mercredi 27 novembre 2013

Dé-rap-age

Se moquer des gens, les critiquer pour ce qu'ils sont, pour la couleur de leur peau, leur âge, leurs origines, leur sexe, c'est du racisme et c'est inacceptable et condamnable. Se moquer des idées ne l'est pas. On conviendra qu'il est plutôt sain de se moquer des idées, que la critique fait réfléchir et avancer et qu'une société qui l'interdirait se recroquevillerait sur elle-même et serait de type dictatorial, de celles qui refusent à leurs sujets le droit de penser.
Aujourd'hui, on a donné un nom à la critique de l'islam: on parle d'islamophobie et on la confond allègrement avec le racisme. Certains montent aux rideaux - et surtout aux créneaux - à la moindre plaisanterie, à la moindre critique de l'islam. Or, l'islam, comme toutes les autres religions, est - et n'est que - une idée, et est donc à ce titre critiquable.
Ceux qui s'indignent de ce qu'ils nomment islamophobie estiment que celle-ci témoigne d'une attitude colonialiste. Non seulement l'analyse est pour le moins expéditive et simpliste, mais elle oublie en outre combien les religions ont été et restent de gigantesques entreprises de colonisation des esprits et comment certains les utilisent à des fins violentes.
Au nom de la lutte contre l'islamophobie (c'est ce qu'on peut supposer), voilà qu'un rappeur appelle à "un autodafé pour ces chiens de Charlie Hebdo".
Bien sûr, on n'a affaire ici ni à un grand sociologue, économiste ou écrivain ("quel est le vrai danger: le terrorisme ou le Taylorisme?", demande-t-il), mais à un politologue amateur assez dangereux. Et on comprend vite que Nekfeu se range dans le camp de l'Inquisition ou du nazisme. Le sait-il? Ce sont ces régimes-là qui initièrent et pratiquèrent ces incendies contre les hérétiques qui avaient l'outrecuidance de ne pas penser comme eux. Nekfeu, qui dans sa chanson condamne le racisme, sait-il qu'il appelle à brûler un journal fondamentalement antiraciste (1)? 
Nekfeu n'aime pas Charlie, cet hebdo d'esprits libres. L'a-t-il lu un jour? Tous ceux qui comme lui appellent à la violence se placent du côté de l'extrême droite et de l'obscurantisme.
Le plus affligeant, c'est que la chanson dans laquelle le rappeur en question interprète ce couplet (2) est liée au film "La Marche", même s'il n'est - heureusement - pas repris dans sa bande originale. Le film de Nabil Ben Yadir (réalisateur de l'excellent film "Les Barons") a tout son sens aujourd'hui encore. Il retrace la "Marche pour l'égalité et contre le racisme", organisée en 1983 par Toumi Djaidja et ses amis pour protester contre les violences policières. "Un film clairement antiraciste, qui rend hommage à un événement majeur dans l'histoire de la lutte pour l'égalité des droits", estime l'équipe de Charlie, effarée par la violence de ce "chant religieux communautariste".
La chanson "La Marche" réunit treize rappeurs, chacun apportant son propre texte. Dommage que celui de l'un d'entre eux, véritable outrage à l'intelligence, fasse le jeu de l'extrême droite, tant musulmane que franco-française.
Peut-on faire une suggestion à Nekfeu: qu'il rejoigne une "chorale de râleurs". Elles sont très à la mode, paraît-il (3), mais s'expriment dans le second degré. Un peu de recul devrait lui faire le plus grand bien.

un abonné de Charlie Hebdo

(1) lire la tribune "Non, Charlie Hebdo n'est pas raciste"
www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2013/11/25/charlie-hebdo-effare-de-la-violence-de-la-bo-du-film-la-marche-a-son-encontre_3519910_3236.html
(2) http://rapgenius.com/La-marche-marche-lyrics#note-2468925
(3) Arte Journal, 26 novembre 2013.


(re)lire sur ce blog:
- "Islamofolies", 19.04.2013.
- "Renvoi de censeurs", 02.11.2011.

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