lundi 10 mai 2021

Coup de vieux

C'était il y a quarante ans aujourd'hui. Animateur à la Maison des Jeunes de Péruwelz, j'étais de service ce dimanche 10 mai et j'ai fermé la maison en fin d'après-midi pour prendre la route de Lille. Je sentais que c'était là que je devais être. Je n'avais pas la radio dans ma 2CV et avais donc accroché un petit transistor au-dessus de ma tête. Sur l'autoroute, à 20 heures, j'ai appris la victoire de François Mitterrand. Les automobilistes se sont mis à klaxonner, de plus en plus nombreux. J'ai débarqué sans crier gare chez mes ex-beaux parents. Il y avait du monde, le champagne coulait à flot, c'était la fête. Très vite, nous sommes partis à quelques-uns dans ma 2CV jusqu'au centre de Lille. La foule avait envahi les rues. Le code de la route n'existait plus, les voitures roulaient à trois de front, tant à droite qu'à gauche. Evidemment. Les gens chantaient, riaient, s'embrassaient. Des jeunes dansaient sur les toits de voitures. Au café voisin de la mairie, la patronne était furieuse: son mari offrait une tournée générale à une foule qui ne cessait de gonfler. Vers deux heures du matin, j'ai croisé un homme au fort accent étranger, des Balkans peut-être. Il m'a offert son passeport, convaincu qu'il était désormais devenu inutile. Je le lui ai remis d'autorité dans sa poche, essayant de lui expliquer que le paradis ne venait pas de s'ouvrir. 

Mitterrand et l'Union de la gauche annonçaient qu'ils allaient changer la vie. Ils ont supprimé la peine de mort, avancé la retraite à 60 ans, apporté de nombreuses avancées sociales et mené une politique culturelle novatrice et dynamique. Beaucoup plus tard, la gauche instaurera la semaine de travail de 35 heures. Mais bien avant, dès 1983, la rigueur s'est imposée et le rêve romantique de la société nouvelle qu'incarnait la gauche s'est estompé.  L'économie a imposé sa loi implacable, le chômage a cru autant que les inégalités sociales. La gauche a déçu. Elle a abandonné les réformes sociales pour les réformes sociétales (mariage pour tous, soutien de principe aux minorités). Craignant de choquer son électorat, une part importante de la gauche a abandonné l'idée d'universalisme en même tant que l'ambition de construire une société fondamentalement différente. Résultat: quantité d'ex-électeurs de gauche s'abstiennent ou ont basculé à l'extrême droite. L'Union de la gauche a vécu. La gauche est éclatée en partis dont chaque leader est convaincu d'être le sauveur. Aujourd'hui, selon un sondage récent, seuls 24 % des Français se situent à gauche. Et seuls 26% des voix sont annoncées pour l'ensemble de la gauche à l'élection présidentielle de 2022. Mais peut-être faut-il cesser de croire que le changement viendra des politiques.

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