jeudi 27 juin 2024

En son âme et conscience

L'amalgame de gauche qui se présente aux législatives ce dimanche ne convainc pas tout le monde. Loin s'en faut. La France insoumise apparaît effrayante et même repoussante à pas mal d'électeurs de gauche. Les hurlements et les excès divers de son gourou et de quantité de ses élus les empêchent de voter pour eux.
Comme le rappelle Riss, dans son dernier édito dans Charlie Hebdo (1), les législatives ne sont pas la présidentielle. Chacune des élections dans les 577 circonscriptions est unique et c'est la somme des résultats qui donnera la composition de l'Assemblée nationale. "Le front républicain n'a pas lieu d'être ! Au premier tour, on est libre de voter pour qui on veut. c'est seulement au second tour que cette question se posera peut-être." Pour faire barrage à l'extrême droite, on nous somme de voter pour le Nouveau Front populaire. Mais pourquoi faudrait-il absolument voter pour des haineux pour contrer d'autres haineux ?
"Charlie Hebdo a toujours emmerdé le Front national et continuera de le faire. Mais CH emmerde aussi une gauche autoritariste qui voudrait nous tordre la main pour nous forcer à glisser dans l'urne le bulletin de vote en sa faveur. Votre liberté n'est pas à vendre, et dans l'isoloir, vous agirez comme bon vous semblera, n'obéissant qu'à votre conscience."
Riss invite à juger, au-delà des programmes, les personnalités des candidats, leur parcours, leurs positions actuelles et passées. Notamment par rapport aux menaces et aux attaques sanglantes qui ont frappé CH mais aussi Samuel Paty, à la laïcité, à l'universalisme, au blasphème, au combat des Iraniennes, au pogrom du 7 octobre, au Hamas. Il constate qu'à gauche on ne se bouscule pas pour défendre la laïcité, on laisse un boulevard à l'extrême droite, puis on hurle, la tête dans le sable. "Il est d'ailleurs très dérangeant d'entendre autour de soi des gens autoproclamés de gauche exiger de nous que l'on vote aveuglément pour eux, au nom du prétendu front républicain et donc de nous faire taire sur la laïcité."
Les heures graves que nous traversons exigent non pas des votes aveugles, mais des choix responsables. "Les heures tragiques de l'histoire de France imposent parfois de mettre de côté les divergences pour défendre les valeurs communes à tous, qui structurent durablement nos vies et notre pays. Nous vivons ces heures difficiles. Dans ces moments-là, pour le salut de notre démocratie, il n'y a pas de honte à se retrouver aux côtés de femmes et d'hommes qui ne pensent pas toujours comme vous sur d'autres sujets aussi conjoncturels." Et il constate que certains candidats désignés par le NFP "nous font honte, font honte à la gauche, par leur cynisme, par leur malhonnêteté intellectuelle, par leurs trahisons incessantes à l'égard des valeurs républicaines." S'ils ne représentent rien de ce que vous êtes, ne votez pour eux, écrit encore le directeur de CH. Après tout, au second tour de la présidentielle, on vote pour le moins pire pour éviter le pire. Cette fois, sans doute faut-il sortir de ses habitudes et de ses choix de cœur pour voter pour des candidats qui  appartiennent à des partis que nous rejetons habituellement mais qui rejoignent certaines de nos valeurs humanistes et n'expriment ni racisme, ni antisémitisme, qui ne se rangent pas derrière des terroristes ou des dictateurs. "L'enjeu de cette élection est double : s'opposer au RN, mais aussi débarrasser la gauche de ceux qui la prennent en otage depuis des années." 

Des humanistes, il en faudra à l'Assemblée nationale pour (tenter de) mettre fin à cette haine qui monte. Les faits d'antisémitisme et de racisme sont en forte hausse en France. Dans un rapport publié aujourd'hui, la Commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH) s'inquiète d'une très forte montée des actes racistes recensés en France, « dans un contexte de défiance vis-à-vis de l'Autre et de la diffusion d'un discours haineux dans certaines sphères politiques et médiatiques où la figure de l'immigré est rendue responsable des maux de la société » (2). Le journaliste Karim Rissouli, de France 5, un cas parmi trop d'autres, vient d'en témoigner en publiant un courrier raciste infect déposé dans sa boîte aux lettres à son adresse privée (3). Par un courageux anonyme bien sûr. Demain les courageux anonymes se sentiront-ils autorisés à s'en prendre à tous leurs voisins qui ne leur ressemblent pas (surtout au niveau intellectuel) ?
Il y a dans l'air une odeur d'égout.

L'anagramme de Marine Le Pen : Amène le pire.

(1) "Si Charlie Hebdo n'en parle pas, qui le fera ?", Charlie Hebdo, 26.6.2024.
(2) https://www.lesechos.fr/politique-societe/societe/juifs-musulmans-immigres-les-actes-racistes-en-forte-hausse-en-france-2104282
(3) https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/06/26/le-journaliste-karim-rissouli-diffuse-une-lettre-raciste-envoyee-a-son-domicile-le-peuple-francais-historique-en-a-plein-le-cul-de-tous-ces-bicots_6243921_823448.html

3 commentaires:

Bernard De Backer a dit…

J'ai posté ce commentaire au bas d'un article du Monde, décrivant les réactions de Belges face à ce qui se passe en France. Je n'y suis pas allé de main morte, mais je suis en colère comme Européen, notamment face à la Russie. Voici le texte : "Parfaitement d'accord avec cet article éclairant. Vu de Bruxelles (Belgique) j'ai le sentiment que la France rejoue ses cesse 1789, l'élection d'un Roi républicain à guillotiner quelques années plus tard... Aucun sens du compromis, l'appel des extrêmes, une vision religieuse et absolutiste de la politique, des leçons d'universalisme au monde entier. La France ne semble pas encore avoir compris ce qu'est la démocratie, qui est le deuil de l'absolu. Si ce n'était l'enjeu européen, je me ficherai de cette élection comme de ma dernière culotte."

Michel GUILBERT a dit…

D'accord avec toi, Bernard : les Français restent nostalgiques et de la monarchie et de 1789. Elisons un roi pour pouvoir le guillotiner ensuite. Et, oui, la recherche de compromis, la négociation, la nuance, l'écoute, l'ouverture n'appartiennent pas (plus ?) à la culture politique française. C'est que nous sommes des révolutionnaires, nous, m'a écrit un jour un commentateur d'un billet que j'avais rédigé à ce sujet. "Clasher", pour reprendre un terme à la mode, serait donc révolutionnaire ?

Bernard De Backer a dit…

Un petit complément. Les désistements en cas de triangulaires augmentent (plus de 190 ce matin 2 juillet). Cela peut signifier que le RN n'aura peut-être pas la majorité absolue (c'est l'avis de Brice Teinturier hier soir). Se désister du NFP vers le Centre et inversément, c'est déjà un petit compromis. Mais si ça marche (après tout, 67 % des Français ont vôté contre le RN), il faudra une majorité pour gouverner, donc une coalition, des compromis. Allons Français, encore un effort !