mardi 8 décembre 2020

Police de la langue

A qui appartiennent les mots? Le concept d'appropriation culturelle s'y applique aussi, affirment certains esprits jaloux de leur propriété. Le secrétaire général d'Europe Ecologie Les Verts vient de se faire tancer. Vertement, oserait-on dire. Le dimanche 29 novembre, sur Twitter, Julien Bayou réagissait aux violences de la manifestation de la veille contre la loi sécurité globale : « Le pays se fissure. Images horribles de lynchage de policiers à Bastille. La violence policière impunie qui abîme la confiance de la population. Le gouvernement nous entraîne dans une spirale qui ne peut que mal finir". Des propos plutôt nuancés et appelant au calme qui lui ont cependant valu une volée de bois vert de la part d'Amandine Gay, réalisatrice, militante afroféministe et "monomaniaque de la couleur de peau", selon Charlie Hebdo (1). Elle dénonce "la banalisation du terme lynchage et son usage par les personnes blanches pour décrire du harcèlement en ligne ou des agressions  dans la vraie vie (qui) conduit non seulement à effacer l’expérience et les souffrances des personnes noires, mais aussi à inverser la réalité". Le terme ne peut être utilisé que pour parler des Noirs lynchés aux Etats-Unis. Selon elle, il concernerait « toujours spécifiquement les Noir.e.s ». 

Etymologiquement le verbe « lyncher » est une déclinaison du nom de Charles Lynch, un planteur et juge de paix  qui a vécu en Virginie. au XVIIIe siècle. Amandine Gay oublie, constate Natacha Devanda (1), que "le lynchage a été abondamment pratiqué aux États-Unis durant la guerre d’indépendance sur les Noirs, mais aussi sur les Loyalistes de la couronne britannique ou des Républicains. Elle pourrait considérer aussi que l'Amérique du Nord n’a pas le monopole du lynchage. Rien qu'en France, des résistants au nazisme, comme des collabos vichystes, ont été lynchés, aucune corde ne faisant le tri entre les bons ou les mauvais". Elle rappelle aussi que, si dans son sens premier, il signifie une exécution par pendaison sans jugement, l’usage du mot a depuis évolué. "Dans le langage courant, il désigne l’action de tomber à plusieurs sur une personne, la tabasser sans relâche et la laisser pour morte sur le bitume. Peu importe que la victime soit un manifestant ou un policier. Peu importe la couleur de sa peau ou son genre. Il est une victime de la violence physique et de la lâcheté." Qu'importe. Pour les policiers de la langue,  il est interdit de parler de lynchage de policier. Verra-t-on bientôt les racisés mettre des cadenas sur certains mots dans le dictionnaire, les entendre demander aux académiciens d'empêcher le langage d'évoluer?

Face à cette interdiction d'utiliser le mot lynchage devenu propriété privée - et accusé en plus de participer au "continuum négrophobe" (sic), Julien Bayou, plutôt que de rappeler le sens du mot, a fait profil bas. Et même plus bas que bas, remerciant "la mère fouettarde du dictionnaire bilingue français/racisé"  (comme l'appelle N. Devanda) de cette "explication de texte argumentée", lui présentant ses excuses et lui proposant un "échange" pour l'aider à parfaire son vocabulaire. Le sentiment de culpabilité judéo-chrétien est bien vivant, entretenu par les grands prêtres et grands prêtresses du politiquement correct qui remettent l'Inquisition à la mode et se posent en appropriateurs de la langue. 

"Comment penser la société française, se demande N. Devanda, avec des schémas de pensée tout droit sortis des campus américains où le communautarisme et l’essentialisme sont de mise et l’universalisme un truc ringard et sans avenir ? Comment, sinon en s’écrasant comme une carpette ? La démonstration que vient de faire Julien Bayou."

(1) https://charliehebdo.fr/2020/12/societe/le-mea-culpa-miteux-de-julien-bayou-sur-twitter/

2 commentaires:

Bernard De Backer a dit…

Oui, les moeurs des campus américains débarquent. A Bruxelles, l'organisme "Points culture" (ancienne médiathèque), subisdié par les pouvoirs publics, diffuse largement dans ce sens. Dernier évènement en date : "Ce jeudi soir, le collectif féministe bruxellois Imazi.Reine co-organise avec le Centre Librex et l’ASBL PointCulture une discussion virtuelle autour du thème "Pour une convergence des luttes non consensuelle. Entre antiracisme et misogynie, qu’en est-il de nos hommes ?". Cet événement partagé sur Facebook a fait réagir plus d'un internaute, sans oublier certains politiques outrés du caractère excluant de l'événement Facebook qui indiquait ceci: "Safe-space en non-mixité sans hommes cisgenre-hetero (oui aux mecs queer, oui aux personnes non-binaires) et sans personnes blanches". Nous y voilà !

Source : https://www.lalibre.be/regions/bruxelles/saint-gilles-un-evenement-interdit-aux-blancs-choque-5fd1f60cd8ad5844d19163b7

Michel GUILBERT a dit…

L'époque est aux murs, aux séparations et aux identités.
Quels sont les critères pour avoir le droit de participer à ce type de "rencontre"? Ça ne se voit pas, ça se vit (et ça, c'est l'affaire de chacun). Suffit-il de se déclarer comme "queer" ou "non-binaire"? Chacun chez soi et les vaches seront bien gardées.
Et il n'y a pas plus flou que la notion de "racisé". La détermine-t-on à partir de la couleur de la peau? Si oui, les "rouquins" à la peau très blanche, bien plus "racisés" que d'autres "blancs" qui bronzent facilement, seront stigmatisés. De l'intelligence, de l'échange, c'est tout ce qu'on demande!