vendredi 14 mars 2014

Egotismes

Peut-on vivre en société sans en respecter les règles? En lui prenant tout ce qu'on peut sans rien lui donner en retour? On sent qu'on est, plus qu'hier sans doute, dans une période où sont nombreux les hommes et les femmes qui veulent vivre comme ils l'entendent. Pour eux. Rien que pour eux. Les autres, on s'en fout, disent-ils. Ils attendent que la société les prenne en charge. Pour tout. Et pour le reste aussi. Mais eux ne prétendent rien donner, rien respecter.

Dans sa série "La vie secrète des jeunes" (publiée dans Charlie Hebdo), Riad Sattouf dessine des scènes auxquelles il a assisté, dans un bistrot, dans le métro, dans la rue. Elles sont rarement réjouissantes, exceptionnellement tendres, le plus souvent navrantes, voire désespérantes. Dernière épisode (1): une femme explique à une copine que jamais elle ne nettoiera son palier, malgré les injonctions qu'elle reçoit: "c'est des cons dans cet immeuble de toute façon".  Elle n'apprécie pas que sa voisine se plaigne que son fils soit réveillé à deux heures du matin par la musique qu'elle écoute évidemment fort: "je vais arrêter de vivre pour que vous soyez tranquille? Non!", a-t-elle répondu à sa voisine avant de lui claquer la porte au nez. "Chuis en mode je vous emmerde avec les voisins, avec leurs petites vies pépères, leurs petits travails, leurs petits sommeils. J'ai le droit de vivre et je leur fais bien comprendre." En fait, elle est en mode "moi, moi, moi, les autres, on s'en fout" et aveuglée par son égoïsme ne peut voir qu'elle est elle-même une voisine avec sa petite vie à elle.  Elle se croit sans doute rebelle. Alors qu'elle n'est que remoche (2).

Dans la Nouvelle République (3), Candide écrit que "dans les attitudes qui découlent du principe solipsiste les autres, je m'en fous, il y en a pas mal qui les énervent, les autres". Et de citer des exemples: ceux qui s'étalent sur les banquettes de bus, ceux qui écoutent leur musique très fort dans leur appart, ou encore ceux qui se garent sur deux places parce qu'on est plus à l'aise pour monter et descendre de sa voiture. Ceux-là, ajoute-t-il, l'activiste américain Jason Roberts sait comment leur faire comprendre leur grossièreté: il peint sur leur carrosserie - à la peinture à l'eau - les lignes de démarcation des emplacements de parking.

Dans la série "les autres, rien à foutre", il y a aussi le modèle des électeurs non-citoyens. Ceux qui se plaignent que la politique se fait sans eux, qu'ils ne sont jamais consultés, qu'on ne leur demande pas leur avis. Mais qui ont autre chose à faire (ou même à foutre) que de donner leur avis. A Issoudun, dans l'Indre, le Collectif "Paroles de citoyens" (4) a distribué un questionnaire auprès des habitants de la ville (qui en compte 13.000) pour leur demander leurs avis sur l'avenir de leur ville. Soixante questionnaires seulement lui sont revenus remplis. Quand le Collectif a organisé une rencontre avec les candidats aux élections municipales et les habitants, seuls quinze personnes étaient présentes et une candidate. Le maire, en poste, depuis six mandats (5), a refusé de venir: son programme ne sera pas bouclé avant le 19 mars, dit-il (pour des élections qui ont lieu le 23). On imagine la déception des membres du Collectif. Prenons les paris: le maire méprisant sera réélu par des électeurs non-citoyens dont il se fout qui, eux, continueront à se plaindre durant six nouvelles années de la politique dont ils se foutent.

Mais de quoi se plaint-on finalement? On se le demande.

(1) 12 mars 2014.
(2) pour paraphraser cette formule "plutôt belle et rebelle que moche et remoche".
(3) 12 mars 2014.
(4) La Nouvelle République, 14 mars 2014.
(5) lire sur ce blog "Des urnes, des hommes et des moines", 23 février 2014.

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