jeudi 11 juin 2009

Les abonnés à Cumul+

Le décumul des mandats, y arriverait-on enfin? Il est au centre des discussions actuelles entre les partis, amené sur la table par Ecolo.
Voici un texte sur la question, que j'avais rédigé en 2005, après mon mandat parlementaire.


Pour A. Destexhe, A. Eraly et E. Gillet, « le cumul des mandats constitue un lourd handicap pour la démocratie. Il provoque des conflits d’agenda. Il conduit à une augmentation de l’absentéisme parlementaire. Il détourne le député de l’intérêt général qu’il est censé défendre, au profit d’intérêts trop particuliers. Il crée la confusion dans l’esprit des électeurs. Il accorde au cumulard un avantage sur le député qui n’exerce qu’un seul mandat et qui se prive ainsi d’une occasion de se constituer un capital de voix dans son fief. Il contribue à renforcer les baronnies locales… » (LLB, 01.01.04)
La Libre Belgique du même jour rappelait d'ailleurs les nouvelles règles fixées par le Parlement en 2001 : interdiction de cumuler un mandat de parlementaire avec plus d’un autre mandat exécutif rémunéré, limitation des rémunérations à une fois et demie l’indemnité des parlementaires.

Pourquoi les assemblées et commissions parlementaires ne se réunissent-elles que du mardi au jeudi? Parce que le lundi est réservé aux réunions des bureaux de parti et que le vendredi, les parlementaires sont dans leur commune... Le temps plein d'un parlementaire représente donc - en tout cas pour la moitié d'entre eux en Wallonie - trois jours par semaine. Et son temps plein de bourgmestre...?
« Je constate qu’à quelques exceptions près les parlementaires qui exercent également un mandat local sont moins actifs que les autres. Cela vaut d’ailleurs aussi pour le députés qui continuent à exercer leur métier dans le privé. (…) Si les députés bourgmestres faisaient vraiment entendre leurs voix au Parlement fédéral, la réforme des polices ne serait pas passée comme elle l’a fait. (…) Certains ministres se comportent comme s’ils étaient toujours bourgmestre de leur commune.» (Zoé Genot, députée fédérale Ecolo) (LLB, 01.01.04).

« Les cumulards : ces députés-bourgmestres-échevins-etc. cumulent les fonctions et n’ont pas le temps de venir aux commissions parlementaires. Or, lorsque nous travaillons sur des projets ou propositions, nous devons avoir le quorum. Lorsque nous ne l’avons pas, nous reportons la commission pour deux heures. C’est de cette manière que nous avons perdu des centaines d’heures durant la législature précédente. (…) Tous les parlementaires sont payés à plein temps, donc la moindre des choses, c’est de bosser à plein temps ! » (Zoé Genot) (JDM, 21.10.03)
J'en ai connu des attentes dans les commissions parlementaires, parce que le quorum n'était pas atteint. Les attachés de groupes devaient battre le rappel de leurs élus qui, dans leurs communes, avaient mieux à faire que de venir sièger - même quand il s'agissait de soutenir leurs ministres.

Mais pour les électeurs, dont de nombreux "progressistes", le cumul entre une fonction exécutive locale et une fonction parlementaire, voire ministérielle, représente un « plus » appréciable en termes de capacité d’intervention dans des dossiers personnels comme en termes de moyens « additionnels » pour leur commune.
Avant les élections communales de 2000 à Tournai, Christian Massy avait été désigné tête de liste par les militants socialistes. Brusquement, Rudy Demotte, domicilié à Flobecq, fit savoir que, si on le lui demandait gentiment, il occuperait volontiers cette place. Massy et ses supporters tinrent bon. Mais on entendit de nombreux progressistes regretter ce choix, sachant très bien que Demotte resterait ministre et ne dirigerait donc pas la ville, mais tablant sur ses possibilités de faire pleuvoir sur la ville des subsides. Le choix d’un premier magistrat n’est donc pas fonction de ses capacités de gestionnaire mais plutôt de celle de continuer à faire fonctionner les vieilles pratiques de favoritisme d’un baron pour sa baronnie.
Et l’avenir leur a donné raison, puisque, quand Rudy Demotte est devenu ministre de la Culture, on a vu la commune de Flobecq (5000 habitants) dont il est bourgmestre "empêché" acquérir de facto le statut de capitale culturelle au moins du Hainaut occidental, tant la manne céleste fut abondante.
« Je peux vous donner une liste de vingt hommes politiques qui ont financé la rénovation de leur ville lorsqu’ils étaient ministres. C’est humain… », déclarait Maurice Dehu, député wallon (PS) (LB, 01.01.04).

L'argument des défenseurs du cumul: il est indispensable de garder le contact avec le terrain. Comme si en étant parlementaire sans être en même temps bourgmestre ou échevin, on perdait tout sens des réalités! La vérité c'est que trop de proximité nuit. De nombreux parlementaires liégeois se sont opposés à tout ce qui peut limiter la production d’armes (Smal, Monfils, les Happart Bros, Marcourt, etc.)
De nombreux citoyens applaudissent certains bourgmestres qui, effectivement, font évoluer favorablement leur commune, rénovent les places publiques, font construire des infrastructures, ouvrent des crèches. Si on examine leur situation, on constate que, bien souvent, ils sont aussi parlementaires dans la majorité, ouvrant ainsi une voie plus directe à d'importants subsides. Les communes ne sont donc pas égales en termes d'accès aux moyens publics, selon que leur bourgmestre ou échevin est ou non parlementaire.

« La démocratie a un prix. On trouve aujourd’hui normal de subventionner les partis, comme d’aider la presse écrite. On trouve normal de bien rémunérer les élus, en tenant compte de l’importance de leur travail et de leurs responsabilités. Ce n’est pas très populaire, mais ce le serait davantage si l’on limitait vraiment le cumul des mandats. On ne peut assumer convenablement une multiplicité de fonctions, et, après tout, si l’on veut accroître la participation citoyenne, autant partager le travail. » (G. Thoveron, La marchandisation de la politique)

Aucun commentaire: