mercredi 17 octobre 2012

Le petit déjeuner des gens de terrain

Connaissez-vous le terrain, savez-vous comment vivent les gens? Si, comme moi, vous n'êtes pas bourgmestre, vous ne devez pas savoir grand chose de la réalité. Les députés wallons et fédéraux sont dans le même cas: ils ne peuvent être dans le concret s'ils ne sont pas, en même temps, bourgmestre ou échevin.
C'est ce qu'on retiendra du "petit déjeuner des bourgmestres", organisé par No Télé sur son plateau ce lundi matin, lendemain de veille. Les uns et les autres se réjouissaient. Clovis Demotte avait presque la larme à l'œil: c'est, dit-il, "une histoire d'amour qui se noue entre Tournai et moi".

Les abonnés à Cumul + étaient quelques-uns sur le plateau. Ils ont défendu le cumul du mandat de bourgmestre avec celui de parlementaire. Olivier Saint-Amand, nouveau bourgmestre d'Enghien, démissionnera de son mandat de député wallon pour se consacrer à temps plein à sa ville. Ainsi le veulent les statuts d'Ecolo. Ainsi le voudront aussi, dès 2014, les nouvelles dispositions adoptées par le Parlement wallon.
Ses collègues respectent sa décision, mais défendent leur double casquette, estimant que, quand on est bourgmestre, on connaît le terrain local. "On a les mains dans le cambouis", déclare Rudy Demotte, qui, même avec des gants, ne salira pas les siennes, puisque, ministre, il ne peut assurer la fonction de bourgmestre qu'il briguait et a acquise. Il demande d'ailleurs qu'on le considère comme un "bourgmestre en titre" et non comme un "bourgmestre empêché" (1). "Je n'ai aucune leçon à recevoir", déclare celui que les Flamands surnomment "le petit prof" (sa réplique préférée quand il est à court d'arguments). Il en profite pour dénoncer le sectarisme des écolos. Démontrant par là combien il est foncièrement libéral: chacun fait fait fait c'qui lui plaît plaît plaît.
Le cumul n'est pas un problème, la démocratie a toujours raison, estime le député-bourgmestre de Frasnes, Jean-Luc Crucke: les électeurs sont prévenus, ils acceptent le cumul en connaissance de cause.
Ils le réclament même, surenchérit Christian Brotcorne, député-bourgmestre de Leuze: voyez comme Ath a été transfiguré grâce au statut de Guy Spitaels.
Olivier Saint-Amand a beau jeu de demander si cette situation est "juste" et de faire remarquer qu'à ce compte-là le Parlement wallon devrait compter 262 élus, soit un représentant par commune, et de rappeler (visiblement, il le faut) que le rôle d'un député n'est pas de favoriser sa commune. "Pas de procès d'intention", lui rétorque Demotte, qui confond intention et action, puisqu'il reconnaît aussitôt avoir favorisé, quand il était ministre de la Culture, son ex-commune de Flobecq, mais pour soutenir des projets qui le méritaient. Bon sang, mais c'est bien sûr (2)!

Mais peut-on réellement et matériellement assumer les deux fonctions?, demandent les journalistes de No Télé. Le bourgmestre de Péruwelz, Daniel Westrade, affirme occuper sa fonction à temps plein et exiger de ses échevins qu'ils consacrent, au minimum, un mi-temps à la leur. "Un bourgmestre doit être présent dans sa commune le plus souvent possible. Etre disponible", estime le nouveau maïeur de Beloeil, Luc Vansaingele. "Il faut parfois travailler quinze heures par jour pour la commune", assure son collègue de Mont de l'Enclus, Jean-Pierre Bourdeaud'hui.
En tout cas, au moins un mi-temps pour une commune comme Silly, estime Christian Leclercq, son bourgmestre. Pierre Wacquier assure consacrer quarante à cinquante heures par semaine à sa commune de Brunehaut. Il estime qu'il est alors sur le terrain, dans le concret, mais qu'il pouvait ainsi, quand il était député wallon, faire remonter au parlement les avis des citoyens.
On voit par là que pour nombre de députés-bourgmestres le contact avec le terrain ne peut s'opérer que via un poste de maïeur, qu'ils n'imaginent pas qu'on puisse être "dans la vraie vie", en militant dans l'associatif, en rencontrant des citoyens à travers des réunions, des échanges divers. On voit aussi par là qu'il doit rester bien peu de temps aux députés-bourgmestres pour assumer leurs responsabilités à Namur, s'ils assument déjà plus qu'un temps plein dans leur commune (3).
De toute façon, même si on n'est pas en même temps député, on peut toujours compter sur "Rudy" pour défendre des dossiers voisins, assure Bernard Bauwens, bourgmestre d'Antoing. Finalement, où est le problème? Finalement, c'est vrai, la Wallonie est en train de changer. La preuve, c'est que tout le monde le dit. Et c'est sûrement grâce aux cumulards. Les remerciera-t-on jamais assez?
Il y avait, ce lundi matin, sur le plateau de No Télé, une odeur d'hypocrisie et de vieille culture politique. Les notables entre eux se protégeaient. Etait-on en 2012 ou en 1982? En Wallonie picarde ou en Hainaut occidental?

Note: quand des journalistes, peu avant le 14 octobre, interrogeaient Rudy Demotte sur son "débarquement" à Tournai, celui-ci répondait que c'était là  sa ville depuis toujours, son jardin, que c'est là qu'il a toujours milité, toujours tenu ses réunions, que son fils y va à l'école, etc. Au lendemain des élections, commentant son score personnel, visiblement en-deçà de ses espérances, il estimait que 7000 voix, ce n'est pas mal "pour un primo-arrivant" (4). Demotte est donc un primo-arrivant de longue date.

(1) lire le billet "Pêcheurs empêchés" sur cette perversion dont se réclame le nouveau "bourgmestre en titre" de Tournai.
(2) voir mon interpellation de Rudy Demotte au Parlement de la Communauté française en 2002 sur les étonnants subsides dont ont alors bénéficié Flobecq et la Région des Collines.
(3) lire ou relire sur ce blog les billets "Discussion sur le bout de gras" (29.06.12) - "Les gens indispensables" (08.03.12) - "Abonnés à Cumul+" (28.10.11) - "Synergétiques cumuls" (23.10.10) - "Cumulet par monts et par vaux" (27.08.10).
(4) le Soir, 15 octobre 2012.

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