lundi 12 avril 2021

Liberté chérie

Ils réclament le droit de circuler sans masque. Ils sont aussi opposés au vaccin. Les mesures de lutte contre la Covid-19 sont liberticides, clament-ils. Ici et là, ils manifestent pour la liberté. La leur. A Quimperlé, par exemple, six cents personnes, soutenues par une députée complotiste, se sont rassemblées hier au coude-à-coude, le visage découvert. Elles ne semblent pas (vouloir) comprendre que le coronavirus est liberticide, qu'il peut nous envoyer à l'hôpital. Et même ad patres. Ce qui ne nous laisse, on en conviendra, plus de liberté du tout. 

La liberté absolue existe-t-elle? Doit-on être libre de contaminer les personnes qu'on croise? Libre de ne pas prendre des mesures de protection - de soi et des autres - et donc libre d'être et de rendre malade et de venir encombrer des hôpitaux saturés? Les anti-masques se voient comme des individus isolés, non comme des membres d'une société. Préserver l'intérêt collectif, c'est fatalement limiter les libertés individuelles. D'où l'existence de règles, le code de la route, le code du travail, la déontologie et tant d'autres mesures qui freinent la toute-puissance de la liberté personnelle. Ceux qui refusent les règles traitent très vite la société qui les édicte de dictature. "La dictature, ce n'est pas la limitation de la liberté, estime Riss (1), mais la destruction. Seule, donc, la démocratie limite les libertés car, et c'est tout le paradoxe, c'est l'unique moyen de les faire exister. Définir ce qu'on n'a pas le droit de faire implique automatiquement de définir ce qu'on a le droit de faire. La définition des limites est donc inhérente à toute démocratie." Et de rappeler l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789: "La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui". Or, la Covid-19, on en conviendra, est assez nuisible à autrui.

"Quand on y regarde de plus près, poursuit Riss, on s'aperçoit que presque tous les débats actuels qui nous agitent touchent du doigt cette épineuse question des limites. Jusqu'où accepter les restrictions des déplacements durant cette pandémie? Jusqu'où accepter la procréation médicalement assistée? Jusqu'où accepter la liberté de croire face à l'intolérance religieuse? Jusqu'où accepter la liberté d'expression? Jusqu'où accepter l'accueil de migrants, comme l'Allemagne, qui, du jour au lendemain, ouvrit ses portes à 1 million de personnes? A chaque fois, c'est la même question qui se pose sous des formes différentes: jusqu'où peut-on accepter une revendication, et à partir de quand doit-on en fixer la limite?"

Dans l'ère du nombril qui est la nôtre, nombreux sont celles et ceux qui pensent que leurs critères personnels doivent avoir force de loi, que leurs aspirations doivent pouvoir être satisfaites sans condition. "Pour séduire militants et électeurs, la tentation est grande de faire croire que leurs désirs de bonheur, de justice, d'égalité, de prospérité ne se heurteront jamais à rien, et ne pourront être comblés qu'à la condition qu'aucun obstacle ne soit mis en travers de leur route. Un projet de société sans limites, physique, technique ou éthique, possède une force séductrice redoutable à laquelle il est difficile de s'opposer, mais dont l'expression peut prendre la forme inquiétante d'un populisme suicidaire." On voit où le laisser-faire populiste a conduit des pays comme les Etats-Unis et le Brésil. La Covid-19 y use et abuse de la liberté de se propager qui lui a été accordée.

(1) Riss, "La démocratie peut-elle dépasser les bornes?", Charlie Hebdo, 7.4.2021.

1 commentaire:

Bernard De Backer a dit…

Excellent et très juste. La question des limites en démocratie est un grand sujet. Il y a également une autre chose qui me frappe (parmi plusieurs), c'est la méconnaissance de Darwin et de sa théorie de l'évolution (approfondie par la génétique). Oui, les virus mutent et ce sont les plus forts (les plus contagieux, notamment) qui supplantent les autres. Au plus le virus circule, au plus il y a des chances de muter et d'être plus contagieux. L'exemple du Brésil est là pour le montrer. Par ailleurs, cela donne à réfléchir à l'idéologie d'une nature par essence "bonne" et douée d'intériorité. Allez donc parler avec l'intériorité du virus en néo-animiste... Bon, c'est vite écrit.