jeudi 8 avril 2021

Chers arbres

Ils figurent parmi les grands absents du projet de loi Climat du Gouvernement français. Ils ne passent pourtant pas inaperçus, eux qui occupent 30% du territoire de la France. Aucune des mesures concernant les arbres proposées par la Convention citoyenne sur le climat n'a été reprise dans ce projet de loi. La Convention proposait qu'on interdise les coupes rases de plus d'un demi-hectare, qu'on ne puisse prélever chaque année plus de bois que l'année précédente, qu'on abandonne la monoculture de résineux pour lui préférer des forêts mixtes, qu'on renforce sur le terrain les équipes de l'ONF. Mais, comme l'écrit Luc Le Chatelier (1), "les lobbies du bois, toujours plus gourmands, sont passés par là". La forêt n'est pas une compétence de la Ministre du Développement durable, mais de son collègue de l'Agriculture. On comprend par là qu'elle compte peu, cette forêt: on la plante et on la récolte comme du maïs, du blé ou du soja. "La filière bois, la forêt trinque", disait récemment la banderole d'un défenseur de la nature. L'ONF a vu disparaître cent postes l'an dernier. Ils seront presque aussi nombreux cette année à passer à la trappe. Les rouleaux compresseurs peuvent saccager tranquillement la forêt.

Traverser le plateau de Millevaches en ce moment, c'est découvrir des centaines et des centaines d'hectares de forêt rase. Les coupes à blanc y sont innombrables, coupes de résineux qu'on s'empresse, c'est vrai, de remplacer. Mais visiblement toujours en monoculture. On est frappé d'y entendre peu d'oiseaux. Où nicheraient-ils? 




Francis Hallé, botaniste et biologiste français, spécialiste renommé des arbres et des forêts tropicales, constate (2) la banalité de l'abattage des arbres: "un propriétaire forestier ou un exploitant abat ses arbres ou exploite une parcelle de forêt qui lui appartient, puis il vend son bois à un prix qui dépend de l’essence considérée et qui est fixé par les règles du marché. Il est le seul bénéficiaire de l’opération et cela nous paraît normal, puisque cet homme est propriétaire de la ressource". C'est ainsi depuis des siècles sans que ça ne dérange grand-monde. "Cette relative bienveillance envers les abattages et le commerce du bois se justifiait par le fait que, jusqu’à une époque récente, ces activités étaient artisanales et que leurs conséquences restaient discrètes, voire imperceptibles. Mais les temps ont changé, les abattages se sont industrialisés et les contraintes écologiques de notre époque amènent à questionner un processus d’exploitation qui fonctionnait bien dans le passé, mais qui paraît maintenant trop simple ; car s’il y a un bénéficiaire, il y a aussi des perdants." Et nous en sommes tous. Le botaniste rappelle que chaque arbre représente un patrimoine qui absorbe le CO2, fixe le carbone atmosphérique, nous fournit de l’oxygène, régule le débit des eaux, améliore la fertilité des sols, les protège contre l’érosion et maintient une diversité biologique qui nous est vitale. Sans compter qu'il agrémente nos paysages, inspire les peintres et les poètes et influence bénéfiquement notre santé physique et mentale. Les innombrables et incommensurables services qu'ils rendent ne valent pourtant rien face au profit immédiat de quelques-uns. 

Sur la porte de son bureau au MIT, Donella Meadows, une des auteurs du rapport The Limits to Growth  - Les limites à la croissance, publié en 1972, avait écrit: "Si le monde devait crever demain, je planterais un arbre aujourd'hui". Le monde va crever demain et chaque jour des arbres tombent par milliers.

(1) Luc Le Chatelier, "Avec la loi Climat, les lobbies sortent du bois", Télérama, 10.3.2021.

(2) https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/03/21/deforestation-l-industrie-du-bois-tue-et-detruit-les-arbres-sans-tenir-compte-des-services-qu-ils-nous-rendent_6073904_3232.html 

https://www.arbre-patrimoine.fr/association-francis-halle-pour-la-foret-primaire/

(Re)lire sur ce blog "Massacre à la tronçonneuse", 1.10.2021.

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