jeudi 3 novembre 2011

Modérons-nous

Le parti tunisien Ennahda (1) se présente comme islamiste modéré, ce qui est censé rassurer. Peut-être sont-ce des islamistes modérés qui ont balancé des cocktails molotov dans les bureaux de Charlie Hebdo. Allez savoir. L'écrivain algérien Boualem Sansal, qui a été plus d'une fois censuré, ne croit pas à cette modération. "L'islamisme modéré relève de la stratégie, dit-il (2). Les islamistes se repositionnent comme les partis d'extrême droite qui, à un moment donné, jouent la carte de la modération pour élargir leur base sociale et atteindre le pouvoir. Lorsque surviendront les difficultés, l'islamiste modéré ne pactisera pas avec le démocrate au détriment de l'islamiste radical. Il ira vers l'islamiste radical. C'est sa famille naturelle."
Selon lui, "l'islam qui est enseigné depuis une cinquantaine d'années par les institutions, par les écoles coraniques, est un islam radical. Cet enseignement porte en lui les germes de l'islamisme. Il ne peut pas produire des hommes de paix et de tolérance. (...) Il faut, estime-t-il, que dans les pays musulmans, on commence à enseigner un autre islam. On ne peut pas être optimiste."
Le juriste et islamologue belge Baudouin Dupret estime que, même si la charia est devenue, comme d'autres pays musulmans, la source principale de la législation égyptienne, "elle s'applique avec une certaine souplesse, bien loin de l'image d'épouvantail que s'en fait l'Occident. Mais plus le temps passe, dit-il, plus l'influence du conservatisme islamique se fait sentir". Il constate qu'au Maroc, à l'occasion de la réforme récente de la Constitution, les islamo-conservateurs, qui représentent près de 50% des électeurs, "ont rappelé que le Maroc était un Etat islamique et que cette identité marocaine était menacée par la liberté de conscience" (3).
Ils sont nombreux, et trop peu entendus, les intellectuels qui en appellent à une lecture moderne du Coran. Dans "L'Islam face à la mort de Dieu" (4), Abdennour Bidar tente de réactualiser la pensée de Mohammed Iqbal. "Sa pensée représente pour l'islam une chance de dépaysement, de décentrement majeur. Elle lui offre la possibilité de recommencer à faire à l'époque moderne ce qu'il savait si bien faire avant de s'enfermer dans son autisme religieux: s'enrichir d'apports extérieurs comme il le fit avec Al-Farabi au Xe siècle à Bagdad et Alep, ou Averroès l'Andalou au XIIe siècle, qui surent féconder la lecture du Coran avec celle de Platon et d'Aristote. Iqbal déplore que, depuis plusieurs siècles, l'islam se soit totalement replié sur lui-même." Et Abdennour Bidar, à son tour, de regretter que plus personne dans le monde musulman ne lise Iqabl: "la décadence intellectuelle et spirituelle du monde musulman vers le dogmatisme et l'obscurantisme de masse semble tellement avancée qu'elle paraît interdire tout espoir sérieux de régénération." Il parle ainsi d'un "islam de cimetière".

(1) Sur les élections tunisiennes et Ennahda lire les commentaires de Caroline Fourest sur
http://carolinefourest.wordpress.com/
(2) Le Vif, 23 septembre 2011
(3) Le Vif, 9 septembre 2011
(4) François Bourin Editeur, 2010

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