mercredi 30 janvier 2013

Une sale odeur de gaz

L'homme est-il un imbécile? C'est ce que l'on pense après avoir vu " La malédiction du gaz de schiste", le documentaire de Lech Kowalski (1). L'homme refuse de tirer des leçons de ses expériences catastrophiques d'apprenti sorcier. Les dégâts engendrés par l'exploitation du pétrole et de tant d'énergies fossiles ne lui suffisent pas. C'est que l'homme est vénal et l'argent qu'il gagne n'a ni odeur ni conscience.

La Pologne, après les Etats-Unis, a vu dans le gaz de schiste son avenir. Il est brumeux, trompeur et dangereux. Des paysans voient débarquer, aux portes de leur village, à deux pas de leurs fermes, d'énormes engins qui procèdent à des tests sismiques. Après leur passage, l'eau des puits est polluée, au point que les fermiers ne peuvent plus abreuver leur bétail. "Ce que Dieu a donné à la terre, la terre doit le rendre", estime un agriculteur qui pense justifier ainsi la location de certaines de ses terres à Chevron. La terre rend de l'eau transformée en boue.
Les façades des fermes sont fissurées. Chevron, qui a négocié des concessions de forage et d'exploitation avec les autorités polonaises, offre des peluches aux agriculteurs. Le mépris ne peut mieux s'exprimer. Les paysans pendent ces peluches haut et court.
Le chantier de forage démarre sans consultation publique et sans permis. Les riverains se mobilisent pour l'empêcher. Le réalisateur est empêché de filmer par les exploitants qui font filmer leurs opposants. Lors d'une réunion publique, l'une d'elle tente de raisonner les représentants de l'Etat. La plupart d'entre eux n'ont d'yeux que pour la table ou leurs chaussures.
"Les petits" de ce village polonais finissent par faire reculer le géant américain: Chevron renonce à exploiter une concession qu'il n'avait jamais vraiment officiellement obtenue. Mais ce sera pour aller forer un peu plus loin. 

"Nous, nous sommes des dégâts collatéraux", déclare une habitante de Pennsylvanie qui dénonce les gaz cancérigènes générés par le nettoyage du gaz de schiste. Elle et ses voisins regardent désolés les centaines de camions qui passent jour et nuit devant leurs portes proches d'un forage. "Combien d'énergie faut-il pour fabriquer de l'énergie?", demande le réalisateur. Depuis 2007, les forages se comptent par milliers dans cet Etat. Les pompages d'eau dans les rivières du coin sont gigantesques: 500 litres à la seconde en moyenne. A tel endroit, ce sont 7,5 millions  de litres qui sont pompés chaque jour de l'année; en amont, 11 millions. Les points de pompage sont innombrables. Un forage se découpe en dix étapes. Chaque étape consomme un million de barils d'eau. Mais quand on aime (l'argent), on ne compte pas.
La silice est utilisée en grande quantité pour la fracturation des roches dont sera extrait le gaz. La silice provoque la silicose et d'autres graves problèmes de santé. On n'y pense pas assez. En fait, on n'y pense pas du tout. On voit ainsi un transporteur manipuler de la silice sans aucune protection à deux pas d'une garderie.
"Pendant cinquante ans, les eaux usées vont remonter à la surface", explique tranquillement le responsable de la sécurité d'un forage. Analysées par des services publiques, l'eau des puits (même mousseuse, jaune et nauséabonde) est saine. Analysée par des universitaires, elle révèle des teneurs importantes notamment en lithium, en magnésium, en plomb, en cuivre, en arsenic, en uranium 234, 235, 236 et 238. Les habitants de cette région de Pennsylvanie où est exploité cet or moderne sont nombreux à souffrir de cancers du foie et de la rate. Une agricultrice explique que sa fille souffre de divers troubles graves depuis qu'elle a bu de l'eau. Des vaches présentent des éruptions cutanées. 
Une loi de Pennsylvanie interdit aux médecins de faire part à leurs patients des liens éventuels qu'ils soupçonnent entre les maladies dont ils souffrent et les nuisances générées par l'exploitation des gaz de schiste. On voit par là que l'argent est plus fort que la science.
Grâce au gaz de schiste, les Etats-Unis assureront, disent-ils, leur indépendance énergétique. Au mépris de la santé et de l'environnement de milliers de ses habitants, ne disent-ils pas.

L'homme est-il un imbécile? C'est aussi un beau salaud. Heureusement qu'il est d'autres hommes qui osent se dresser face à lui et pour qui la santé et l'environnement valent mieux que cet argent à la mauvaise odeur.

(1) diffusé sur Arte ce 29 janvier.
Lire aussi sur ce blog "Shit de gaz", 25 novembre 2012.

1 commentaire:

gabrielle a dit…

"Eau et gaz à tous les étages".

http://ecologie.blog.lemonde.fr/2012/07/21/aux-etats-unis-les-compagnies-gazieres-veulent-forer-dans-les-cimetieres/