mercredi 19 octobre 2011

La philosophie de l'autruche

Pascal Bruckner n'a sûrement pas regardé "Love Meat Tender" ce lundi, documentaire de Manu Coeman et Yvan Becq diffusé par la RTBF. Le réalisateur et le vétérinaire doivent être pour le philosophe français de fieffés écologistes. Derrière le terme écologistes, il classe en vrac les écologistes politiques, environnementalistes, scientifiques, militants, les verts, les naturalistes, les décroissants, peut-être les indignés, sans doute même les randonneurs et les cyclistes (s'ils ne sont pas professionnels).
Ces "Lugubres", comme ils les appellent finement dans "Le Fanatisme de l'Apocalypse", détestent l'homme et le progrès et n'ont qu'un objectif: "nous démoraliser pour nous mettre au pas" (1). Et un autre encore: "mettre le voile noir du deuil sur toutes les joies humaines". Parmi les joies humaines que veut glorifier Bruckner, on ne serait pas étonné de trouver celle de manger de la viande à grandes dents et tous les repas.
Dans Love Meat Tender, apparaissent clairement les conséquences désastreuses de cette production excessive de viande dans laquelle s'est lancée l'agriculture (quasi) mondiale depuis l'après-guerre: obésité chez l'homme, "nitratisation" des nappes d'eau, prolifération d'algues vertes en Bretagne, déforestation de l'Amazonie, réchauffement climatique (2), gaspillage d'eau (3) ... Et on en passe.
André Pochon, agriculteur français retraité, n'est pas un philosophe de l'intelligentsia parisienne. Il s'exprime pourtant avec beaucoup de philosophie dans le documentaire, nous interroge, avec simplicité et intelligence, sur le sens de nos vies et de celles des animaux. Il a toujours refusé d'entrer dans le système insensé du profit à tout prix.
Il y a quarante ans, 80% du budget familial étaient consacrés à l'alimentation. On n'en est plus qu'à 15 à 20% aujourd'hui. On mange pour pas cher, et donc n'importe quoi. Pierre Rabhi affirme que "l'animal n'est plus une créature vivante, mais une usine à protéines". L'animal n'est plus qu'un moyen de se faire un maximum d'argent, sans égard ni pour lui-même, soumis à des conditions d'existence inhumaines, ni pour les conséquences de ce type de production. On ne peut plus parler d'éleveurs, mais de fabricants.
Pascal Bruckner ne devrait pas être troublé par ce documentaire dans lequel un des intervenants déclare que "on en sait plus en matière d'écologie qu'il y a cent ans". Visiblement pas Pascal Bruckner qui est un philosophe qui ne sait pas et ne doute pas. "La dislocation des grands écosytèmes, les crises de l'eau, de la biodiversité, de sols, des océans, le dérèglement climatique, il s'en tape. Il n'est pas au courant. Après tout, note-t-il tout en finesse, le climat de la Riviera en Bretagne, des vignes au bord de la Tamise, des palmiers en Suède, qui s'en plaindrait?" (4).
Bruckner n'est pas un philosophe, il produit des livres, comme d'autres produisent du cochon, "préférant s'employer, au fil des pages, à revendiquer pour l'homme, et surtout pour lui-même, rien de moins au fond qu'un droit d'insoucieuse jouissance - avec un égoïsme presque infantile, aussi confondant qu'irresponsable, qui aime à se faire passer pour de l'hédonisme mais ne trompe personne", écrit Nathalie Crom dans Télérama (5).
Il y a heureusement de vrais philosophes, qui ne sont souvent pas ceux que l'on croit, tel André Pochon qui en appelle à une attitude responsable des consommacteurs.

(1) citations extraites de "Pascal (Bruckner), un grand philosophe est né", article de Fabrice Nicolino, dans Charlie Hebdo, 12 octobre 2011
(2) le nourrissage du bétail, notamment européen, avec du maïs et du soja (produits sur des terres gagnées sur la forêt amazonienne) augmente les gaz à effet de serre produits par ce même bétail. L'élevage représente aujourd'hui 18% des gaz à effet de serre, plus que la voiture.
(3) la viande représente 45% de l'eau consommée dans le monde.
(4) Fabrice Nicolino, Charlie Hebdo, 12 octobre 2011
(5) 19 octobre 2011

1 commentaire:

gabrielle a dit…

Un débat entre Bruckner et Hulot paru la semaine dernière : http://tempsreel.nouvelobs.com/un-vert-pour-laroute/20111013.OBS2395/face-a-face-quand-hulot-replique-a-bruckner.html