dans la cas de la Russie, comme tu le soulignes, il y a une dynamique impériale qui lui est propre et qui remonte à très loin. La "faute" de l'Occident et surtout de l'Europe, aujourd'hui, c'est la démocratie qui est la plus grande ennemie des empires. Cela concerne évidemment aussi la Chine. Tout cela n'enlève rien à l'histoire coloniale européenne et à ses crimes, mais cette époque est en grande partie révolue. L'Europe ne fut d'ailleurs pas le seul empire colonial par empires nationaux interposés (français, anglais, espagnol, portugais, hollandais, belge...) ne l'oublions pas. La Chine et la Russie, sans oublier l'empire ottoman et l'empire islamo-arabe, sont des empires coloniaux de continuité territoriale. Certains pratiquèrent aussi l'esclavage.
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