mercredi 2 décembre 2020

Accents graves

L’Assemblée nationale française étudie une proposition de loi sur la glottophobie, autrement dit les moqueries vis-à-vis des accents. Objectif: lutter contre la discrimination à l’embauche, mais aussi promouvoir la diversité des accents et des origines de tous les Français.

L'accent, c'est une racine qui se fait entendre. Entend-on son propre accent? Dans le Berry, une commerçante, apprenant qu'elle a affaire à un Belge, me dit: "Ah! Je me demandais d'où venait cet accent. C'est l'accent belge." Elle ajoute, interrogative:" Ici, on n'a pas d'accent, non?". Je ris. "Si les Berrichons n'ont pas d'accent, alors personne n'en a." Elle réfléchit une seconde, puis en convient.

Pour les Français, l'accent belge est celui de Bruxelles une fois. Il arrive que des Français, découvrant que vous êtes belge, s'étonnent: vous n'avez pas l'accent de la Place du jeu de balle et ne dites pas une fois à toutes vos fins de phrase. Les Français qui s'en moquent ne savent pas qu'ils sont quasiment les seuls à utiliser cette expression qui a quasiment disparu (a-t-elle vraiment existé ?) et qu'il n'y a pas un accent belge, mais de très nombreux accents en Belgique. Comme il y en a d'innombrables en France.

Venant de la région de Tournai en Belgique, à deux pas de Lille et de Valenciennes, je passe aisément pour un Français à Bruxelles ou au-delà de Namur. Par contre, des gens du Nord de la France me disent qu'ils ont perçu à mon accent que je suis belge. Je leur réponds que j'ai perçu au leur qu'ils sont du Nord. Ils sont surpris. Nous avons le même patois picard, avec des variantes, et le même accent, avec des variantes également. Dans le centre de la France, présenté comme la région où on parle un français parfait, les journalistes présentatrices de France 3 Centre - Val de Loire ont tendance à fermer excessivement les o. Elles parlent par exemple de prôjet à Rômôrantin.

"En pratique, constate le HuffPost (1), les accents régionaux sont associés à de nombreux préjugés. En France, on associe les accents régionaux à la ruralité et au manque d’éducation, souligne Maria Candea, maître de conférences à la Sorbonne-Nouvelle. Et le sociolinguiste Philippe Blanchet, qui a forgé le concept de glottophobie dans son ouvrage Discriminations: combattre la glottophobie estime que les accents les plus discriminés en France sont ceux de la moitié nord, dans les zones rurales, et les zones suburbaines (les banlieues). C’est-à-dire que si vous avez un accent populaire d’une grande ville de la moitié nord de la France ou un accent rural non méridional, c’est fortement stigmatisé." L'accent pointu ou gouailleur parisien, lui, ne l'est pas. Puisqu'il n'existe tout simplement pas aux oreilles de ses locuteurs. Et que même s'ils s'en rendaient compte, ils le considèreraient comme une absence d'accent et comme la manière la plus parfaite de s'exprimer.

J'ai présenté, durant des années, à la RTBF l'émission Génies en Herbe qui mettait en compétition des équipes de quatre jeunes qui représentaient leur lycée ou athénée. Produite alors dans sept pays francophones, elle réunissait chaque été les vainqueurs de chaque pays. En 1990 (mille neuf cent nonante), nous avons accueilli à Bruxelles la finale internationale et c'était un plaisir d'entendre tous ces jeunes parler une même langue mais avec des accents, des expressions et des mots différents, du Sénégal, de France (Bordeaux), du Bénin, du Québec, du Zaïre, de Belgique (Liège) et de Côte d'Ivoire. Se moquer des accents, c'est se moquer de la diversité.

L'accent de la télé ne signifie rien / Imposé par les infos il déteint / Tous les pebrons prennent le sien / Oublient le leur, est-ce que ça te convient ? / Complètement aliénés soudain / Face au micro alors il n'y a plus rien / Peur de l'accent qui vient d'où tu viens / Et pourtant il t'appartient / Le tien c'est le tien et le mien c'est le mien  -  "L'Accent", Fabulous Trobadors

Il y a les accents c'est bon bon l'accent / c'est tout un pays qui sort d'une bouche / avec ses maisons ses forêts ses sentiers ses usines   -  Julos Beaucarne

(1) https://www.huffingtonpost.fr/entry/ce-qui-se-cache-derriere-les-moqueries-sur-les-accents-la-glottophobie_fr_5fbf749ec5b63d1b7709a6a5



3 commentaires:

Bernard De Backer a dit…

Excellent ! Pour avoir traversé les Alpes françaises dans tous les sens, j'ai dormi dans d'innombrables refuges et autres gîtes, et on m'a fait le coup de l'accent chaque fois. Comme je le raconte (maintenant une fois) de manière un peu énervée dans mon récit "Le dortoir des Belges" (url sur mon nom) : "Le plus pénible, j’en témoigne après un mois de marche et une quinzaine de refuges, c’est de se retrouver seul avec un groupe d’autochtones (...) Viendra le moment inévitable – s’ils daignent converser avec leur voisin qui aura dévoilé sa belgitude – où tombera la phrase fatidique, sublime, forcément sublime : « Mais vous n’avez pas d’accent ! »." Depuis quelques années, j'ai la réplique : "Mais vous, c'est dingue, vous ne vous rendez pas compte, mais quel accent français vous avez !" Rideau.

Didier L. a dit…

Excellent comme toujours, Michel. Je regrette cependant un détail : que tu appelle "patois" le picard, qui est une langue issue, comme le français, le wallon, le normand et tant d'autres, du bas-latin, et non pas un français déformé. On peut dire "la langue picarde", elle a d'ailleurs sa chaire à l'université d'Amiens, et ses écrivains.

Michel GUILBERT a dit…

C'est vrai. Même si le terme patois n'a aucune expression péjorative pour moi. Mon père a souvent participé (et gagné) à un concours "patoisant" organisé par le Cabaret wallon tournaisien, qui n'avait pas grand-chose de wallon, mais était totalement picard.
Et il est vrai que le picard aurait très bien pu s'imposer plutôt que le français.