jeudi 24 janvier 2013

Le bal des hypocrites

Arcelor Mittal ferme sept des douze sites de sa phase à froid chez Cockerill à Liège. Pour les 1300 travailleurs qui se retrouvent sur le carreau (après les 795 de la phase à chaud), la décision est une véritable claque et on comprend leur tristesse, leur colère et leur désarroi. Mais cette annonce n'est pas aussi inattendue qu'ils veulent bien le déclarer face aux caméras. Qui croyait ce secteur inoxydable en Belgique? Qui pensait que ce qui arrive à Arcelor à Fleurange resterait étranger à la Belgique? Les responsables politiques versent des larmes de crocodile. Jean-Claude Marcourt, Rudy Demotte, André Antoine tentent de faire bonne figure en tentant de conjuguer indignation et fermeté. C'est scandaleux, disent-ils. Ca ne se passera pas comme ça, clament-ils. Jean-Marc Nollet se veut optimiste: on leur fera nettoyer le site, puis on créera de nouveaux emplois. Ca ne coûte rien de le dire. Elio Di Rupo revient dare-dare de Davos. (Davos ou Rio, chez les riches suffisants aujourd'hui ou chez les indignés altermondialistes hier, Elio ne sait où donner de la tête.)
Quel Belge, qui avait au moins dix-huit ans au milieu des années '80 (au moment du plan Gandois), peut honnêtement déclarer qu'il ne pensait pas que ce qui arrive aujourd'hui arriverait un jour? Tout le monde savait et sait que la sidérurgie belge était et est condamnée. On a pu et on peut encore investir des millions dans des canards vieillissants, mais on savait et on sait ces canards mortels. On sait que leur sort est inéluctable.

En 1997, voici quasiment seize ans (c'était le 18 mars), voici ce que déclarait, dans la conclusion de son intervention intitulée "La Belgique en voie de sous-développement", Fernand Bézy, professeur émérite à l'UCL, devant l'Université des Aînés à Louvain-la-Neuve (1):

"Que nous réserve l'avenir ?
Cet exposé est pessimiste, mais la réalité n'est pas exaltante; l'avenir est-il aussi noir ? Nous n'avons hélas pas fini de nous purger des erreurs du passé; c'est ce qui occulte dans une certaine mesure les raisons d'espérer. L'étude de la Kredietbank, dont il était question ci-dessus, conclut son analyse en disant : "pendant encore une grande partie du 21ème siècle, la Belgique devra payer les erreurs commises pendant les années 70." (...)
Pour prévoir ce qui va se passer, il faut prendre conscience des changements structurels importants qui affectent l'économie mondiale depuis 15 ou 20 ans : ce qu'on appelle "la mondialisation", suscitée par la libre circulation des biens et des capitaux comme jamais auparavant dans l'histoire. Cette évolution tient à des progrès techniques sans précédent :
- pour les produits, un abaissement considérable des coûts de transport maritimes grâce à l'augmentation de la dimension des navires, l'automatisation de leur pilotage et surtout la "conteneurisation";
- pour les capitaux, la télématique qui leur permet de circuler par delà des frontières à la vitesse de l'éclair.
Il est possible maintenant de fractionner la production des marchandises et de la délocaliser géographiquement en profitant des différences dans les coûts de production, notamment de la main-d'oeuvre. Cette dernière, en de nombreux pays du tiers monde, atteint maintenant une qualification suffisante pour être apte au travail en usine.
Dans les pays actuellement développés, le secteur industriel connaîtra, en termes d'emploi, l'histoire de la peau de chagrin, comme auparavant l'agriculture. Historiquement la Belgique a détenu le record de l'emploi dans le secteur industriel : 53% des actifs en 1950. Il ne faut surtout pas pavoiser : si nous avions autant de main-d'oeuvre dans nos usines, c'est qu'elles étaient en retard de mécanisation. Aujourd'hui, des prévisionnistes sérieux pensent qu'en l'an 2.000, dans les pays développés, la main-d'oeuvre industrielle ne représentera plus que 10% des actifs; et dix ans plus tard, 2% seulement : moins qu'aujourd'hui dans l'agriculture. Cela ne réduira pas nécessairement la production industrielle, mais comme aujourd'hui en agriculture, on produira toujours plus avec toujours moins de travailleurs."

Les miroirs aux alouettes fonctionnent bien. Mais les politiques et les syndicalistes ne devraient pas s'y mirer trop longtemps.

(1) http://www.uclouvain.be/cps/ucl/doc/ucl/documents/Bezy_belgique.HTML



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