dimanche 9 mai 2021

Ecriture voilée

Au nom de l'égalité entre les sexes et du respect des femmes, l'écriture inclusive est apparue un peu partout. C'est une écriture militante. Tant pis si les textes qui la mettent en pratique en deviennent souvent illisibles, ponctués par des points dits médians placés au milieu des mots - aucune règle n'étant fixée et chacun faisant comme bon lui semble (1). Tant pis s'ils ne sont pas lisibles oralement et s'ils posent problème aux aveugles et mal voyants qui utilisent un traducteur électronique oral qui s'y perd. Tant pis si les règles de la langue française sont déjà extrêmement complexes à apprendre et à maîtriser. Ce qui importe, c'est que la langue affirme - même si elle en devient incomprise - l'égalité des sexes. Via une circulaire, Jean-Michel Blanquer, Ministre français de l'Education, a officiellement proscrit l'utilisation de l'écriture inclusive, à cause de sa "complexité" et de son "instabilité" qui constituent des "obstacles à l'acquisition de la langue comme de la lecture" (2). Il estime que "mettre des points au milieu des mots est un barrage à la transmission de notre langue pour tous, par exemple pour les élèves dyslexiques". Le point conclue, sépare. En quoi aide-t-il à l'inclusion? "On a un énorme enjeu de consolidation des savoirs fondamentaux et l'écriture inclusive vient en barrage de cet enjeu", affirme encore le ministre. La circulaire ministérielle précise toutefois qu'il convient d'appliquer la féminisation des fonctions quand elles sont occupées par des femmes. Une féminisation qui reste trop peu pratiquée en France. Où, en plus, les femmes mariées sont automatiquement appelées par le nom de leur époux. 

Ce qui est amusant - même si l'on rit jaune - c'est de constater que ce sont souvent les mêmes qui défendent à la fois cette écriture inclusive et le port du voile par les femmes musulmanes. Il s'agit de respect, affirment encore ces personnes. Or, le voile n'a rien d'inclusif, au contraire: il affirme le rejet des femmes en les stigmatisant. "Je suis contre tous les foulards, qu'ils soient portés à Téhéran, Kaboul, Alger, La Courneuve, Lille ou Marseille, affirme Djemila Benhabib (3), qu'ils recouvrent une partie du corps ou totalement, car les foulards du monde entier expriment une même chose: la soumission forcée des femmes à un programme d'oppression." (...) "Cet apprentissage du foulard se fait sous la pression de l'entourage, pour amener la fillette à revendiquer son foulard vers 14 ans, en affrontant ses professeurs et en clamant c'est mon choix. Cette recherche ethnico-identitaire des adolescentes se fait sur le dos des femmes et il se trouve de ses défenseurs pour crier au racisme." En Belgique, la co-présidente du parti Ecolo voudrait autoriser le port du voile dans l'administration (4). Chaque femme doit pouvoir s'habiller comme elle l'entend, estime-t-elle. Comme si elle ignorait le caractère profondément politique du voile. Entend-elle, voit-elle les femmes afghanes, saoudiennes, pakistanaises, iraniennes et autres forcées de porter le voile tout simplement parce qu'elles sont femmes et victimes de violences si elles refusent de le porter? Ecolo, comme une bonne partie de la gauche, se fourvoie dans des combats indignes.

Post-scriptum: lire à propos du droit des femmes à s'habiller comme elles l'entendent l'excellent billet de Nadia Geerts dans Marianne: https://www.marianne.net/agora/humeurs/et-si-on-portait-plainte-contre-les-religieux-qui-disent-aux-femmes-comment-shabiller

(1) Quelques exemples dans le dernier numéro du mensuel féministe Causette, de plus en plus illisible : rageux.ses / festivalier.ères / considéré.es par eux comme des "adorateur.rices du diable" et des idolâtres , les yézidi.es du mont Sinjar (...) furent décimé.es lors de la perce de l'EI. Là ou ailleurs, j'ai un jour lu inoffensif.ives. Plutôt que d'écrire ils et elles, l'écriture inclusive propose iels. Ce qui indique encore la marque masculine. On se serait attendu à ielles, non? Mais on pourrait aussi, tant qu'à faire, écrire les ho.fe.mmes.

(2) https://www.rtbf.be/info/societe/detail_france-l-ecriture-inclusive-interdite-par-le-ministre-de-l-education?id=10757075

(3) Djemila Benhabib, "Ma vie à contre-Coran - une femme témoigne sur les islamistes," vlb éditeur, Québec, 2009.

(4) https://www.levif.be/actualite/belgique/ecolo-relance-le-debat-sur-le-port-du-voile-a-bruxelles-et-exaspere-le-ps/article-normal-1422643.html

(Re)lire sur ce blog "Quotidien de la femme", 8.3.2018.

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