jeudi 21 décembre 2023

Indignations sélectives

L'ONU Femmes (UN Women) dénonce à raison les violences sexuelles dont les femmes sont victimes dans les conflits. Ce fut le cas le 25 novembre encore, lors de la Journée internationale pour l'élimination de la violence faite aux femmes. Ces dernières années, le mouvement #MeToo appelait à croire les femmes sur parole quand elles se disent victimes de violences sexuelles et à mettre fin au "silence complice". Et voilà que tant de femmes elles-mêmes se taisent face à l'horreur. 

Le viol, rappelle Inna Shevchenko (1), est défini par la Cour pénale internationale comme un crime de guerre à part entière. "Et pourtant, tout ce que nous avons pu entendre d'ONU Femmes jusqu'à présent, ce sont deux déclarations sur la situation humanitaire à Gaza, laissant les femmes victimes du Hamas dans l'oubli. Cette douloureuse décadence est confirmée par le silence quasi absolu de la plupart des mouvements féministes de premier plan, partout dans le monde." Pour Feminist, un compte Instagram suivi par six millions de personnes, l'attaque du Hamas n'est que "une riposte à l'occupation israélienne" (message supprimé ensuite). Et pour beaucoup de soutiens à la cause palestinienne, ce que les Israéliennes et les Israéliens ont vécu le 7 octobre n'est que normal, attendu, inévitable. Comme si une femme violée, dépecée, massacrée n'existait pas si elle est juive.  "Jamais auparavant, écrit encore Inna Shevchenko,  nous n'avions vu des féministes contextualiser des crimes de viol. Aussi juste que soit la défense des Palestiniens, victimes des bombardements impitoyables d'Israël et du pouvoir du Hamas, elle est devenue une justification pour négliger les femmes victimes du 7 octobre."
Les Juifs, écrit-elle encore, sont "devenus le vieil homme blanc du féminisme occidental. Donc, circulez, il n'y a rien à voir que des actes tragiques sans doute mais logiques. "La convergence des luttes n'a abouti qu'à une divergence croissante entre les femmes. L'occupation est une raison suffisante pour beaucoup de se détourner des femmes victimes israéliennes ; le soutien impérialiste des Etats-Unis en a conduit autant à négliger les filles et les femmes ukrainiennes violées et torturées ; et bien sûr l'islamophobie des manifestations contre le hijab justifie l'abandon des femmes iraniennes violées dans les prisons et tuées par le régime islamique. Et pourtant, il s'agit toujours de nous, les femmes, et non de nous, la gauche, les woke, les anti-impérialistes, les anti-Israël... Nous les femmes, où sommes-nous aujourd'hui ?"

Hala Abou Hassira, ambassadrice en France de l'Autorité palestinienne, est, semble-t-il, aveugle et sourde : "je n'ai pas entendu les témoignages et je n'ai pas vu les images", a-t-elle déclaré, interrogée sur ce qu'elle pensait "comme femme" des viols commis par le Hamas (2). 
Cette cécité et cette surdité volontaires poussent au négationnisme. Ces indignations sélectives démontrent les limites des combats dits intersectionnels, elles desservent la cause féministe et indiquent que les woke ne sont pas toujours aussi éveillés qu'ils ou elles veulent le (faire) croire. Femmes juives, femmes iraniennes, femmes ukrainiennes, femmes afghanes, vos existences et vos combats dérangent les analyses binaires. Donc, vous n'existez pas. 

Les victimes d'agressions sexuelles ne semblent pas exister non plus aux yeux du président de la République française. En tout cas si elles sont victimes d'un grand comédien. Hier soir, il s'est dit "grand admirateur de Gérard Depardieu (...), un immense acteur" qui "a fait connaître la France, nos grands auteurs, nos grands personnages dans le monde entier" et qui "rend fier la France". Pas de chasse à l'homme, a-t-il dit. Ou plutôt pas de chasse au chasseur ? 
Au pays des aveugles, les violeurs sont rois.

(1) Inna Shevchenko, "Viols du Hamas - L'insoutenable silence des féministes", Charlie Hebdo, 22.11.2023.
(2) Raphaël Enthoven, "La cécité volontaire", Franc-Tireur, 13.12.2023.

2 commentaires:

Bernard De Backer a dit…

Un petit livre instructif sur ces questions (notamment la position des Verts ou de LFI) est le Tract de chez Gallimard de Pierre-André Taguieff (d'origine russe), "Le nouvel opium des progressistes. Antisionisme radical et islamo-palestinisme". Il faut bien lire le sous-titre. Il y est notamment question du rapeur Médine invité aux univesités d'été des Verts en août 2023, pour y débattre avec Marine Tondelier, secrétaire nationale d'EELV. LFI suivra avec des applaudissements.

Michel GUILBERT a dit…

Merci, Bernard. Je vais essayer de le trouver. Même si tout cela me désespère...