vendredi 20 août 2021

Le taliban nouveau est arrivé

Vingt ans après, les voilà de retour. Les talibans ont, à grande vitesse, repris le pouvoir dans quasiment l'ensemble de l'Afghanistan. Ils jurent qu'ils ont changé. On peine à les croire: on voit les mêmes hommes, avec leurs tenues traditionnelles et leurs longues barbes islamistes. Les mêmes qu'il y a vingt ans. Les mêmes qu'il y a deux cents ans, sans doute. Mais leurs armes sont plus modernes. Ils n'ont eu qu'à se servir parmi les milliers d'armes et d'engins américains que l'armée afghane, en pleine débandade, leur a abandonnés. Ils ont changé et n'ont qu'un souhait: que leur pays vive dans l'harmonie. Bien sûr, ils font la chasse à tous ceux qui ont collaboré avec l'ancien gouvernement afghan et avec les Américains et ils recherchent même (témoignage entendu ce matin sur France Inter) ceux qui ont travaillé à la défense du patrimoine avec l'Unesco. C'est que ce patrimoine-là, bouddhiste, n'a rien d'islamique et seul ce dernier peut exister. Ils ont changé et semblent aujourd'hui "plus puissants, plus dangereux et plus riches que jamais", écrit Catherine Philips dans The Times (1). Discrètement soutenus par le Pakistan et bénéficiant de "ressources étrangères", notamment des fortunes du Golfe, ils se sont aussi enrichis grâce au trafic de drogue et à des rançons obtenues suite à des enlèvements. Ils ont changé et contrôlent leur communication: ils ont détruit les médias indépendants pour pouvoir développer leur propre récit, diffusant des images de populations qui les accueillent comme des libérateurs, sans parvenir toutefois à empêcher la diffusion d'exécutions de militaires afghans et de meurtres de civils. "Vingt ans après, écrit The Times, si les talibans 2.0 sont bien plus doués pour se vendre, rien n'a changé en revanche en ce qui concerne leur mission d'instaurer leur vision déformée de la charia. Toute leur légitimité, aussi piètre soit-elle, repose sur leur promesse de réinstaurer leur version de la loi islamique." 

L'accord de Doha, signé en 2020 entre Washington (époque Trump) et les talibans, est "une monumentale abdication devant la barbarie", écrivait Jean-Yves Camus il y a un mois (2). "Les étudiants en religion resteront ce qu'ils ont toujours été, c'est-à-dire des fanatiques arriérés dont la doctrine n'a pas varié d'un pouce" et qui ont pour constitution la charia. Ils jurent leur grand dieu qu'ils veulent juste créer un émirat islamique indépendant de toute puissance étrangère (même si, on l'a vu, ils sont largement subventionnés par des puissances étrangères à l'Afghanistan) et que les droits des femmes, des jeune filles, des minorités seront respectés. "Mais comment le croire, demande Jean-Yves camus, alors que la charia ne le permet pas? Alors que les liens avec al-Qaida subsistent et laissent ouverte la possibilité qu'un nouveau sanctuaire afghan serve de refuge et de camp d'entraînement au djihadisme international?" La population afghane n'est pas plus rassurée par le taliban nouveau que par l'ancien. Les femmes en particulier savent ce que c'en est fini de l'indépendance qu'elle avait acquise. Elles fuient et se cachent. Telle cette jeune journaliste qui n'a eu d'autre choix que de quitter sa vie et sa maison et, pour l'instant, de vivre cachée, loin de tout (3): "je ne suis pas en sécurité, parce que je suis une jeune femme de 22 ans, et que je sais que les talibans obligent les familles à livrer leurs filles pour qu'elles soient mariées à leurs combattants. Et parce que je suis journaliste, et que je sais que les talibans viendront  nous chercher, moi et tous mes confrères".

Résumons-nous: aujourd'hui comme hier, un taliban reste un taliban et la barbarie même moderne reste de la barbarie.

Post-scriptum: https://www.lalibre.be/international/asie/2021/08/20/les-talibans-massacrent-des-hommes-hazaras-cela-donne-un-effroyable-apercu-de-ce-qui-risque-de-se-produire-ZZX3MCIIOVCYHGXGE4JK624AB4/

https://www.lanouvellerepublique.fr/indre/indre-le-buzanceen-pascal-maitre-temoin-du-drame-en-afghanistan?queryId%5Bquery1%5D=57cd2206459a452f008b4594&queryId%5Bquery2%5D=57c95b34479a452f008b459d&page=1&pageId=57da5ce5459a4552008b469a

(1) Catherine Philips, "Les nouveaux maîtres de Kaboul", The Times, 15.8.2021, in Le Courrier international, 19.8.2021.

(2) Jean-Yves Camus, "C'est reparti pour la charia", Charlie Hebdo, 21.7.2021.

(3) "Ma vie toute entière est anéantie", témoignage anonyme, The Guardian, 10.8.2021, in Le Courrier international, 19.8.2021.


1 commentaire:

Bernard De Backer a dit…

Les Talibans n'ont évidemment pas changé, sauf dans la communication. Ils sont une émanation de la société afghane, d'une grande partie d'entre elle en tous cas, rurale et très religieuse. Cela explique leur victoire rapide et la débandade de l'armée afghane. Un remarquable documentaire en quatre parties sur l’histoire afghane depuis les années 1960, datant d’avant la seconde victoire des Talibans, est diffusé par Arte (Carrasco Mayte et Mettelsiefen Marcel, « Afghanistan, pays meurtri par la guerre », 2019). Il montre l’opposition villes/campagnes recoupant celle de modernité/hétéronomie au cœur de la victoire des Talibans (et des Moudjahidines avant eux). Un bon rappel historique, culturel, et politique qui associe les violentes dynamiques internes (ethniques et religieuses, expliquant les deux guerres civiles) et externes (invasion soviétique meurtrière, intervention américaine) d’un pays écartelé. Il montre aussi l’ignorance des Occidentaux d’un monde qu’ils méconnaissent. Comme le confie dans le documentaire une capitaine américaine engagée en Afghanistan : « Je n’étais jamais sorti de mon pays et je me suis rendu compte combien le monde était complexe et combien j’étais naïve ». On n’exporte pas la démocratie par les armes, on ne l’exporte peut-être pas du tout ou rarement et lentement. Ajoutons à cela un reportage du Monde sur les divisions internes de la diaspora afghane en France, qui rejoue souvent celles du pays entre ethnies.