lundi 4 décembre 2023

Eternels parias sans homme d'Etat

Réflexions intéressantes d'un lecteur (Christian E.) de Charlie Hebdo (édition du 15.11) sur l'abandon des Palestiniens par leurs voisins.  
On dénonce, remarque-t-il, l'occupation que subissent les Palestiniens depuis soixante-quinze ans. Or, jusqu'en 1967, Israël n'occupait ni Gaza ni la Cisjordanie, ces territoires avaient été annexés après la guerre de 1948 par l'Egypte et la Jordanie. Ces derniers avaient promis aux Palestiniens de les leur rendre une fois qu'ils auraient rejeté les Juifs à la mer. "En définitive, depuis soixante-quinze ans, tout le monde se fout des Palestiniens, et les pays arabes les premiers. Parce que, après avoir abandonné leurs prérogatives sur les territoires occupés, la création d'un Etat palestinien laïque, et peut-être socialiste, était vraiment la dernière chose dont avaient besoin les monarchies rétrogrades et les dictatures militaires de la région. Un très mauvais exemple pour leurs peuples. Les Palestiniens, on les aime opprimés, misérables, mais on ne lèvera pas le petit doigt pour les aider et, au besoin, on les enfoncera un peu plus."

Aujourd'hui, on a du mal à prendre au sérieux les larmes de crocodiles que versent les dirigeants des pays arabes sur le sort des Gazaouis.
Deux semaines auparavant, dans le même Charlie Hebdo, Philippe Lançon écrivait (1) : "Les Pals étaient et restent les cocus de l'Histoire : les dépossédés, les perdants. Refaits aussi bien par Israël et les pays occidentaux que par les pays arabes, dotés de régimes criminels et pourris qui les soutenaient comme la corde le pendu". (...) "Des confrères disaient alors (en 1990-1991) en riant que rien ne ressemblait plus à un Juif qu'un Palestinien : le sentiment d'être chez soi nulle part, la culture en diaspora, l'humour, le débat, la critique et l'autocritique, les intellectuels et artistes qui vont avec ; bref, un air minoritaire de liberté comprimée." Philippe Lançon évoque le poète palestinien Mahmoud Darwich - qui fut membre de l'OLP et s'inquiétait de "la violence folle et islamisée qui montait". "En sortant du coma, écrivit Darwich en 2007, nous nous sommes rendu compte qu'un drapeau unicolore (celui du Hamas) avait chassé le drapeau à quatre couleurs (celui de la Palestine)". Réflexion de Philippe Lançon : "Quatre couleurs valent mieux qu'une, qu'il s'agisse d'une existence, d'une œuvre ou d'une nation. (...) "Et nous voilà quinze ans après, dans un monde aux drapeaux unicolores. La couleur qui finit par s'imposer à toutes est généralement celle du sang."

Ce qui fait aujourd'hui défaut aux deux camps, c'est un homme ou une femme d'Etat. Dans Charlie toujours (2), Riss rappelle que Sadat et Rabin ont été capables de quitter leurs positions guerrières pour envisager la paix. On sait ce que ça a leur coûté : la vie. Mais ils ont osé briser leur image de dur pour sortir de l'ornière, ils ont été capables de mettre de côté leur parcours personnel pour servir l'intérêt commun. Qui aujourd'hui a cette capacité ou cette ambition ? "Ce qui est nouveau, c'est qu'aujourd'hui on ne voit pas de figure ayant la stature d'un homme d'Etat, capable de prendre des décisions courageuses, de les imposer à son propre camp, afin de mettre un terme à ce conflit sanglant. Netanyahou est un misérable politicard magouilleur et menteur qui n'a pas hésité à tenter de trafiquer la Constitution de son pays pour échapper à la prison. Mahmoud Abbas n'a de chef de l'Autorité palestinienne que le nom, discrédité par la corruption et les compromissions. Pas l'ombre d'un homme d'Etat à l'horizon, pour deux peuples qui revendiquent pourtant d'être un Etat ou d'en avoir un." Ceux qui mènent le jeu sont les extrémistes. "Que nous reste-t-il sur les bras ? Des milices islamistes comme le Hamas, ou des colons juifs suprémacistes dans les territoires occupés, qui ont pour point commun d'être hors de contrôle". Personne n'est en mesure de les arrêter. D'autant qu'ils sont au pouvoir des deux côtés. L'extrême droite israélienne est représentée - et très active - dans le gouvernement de Netanyahou. Et le Hamas, qui tenait d'une main de fer la bande de Gaza et est à l'origine de cette guerre-ci, semble redevenir un mouvement héroïque aux yeux d'une partie de la population palestinienne. "Ce conflit est depuis longtemps pris en otage par des extrémistes que nul ne semble capable de mettre hors d'état de nuire. Un conflit qui ressemble de moins en moins à une guerre entre un Etat et une Autorité, mais de plus en plus à une guérilla entre factions, entre milices, dirigées par des chefs de guerre qui n'obéissent plus à quiconque." 

Jean-Pierre Filiu, professeur des Universités à Sciences Po, évoque une hypothèse "par défaut" (3) : "il s’agirait de la libération de Marwan Barghouti, détenu depuis 2002 en Israël où il est condamné à cinq peines de prison à perpétuité pour terrorisme". En 2011, quand il avait accepté de libérer 1.027 prisonniers palestiniens en échange d'un militaire franco-israélien détenu par le Hamas, Netanyahou avait refusé que Barghouti en soit. Par contre, il avait autorisé la libération de Yahya Sinouar, l’actuel chef du Hamas à Gaza, très impliqué dans les massacres du 7 octobre. Selon Jean-Pierre Filiu, "Barghouti est aujourd’hui la personnalité la plus populaire dans l’opinion palestinienne, où ce sexagénaire incarne, face à l’octogénaire Abbas, une nouvelle génération du Fatah et de l’Organisation de libération de la Palestine". Il rappelle que Barghouti, élu député du Fatah à Ramallah en 1996, s’était mobilisé contre les abus au sein de l’Autorité palestinienne et qu'en 2002, pendant la deuxième Intifada, il avait rappelé son engagement en faveur de la « coexistence pacifique » entre Israël et la Palestine, et avait condamné les attentats contre les civils en Israël. En 2006, il avait, depuis sa cellule, contribué à l’élaboration du « document des prisonniers » sur l’établissement d’un Etat palestinien en Cisjordanie et à Gaza, document qu'avaient endossé le Hamas et le Djihad islamique. "La popularité de Barghouti, aussi bien à Gaza qu’en Cisjordanie, représente sans doute le seul barrage à la montée en puissance du Hamas, sur fond d’escalade sans fin de la violence. Sa libération et sa promotion susciteraient à l’évidence de très fortes oppositions en Israël comme au sein de l’AP. Cette hypothèse mérite néanmoins d’être étudiée, ne serait-ce que pour ne pas céder à la fatalité de la guerre et de la mort."

Elie Barnavi, historien et ancien ambassadeur israélien à Paris, est convaincu que la négociation autour d'un État palestinien reste la solution la plus appropriée, mais qu'il faudra qu'elle soit imposée de l'extérieur.  "C'est la seule possibilité de sortir par le haut de cette tragédie. La "beauté" de cette nouvelle situation si j'ose dire, c'est qu'on a moins besoin des interlocuteurs locaux : je plaide depuis des années pour une solution imposée. Peu importe qui négociera pour les deux parties, il faudra qu'ils le fassent parce que ça aura été imposé par la coalition internationale".

(1) Philippe Lançon, "Le supplice des Pals", Charlie Hebdo, 1.11.2023.
(2) Riss, "Cherche homme d'Etat et plus si affinités", Charlie Hebdo, 22.11.2023.
(3) https://www.lemonde.fr/un-si-proche-orient/article/2023/11/12/le-jour-d-apres-a-gaza_6199614_6116995.html

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