mardi 28 septembre 2010

Du rôle de l'artiste

Le gouvernement israélien n'a pas prolongé le moratoire sur les constructions en zones occupées. On n'arrive évidemment pas à croire à sa volonté d'entamer de vraies négociations. On se plaît parfois à dire en Belgique que les Palestiniens et les Israéliens s'intéressent de près au modèle belge du vivre ensemble entre communautés soeurs ennemies. Il semble que ce soit vrai. Le modèle belge actuel a la faveur du gouvernement israélien: il dit vouloir négocier un accord, mais fait tout pour qu'il n'y en ait aucun. Jamais. Bibi et Babart, même combat (même si l'un est le colon et que l'autre s'estime colonisé).
Des comédiens et metteurs en scène israéliens ont fait connaître leur opposition à la colonisation des territoires occupés: une cinquantaine d'entre eux a décidé de boycotter le nouveau centre culturel de la colonie d'Ariel en Cisjordanie. Donc en territoire occupé. Des ministres de droite ont menacé les compagnies théâtrales qui appliqueraient ce boycott de leur couper les vivres. Comme souvent, les menaces ont l'effet contraire à leurs objectifs: d'autres artistes emboîtent le pas aux gens de théâtre: les écrivains David Grossmann et Amos Oz notamment les soutiennent: "accorder la moindre légitimité à l'entreprise de colonisation porte atteinte aux chances d'Israël de parvenir à la paix avec nos voisins palestiniens", estiment-ils. (1) "Les artistes ne sont pas des soldats qui doivent marcher au pas", estime Yossi Sarid, ancien ministre de gauche. "Personne ne peut les contraindre à se produire".
Et pendant ce temps-là, ou presque, des organisations culturelles européennes boycottent des artistes israéliens. Les mêmes ou presque. Début juin, le réseau indépendant Utopia déprogrammait un film israélien, pour protester contre les violentes attaques de la marine israélienne à l'égard de la flottille qui tentait de rompre le blocus de Gaza. Boycotter des artistes, qui sont souvent sont très critiques par rapport à la politique suivie par leur gouvernement, a-t-elle un sens? (2) Quand nous boycottions les pommes et les oranges d'Afrique du Sud, il ne nous serait pas venu à l'idée de boycotter Johnny Clegg, J.M. Coetzee ou Nadine Gordimer.
Un colloque était prévu à Aix-en-Provence au début 2011 autour du thème "Ecrire aujourd'hui en Méditerranée, échanges et tensions". Il a été annulé. (3) Les échanges n'auront pas lieu. Restent les tensions. "Des écrivains et universitaires arabes, égyptiens et palestiniens" (selon les organisateurs) ont annulé leur participation parce qu'une écrivaine israélienne y était invitée. Esther Orner, l'écrivaine dont il était question, est favorable à la paix entre Israël et un Etat palestinien. Mais rien n'y a fait. "Aurait-on l'idée de boycotter un Iranien?", demande-t-elle. Que des artistes refusent le dialogue avec d'autres est contraire à leur rôle. Qui sont, que sont ces artistes qui refusent d'échanger? L'artiste est là pour forcer la réflexion, pour poser des questions que personne ne veut entendre. Ces artistes-là n'ont que des réponses à des questions qu'ils ne posent pas. Des réponses fermées à des questions même pas ouvertes. "Censurer la culture, dit Costa-Gavras, c'est l'apanage des dictatures. En démocratie, on accueille les films, qui sont porteurs d'idées parfois très fortes, on les contextualise, on en débat. Les refuser, c'est la pire des réponses."

(1) voir Marianne, 11.09.2010: "Israël. les artistes se rebiffent"
(2) voir Télérama, 23.06.2010: "Faut-il boycotter les artistes israéliens?"
(3) voir Libération, 23.07.2010: "Aix: la présence d'une Israélienne clôt le débat"

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