dimanche 15 décembre 2019

La grande forme d'Anastasie

"Les cons, ça ose tout. C'est même à ça qu'on les reconnaît", faisait dire Michel Audiard au personnage incarné par Lino Ventura dans "Les Tontons flingueurs". Hier, une cinquantaine de cons a tout osé à Toulouse. A osé s'en prendre de manière très agressive à une crèche vivante, aux personnes, des enfants notamment, qui y figuraient. Ils se sont présentés, en hurlant, comme "anti-capitalistes" et en criant "stop aux fachos" (1). Les cons, ça ne sait pas que ça peut être soi-même facho. Apparemment, être anti-capitaliste, c'est aussi, pour eux en tout cas, être anti-intelligence, anti-respect, anti-tolérance, anti-nuance. Devant les menaces des fachos qui sont anti (ou l'inverse, on s'y perd), les récitals de chœurs ont été annulés et la ferme solidaire, qui fait de la réinsertion socio-professionnelle, est repartie avec ses moutons qu'elle avait prêtés pour l'occasion. En quoi cette crèche était-elle capitaliste et fasciste? On ne le sait. Mais les cons, ça n'a pas à donner d'explications.

Dans le même temps, d'autres cons, supporters de foot ceux-ci, s'en prenaient virulemment à la Ministre des Sports Roxana Maracineanu, venue assister tranquillement, et à titre privé, à un match de troisième division (2). Le milieu du foot n'a jamais été le plus raffiné qui soit. Mais l'extrême aggressivité et la vulgarité adressées à la Ministre indiquent combien on a là affaire à des cons sans limites. Ils lui ont hurlé: "Prends ta voiture et va-t-en!", "T'as rien à faire là" et de pires trivialités encore. La Ministre a été forcée de fuir sous les jets de bière tandis que les cons scandaient "Tout le monde déteste la ministre". C'est un signe qui ne trompe pas sur leur identité: les cons, ça pense que tout le monde pense comme eux. 

Les cons, ça ose déchirer des livres et interdire une conférence. Il y a un mois, c'est François Hollande et une librairie indépendante qui en ont fait les frais (3). Les cons étaient cette fois étudiants, quelques centaines, venus interdire à l'ancien président de la République de s'exprimer à la faculté de droit de Lille. Ils réagissaient au suicide récent d'un étudiant de Lyon qui témoignait ainsi de sa précarité. "Hollande assassin!", hurlaient-ils. On ne sait quel rôle ils lui attribuent dans ce drame, mais ils ont détruit tous ses livres. L'Inquisition et les nazis en faisaient autant. Les cons, ça ne connaît pas l'Histoire.

Les cons aujourd'hui, ça empêche toutes celles et tous ceux qui ne pensent pas comme eux de s'exprimer. Les cons, ça empêche (c'était en octobre) la philosophe Sylviane Agacinski de prendre la parole - à l'université de Bordeaux cette fois - parce qu'elle n'a pas les mêmes positions qu'eux sur la PMA et la GPA (4). Les cons, ça empêche aussi des représentations de pièces de théâtre. Par exemple celle des "Suppliantes" d'Eschyle à la Sorbonne (c'était en avril), parce qu'ils y voient ce qu'ils ont envie d'y voir sans comprendre le message (5). Les cons, ça n'aime pas réfléchir.

Toujours à la Sorbonne (c'était en novembre), les cons, ça fait annuler un séminaire sur la déradicalisation auquel participait la Grande Mosquée de Paris, sous prétexte qu'il favorisait l'islamophobie (6). Les cons, c'est incapable de comprendre que l'islamophobie est favorisée par la radicalisation.

"Ce néofascisme où l'on fait l'autodafé des livres vient, non de l'extrême droite, mais de l'extrême gauche et elle a pour théâtre, ce n'est pas tout à fait un hasard, le lieu même où naquirent la disputatio médiévale comme l'esprit critique et l'anti-racisme: l'université. C'est pour l'esprit un scandale qui n'a pas de précédent depuis la Seconde Guerre mondiale, à l'exception de Mai 68. La confusion de la science et du militantisme politique n'est pas seulement un crime contre les droits de l'homme, c'est un recul de la civilisation." C'est Jacques Julliard qui s'exprime ici (7).
Il fait référence à la moraline de Nietzsche, "cette substance toxique" qui consiste à se servir de la morale pour abattre l'adversaire. "La moraline est fille du populisme, c'est-à-dire du refus des règles de la démocratie formelle, et des règles de la pensée tout court."
C'est au nom d'un prétendu progressisme que s'expriment ainsi certains de ces fanatiques. "Ce progressisme-là résonne comme un bruit de bottes", constate Gérard Biard (6). 

On a le droit de ne pas croire en quelque dieu que ce soit, de considérer que la Bible et les Evangiles, le Coran ou la Torah ne sont que de belles ou moins belles histoires. On a le droit de blasphémer comme d'être scandalisé par les critiques de la religion. On a le droit de ne pas être d'accord avec les positions ou les projets du gouvernement ou de telle ou telle personnalité. On a le droit et même le devoir de défendre les plus défavorisés, de s'opposer au racisme, à l'homophobie et au sexisme. Mais tout cela n'autorise pas à hurler, à censurer, à pratiquer la terreur intellectuelle, à tout oser, à exprimer une telle connerie agressive. On a surtout le devoir d'être (plus) intelligent. Mais on prend alors le risque d'être moins con. Autant le savoir.

(1) https://www.ladepeche.fr/2019/12/14/toulouse-la-creche-vivante-interrompue-par-les-manifestants,8604828.php
(2) https://www.huffingtonpost.fr/entry/roxana-maracineanu-noel-le-graet-supporters_fr_5df4e940e4b03aed50eee947?utm_hp_ref=fr-homepage
(3) https://www.marianne.net/societe/livres-francois-hollande-universite-lille-2-librairie-meura
(4) https://www.liberation.fr/checknews/2019/10/27/pma-pourquoi-la-conference-de-sylviane-agacinski-a-t-elle-ete-annulee-a-l-universite-de-bordeaux_1759987
(5) https://www.lepoint.fr/culture/eschyle-censure-a-la-sorbonne-27-03-2019-2304080_3.php
(6) Gérard Biard, "Le progressisme en rangers", Charlie Hebdo, 27.11.2019.
(6) https://www.lefigaro.fr/vox/societe/jacques-julliard-contre-la-guerre-civile-20191201
A lire aussi: "Cette haine qui monte", Serge Raffy:
https://www.nouvelobs.com/chroniques/20191113.OBS21033/france-ecoute-cette-haine-qui-monte.html

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