lundi 25 mai 2020

L'heure du vélo

La voiture arrive à très grande vitesse sur cette petite route de campagne, entre Haute-Vienne et Creuse. Elle dépasse celle qui est derrière nous, mais reste collée à notre pare-chocs, à cause de véhicules qui arrivent en face, à cause d'une ligne blanche, d'un stop. Son conducteur porte un grand chapeau de chasseur, son gilet jaune fièrement posé sur le tableau de bord. Enfin, il peut nous dépasser. Il tapote ostensiblement son index sur sa tempe. Pour nous indiquer que nous sommes fous de ne rouler qu'à 80 km/h, suppose-on. Il disparaît très vite au loin. On est toujours le fou d'un autre. Ce type de conduite automobile nous apparaît comme une pratique d'un autre âge. Du temps d'avant.

Avant la pandémie qui a fait chuter drastiquement le trafic automobile, l'utilisation de la voiture était déjà en baisse en Belgique (1), au contraire de celle de la bicyclette et des transports en commun et de la pratique de la marche à pied. Même si la voiture reste le moyen de transport principal. Mais les tendances étaient encourageantes et le sont plus que jamais.

En France, l'usage du vélo a augmenté de 44% la première semaine du déconfinement.
En Colombie (2), la bicyclette est plus utilisée que jamais. Un médecin de Medellin, ville habituée aux pics de pollution, circule à vélo trouvant la qualité de l'air différente grâce à la forte diminution du trafic causée par le coronavirus. Une piste cyclable temporaire a été aménagée par la ville, d'une longueur d'une vingtaine de kilomètres qui s'ajoutent aux 120 déjà existants. Dans l'est de la ville, une rue a été réduite de moitié pour donner de la place aux vélos tout autant qu'aux voitures. Un cuisinier s'en réjouit: à vélo, grâce à ces pistes, il met maintenant deux fois moins de temps qu'avant pour parcourir les 15 km qui sépare sa maison de son lieu de travail
Madrid a interdit le week-end le trafic de voitures sur ses principaux axes de circulation.
A Barcelone (3), les rues ont été réorganisées pour faire la part belle aux piétons et aux cyclistes. Dans l'urgence, mais avec des perspectives de pérennité et même d'améliorations.
Quarante-quatre rues sont devenues provisoirement piétonnes, des trottoirs ont été élargis pour que les piétons puissent se croiser sans se toucher et 21 km de pistes cyclables supplémentaires ont été créés.
"Cela fait plusieurs années que nous avons un plan de transformation de l'espace public pour que les citoyens puissent se le réapproprier, c'est leur droit", explique l'architecte de la mairie. "C'est un bon moment pour accélérer la transformation de l'espace public vers cette nouvelle mobilité. Cela nous pousse aussi à repenser l'espace public, à prendre des mesures pour que la voiture individuelle ne soit pas la première option pour se déplacer. C'est pour cela qu'on donne plus d'espace aux piétons et aux cyclistes et qu'on va moderniser les transports en commun" Avec une circulation automobile quasi nulle pendant les deux mois de confinement, la pollution a chuté de 60% à Barcelone.
"Barcelone est une ville qui a été conçue pour la voiture, déplore un responsable de Greenpeace, et la répartition de l'espace est injuste: 40% des déplacements se font à pied ou à vélo, 40% en transports en commun et seulement 20% ou moins en voiture ou à moto. Ce qui signifie qu'on offre tout l'espace public au mode de mobilité le moins utilisé par les habitants, alors que la voiture reste la première source de gaz à effet de serre et qu'on est en pleine urgence climatique."
Le patronat catalan, lui, a demandé à la mairie de faciliter l'accès des voitures individuelles au centre-ville. "C'est absurde d'exclure les voitures pour des raisons purement idéologiques", affirme un responsable de l'association Foment del Trebal qui estime que la population âgée a besoin de sa voiture. Le climat fait-il de l'idéologie?

Il faudra bien qu'un jour prochain on change nos critères d'évaluation, qu'on mesure la bonne santé d'une société au nombre de ses cyclistes, de ses trotinetteurs et ses marcheurs et non aux ventes de voitures neuves. Ce jour-là, on aura avancé...

Post-scriptum du 27 mai.
Ne crions pas victoire trop vite. La Ville de Marseille vient de fermer une piste cyclable qu'elle venait d'ouvrir il y a cinq jours. Oui, 5 jours. Motif : pas assez de fréquentation. Les cyclistes pointent du doigt le lobby automobile qui ne supporte pas de devoir faire de la place à d'autres moyens de mobilité. (France Inter, Journal de 13h, ce jour)

4 commentaires:

Bernard De Backer a dit…

En tant que cycliste quotidien urbain et cyclovoyageur ne possédant pas de voiture, je ne peux que me réjouir ! Ceci étant, un des enjeux importants est la mobilité non carbonnée en dehors des grandes villes. Il y a bien sûr le vélo à assistance électrique, les voitures partagées, etc. Je me demande également s'il ne faudrait pas indexer les assurances et les taxes sur le nombre de kilomètres parcourus dans l'année. Cela permettrait aux ruraux d'avoir une voiture mais de l'utiliser moins. A creuser, à mois que cela n'existe déjà en France ?

Michel GUILBERT a dit…

Effectivement, il faut mettre en place des taxes et/ou tarifs adaptés en fonction des kilomètres parcourus. Ça n'existe pas en France. Je vois ici des gens prendre leur voiture pour le moindre déplacement, passer, repasser six, sept fois par jour, parfois pour des déplacements très brefs, parfois plus longs. Le carburant n'est visiblement pas assez cher pour les pousser à s'organiser et à être rationnels.
Mais je vois aussi un jeune couple avec enfants qui, en pleine campagne, loin de toute agglomération, a abandonné la voiture pour un vélo-cargo et le bus qui passe à la demande, deux fois par jour.

Bernard De Backer a dit…

Il y a bien entendu une dimension culturelle et pas seulement économique à la réduction des trajets automobiles, voire à l'abandon de la voiture en propriété. Pour nombre de personnes, c'est encore un signe de statut social. Je profite de la fenêtre pour signaler un petit livre sidérant, "Perdre la terre" de Nathaniel Rich (2019), journaliste au New York Times. Une enquête très narrative sur le déni progressif du réchauffement climatique depuis 1979 aux USA.

Jean-Claude Dewinte a dit…

La déconfiture, pardon le déconfinement est à l'oeuvre en Belgique, en gros, selon un calendrier calqué sur celui de la France et ici comme ailleurs l'automobile a repris ses droits. Chaque matin est à nouveau marqué par les ralentissements et d'invraisemblables embouteillages aux portes de Bruxelles.
Dans le même temps, les marques automobiles occupent les espaces publicitaires avec, pour plusieurs d'entre elles, des offres basées sur des formules d'un genre nouveau : ne manquant pas de souligner le redémarrage attendu (entendez déconfinement), l'argument est: "roulez maintenant, payer plus tard" ce qui dans les faits signifie que le client peut immédiatement disposer d'une voiture de stock et commencer à la payer 3 mois, voire 6 mois, plus tard.Fallait bien relancer la machine dans un pays dont le parc automobile total dépasse les 7 millions d'engins (pour une population de 11 M. hab. rappelons-le).